Tlemcen - Maghnia

Waciny Laredj, portrait d’un écrivain au long cours



Waciny Laredj, portrait d’un écrivain au long cours

Lauréat il y a trois mois, du prestigieux prix arabe Great Arabe Minds (Les grands esprits arabes), WacinyLaredj est un des écrivains algériens les plus en vue.

Auteur prolifique depuis La géographie des corps brûlés, en 1978, jusqu’à Hiziya, l’expiration de la gazelle sacrificielle, fin 2023, Laredj se distingue par la richesse de son parcours, la qualité de son écriture, la valeur de ses idées et sa grande ouverture tant d’esprit que culturelle et linguistique.

Ecrivain de renom, il honore l’Algérie et explore depuis de longues et fructueuses années le champ romanesque sans exclusive et avec la curiosité, sinon la passion, qui sied à tout écrivain. Parfait bilingue, il possède les clés des domaines littéraires arabes et occidentaux de par sa maîtrise de l’arabe et du français, ce qui lui permet d’introduire à son aise et avec brio des passerelles d’enrichissement mutuel toujours bienvenues en ces temps chiches en élans vers l’autre.


Ces mêmes passerelles qu’on retrouve dans ses thématiques, où trônent sans déparer Don Quichotte et Hiziya et où Douniazade, la sœur «non jumelle» de Shéhérazade, et Myriam, la danseuse qui veut incarner cette dernière dans un ballet, illustrent la situation faites aux femmes et la si belle résistance de celles-ci. Des Balcons de la mer du Nord au Cendres de l’Orient, en passant par Les fantômes de Jérusalem, Waciny Laredj démontre que partout dans le monde un seul personnage est digne d’intérêt et c’est l’humain.

Et c’est, sans doute, une des qualités premières de l’œuvre et de la pensée de Waciny Laredj que de défendre et promouvoir l’humanisme, en dénonçant l’extrémisme et l’obscurantisme. Au plan de l’écriture, et l’ensemble des consécrations de ses œuvres n’ont pas manqué de le souligner, il aura, en éternel novateur, exploré tant de nouvelles formes d’expression romanesque que de nouvelles approches de l’imaginaire, empruntant tant au nouveau roman qu’aux tendances novatrices du roman arabe, tout en développant et c’est là où réside le talent de Waciny Laredj, une approche propre à lui, constamment renouvelée tout le long d’une carrière littéraire qui l’aura mené de Tlemcen à Damas en 1980, où il vivra dix années et y éditera ses premiers succès, pour revenir en Algérie et la quitter contraint pour Paris en 1993 puis Los Angeles, s’inscrivant ainsi dans une mobilité qui illustre bien la portée universelle de sa créativité.

Une créativité dont il ne s’est jamais départi tant dans ses questionnements de l’histoire que des conditions sociales, empruntant aussi bien à l’épique, aux contes populaires de notre terroir, qu’aux techniques narratives les plus modernes. Une créativité qu’il rappelle avoir acquise, si tant on acquiert ce qui pourrait relever du don, au contact, durant son enfance, des Mille et Une Nuits, à l’origine aussi de son attachement à la langue arabe avec l’enseignement et les encouragements d’un professeur de lycée palestinien. Mais une créativité marquée, aussi par les blessures, celle de la perte d’un père tombé en martyr durant la Guerre de libération et de la contrainte d’un exil, sous la menace du terrorisme, qui vous rend orphelin de votre pays et de vos repères.


Une créativité qu’un autre grand nom algérien de la littérature, Mohammed Dib, saluera en qualifiant le roman de Waciny Laredj La Gardienne des ombres d’«œuvre exceptionnelle, avec une qualité qui ne se dément pas de la première à la dernière ligne (…) avec des scènes à couper le souffle». Par ailleurs, Waciny Laredj installe son discours romanesque en homme libre, loin des pesanteurs des courants idéologiques, préférant le cours des idées et l’adhésion aux valeurs de la relativité non aux vérités toutes faites, sinon surfaites.

Cette liberté, conjuguée à la mesure qui caractérise Laredj dans ses interventions publiques, donne à voir un intellectuel au long cours, cultivant le vrai débat et l’ouverture d’esprit, comme constaté par exemple lors des réactions remettant en cause sa version romanesque de l’histoire de Hiziya.

Et combien nous avons besoin d’écrivains, d’intellectuels, au-dessus de la mêlée des éternelles polémiques, qu’on croit preuve de lutte et d’engagement et qui ne sont que bruit et division. L’engagement humaniste et progressiste de WacinyLaredj, exprimé en langue arabe avec un ancrage socioculturel profond et des référents culturels de qualité, s’avère salutaire en ces temps de paupérisation intellectuelle et de matraquage conservateur dans une aire et une ère où l’on écrit déjà, peut-être, l’histoire du dernier arabe, comme campé dans le roman du même nom.


Peut-être finirions-nous en évoquant la figure d’un des romans de Waciny Laredj et qui marque l’entreprise de notre auteur et, en somme, celle de tout écrivain, en l’occurrence Don Quichotte, bataillant contre les moulins à vent, fou et ridicule mais donnant un sens à sa vie et au monde, qu’il connaît avec suffisamment de lucidité pour savoir que seule la déraison peut les expliquer et quoi de plus déraisonnable que la littérature qui prétend, avec l’art, refaire le monde ?

C’est ce à quoi s’attelle, avec brio et succès, Waciny Laredj depuis plus de quarante-cinq ans. Loin des panégyriques, et nous savons combien notre société est frileuse à reconnaître la qualité des hommes, il faut saluer un tel parcours avec une production nombreuse et de qualité dans le domaine de la création littéraire et dans l’étude de celle-ci, qui honore notre pays et notre littérature.




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