Tlemcen - Autres quartiers

Tlemcen, El-Qayssaria, ou le symbole d’une opulente ville de commerce



Avant d’aborder la description d’El-Qayssaria et son rôle dans les relations commerciales entre le royaume de Tlemcen et les Etats de l’Europe occidentale du XIIIème au XVème siècles, il serait utile d’exposer succinctement l’histoire musulmane de l’Espagne, le pays européen le plus proche de nous, afin de relater l’évolution des rapports qui nous lièrent durant plusieurs siècles.
En 711, l’Espagne entra sous la bannière de l’Islam; la conquête de ce pays commença sous la direction du général Tariq ben Ziad, El-Oulhaçi, qui commandait une armée de 12.000 Berbères, pour la plupart originaires de nos régions.
Cordoue devint capitale de l’Espagne musulmane en 756. Elle déclara bientôt son indépendance pour finir par devenir Califat en 929. Si l’unité de l’Etat se maintiendra jusqu’en 1031, son émiettement ira en s’accentuant dès 1085 avec la perte de Tolède. Du reste, le roi Abdelmoumène Benali, le Flambeau des Almohades, s’apprêtait à s’élancer à la reconquête des terres musulmanes perdues au nord de l’Andalousie: à cette fin, il avait déjà ordonné à ses généraux de constituer une flotte militaire formidable, lorsque la mort le surprit en 1163.
En 1212, la bataille de Las Navas de Tolosa marqua l’avancée de la reconquista. A l’évidence, il ne restera plus que le royaume de Grenade pour résister et durer jusque en 1492 ! Par conséquent, un Etat musulman s’est maintenu en Espagne de 711 à 1492, c’est-à-dire pendant 781 ans, soit près de huit siècles !
Depuis le début du XIIème siècle et jusqu’au-delà du XVème siècle - longtemps après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb -, Tlemcen entretenait des rapports suivis avec les ports chrétiens de la Méditerranée, principalement Pise, Gênes, Florence et Venise en Italie, Barcelone sur les côtes de la Catalogne ainsi que l’Aragonais, enfin la Provence avec Marseille et Narbonne.
Les marchands européens nous achetaient des grains, de la laine, de la cire, des peaux, de l’huile, des fruits secs, des plumes d’autruche, des épices, du corail... Ils nous vendaient, en retour, des draps, de la toile, du fer et de l’argent, de la quincaillerie, de la mercerie... Du reste, même après la découverte de l’Amérique, le commerce entre nous et l’Europe occidentale est demeuré toujours important et vivace.
Les marchands de la rive nord de la Méditerranée, qui s’enrichissaient du négoce avec le royaume des Béni Abd El-Wad, étaient assurés de trouver, partout dans nos villes, protection et sécurité pour leurs personnes comme pour leurs biens. Les affaires se traitaient sur le pied de la plus grande loyauté et la confiance ne fut pas un vain mot ! Bien évidemment, au départ, les rapports se situaient au niveau des marchands algériens et européens; mais bientôt, l’importance de ces échanges et leur volume s’accrurent au point que les gouvernants jugèrent, sinon utile, du moins prudent de réglementer ces relations. Dès lors, des conventions diplomatiques furent conclues pour fixer les garanties entre les parties. Il y eut un nombre important de traités établis, qui sont autant de preuves de la bonne administration de nos dirigeants de l’époque, ainsi que de leur clairvoyance politique et surtout de leur esprit de tolérance !
Les premiers accords commerciaux que nous avions ratifiés furent ceux qui nous lièrent à la République de Pise dès 123O, puis en 1265. Avec sa rivale, Gênes la maritime, furent paraphés des protocoles en 1236 et en 1251, avec Venise en 1251 et en 1252.
La Berbérie centrale eut diverses conventions commerciales avec les Catalans-Aragonais en 1255. En effet, nombre d’historiens s’accordent à penser que le royaume des Béni Abd El-Wad fut le premier au Maghreb musulman à établir des accords de négoce avec les Etats ibériques. Dès son avènement, le sultan Yaghmoracen avait augmenté le corps des lanciers chrétiens qui étaient au service de la couronne Abd El-Wadite; ensuite, en 1248 il ordonna l’incorporation des 2.000 hommes d’armes qui avaient auparavant servi dans les milices almohades.
