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I.a vallée de l'Oued Guir
(Confine Algéfo-Marocain»)
Une culture primitive inconnue.
PAR
Paul FITTE
L'oued Guir prend sa source au Maroc, dans le Djebel Timjna- tine, à plus de 2.000 mètres d'altitude. Il coule sur 450 kilomètres. A la hauteur d'Igli, il reçoit l'oued Zousfana, qui devait jadis rejoindre l'oued Namous, et forme l'oued Saoura. Sous ce dernier nom, il coule sensiblement Nord-Sud arrosant sur son parcours de nombreuses et verdoyantes palmeraies, en particulier celles de Béni- Abbès et Kerzaz, pour se perdre, après un parcours d'un millier de kilomètres environ, dans les sebkhas d'El-Mellah, de Timodi et du Gourara, centre du bassin fermé de la Saoura.
Cet oued, est sujet à des crues plus ou moins violentes. Les minutieuses observations du L* Bellot, ancien Commandant du poste d'Abadla, nous montrent que l'oued Guir a annuellement trois périodes de crues principales de un à 2 m. 60 de moyenne. Le Guir est un élément de vie, grâce à son eau et aux limons qu'il dépose. Vers le coude de la Batha de Mertouma, il coule majestueusement en faisant de nombreux méandres dans une plaine d'alluvions : La plaine des Baharia ou des « petites mers » qui atteint jusqu'à vingt kilomètres de largeur au sud d'Abadla. Cette vaste plaine n'est pas mise rationnellement en valeur, aussi est-elle couverte d'une forêt assez dense où les Tamacées prédominent ainsi qu'une flore puissante de graminées et herbes de toutes sortes.
Cette région pré-saharienne est encore de nos jours particulièrement privilégiée, par la présence de l'eau dans une vallée aux alluvions riches, propices à la culture des céréales et dans laquelle cègne une abondante végétation, apte à l'élevage des troupeaux. Tous ces facteurs devaient nécessairement faire de toute la vallée du Guir une zone de peuplement intensif surtout aux périodes préhistoriques.
Comme nous l'avons signalé dans un travail préliminaire (1), tous les horizons de la culture primitive de l'homme s'y rencontrent.
Nous ne serons donc pas surpris de trouver là, une industrie particulière et énigmatique, que nous n'avons encore pu dater d'une façon précise. Les stations préhistoriques appartenant à cette culture, se rencontrent à la surface du sol, sur les rives de l'oued Guir et des nombreux affluents qu'il reçoit, au sommet des garas, ainsi qu'à la surface des terrasses quaternaires qui s'étagent vers la grande hammada.
Les stations sont très nombreuses et très riches en objets archéologiques.
Nous ne mentionnerons que les plus importantes d'entre-elles : Gara Wimpffen, ancien ksar des Ould Aïd, embouchure de l'oued
(1) Paul Fitte. — Gisements préhistoriques entre le Sud-Algérien et le Soudan (B. S. P. F., t. XLIII, 1946, p. 195).
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Djeïfadjef, oued Debaï, Gara Namous, Gara Manzouza et Ogleit-el- Berda.
Sur les emplacements de ces stationnements préhistoriques on distingue des tas de pierres' bleues, éclatées par la chaleur et qui sont vraisemblablement des restes de foyer (2). Des tumuli se rencontrent généralement à proximité ainsi que des aires rectangulaires de 2 m. X 0 m. 60 et circulaires de 1 à 2 mètres de diamètre remplies de pierres brutes, qui pourraient fort bien être des tombes.
L'outillage est essentiellement lithique, il est caractérisé surtout par des instruments munis de 1-2-3-4 on 5 encoches. La majorité d'entre-eux n'en présentent que 2 ou 3 et affectent ainsi la forme d'un T ou d'un Y.
Les matériaux qui ont servi à la fabrication de ces objets sont variés : schiste, grès, quartzite, silex, pétrosilex. Mais le plus utilisé, peut-être, parce que plus commun et s'éclatant plus facilement est le galet de calcaire siliceux carbonifère, vermiculé par l'action éolienne que l'on recueille en quantité considérable à la surface du sol. Ces galets roulés proviennent des conglomérats démantelés des terrasses quaternaires.
