Tlemcen - Musique et chants soufis (Samaa, Djeme)

Tlemcen : Le sama' féminin, un pan du patrimoine musical à valoriser



Tlemcen : Le sama' féminin, un pan du patrimoine musical à valoriser
Le djem’, la relève assurée, la perpétuation sous de bons auspices
Fatéma Benzaâzou’ dite Tammoum ,Mansouria Benazza et Khadoudja Bentabet, le trio précurseur du « Djem’ »

Une vidéo relayant le rendez-vous du djem’ de la zaouïa de Moulay El Djilani de Bab el Hdid animée par Fatéma Zohra Riahi(qui a pris le flambeau de la main pure de Habiba Zoulikha Lafendi), célébrant ce vendredi après-midi(7 octobre 2022) El Mawlid Ennaboui Echarif, traduit cet amour mystique féminin pour le sama’ et le medh. Le premier madih «Tala'a el badrou alayna» n'a-t-il pas été chanté par Banat En-Nedjar à Médine en guise de bienvenue à leur cousin le Prophète Mohamed (QSSL) pour «célébrer» sa hidjra de la Mecque à Yathrib ? Deux siècles après apparut la célèbre soufie Rabi’a el Adaouiya(718) avec ses poèmes mystique, et qui aurait été une « entraineuse » dans un lupanar à Bassorah(Irak) avant de se repentir.
Les spécialistes du Medh et les fqirate du djem’
A Tlemcen, c'est Cheïkh Abdeslem Bensari (frère de Cheïkh Larbi Bensari et premier maître de Abdelkrim Dali) qui était considéré comme spécialiste du medh. « La dernière grande « f’qira » portait le nom de « Tammoum » descendante de la lignée des Ben Zaazoua. Dans la poétique des « f’qirate » on emploie le plus souvent la langue parlée tlemcenienne qui, dans sa tonalité générale est tempérée…Les fqirate sont souvent présentées sous les traits de Grandes-Dames de la chanson dont, à la fin du 20 ème siècle, les célèbres et très respectées Fatéma Benzaazou dite Tammoum et Hadja Mansouria Benazza veuve Benghabrit(ainsi que Khadoudja Bentabet, sœur de cheikha Tetma, n.d.l.r) des femmes élégantes et mondaines de la vieille tradition de l habit avec k’mam, frimla, lat, mjounah, abrouq, fouta et de la coiffe avec la chéchia que les femmes portaient au quotidien… », selon Salim el Hassar, auteur de l’étude « Expression musicale féminine à Tlemcen. Le groupe et le sacré »(CRASC).
Pour sa part, feu Khadoudja Bentabet, la soeur de Cheïkha Tetma animait des séances dites «Djem'» (cérémonies mystiques) dans la zaouïa de Dar Moulay Tayeb sise au derb éponyme à Tafrata(El Medress) parallèle à derb Sidi Saâd . «Moi, je les (Tetma et Khadoudja) compare à deux étoiles qui ont brillé dans le ciel de Tlemcen», estimait le regretté Si Mustapha Krabchi, un fan de la diva du hawzi. Et d'ajouter : «La première dans la musique profane et la seconde dans le chant sacré medh»...A noter que la défunte mère de ce dernier, Chérifa Benzineb dite Bent Saddeq(décédée en 1990), qui dirigeait un groupe de «fqirat» (dont le répertoire est conservé dans la discothèque de la radio locale), fréquentait la zaouïa Moulay Abdelkader Djilani de Ras el Qasbah(de Bab El-Hdid). A sa mort, Khadoudja Bentabet fut remplacée à Dar Moulay Tayeb par sa nièce, la regrettée Djamila Bentabet qui «officiait» invariablement l'après-midi de chaque vendredi. Les deux défuntes soeurs de cette dernière, Hamida et Salima étaient invitées comme cantatrices funéraires aux cérémonies mortuaires (dikr), outre leur tante paternelle Tabet Ouïcha et sa nièce Bekkaï Saliha (toutes deux décédées). Leur consoeur, la dévouée feu Ouïcha Benyarou (épouse Bouayed) de R'Hiba réunissait ses «adeptes» au sein de la zaouïa Cheïkh Benyelles située au Derb Essrour dans le quartier Ars Didou , voisine de la zaouia de Cheikh Bouchnak à R’hiba.La pieuse Fadéla Bent Boukhalfa, épouse Louhibi, qui s'était éteinte à l'âge de 75 ans, à la veille de la cébration du Mawlid Ennabaoui Echarif (12 Rabi' awel 1429) était considérée comme la «Rabi'a El-Adaouiya» de Tlemcen, elle «officiait» à la mosquée de Sidi Ben Zekri sise au quartier de Sidi Brahim (Bab El-Hdid) dans le cadre du «djem'», rassemblement mystique de femmes juste après la prière de chaque vendredi avant de tenir à domicile, chez elle, dans le quartier de R'bat, des halqate (séances de dikr).