A cette époque, le roi catalan, Jacques le Conquérant, devint un allié du puissant royaume algérien. Il fut même amené, bien entendu avec l’assentiment du sultan tlemcénien, à nommer son représentant dans la capitale zianide; celui-ci prit le nom d’El-Cayit (Caïd) de tous les chrétiens, civils et militaires, résidant dans le royaume Abd El-Wadite.
Cette prétention qu’avait eue le roi catalan de représenter à lui seul tous les chrétiens vivant dans le Maghreb El-Aousset ne visait, à vrai dire, qu’à éloigner du commerce fructueux avec Tlemcen les autres concurrents des royaumes du Sud européen, notamment les commerçants de Gênes, Pise, Venise et Marseille, entre autres. D’ailleurs, ces derniers ne tardèrent pas à faire infléchir les dispositions qui les lésaient puisque dans le texte de l’accord de 1272, qui liait la Catalogne à l’Etat algérien, le représentant du roi de cette région de l’Espagne n’exerçait plus son autorité que vis-à-vis des citoyens de sa couronne demeurant en terre d’Islam.
Ce qui attire l’attention à la lecture des règlements contenus dans les textes qui régissaient et fixaient l’ensemble des relations entre le royaume des Béni Abd El-Wad et les Etats européens, ce fut l’esprit de tolérance qui était dicté par les souverains tlemcéniens, notamment au plan des libertés religieuses.
Nous savons que nos gouvernants accordaient aux marchands chrétiens - sous la responsabilité de leur consul - le droit de se livrer librement et publiquement à l’exercice de leur culte. Il leur était permis d’avoir leurs prêtres ainsi que leurs églises. Cette liberté religieuse octroyée aux chrétiens en terre d’Islam est également prouvée par des documents émanant de Rome, c’est-à-dire de l’autorité même des Papes qui se sont succédé. 
Dans les archives du Vatican, on a retrouvé un document daté de 1290 adressé par le Pape Nicolas IV aux hommes d’armes engagés au service des rois maghrébins (parmi lesquels, bien évidemment, le sultan Abd El-Wad): «Mes fils, écrit le Pape, demeurez fidèles aux princes arabes à qui vous avez juré obéissance».
Toutefois, cette position apparente de l’église officielle ne se reflétait pas véritablement dans les événements tels qu’ils furent rapportés par l’histoire. En effet, si la preuve est établie par les documents, les textes d’accords et de conventions, qu’au moment où les princes musulmans et leurs élites agissaient avec prévoyance et clarté au nom des intérêts sacrés de leurs Etats, le fanatisme chrétien, par contre, avait multiplié les guerres au nom de la foi en organisant des croisades. Nous y reviendrons plus loin.
Cependant, ouvrons ici une parenthèse: dès la fin du XIème siècle, et plus spécialement à partir du XIIème siècle, un genre de commerce particulièrement actif existait: certains sujets musulmans des principautés de Castille, et plus tard ceux d’Aragon ou de Valence, étaient souvent échangés contre les captifs des royaumes chrétiens en terre d’Islam. Cette indication nous offre l’occasion de mettre l’accent sur un aspect singulier des relations entre les chefs chrétiens et le royaume de Tlemcen, par exemple. Il serait pertinent, pour nos chercheurs universitaires, d’apporter un nouvel éclairage sur la situation des musulmans autochtones qui avaient préféré continuer à vivre dans les principautés situées au nord de l’Andalousie, et devenues indépendantes dans des conditions particulières.
Néanmoins, l’histoire partagée durant des siècles entre les habitants des deux rives de la Méditerranée occidentale reste profondément ancrée dans les traditions de nos peuples, à telle enseigne que les liens multiples qui continuent de nous unir reflètent, pour une large part, les degrés de culture et de civilisation élaborées en commun.
