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Lina Soualem, réalisatrice et comédienne, à L’Expression «C’est un devoir de raconter nos histoires palestiniennes»



Publié le 30.04.2024 dans le Quotidien l’Expression

Actrice et réalisatrice franco-algérienne, elle est aussi la fille de Hiam Abbas et Zineddine Soualem, tous deux acteurs. Son premier film comme réalisatrice, le documentaire «Leur Algérie», est montré dès 2020 dans plusieurs festivals puis sort en salles françaises en 2021. Il est aussi montré en Algérie un an après. Sorti en 2023, son second documentaire «Bye bye Tibériade», dans un contexte bien tragique, miné par les attaques de Ghaza. Hasard du calendrier. Le film dresse le portrait de quatre femmes palestiniennes. Hiam Abbass a quitté son village palestinien pour réaliser son rêve de devenir actrice en Europe, laissant derrière elle sa mère, sa grand-mère et ses sept soeurs. Trente ans plus tard, sa fille Lina, réalisatrice, retourne avec elle sur les traces des lieux disparus et des mémoires dispersées de quatre générations de femmes palestiniennes. Véritable tissage d'images du présent et d'archives familiales et historiques, le film devient l'exploration de la transmission de mémoire, de lieux, de féminité, de résistance, dans la vie de femmes qui ont appris à tout quitter et à tout recommencer. Apres de nombreux prix dans différents festivals et une nomination aux oscars, le voila qui est enfin projeté en Algérie, dans le cadre du festival d'Annaba du film méditerranéen. Sa réalisatrice, évoque avec nous son rôle d'accompagner absolument ce film pour entretenir son identité et la culture de tous les palestiniens...

L'Expression: Ça fait quoi de présenter votre film «Bye Bye Tibéryade» en Algérie?

Lina Soualem: Je suis très contente de le présenter ici parce que j'avais présenté mon premier film «Leur Algérie» dans plusieurs films en Algérie et je suis très heureuse que le public algérien puisse voir le film. Il y a beaucoup d'Algériens qui l'ont vu en France, donc c'est très important de revenir à la source.

Votre film a fait un très bon chemin jusqu'à sa nomination aux Oscars, coïncidant avec une période très trouble dans le monde..

Pour moi c'est déjà incroyable que le film ait atteint ces endroits-là. J'ai travaillé dessus pendant presque sept ans. Pour moi c'est un film documentaire intime sur ma famille. Je ne pensais pas qu'il allait autant voyager surtout dans des endroits très loin comme les Etats-Unis où il a eu énormément de projections et de nominations pour représenter la Palestine aux Oscars. En même temps, c'est très dur de le présenter avec tout ce qui se passe à Ghaza, mais c'est très important pour moi de continuer à voyager avec le film pour continuer à être présente en tant que Palestinienne, que notre histoire soit présentée dans un contexte où on est «silencé», où il y a beaucoup de Palestiniens qui sont censurés et qui sont déshumanisés dans la façon dont on en parle dans les médias, notamment occidentaux. Pour moi, le fait d'être présente et de parler d'histoire de vie, de la culture palestinienne, d'histoire de femmes c'est important pour qu'on puisse redonner toute l'humanité aux Palestiniens qui ne l'ont jamais perdue d'ailleurs. Ils ont été plus qu'humains puisqu'ils ont continué à survivre malgré le déplacement forcé et ont continué à vivre et à célébrer leur culture et leur histoire.

C'est vrai, qu'aujourd'hui, plus que jamais, il est important d'en parler. Votre film tombe à pic et vous devenez malgré vous une sorte de porte- drapeau et quelques cinéastes palestiniens et artistes. Ça fait quoi de représenter la cause palestinienne sur vos épaules?

Je n'aime pas les termes porte-drapeau et caus,. parce que pour nous, palestiniens, ce n'est pas une cause, c'est notre identité, notre histoire. Je ne réfléchis pas en ces termes, je ne suis pas pro-palestinien ou anti...Je ne suis pas «pro-palestinienne», je suis fille d'une Palestinienne tout simplement. C'est une partie de mon identité, donc on ne peut pas me l'ôter. Ce qui est important pour moi c'est de pouvoir raconter nos histoires de manière complexe, parce que les Palestiniens sont perçus toujours de manière très abstraite comme si c'était une masse homogène et ça contribue à la déshumanisation, alors que dans les Palestiniens il y a autant de particularités que de personnes, il y a autant d'histoires individuelles qu'une lutte collective évidemment pour avoir des droits égaux et une liberté de mouvement et de vivre dignement. je pense que c'est important de raconter les histoires intimes, aussi pour enrichir la mémoire collective, parce que l'histoire palestinienne n'est pas écrite. Elle est niée. Elle n'est pas officielle. Pour nous, quand on raconte nos histoires intimes, ça contribue à enrichir la mémoire collective et l'histoire officielle et si on ne raconte pas nos histoires, le grand récit se fait sans nous. Notre responsabilité est de se raconter.

C'est pour ça que vous réalisez un film en partie sur le retour de votre mère en Palestine. Ce n'est pas évident de parler de soi, mais vous avez quand même réussi à le faire. Comment on arrive à prendre cette décision, en se disant: je vais faire un film, sur ma famille?

On passe évidemment par l'intime parce qu'on raconte l'histoire de quatre générations de femmes, ma grand-mère, mon arrière- grand-mère, ma mère et moi, mais pour moi c'est une histoire qui va au- delà de nous puisque ce n'est pas qu'une histoire de transmission de mère à fille ou de femme à femme, mais ce sont des histoires qui font écho à une histoire collective des Palestiniens. C'est presque s'inscrire dans un tout. C'est un devoir de raconter ces histoires-là, pour exister et faire exister de manière immortelle, par ce qu'on voit que ce ne sont pas que des vies qui disparaissent avec toutes les personnes qui sont tuées à Ghaza. C'est aussi une culture qu'on tente d'effacer et des lieux auxquels on n'a plus accès. Donc de réinscrire les gens dans les lieux dans lesquels ils ont vécu, de leur permettre de s'exprimer dans leur langue, de monter leur identité, d'exister pleinement, c'est une manière aussi d'exister collectivement, même si ça passe par l'histoire de ma mère, celle de mon arrière- grand-mère ou de ma grand-mère.

Aujourd’hui où vous en êtes après ce film, autrement quels sont vos projets?

Je suis pour l'instant en tournée avec le film dans beaucoup d'endroits, mais j'aimerai bien écrire une fiction. C'est encore en germe dans ma tête.

O. HIND



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