« Qui se souvient des Soirées de Fqirates mariages Tlemceniens années 60-70 : hawfi, medh et dikr; danses, oualwel et les ''ghramates'' à 10 DA dans Sinya jusqu'au matin ! », témoigne Ami Baghli via Face book. Quant à Leila Merad, elle dédié un commentaire sur le sujet illustré du titre : « Le chant féminin des Fkiret de Tlemcen, un art de vivre » :
« L’esthète et homme de culture Sid Ahmed Triqui s’était longuement intéressé à ce genre, il disait dans une chronique : « L’orchestre des f’qirate est une formation à caractère populaire et une particularité tlemcenienne. Composée uniquement d’instruments à percussion dont certains d’origine bédouine (Guellal, Bendir…) parfois rudimentaires (un simple plateau par exemple) l’ensemble se produit en milieu exclusivement féminin, à l’occasion de fêtes familiales. Ses rythmes spécifiques règlent encore quelques danses féminines traditionnelles très sobres, exemptes de toute lubricité… ».
«Ch-hal' eucht labed tendem» ou l’«i'tizel» incidentel de cheikha Tetma en 1954
A noter dans ce contexte que Cheïkha Tetma marqua «solennellement» son retrait de la scène artistique «i'tizel» en 1954 par un ultime mais non moins sublime enregistrement aux éditions Odéon, en l'occurrence, une chanson à caractère mystique puisée dans le diwan de Cheïkh Lakhdar Benkhlouf «Ch-hal' eucht labed tendem»(Aussi bien longtemps que tu vivras, tu auras des remords) dont elle composera la mélodie. Lors de sa prestation «spirituelle» au studio de la radio de Tlemcen (Bel-Air), la percussion mizân serait «tombée» suite à un moment d'hésitation de Cheïkha Tetma dû à l'émotion (pleurs). Un incident «technique» plein de symbolisme qui lui aurait valu une audition (convocation) auprès de la police politique coloniale (RG français).
« Souq'na ameur billah», le chant culte des «Djem'»
Alors que le «sama'» (re)produit par les zaouïas et autres confréries avait la part belle lors du Colloque international sur le soufisme (2ème édition) qui s'est tenu à Tlemcen du 12 au 15 novembre 2005 sous l'égide de l'UNESCO/CNRPAH, le rôle des «Djem'» (Fqirat) du terroir tlemcenien dans la préservation du patrimoine immatériel mystique fut complètement «occulté», mise à part une timide évocation des «Am'riate» des Hauts Plateaux. Rappelons au passage que radio Mostaganem, alors dirigée par Nasreddine Bloud, s'est vu décerner le Micro d'or (1ère édition 2007) pour l'émission de variétés et de divertissement «Avec les Meddahate». « Kem djahili a'ta oua dakhala tariqati (Souq'na ameur billah)», qui était le chant culte des «Djem'», sera repris «musicalement» en 1973 par Chafik Hadjadj qui sera «suivi» par Tewfik Benghabrit, lequel fera des émules dont Brahim Hadj Kacem, Meriem Benallal qui «interpètera» «Sidi Mohamed Benali djani fi m'nem Allah».
