Tlemcen - Divers Monuments et Lieux Historiques

William Marçais et Georges Marçais. Les Monuments arabes de Tlemcen (Service des monuments historiques de l'Algérie)



William Marçais et Georges Marçais. Les Monuments arabes de Tlemcen (Service des monuments historiques de l'Algérie)
William Marçais, directeur de la médersa de Tlemcen, et Georges Marçais. Les Monuments arabes de Tlemcen [Service des monuments historiques de l'Algérie). Paris, Fontemoing, 4903. Gr. in-8°, v-358 pages, 30 planches hors texte et 82 illustrations dans le texte. (Ouvrage publié sous les auspices du gouvernement général de l'Algérie.) Ce beau volume est le troisième de l'intéressante série de publications que subventionne, sur son jeune budget, notre colonie algérienne. Les deux précédents, parus en 1901 et dus à M. Stéphane Gsell, avaient été consacrés aux Monuments antiques de V Algérie. Bien qu'on eût déjà beaucoup écrit sur Tlemcen, ainsi que le rappellent consciencieusement MM. Marçais dans leur Préface, un ouvrage d'ensemble sur l'art tlemcénien et sur ses rapports avec l'art de l'Andalousie musulmane manquait encore. MM. Marçais, l'un arabisant et historien, l'autre artiste et dessinateur de talent, étaient parfaitement qualifiés pour mener à bien un travail de ce genre. Ils s'en sont acquittés de façon tout à fait satisfaisante^. Le charme de Tlemcen est très puissant. Plus et mieux que tous autres, les auteurs des Monuments arabes l'ont ressenti et exprimé. C'est de tout cœur, et comme avec amour, qu'ils ont entrepris et poursuivi leur étude, qui en a pris une saveur trop souvent absente des livres d'archéologie. On songe d'autant moins à les en blâmer que le sujet y prête réellement et que leur enthousiasme n'a pas fait tort à leur critique. Trois villes se sont successivement comme juxtaposées à Tlemcen. Les Romains y eurent, au nord-est de la ville actuelle, un centre assez important, du nom significatif de Pomaria (les vergers), qui avait pour origine, ainsi qa'Altava (Lamoricière) et Numerus Syrorum (Marnia), un établissement militaire jalonnant une frontière primitive. A la conquête arabe, Pomaria devint Agadir (la forteresse), sans changer d'emplacement. Ce fut à la fin du xie siècle, sinon au début du xne, que le souverain almoravide Yousouf-ben-Tachfin fonda, au sud -ouest d'Agadir, sur le plateau qu'occupe le présent Tlemcen, une ville nouvelle appelée Tagrart (le camp). Agadir n'en resta pas moins habité pendant plusieurs siècles encore et ne déclina que lentement, tandis que les Almohades succédaient (milieu du xne siècle) aux Almoravides, et les Abd-el-Ouadites ou Beni-Zeyian (хше siècle) aux Almohades. Dans la première moitié du xive siècle se place l'intervention des Méri- nides marocains, marquée par la fondation d'une troisième ville, Man- soura (la victorieuse), édifiée à l'ouest de Tagrart pour servir de camp permanent à l'armée mérinide au cours des deux sièges de Tlemcen, ainsi que Santa- Pé à l'occasion du siège de Grenade; Mansoura, d'ailleurs, ne survécut guère à l'occupation mérinide, les Abd-el-Ouadites restaurés en ayant systématiquement assuré la prompte destruction. A l'exception du principal corps de bâtiment de la Grande-Mosquée, qui est du xir3 siècle, les monuments tlemcéniens appartiennent aux cent années écoulées du milieu du xme siècle à celui du xive, c'est-à- dire qu'ils sont contemporains des grands monuments de Grenade, dont il y a lieu de les rapprocher. Get ensemble d'édifices constitue d'ailleurs deux groupes, dont les dates respectives s'enchevêtrent quelque peu, mais qui doivent être distingués, celui des travaux exécutés par les princes Abd-el-Ouadites et celui des constructions dues aux Mérinides. La perle du premier groupe est la charmante mosquée de Sidi-bel- Hassan, maintenant affectée au Musée. On avait inopportunément imaginé, dans les premières années de notre occupation, de l'utiliser comme grenier à fourrage, et un incendie, survenu au cours de cette période utilitaire, l'a désastreusement détériorée. Ce qui en reste, qui a jusqu'à présent échappé à une restauration totale, donne de l'art tlemcénien de la fin du xme siècle, époque de la construction du monument, l'idée la plus avantageuse. Les dimensions sont médiocres et