De l'utilité de cet outillage. — « Outillage énigmatique », c'est ainsi que la plupart des auteurs le dénomment. H. Desmaisons, en 1932, attirait l'attention des préhistoriens sur ces objets singuliers « qu'on trouve de temps en temps, dans les stations néolithiques » (3). « Comme on peut le voir, dit-il, d'après les dessins que je présente, il s'agit de pièces étoilées, à trois branches tronquées ou arrondies le plus souvent, dont les intervalles sont généralement peu ou point retouchés ». Il ajoute (4) « ces engins à trois pointes, dont les profils sont fréquemment concaves étaient fixés à l'extrémité de lanières de cuir et constituaient une arme analogue au fléau d'armes dont se servaient les écuyers du Moyen Age ».
Mme A. Bowler-Kelley observe une très prudente réserve quant à leur destination (5). Elle dit, néanmoins à propos des Y de Grande- Bretagne que « les coches présentent généralement de profondes traces d'usage ». L. Nougier (6) décrivant les Y de Haeï-el-Hameïda (Béni-Abbès) émet l'hypothèse de « grattoirs concaves à utilisation progressive ». /
Nous allons essayer de justifier par des faits notre opinion personnelle qui n'aura d'ailleurs que la valeur d'une hypothèse. Nous ne croyons pas que les T ou Y soient des instruments destinés à un besoin déterminé, mais plutôt des objets symboliques, totémiques ou magiques. La dimension des pièces varie entre un et vingt centimètres. L'épaisseur est de 0 m. 05 pour ceux confectionnés dans des plaques de schiste ou de grès et atteint parfois 0 m. 05 pour les T ou Y à taille bifaciale, en quartzite et autres roches. De plus
(2) Cette observation avait déjà été faite par le Lieutenant Terrasson. (3) H. Desmaisons. — Silex taillés de formes énigmatiques (B. S. P. F., 1932, t. XXIX, pp. 525-526). • . (4) H. Desmaisons. — (B. S. P. F., 1935, t. XXXII, p. 59). (5) A. Bowler-Kelley. — Silex énigmatiques de Grande-Bretagne (B. S. P. F., 1935, t. XXXII, pp. 499-506). (6) L. Nougier. — Contribution à l'étude de pierres préhistoriques de «formes énigmatiques» (B. S. P. F., 1933, t. XXX, pp. 600-602).
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certains sont découpés dans des fragments de coquilles d'œufs xl'autruches (Daïet-el-Metima) ,
Fig. 1. — La Gara Manzouza
Fig. 1. — La Gara Manzouza
Fig. 1. — La Gara Manzouza (Face Nord) (Rive droite de l'oued Guir) : Massif gréseux surmonté d'un conglomérat, vestige de la Terrasse de 20- 25 mètres de l'oued Guir. Au sommet station préhistorique n° 471 (Industrie en T).
Fig. 2. — Station 458 (Recherches P. Fitte). Sur la Terrasse de 20- 25 mètres rive droite de l'oued Guir. Les galets et quelques outils brisés jonchent le sol. A gauche deux blocs de pierre, enclumes sur lesquelles étaient détruits les objets.
Nous avons parlé de rectangles, cercles de pierres et tumuli dans ou aux abords immédiats de ces stations. A proximité, et
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Fig. 2. — Station 458 (Recherches P. Fitte)
Fig. 2. — Station 458 (Recherches P. Fitte)
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parfois sur ces monuments, on trouve des galets ealcaires et objets brisés en deux volontairement, donc très certainement rituellement : rites funéraires! on distingue très bien sur chaque objet la marque du point de choc qui l'a détruit. Sur les ries de l'oued Djeïfadjef, nous avons compté sur une aire de 3 mètres carrés de superficie, 426 fragments de ces galets en calcaire et objets. Nous avons reconstitué 5 objets finis et 127 galets. Six aires rectangulaires se trouvaient au voisinage.
Au sommet de la Gara Manzouza, 126 fragments sur un mètre carré. 34 galets reconstitués. Au pied de la Gara, trois tumuli.
A l'embouchure de l'oued Djeïfadjef, 64 fragments sur un mètre carré. 30 galets reconstitués et un objet. Un tumulus à proximité. Au pied et sur la face orientée à l'Ouest de la Gara Wimpffen — 62 fragments sur un mètre carré — 28 galets reconstitués. Deux tumuli à une centaine de mètres- Toutes ces constatations ne plaident-elles pas en faveur d'un rite religieux?
Aire de dispersion de cette culture
Des objets en T ou Y ont été signalés en Europe.
H. Desmaisons en signale dans le Néolithique et en fouille, à Rullen-Bas (Belgique), à Boury-en-Vexin, près de Gisors (Eure) et à Montgagnant-Bagneaux (Seine-et-Marne) (7).