« Ouled El-Ghoul », les précurseurs dans ce domaine avec « «Bidjah Tidjani Si Ahmed fekkek men h'çal»
Le précurseur en la matière est incontestablement l'illustre Association «Nassim El-Andalous» dite des Ouled El-Ghoul (Yahia et Belkacem) qui enregistra en 1981 à la radio d'Oran, grâce à l'apport «confrérique» du Dr Mohamed Cherrak El-Ghosli, la qacida «Bidjah Tidjani Si Ahmed fekkek men h'çal» du diwan de la zaouïa El-Alaouya, dont s'inspirera par ailleurs le talentueux Baroudi Benkhedda qui jettera son dévolu sur «Dikr sbeb koul khir» à travers un remake syncrétique «décent» mais néanmoins professionnel, une version travaillée, alliant la mystique à l'esthétique. La dite Association reprendra par la suite la qacida « El Ma’ouda » connue par « Bismillah bdit nezemmem » interprétée avec brio par Hadj Abdelkrim Dali. Parmi les émules de « Nacim el Andalous », citons notamment l’association Riad al-Andalous de Tlemcen. Ce duo populisera les ‘’samaa‘’ tels : ‘’Soukna Ameur billah‘’,’’Ya rahilin‘’ de Abderahim al Borii, ‘’Idou Iliya al-wisssal‘’ de Sid Abou Madyan, ‘’Ya lailatin djaat bininchirah‘’ de Abi Djamaa Tilimsani, ‘’Marhaban ahlan oua sahlan‘’ de Daoudi Faroui, ya taliban rahmati ellah de Cheikh Ahmed Benyellés …
Les Ouled El-Medjdoub, Abdelghani et Abdessamad Allah yarhmou(mort du Covid-19) ainsi que Mohamed El-Kebir (Barkat) ont quant à eux exploité fidèlement le répertoire des Aïssaoua, une confrérie dont se réclame leur famille(la maison de la culture Abdelkader Alloula a abrité ce vendredi 7 octobre 2022 une soirée musicale spécial medh, dédiée à la mémoire du regretté Abdessamad Medjdoub, n.d.l.r).
On ne doit pas oublier sur ce registre, Nouri Koufi, Hami Benosman (qui interpréta «Sidi Boumédiène djitek qaced» bien avant Koufi), Brahim Hadj Kacem et Rym Hakiki, tentés eux aussi ou plutôt «entraînés» par cette nouvelle «vague». A propos de mode, après le hawzi en vocodeur («initié» par un chanteur de Nédroma), voilà le medh «robotique» lancé par un groupe marocain Reggada.
Dans le cadre de « Tlemcen 2011 », la célèbre chanteuse d’opéra tunisienne Yosra Zekri interprèta avec brio « Mohamed Rassoul Allah » du compositeur Djamil Salama, une chanson qu'elle dédia « A la gloire des Zianides » (7 mai 2011) et qui fit vibrer le palais de la Culture Abdelkrim Dali. Par ailleurs,une de ses concitoyenne a chanté "Le Prophète(QSSL) et l'orphelin", une chanson émouvante qui fait couler les larmes... Toujours dans ce cadre, le célèbre mounchid marocain Rachid Ghoulam chanta "Woulida el Houda wa el ka'inète dhaya'ou » lors du festival international de l'inchad qui s'était déroulé à la MCT. Rendons un hommage particulier au regretté Abderrahmane Aziz qui dédia à notre Prophète(QSSL): "Zad Ennabi wa frahni bih Sala Allah alyh"...
Il faut souligner que la chanson « spirituelle » n’attire pas beaucoup d’artistes dont nous citerons quelques noms : Abdelkrim Chadi(Syrie), Lotfi Bouchenak(Tunisie) ; Abdelhadi Belkhayat, Karima Skalli et Rachid Ghoulam(Maroc) ; Fouad Ouamane(Algérie), émule de Ali Zoubeïdi ;Mohamed Tharwat(Egypte) ; Hamed Saâdi(Irak)…
Cheikh Larbi Bensari et Hadj Abdelkrim Dali, un tandem « mystique »
Revenons à l'interprétation authentique avec Cheïkh Larbi Bensari à travers «Ya oua'sa' el m'khazen chella' n'sib», «Selou' ya ibed Allah ala' chafi'ina Mohamed» (QSSL), «Ya ka'ba ya bit rabbi ma'hlaki», «Selou' ala' rassoul Allah (QSSL) oual el hal a'zem». Cheïkh El-Hadj Abdelkrim Dali excella dans le medh en interprétant, entres autres, «Rihla Hidjazia» (El-Hamdou Lilah Nelt Qasdi) de son crû (paroles et musique), «Qasset Sidna Ibrahim El khalil» (chantée avant lui par son compagnon Mahieddine Bachtarzi), «Ya el wahed khaleq el a'bed soltani (de Cheïkh Mohamed Bensahla), «Ya khaleq el arch el adîm» (de Sidi Boumédiène El-Ghaout) , «Bismi'Allah b'dit en'zemmem» (El-Maw'ouda) de Lakhdar Benkhlouf , «Ana el abd el meskine»( de Ibn Anissa), «Sa'dat el qalb el hani ya sidna» (de Cheïkh Kaddour El-Alami), «Djabet Yamina» (naissance du Prophète QSSL). Quant à son alter ego Cheïkh Larbi Bensari, il interprètera avec une grande sensibilité sprirituelle « Ya madinet Rassoul Bouchraki », une qasida qu'il composa à la faveur de son pèlerinage à la Mecque lors de la traversée en bateau(reprise par le défunt Abderrahmane Aziz sous le titre «Kaâba ya bit rabbi mahlaki » .