Le rôle des musulmans espagnols, qui restaient assez nombreux jusqu’au début du XVème siècle, notamment à Lerida, Tarazona, Huesca, Tudèle, Saragosse, Ricla, Catalayud, Doroca, Vuruel, Tortossa, Barcelone entre autres, fut sans conteste considérable. Ainsi, les communautés musulmanes de Huesca, Lerida, Brea, Saragosse étaient, au dire des chroniqueurs, florissantes. De toute évidence, l’Islam restait incrusté dans les pays de la couronne d’Aragon. On continuait à écrire en arabe dans ces communautés; les traditions artistiques, culturelles et artisanales y demeuraient vivaces. Des mosquées subsistaient, les muezzins appelaient du haut de leurs minarets à la prière cinq fois par jour, les personnalités musulmanes étaient honorées et souvent élevées à la dignité d’El-Faqih. A titre indicatif, un musulman fut argentier (équivalent de ministre des Finances) de Jacques le Conquérant. En 1286, plus de 30 musulmans étaient employés dans les arsenaux à Barcelone. De nombreux historiens affirment que durant tout le XIVème siècle, les habitants des royaumes de Valence, de Majorque, comme de plusieurs autres régions d’Espagne, étaient en majorité musulmans !
Cela devait «certainement inspirer les maisons royales ibériques à utiliser leurs compatriotes musulmans comme agents d’influence, tant en Berbérie qu’à Grenade». Dans l’esprit des princes espagnols, «la confédération Aragono-Catalane, comme sans doute la Castille, c’est-à-dire tous les royaumes situés au nord de l’Andalousie, se considéraient comme des puissances chrétiennes et musulmanes à la fois».
Cependant, il ne faut pas croire que nos relations avec les royaumes d’Espagne étaient ou restaient constamment exemplaires. «Au gré des circonstances - et plus particulièrement en fonction des intérêts du moment -, on passait de la cordialité au combat !»
Les fanatiques chrétiens étaient conduits par des gens d’église. Plus prosaïquement, certains auteurs soulignent le rôle des archevêques et des évêques qui passaient leur temps à armer des galères pour combattre les musulmans sur mer. A la tête des armées que ces ecclésiastiques levaient, figuraient des curés ou des évêques qui ravivaient, à la moindre occasion, l’esprit des croisades et autres guerres saintes.
La tolérance qui existait entre les chrétiens et les musulmans, dans les royaumes redevenus chrétiens, commença, dès le début du XIVème siècle, à sombrer peu à peu. Sur l’initiative de l’église, on se mit à légiférer dans les mariages entre musulmans et chrétiens, à supprimer l’appel à la prière en terre chrétienne, à interdire les visites aux aoualia es-salihine, de même qu’on obligeait les musulmans à entendre, avant la khotba des imams, les prêcheurs chrétiens à l’intérieur même des mosquées !
Toutefois, à cette époque, ni l’Espagne ni l’Italie, et encore moins la France, ne constituaient encore des Etats unifiés, mais plutôt des royaumes ou des principautés, la plupart du temps concurrents lorsqu’il s’agissait de commerce ou de profit. Manifestement, ce fut avec le roi d’Aragon, Jacques le Conquérant, considéré sans doute comme le plus important parmi les chefs espagnols, que des contacts forts suivis avec des aspects commercial, militaire, politique et financier étaient négociés. Des consuls furent nommés et accrédités. Il leur était accordé des magasins de stockage pour leurs marchandises dans plusieurs villes du littoral, notamment Honaïne, Oran, Mostaganem, Ténès, Alger, Bougie... Quand la nécessité l’exigeait, il leur fut même concédé un quartier particulier et distinct avec le droit d’y bâtir des caravansérails ou des fondouks qui leur servaient de magasins et d’habitations.
A ce sujet, soulignons également que l’administration royale zianide consacrait une partie des revenus provenant des droits de douane à la construction, la gestion et l’entretien des entrepôts marchands e t autres hôtelleries des villes importantes du royaume. 