le plan très simple (carré d'une dizaine de mètres de côté divisé en trois nefs), mais les proportions sont parfaites et l'ornementation est de tous points ravissante. Avec raison, MM. Marçais qualifient le mirhab de « merveille de fantaisie et de goût. » II en est de même de tout le décor des murs. « Quant aux éléments qui remplissent les surfaces, » disent MM. Marçais, « ils témoignent d'un art savant et subtil, presque complètement libéré de toute influence byzantine, d'une invention pleine de souplesse et de ressource. Cet oratoire des Beni-Zeyian, l'un des plus anciens monuments de Tlemcen et l'ancêtre de presque toutes les parties subsistantes de l'Alcazar et de l'Alhambra, porte la trace d'une culture artistique qui ne sera guère dépassée. Non seulement il mérite d'être étudié en lui-même, comme l'une des plus séduisantes créations de l'art musulman, mais il offre encore à l'archéologue un exemple important, sans remaniement, et de date certaine, des détails de la belle époque moresque. C'est d'ailleurs de tous les monuments de Tlemcen celui qui se rapproche le plus des palais espagnols : le décor épigraphique et la flore établissent leur évidente parenté. » Ajoutons que de très beaux lambris de bois de cèdre, dont quelques mètres seulement ont été épargnés par le feu, constituaient les plafonds des nefs. La mosquée de Sidi-bel-Hassan n'était pas un exemplaire isolé de l'art de cette époque. Les princes de la première dynastie abd-el-oua- dite, de son fondateur Yarmoracen (1239-1282) à son dernier représentant Abou-Tachfin (1322-1337), furent de grands bâtisseurs qui remplirent Tlemcen de leurs constructions, tant civiles que religieuses. Il n'en subsiste que des morceaux, notamment les deux minarets de la Grande- Mosquée et d'Agadir, dus à Yarmoracen, celui assez remanié du Mechouar, qu'on doit attribuer à Abou-Hammou Ier (vers 1317), enfin la mosquée d'Oulad-el-Imam, construite (vers 1310) par le même Abou- Hammou, comparable, ainsi que le démontrent MM. Marçais, à Sidi- bel-Hassan, mais irrémédiablement détériorée. Le grand palais du Mechouar, édifié, par Yarmoracen et par Abou-Hammou Ier, les multiples palais d'Abou-Tachfin, la médersa ancienne dont la mosquée d'Oulad-el-Imam était l'annexe, la médersa ïachfinia, dont proviennent quelques beaux fragments de mosaïques (peut-être du xve siècle d'ailleurs) dispersés dans les musées de Tlemcen, d'Alger, de Gluny, de Sèvres1, ne sont connus que par quelques textes peu explicites. MM. Marçais ne considèrent pas comme indigène ni proprement tlemcénien l'art de cette première période abd-el-ouadite. Pour eux, ce sont des architectes et des décorateurs venus de l'Espagne musulmane, des Andalous, comme les désignaient et les désignent encore les gens du Maghrib, qui ont exécuté tous ces travaux. Fort judicieusement, ils attirent l'attention sur le passage suivant d'Ibn-Khaldoun : « A l'époque d'Abou-Hammou et de son fils Abou-Tachfin, les arts étaient très peu avancés à Tlemcen, parce que le peuple qui avait fait de cette ville le siège de son empire conservait encore la rudesse de la vie nomade. Aussi ces princes durent s'adresser à Aboul-Oualid, seigneur de l'Andalousie, afin de se procurer des ouvriers et des artisans. Le souverain espagnol, maître d'une nation sédentaire chez laquelle les arts avaient nécessairement fait beaucoup de progrès, leur envoya les architectes les plus habiles de son pays. Tlemcen s'embellit alors de palais tellement beaux que depuis on n'a jamais rien pu construire de semblable (Histoire des Berbères, III, 480). » On comprendra l'importance archéologique de ce fait que les monuments abd-el-ouadites sont des œuvres grenadines en se souvenant que ces monuments se trouvent être antérieurs à la plupart de ceux qui sont restés debout à Grenade même. Le groupe des édifices mérinides, moins réduit que celui des édifices abd-el-ouadites, est plus intéressant encore. Les princes mérinides furent d'infatigables constructeurs. Dès leur entrée en scène, lors du blocus infructueux de huit années (1298-1306) qu'Abou-Yacoub fait subir à Tlemcen, on voit s'élever Mansoura, avec son enceinte enfermant une centaine d'hectares et sa vaste mosquée flanquée du haut minaret encore subsistant. Tlemcen