Madjma’ khalwat Cheikh Senouci, un rendez-vous académique et mystique
Chaque vendredi que Dieu fait, avant la prière de l’Asr, et ce depuis 1995(à la faveur d’un colloque international dédié à l’auteur de la Aqida al Kûbra, initié à l’époque par la société civile), la pittoresque khalwa de Cheïkh Senouci de derb Beni Djemla (Medress) voisine de la maison de Cheïkh Sid Ahmed Tidjani abrite une séance à la fois cultuelle et culturelle animée par le regretté El hadj Mohamed Baghli, ingénieur consultant, chercheur en legs universel(par ailleurs guide d’un groupe dédié à la randonnée pédestre, n. d.l.r)…
En ouverture, la récitation de la Sourate El Kahf (Caverne)suivie de prières en choeur « douâ’ » et de lithanies « ibtihalate » (puisées notamment du diwan de Sidi Boumediene El Ghaout ou du crû du choriste) exécutées par le chef de chœur Cheïkh Hamza Cherif assisté de Kamel Korso : « La illaha illa llah », « Ya men kanet kalimatouhou el bahr mided », « Ya men wassalat rahmatouhou djibril », « Ala ya latif mika ya chmlouka loutfou », « A layssa el hawa li kouli chay’ine sani’ », « Tah’ya bikoum koulou ardine tanzilouna biha », « Qouli ya men el eubbad », « Ya el ghouti balek tansani », « Ilayka madadtou el kafi fi kouli chiddatine », « Mata ya ouraïba el hayi aïni tarakoumou », « Ya men khalaqa el arch el a’dîm », « Mawlana anta Allah dhou el djalal », « Tadalal’tou fi el bouldane…Puis on vient la déclamation de la « istighata moubaraka »(ya men yara ma fi damiri wa yasma’ou) et de l’invocation « Adj’al lana min kouli dha’qine makhradja »...Soulignons dans ce cadre la contribution artistique de cheikh Abdelkader Bekkaï(spécialiste en musique) et Abdel’Illah Guelil(écrivain, spécialiste en soufisme) ainsi que Brahim Chenoufi(ancien directeur du musée de Tlemcen, par ailleurs poète ; à l’occasion du Mouloud 1444, il a dédié une qacida en hommage à cheikh Senouci et à la mémoire de Hadj Mohammed Baghli, à la faveur d’une cérémonie initiée par ledit groupe sous la houlette de Hammi Belkaïd, au sein de la khalwa)…
Cheikh Ghaffour, adepte soufi de la Zaouia Zianiya
Pour sa part, parallèlement à sa vie artistique et professionnelle, Cheikh Ghaffour, adepte soufi de la Zaouia Zianiya, a toujours été fidèle à ses convictions religieuses et à la tariqa de sa confrérie à tel point qu'il n'a jamais cessé, durant toute sa vie, de fréquenter les Zaouias pour invoquer Dieu et louer dans ses medhs, les mérites du Prophète (QSSL) et des Saints. Il devient un membre assidu de la Zaouia Derquaouia de Nedroma du poète mystique Cheikh Kaddour Benachour Ezzerhouni.