Mrae A. Bowler-Kelley dans une remarquable monographie, fait l'inventaire des découvertes effectuées en Grande-Bretagne où ces objets se rencontrent un peu partout mais principalement dans le Sud-Est de l'Angleterre, dans le Norfolk et le Suffolk et, ajoute-t-elle « Dans chaque localité, les trouvailles sont concentrées sur des superficies restreintes» (8).
Mme A. Bowler-Kelley, en signale également en Afrique du Sud (9).
Mais le centre, plus précisément le foyer de cette culture, paraît- être le Sahara occidental, depuis l'A.O.F. aux confins algéro- marocains. Nous allons donner un inventaire aussi complet que possible des localités sahariennes où ces outils ont été recueillis.
H. Desmaisons, signale au Musée de Périgueux, des instruments en Y provenant du Sud-Oranais, de la région de Beni-Abbes (10).
Louis Nougier, en 1933, en signale de la même région, d'Haeï- el-Hame"ïda, déposés à Fécole primaire supérieure de Gérardmer (Vosges) par le Lieutenant Bedel. Les pièces sont en quartz laiteux et quartzite (11).
Le Lieutenant Cesar et le Lieutenant Terrasson en signalent à proximité de Tabelbala (Sahara occidental) qui sont actuellement aux Musées d'Alger et de Rabat. Le Lieutenant Negrie en signale à Megsem-el-Abiod, près de Tabelbala, le long de l'Erg er Raoui et au puits d'Azrar; Dennery à Oguilab Tabelbala et Oguilab Bel- Abbes, le tout a été déposé au Musée d'Oran.
(7) H. Desmaisons. — Loc. cit. (8) Mme A. Bowler-Kelley. — Loc. cit. (9) A. Bowler-Kelley. — B. S. P. F., 1935, t. XXXII, p. 59. (10) Loc. Cit. (11) Loc. cit.
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Bou-Bernous (Sahara occidental). — Récolte Colonel Quenard, Commandant Murat, Lieutenant de The (Dessins Paul Fitte)
Bou-Bernous (Sahara occidental). — Récolte Colonel Quenard, Commandant Murat, Lieutenant de The (Dessins Paul Fitte)
Bou-Bernous (Sahara occidental). — Récolte Colonel Quenard, Commandant Murât, Lieutenant de The (Dessins Paul Fitte).
Grandeur naturelle. 1 à 6, Quartzite.
7-8, Silex noir. 9-10, Grès gris. 11, Grès jaune lustré.
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Doumergue en signale qui lui ont été envoyés de Kenadza, à 25 kilomètres de Colomb-Béchar (Musée d'Oran).
Le Capitaine Baroen en découvre quelques-uns au cours d'une reconnaissance en 1946 aux puits de Tinfouchy et de Tinjoub pi. II Fig. 5 (Sahara occidental). En 1947, le Colonel Quenard, le Commandant Murât et le Lieutenant de The, au cours d'une mission dans le Sahara occidental, rencontrent d'importants stationnements, localisés dans des aires très restreintes à Bou-Bernous et à Therrazza (PI. I et II).
Pierre Laforgue en signale dans les régions septentrionales de l'Afrique occidentale française, aux environs de Trazza (Musée d'Oran).
Des exemplaires sporadiques ont été également recueillis aux environs de Timimoun (Touat-Gourara) et à Tindouf (Extrême- Sud marocain).
Nous avons signalé l'importante station de la Daïet-el-Metima, au Sud-Est de l'oasis d'Ougarta (Sahara occidental).
L'aire de dispersion de cette culture primitive s'avère d'ores et déjà très grande, nous allons maintenant essayer de voir la place qu'elle doit occuper dans la chronologie préhistorique.
La place de cette culture dans la chronologie préhistorique africaine
Certains auteurs (12) rattachent les outils en forme de T ou d'Y au Moustéro-Atérien, d'autres observent une prudente réserve (13).
Le Pr H. Breuil nous décrit ces instruments en ces termes : « une forme spéciale est une double, ou plus souvent triple coche profonde, grande ou petite, en forme plus ou moins d'Y », et les classe dans le moustérien évolué africain ou Atérien. Il figure (14) une planche de ces outils à coches multiples provenant de l'Até- rien de Tabelbala, récoltés par le Lieutenant Cesar. Nous avons parcouru la région de Tabelbala. Si certains gisements sont homogènes, dans beaucoup d'entre eux, toutes les cultures primitives se mêlent sur un même sol. Nous n'avons jamais rencontré d'outils en forme de T ou d'Y uniquement associés à de Г Atérien. Si il y avait de Г Atérien, d'autres industries y étaient également mêlées. On ne peut donc se servir du gisement de Tabelbala (récoltes du Lieutenant Cesar), pour rattacher un objet quelconque à l'un ou l'autre niveau préhistorique connu. Nous ajouterons qu'il est surprenant que les formes en T ou Y soient totalement absentes dans les gisements atériens en stratigraphie de l'Afrique du Nord et de la zone pré-saharienne, si elles appartiennent à cet horizon.