Du reste, nous l’avons déjà noté, l’existence d’une colonie marchande en terre tlemcénienne ainsi que d’une milice chrétienne nécessitait la présence de prêtres. Ces derniers séjournèrent très tôt auprès des soldats et des commerçants européens et furent considérés comme des personnages officiels ! Ainsi, les conventions signées dans ce cadre garantissaient non seulement la liberté de commerce mais également la protection des marchands étrangers et le respect de leur pavillon national ! « L’ensemble de ces dispositions que nous venons d’énumérer, disait l’un nos professeurs, nous renseigne sur l’avance qu’avaient pris nos rois et nos ministres sur le système de gouvernance de l’Europe occidentale encore à ses débuts dans la civilisation. C’était, à n’en point douter, les prémices qui auguraient la naissance du commerce moderne. Dans cet ordre d’idée, qui nous interdirait de souligner qu’il fallut attendre 450 ans plus tard pour voir les royaumes européens commencer à mettre en pratique les leçons de commerce moderne que leur inculquèrent les émirs et les rois zianides - comme, du reste, les grandes maisons tlemcéniennes, à l’instar des Maqqari, lesquels eurent l’initiative de créer, avant tout le monde, cette organisation du commerce et des échanges structurée et établie selon ce qu’on appelle aujourd’hui le système de l’offre et de la demande, les entrepôts, les zones de libre-échange et les lois qui protègent le commerce entre nations ainsi que les marchands ».
Très tôt, les rois algériens entreprirent de considérer leurs relations internationales comme devant d’abord contribuer à une puissante prospérité de leur royaume en donnant à leur peuple les lois qui garantissent et protègent le développement. Ainsi, ils mirent en avant le fondement essentiel à ces lois qui est la pratique de la liberté dans tous les domaines. «A dire vrai, ajoutait notre professeur que nous avons cité plus haut, on peut aisément conclure que nos sultans - sur les conseils éclairés de nos hommes de sciences et de savoir - ont mis en pratique les principes de l’économie politique moderne, bien avant que l’Europe n’atteigne notre degré culturel et de civilisation !». Manifestement, nous savons aujourd’hui que sur cet aspect précis de notre histoire, l’Europe était loin de connaître l’esprit de tolérance dans ses relations avec nous; bien au contraire, les musulmans tlemcéniens en particulier, et algériens en général, que leur commerce conduisait en terre chrétienne, ne jouissaient pas de la même liberté qu’accordait le gouvernement royal zianide aux marchands et autres représentants chrétiens sur nos territoires. Durant toute cette partie du Moyen Age, du début du XIIIème siècle et jusqu’à la seconde moitié du XVIème siècle, Tlemcen était capitale du Maghreb central. Elle était considérée comme la ville la plus considérable de l’Afrique du Nord et la plus accessible au commerce étranger. De nombreux historiens s’accordent à dire qu’au début du XIVème siècle, la métropole zianide comptait entre ses murs plus de 3.000 marchands venus de différentes contrées de l’Europe chrétienne. A ce nombre venait s’ajouter, à la même époque, un contingent au moins égal, c’est-à-dire 3.000 personnes de même origine qui constituaient, bien avant terme, une sorte de légion étrangère ou milice au service du sultan régnant.
Arrêtons-nous brièvement sur cette question des milices chrétiennes. En vérité, cette structure militaire - organisée en garde rapprochée du roi - était très ancienne à Tlemcen. Nous avons signalé auparavant que du temps des Almohades, et sans doute bien avant leur règne, des Européens originaires des côtes espagnoles ou italiennes, parfois des aventuriers ou d’autres personnes qui refusaient de se plier au diktat de l’église catholique, préféraient s’enrôler dans les armées au service des rois maghrébins. Il se trouvera même plus tard des musulmans d’origine espagnole, et restés fidèles à leur pays, qui finissaient de s’engager — avec l’accord de leur gouvernement — dans les rangs des soldats qui prêtaient allégeance aux sultans tlemcéniens. Certains d’entre eux arrivèrent à la fortune ou aux honneurs, quelquefois même jusqu’à assumer de hautes charges publiques. Il y en eut qui, par cette voie, devinrent généraux ou ministres, grands chambellans, proches du prince lorsqu’ils embrassaient la religion musulmane. «A cette époque, c’est-à-dire vers la fin du XIIIème siècle et à partir du début du XIVème siècle, énoncèrent d’autres chroniqueurs, il existait à Tlemcen bien plus que 6.000 personnes originaires des pays chrétiens de l’autre rive de la Méditerranée (marchands, artisans ou soldats), des sortes d’immigrés venus chez nous chercher travail et richesse, pendant que d’autres y poursuivaient des études dans les médersas et les collèges, auprès de ces savants florissants qui illuminaient le royaume des Béni Abd El-Wad ! ». 