Quant à la Zaoui Derquaouia de Tlemcen créée par ce serviteur de Dieu, le Cheikh Sidi Benaouda Ben Memcha, elle accueille parmi ses adeptes, Cheikh Ghaffour ainsi que son frère Abderrezak pour célébrer le Maoulid Ennabaoui Echarif et réciter de leurs voix chaudes et mélodieuses les panégyriques mystiques et prophétiques du genre Samaa.
La chorale mixte Cheïkh El-Alaoui au rendez- vous du Ramadhan 2008
Rappelons dans ce contexte, qu'une soirée mystique haute en couleurs fut animée à la maison de la Culture par la chorale mixte Cheïkh El-Alaoui relevant du bureau de l'Association Cheïkh El-Alaoui pour l'éducation et la culture soufie que préside Cheïkh Ahmed Taleb Bendiab dans le cadre du programme d'animation des veillées du mois sacré de Ramadan 2008. Le programme proposé comportait grosso modo trois parties : la récitation de la «Salat el machichia», l'interprétation d'un sama' et la récitation de la qacida «El-Lotfi'a». S'inspirant du diwan de la Zaouïa El-Alaouïa de Mostaganem, l'ensemble assis en tailleur (position lotus) interprèta sur le mode chanaz (dérivé du hidjaz) correspondant au zidane andalou, un répertoire comportant 5 poèmes mystiques de Cheïkh El-Alaoui, à savoir «Salaouet ahl el kamali... », «Allah Allah yakfini min haoud n'bi..., «Dam'i mahtal min aïni...», «El madad el madad ya rassoul allah...» et «El mada qad talet hayati...» ainsi que d'autres qacidas comme «Zidni fi farit el hob» (Sidna Ameur Ibnou El Fariti), «Ma rahati ill'a liqaq el ahbab» ( Abi El-Hassan Choustouri) , «Fi hobikoum takhla'ou el a'dara» (Sidna Ameur Ibnou El-Fariti), «Zar habibi ba'd ma djafa...» (Sidi Mohamed El-Haraq)... Cette «hadra» extra-muros sera ponctuée de 3 istikhbarate «El madad...» dits de transition (correspondant au «koursi» andalou) exécutés tour à tour et sur un fond de choeur (en sourdine) par les jeunes mourid Bekhchi Salim, Benhaddouche Kawter et Hadj Mohamed Taleb (dont le morceau est écrit conjointement par Cheïkh El-Alaoui et Cheïkh Adda Bentounes, grand-père du président actuel de l'Association, Cheïkh Khaled Adlène). La prestation de cette association soufie relevant d'une zaouïa dans un lieu public «profane» participe d'une vulgarisation d'un pan du patrimoine culturel et cultuel. L'adoption du tempérament zidane (ré) dans l'interprétation du diwan soufi (sur un air andalou) ne peut être qu'un choix judicieux du fait que c'est un mode de base qu'on retrouve à ce titre aussi bien en Orient qu'en Occident. A noter dans ce contexte, que son équivalent oriental, le hidjaz, est le mode spécifique de l'adhan (mélodie de l'appel à la prière). Quant au rythme, point de percussion, c'est la gestuelle (stéréotypée) du corps qui «signe» la cadence en harmonie avec la voix, c'est-à-dire la mélodie.
