En compagnie d'un confrère de la presse
arabophone, nous avons visité vendredi dernier le restaurant de la « Rahma »
ouvert pour la circonstance au niveau du
CFPA Sidi Boumediene d'Imama (commune de Mansourah), derrière la salle
des fêtes Shahinez.
Financé par le wali, ce resto du coeur
fonctionne sous l'égide des oeuvres sociales relevant de la wilaya. Notre
visite « inopinée » a coïncidé avec « nefqat ennass », soit le 14e jour du
Ramadhan. Jadis, ce mois sacré était ponctué par deux « nefqas » (aumône),
celle dite « nefqat ennass » intervenant le quatorzième jour (moitié) du mois
sacré et celle du vingt-septième jour coïncidant avec « leïlat el qadr ». La
première, correspondant à peu près à la fête patronale « waâda », était marquée
par des aumônes, les distributions de viande et de semoule aux pauvres. Une «
sadaqa » en fait en l'honneur des morts récents de la maison, se traduisant par
ailleurs par des visites au cimetière Sidi Senoussi. Sur le plan culinaire
(gastronomique), le repas de l' « iftar » était marqué par un menu spécial dit
« hlou » (ragoût aux coings, marrons, prunes ou raisins secs).
«
Maïdat Ramadhan » (en arabe) annonce une banderole accrochée au-dessus du
portail d'entrée du centre. Le personnel était à pied d'oeuvre. Une véritable
ruche. Pas âme d'Eve qui vive. Les femmes auraient été dispensées de cette
tâche pour leur permettre de se consacrer à leur famille à cette occasion. La
cuisine et le réfectoire sont gérés par une équipe de bénévoles fort dynamiques
détachés pour les besoins de la « cause ». Derouiche (chef cuisinier), Ahmed
(intendant), Miloud (magasinier), Omar, Ali, Sidi Mohammed, Zoubir, Redouane,
Mohammed sont tous des pères de famille en « mission » caritative qu'ils
accomplissent tel un sacerdoce depuis déjà 5 ans loin de leurs enfants,
puisqu'ils se consacrent corps et âme à cette noble oeuvre en ce mois sacré de
piété et de charité. Les lieux sont d'une propreté impeccable. La chambre
froide regorge de fruits de très bonne qualité: pêches, poires, bananes,
dattes. Ce qui laisse suggérer un financement consistant. Deux repas témoins
sur un plateau en inox sont posés à l'intérieur du frigo. Le menu est affiché à
l'entrée de la cuisine. Le restaurant ouvre ses portes une demi-heure avant
l'adhan. Pour la comptabilité, un ticket est remis aux « convives » qui passent
prendre leur plateau avant de s'attabler avec en prime la télévision en face
pour meubler la « réception ». Certains, un tantinet « indisciplinés »,
préfèrent manger à l'extérieur en plein air. Un groupe de femmes démunies
accompagnées de leur progéniture sont installées en retrait dans un coin,
pudeur oblige. Le directeur du centre discrètement veille au grain.
Le
menu de la « nefqa » adapté pour la circonstance était plus que copieux: hrira,
salade (laitue), tadjine hlou (raisins secs avec viande), yaourt, pêche,
dattes, pain, zalabia, zba'el qadi (bananes sucrées), eau minérale et boisson
gazeuse. Rompant le jeûne avec des dattes, le personnel ne se sustente qu'après
avoir terminé le service, soit 15 mn après adhan el iftar. Une quarantaine de
minutes plus tard, la salle se vide pour laisser place à la « corvée » qui ne
semblait pas se terminer pour ces bénévoles: débarrasser les tables, balayer le
parterre, laver les ustensiles ainsi que le matériel de cuisine. Auparavant,
certains « hôtes » quand ils ne demandent pas un supplément viennent réclamer
leur part de « shour » qui n'est pas prévu, faut-il le noter, dans le menu.
288
repas ont été servis ce jour-là (vendredi 4 septembre) alors que le premier
jour (22 août) a vu la distribution de 186 repas. A noter qu'un pic a été
enregistré le 30 août avec 345 repas servis. L'âge des clients de ce resto du
coeur varie entre 24 et 27 ans. Il convient de signaler que lors du mois de
Ramadhan écoulé, ce restaurant de la « Rahma » était abrité par le lycée
technique Cdt Faradj du chef-lieu où la galerie d'art (ex-église St-Michel)
sise à la place Qairouane qui servait également à cet effet a été reconvertie
en CDI (bibliothèque municipale) non mise en service après avoir « hébergé »
pendant quelque temps la direction de campagne du candidat Bouteflika (dont les
portraits y trônent toujours ornant la façade de l'édifice).
Pour l'histoire, le premier resto du coeur dit « qaout el qouloub
» de Tlemcen voire dans le monde date du 15e siècle. Il s'agit de Dar Sidi
Belahcène (El-Ghomari) du nom de son initiateur (décédé un 13 avril 1470), sise
au derb éponyme ou ruelle des Sept Arcades (derb « saba' qwas »), mitoyenne à
la grande mosquée. C'est au sein de cette « douweira » que les sans-logis, les
voyageurs et les démunis étaient pris en charge durant trois jours consécutifs,
selon les préceptes de l'hospitalité arabo-musulmane (« Diyafat el moumen
talatete iyyâm »). Alors, les marchands de légumes et autres épiciers
s'acquittaient bénévolement, et à tour de rôle, du dixième de leur produit. Ce
rituel de dons approvisionnait de manière régulière ladite fondation
caritative. Son compagnon Sidi M'hammed Al-Faroui avec les nombreux bénévoles
qui prêtaient assistance aux visiteurs de la douweira repose en ces lieux mêmes
de son maître. Une plaque commémorative y est placardée à l'initiative du
chercheur Mohamed Baghli.
Quant aux jours fastes de la cité, tous les commerçants de la
ville trouvaient où envoyer « la part de Sidi Belahcène »: le marchand de
fruits et légumes envoyait tous les dixièmes de ses cageots, le tenant du four
banal retenait tous les dixièmes des galettes pour Sidi Belahcène, le « ouchour
» des uns et des autres aboutissait à Dar Sidi Belahcène El-Ghomari qui
abritait le fabuleux « qaout el qouloub », centre caritatif névralgique de la
capitale des Zianides. Tous les dons des bienfaiteurs, en l'occurrence les
repas, étaient dirigés vers la rue des Sept Arcades. De là, des bénévoles les
distribuaient à domicile aux familles indigentes dans une discrétion totale et
en respect de la dignité, éthique philanthropique oblige. La solidarité n'était
pas un vain mot. Après l'indépendance, cet hospice abritait un restaurant
(cuisine) destiné au « a'bir çabil » (voyageur de passage à Tlemcen), géré par
des volontaires du CRA sous la houlette de l'infatigable Si Merzouk sans
oublier le charismatique doyen Hadj M'hamed Triqui à qui nous rendons au
passage un vibrant hommage. Aujourd'hui, cette institution de bienfaisance est
fermée tout comme la pittoresque rue y menant sur décision de la direction des
affaires religieuses qui y a installé ses quartiers, «squattant» ainsi cette
douweira patrimoniale... La cohabitation d'une fondation caritative avec une
administration cultuelle serait-elle une hérésie ?
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Posté Le : 12/09/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Allal Bekkaï
Source : www.lequotidien-oran.com