Il faut être très circonspect quand il s'agit au Sahara de récoltes de surface. Nous savons tous, que des industries d'âges très différents peuvent être rencontrées sur un même gisement.
(12) H. Breuil. — L'Afrique Préhistorique. Editions « Cahiers d'Art », Paris, 1931, p. 70 et 71. (13) A. Ruhlmann. — Les recherches de Préhistoire dans l'extrême-Sud marocain. Publ. Serv. des Antiquités du Maroc; fasc. V, 1937, p. 7. (14) H. Breuil. — Loc. cit., p. 71.
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Therraza (Sahara occidental). — Récolte Colonel Quenard, Commandant Murât, Lieutenant de The, 1947. (Dessins Paul Fitte).
Grandeur naturelle.
1, Calcaire siliceux, épaisseur 0,009.
2, Schiste feuilleté, épaisseur 0,006.
3, Plaque de grès blanc, épaisseur 0,004.
4, Plaque de schiste, épaisseur 0,002.
5, Puits de Tinfouchy (Sahara occidental). — Pièce sur éclat de calcédoine, recueillie à proximité du puits par le Capitaine Baroen, 1947.
Therraza (Sahara occidental). — Récolte Colonel Quenard, Commandant Murat, Lieutenant de The, 1947. (Dessins Paul Fitte). Grandeur naturelle
Therraza (Sahara occidental). — Récolte Colonel Quenard, Commandant Murat, Lieutenant de The, 1947. (Dessins Paul Fitte). Grandeur naturelle
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Dans la vallée du Guir, nous avons découvert une grande quantité de stations d'instruments en T ou Y. Nous avons toujours été très surpris de l'extraordinaire fraîcheur de taille de ces « outils ». Il nous est même arrivé d'en trouver confectionnés dans d'anciennes pièces paléolithiques.
Aucun outil paraissant plus ancien ou plus récent, ceci d'après leur état physique et morphologique, ne leur était mêlé. Au gisement de la Daïet-el-Métima, au Sud-Est de l'oasis d'Ougarta, nous avons observé le même état de chose.
A proximité et dans ces stations existent généralement des cercles et rectangles remplis de pierres brutes ainsi que des tumuli. Si, il y a corrélation entre ces monuments et l'industrie cette dernière se trouvera considérablement rajeunie.
Nous serions en présence d'une population primitive déjà évoluée dans l'échelle des races et de la civilisation. Le respect des morts et l'observance de rites funéraires paraissent devoir légitimer notre point de vue.
H. Desmaisons (15) a signalé des instruments en T ou Y dans le Néolithique français et belge. M™ A. Bowler-Kelley, emploie le terme de « Néolithique à tradition de débitage moustérien », pour désigner le complexe industriel dans lequel on trouve ces instruments en Grande-Bretagne. (Stations de London Bottom, Ipswich et Grimes Graves) (16).
Dans une station non encore étudiée de néolithique saharien absolument pur, Zmeilet-Barka (Sahara occidental), nous avons remarqué, dans l'ensemble recueilli, un certain nombre de T de faibles dimensions.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que cette industrie pourrait-être relativement récente, NEOLITHIQUE, voir POST- NEOLITHIQUE. Mais il ne faut pas se hâter de conclure. Nous retiendrons avant tout deux faits importants :
1) Cette civilisation paraît-être parfaitement homogène, mais des formes que nous sommes habitués à voir dans maints autres horizons préhistoriques manquent. Ce facteur nous empêche de la considérer comme un ensemble industriel complet et autonome.
2) II faut alors rattacher ces instruments en T ou Y à l'un ou l'autre des niveaux connus de la chronologie préhistorique.
Nous voyons que seules des trouvailles nouvelles et en stratigraphie, pourront jeter quelque lumière sur cette mystérieuse culture primitive.
Abadla, Mai Ш1.
(15) H. Desmaisons. — Loc. cit. (16) A. Bowler-Kelley. — Loc. cit.
Posté Le : 02/05/2021
Posté par : colomb
Photographié par : Paul Fitt
Source : Bulletin de la Société préhistorique française Année 1947 44-7-8 pp. 215-222