Sama' et Medh, les deux faces d'une seule médaille
Le sama'(chant soufi) et son pendant le medh (panégyrique ou éloges à la gloire du Prophète (QSSL) constituent les deux faces de la même médaille qui est la musique sacrée ou le chant mystique. Parmi les chansons du genre, nous citerons «El horm ya r'soul Allah» et «Ghitou el melhouf» de Ben M'Saïb, " Tob lel Alb douah" de El Mendassi, " « Amouri ya amouri" de Boumédiène Ben Sahla,«El Mounfaridja» d'Ibn Nahwi , interprétée par le grand maître du malouf en Lybie, le défunt Hassan Laribi(reprise par le grand chanteur marocain Abelhadi Belkhayat qui chanta également «Ya qat'in l'djbel, zayrine ennabi» ; la qacida fera également l’objet d’un remake(clip) dédié par le musicien et animateur Fouad Ouamane, à la faveur de la pandémie du Corona), «Salafat Leïla » du poète soufi andalou Shustûri, « Mata ya ûriba el hay aïni tarakoumou », « Idou ilaya el wissal » du savant mystique Sidi Abou Madyan Choaib (12e siècle), « Ya rahilin » du poète Abderrahim el Bara'i, «Ya tadj el anbiya el kram» ( poème de 200 vers) de l'illustre panégyriste du Prophète (QSSL), Lakhdar Benkhlouf, «Al-Bourda» (ou El-Mimiya interpétée par Ahmed El-Baïdaoui) et « Al-Hamziya» de Sharaf Eddine Al-Boussaïri, « El-Mi'radj » (L'Ascension) de Abi Djemaa Talalissi, «Ya r'soul Allah ya sanadi» de Qadi Ayad «reprise» par le célèbre Da'iya Benabdelkrim El-Meghelli et chantée par Mahmoud El-Idrissi, qui interpréta également «N'bda bismi el fettah» et « Ya ach’qine sidi Rassoul Allah, «Sallou alay'hi bidawem» de Si Laroussi, «Nabda bismi el qadir» de Cheïkh Mohamed Benyelles Ettilimçani Eddimachqi, «Hadihi anouarouhou» de Sid El-Qissi, « ainsi que «Ethoulatia el mouqadassa», «Hadith errouh», « Nahg el Borda » et « Woulida el Houda wal ka’inet dhaya’ou » chantées par Oum Kelthoum (qui interprètera par ailleurs des chansons mystiques écrites par Mohamed Abdelwahab dans le film consacré à «Rabi'a El-Adawiya» ; la dernière chanson dédiée au Mawlid Ennabaoui Echarif), «El-Qods» et «Salaytou mekkata» par Faïrouz, «El-Mathal el ali'» interprétée par Smaïl Ahmed, «Men day b'hek» par Mohamed El-Hayani... A noter que la plupart des poètes mystiques sont originaires du Maroc, dont Cheïkh Abdelaziz El-Maghraoui, Driss et Kaddour El-Alami, Sidi Ameur El-M'Zoughi... A ce propos, le célèbre poète suofi Al-Harrâq, originaire de la région de Chafchaouen, a écrit trois grands diwan (chants soufis) invoquant la grâce du Prophète et évoquant l'amour dans ses sens les plus profonds. Voici un vers d'un classique de la musique andalouse transformé par Al-Harrâq : Le matin comme un notable se promène vêtu de ses plus beaux habits et laisse traîner son Dibaj (Drap en soi) Al-Harrâq écrit alors sur le même Bahr et sur la même gamme musicale concernant les sens soufis : «Sois pure avec ton amant, il te dévoilera l'éclat de ses lumières et tu auras de sa beauté un signe».
« Le corpus des chants ‘’samaa‘’ est à Tlemcen constitué de poésies des grands mystiques maghrébins, les ‘’A’rifin’’ (savants qui ont la connaissance gnostique) ou ‘’Salih’’ (serviteur parfait) tels Sidi Abou Madyan, Aboul Hacen Suchturi, Mahieddine Ibn Arabi et plus près de nous Ahmed Benyellés, Ahmed al-Alaoui Mostaghanemi, kaddour Benachour Nédroumi, Mohamed Belhachimi… », selon Salim el Hassar.
Il convient de souligner que le Mathnawi de Jalal Eddine Er-Rûmi, le créateur du sama' compte 36.000 vers lyriques et plus de 26.000 distiques (groupes de deux vers). Citons d'autres diwans, dont ceux d'Ibn Al-Faridh, de Tawasin Al-Halladj, de Mahieddine Ibn Al-Arabi, de Shusturi... Pour le Maghreb, notamment Tlemcen et Mostaganem, on évoquera trois noms qui sont Sidi Boumédiène El-Ghaout (dont le diwan, composé de 49 poèmes mystiques, a été récemment édité par les soins de El-Hadj Abdeslem Lachachi et distribué à titre gracieux), Cheïkh Mohamed Benyelles (son diwan, composé de 24 poèmes, a bénéficié lui aussi d'une «promotion» aux éditions Ibn Khaldoun, toujours par le même mécène) et Cheïkh Lakhdar Benkhlouf (dont 31 pièces de son répertoire furent rassemblées par Mohamed Bekhoucha et publiées à Rabat en 1985).


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