enfin conquise, pendant le quart de siècle qu'ils s'y maintiennent, les Mérinides entassent bâtisses sur bâtisses ; ils relèvent Mansoura et l'embellissent d'un palais somptueux, créent JBou-Medine et Sidi-Haloui. L'art mérinide est peut-être moins affiné que l'art abd-el-ouadite ; ainsi, les décors muraux de Sidi-bou-Medine et de Sidi-Haloui sont inférieurs à ceux de Sidi-bel-Hassan, d'une fantaisie moins riche et moins variée. Mais il est, pour ainsi dire, plus vigoureux et plus monumental. Au point de vue architectural, le minaret carré de Mansoura est une œuvre de tout premier ordre : une grande et belle porte, rapprochée par MM. Marçais de Bab-Aguenaou de Merrakech et de la Puerta del Vino de Grenade, s'ouvre au bas; au-dessus s'étage un merveilleux balcon sur pendentifs à alvéoles; plus haut, un grand panneau réticulé percé de fenêtres étroites et incrusté d'émaux de faïence; tout au sommet de la tour, fausse galerie d'arcs brisés supportés par des colonnettes; un édifice terminal, aujourd'hui détruit, qu'amortissaient les boules d'or classiques, surmontait la plate-forme crénelée. Les deux façades de Sidi-bou-Medine et de Sidi-Haloui, où il a été tiré un excellent parti du décor céramique, la première surtout, sont aussi fort remarquables. La sculpture de la période mérinide offre les mêmes caractères d'art plus robuste ; les chapiteaux de la mosquée et du palais de Mansoura (au Musée et à Sidi-Haloui), ainsi que ceux du' mirhab de Sidi-bou-Medine, sont d'un dessin bien meilleur que ceux de Sidi-bel-Hassan. Pas plus pour cette période que pour la précédente, MM. Marçais ne croient à l'existence d'une école d'art locale ni même régionale. Les artistes employés par les Mérinides n'étaient, très vraisemblablement, ni de Tlemcen ni du Maghrib marocain, centre de l'empire mérinide; c'étaient des Andalous. Le seul artiste qu'on connaisse par un texte épigraphique, celui de l'auteur du minbar de Bou-Medine, se trouve être originaire d'Algésiras. Une tradition fait venir d'Espagne les vantaux de bronze de la même mosquée de Bou-Medine. Ces circonstances, sans équivaloir à des preuves, corroborent cependant l'opinion de MM. Marçais. Sur ce point, comme sur nombre d'autres, l'étude, lorsqu'elle sera possible, des monuments du Maroc, apportera, doit-on espérer, des confirmations ou des contradictions qui permettront de substituer des certitudes à ces hypothèses. MM. Marçais ont eu l'heureuse inspiration de grouper dans un tableau d'ensemble développé (p. 29 à 111) leurs observations d'ordre général sur le style, la construction et la décoration des monuments décrits en les éclairant de rapprochements et de comparaisons propres à en déterminer les origines et l'évolution. Cet « essai de petit précis de l'art arabe maghribin » est très intéressant et rendra de grands services à tous ceux qui s'occuperont désormais d'archéologie moresque; il comble, en effet, une lacune, Girault de Prangey (Essai sur l'architecture des Mores en Espagne, en Sicile et en Barbarie, Paris, 1841) ayant, ainsi que le font observer MM. Marçais, ignoré entièrement les monuments de Tlemcen. Je ne peux, bien entendu, qu'y renvoyer, sans prétendre l'analyser. J'en indiquerai simplement la conclusion qui est que « l'art d'Andalousie et celui du Maghrib semblent avoir constitué un groupe à part (de l'art islamique oriental) et s-'être simultanément développés. » Ils ajoutent, ce dont leur ouvrage est la démonstration, que l'étude des monuments tlemcéniens « peut, en plus d'un point, servir à mieux comprendre les édifices d'Andalousie. La plupart, en effet, offrent l'avantage d'être datés d'une manière certaine et d'avoir été peu remaniés. Alors qu'il est très difficile de démêler dans les palais espagnols l'apport des générations successives, chacune des mosquées maghribines représente pour ainsi dire une étape de l'art moresque, une date de son perfectionnement ou de sa dégénérescence. Elles deviennent donc des documents archéologiques de premier ordre, utilisables non seulement pour l'étude des édifices andalous, mais encore de ceux de la Sicile et de ceux que les explorations futures nous révéleront dans les villes marocaines. » G-. Jacqueton.




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