La capitale zianide dépassait de loin les 120.000 habitants, ce qui était considérable pour l’époque. Tous vivaient dans une cité protégée par plusieurs rangées de solides remparts, dont la surface était supérieure à 100 hectares (la longueur des enceintes qui ceinturaient la ville atteignait aisément 5.000 mètres.)
Tlemcen, antique métropole populeuse par excellence, étaient divisée en quartiers distincts où chaque corporation avait sa place marquée: souk el-g’zel ou marché de la laine, celui des grains, souk el-hab, souk el-l’ben ou marché des laitiers, celui des livres, souk el-k’toub, menchar el-djeld, celui des cuirs et peaux; parfois, des ruelles entières étaient réservées à divers métiers comme les bijoutiers ou derb es-sayaghine, derb el-haddadine, des forgerons, des teinturiers, des passementiers, entre autres.
La partie de la ville située au nord était spécialement destinée au commerce. « Il y avait là, nous dit Léon l’Africain, plus de 3.000 boutiques...». Un autre voyageur, Gramaye, ajoute ceci: « Les négociants étrangers s’établissent volontiers à Tlemcen parce qu’ils trouvent dans les moeurs tranquilles de ses habitants de grandes garanties de sécurité pour leur commerce. C’est pourquoi leur nombre est considérable ».
Souvent, les marchands venus d’Europe accompagnaient les caravanes tlemcéniennes vers les contrées d’Afrique où ils commerçaient sous l’autorité des grands patrons zianides: ils en tiraient la gomme, l’encens, l’ivoire, tandis que la poudre d’or ou le sel - matières stratégiques par excellence - restaient du domaine réservé des négociants algériens accrédités !
Pisans, Vénitiens, Génois, Catalans, Provenciaux, devenus les hôtes du sultan tlemcénien, étaient tous rassemblés au centre de ce quartier qui fut durant plusieurs siècles, et qui le reste de nos jours encore, exclusivement marchand: El-Qayssaria !
Cette dernière, située immédiatement à l’est de la Grande Mosquée, s’étendait sur un espace de plus de six hectares. Les magasins, les boutiques ainsi que les fondouks se trouvaient au coeur d’une enceinte crénelée. Un grande partie de ces murailles existait encore au début de la colonisation. Les murs mesuraient généralement neuf mètres de haut. Ils étaient autrefois percés de quatre portes - auxquelles on accédait en montant quelques marches —, qui étaient certainement en bois renforcé de solides ferrures. Ces portes, comme celles de la ville, que des sentinelles surveillaient de jour et de nuit, étaient fermées après la prière du soir, El-îcha.
A vrai dire, El-Qayssaria était une petite cité dont les consuls occupaient une charge importante. Indépendamment des boutiques, des magasins et des locaux particuliers, elle renfermait dans son enceinte un entrepôt commun, des fours, des bains, un couvent et une petite église. Nous savons, d’après certains traités, que passé le coucher du soleil, les tractations étaient suspendues et personne ne pouvait plus pénétrer à l’intérieur des fondouks sans une autorisation spéciale de celui qu’on appelait Cheikh el-madina.
El-Qayssaria, en tant que ville marchande, industrieuse et active, avait atteint au XIVème siècle l’apogée de sa prospérité. Avec le XVIème siècle, sa décadence commença. Lorsque Léon l’Africain visita Tlemcen vers 1515, il nota un certain état de richesse. Toutefois, c’était le début de la fin de cette activité commerciale qui avait vivifié la capitale du Maghreb Central pendant près de 500 ans. Des événements d’une grande importance avaient fini par secouer le monde: la découverte de l’Amérique avec, comme corollaire, la modification du commerce maritime européen, la conquête d’Oran par les Espagnols, les difficultés internes annonçant l’essoufflement de la dynastie zianide, tout cela finit par faire de Tlemcen l’ombre de ce qu’elle fut auparavant. Lorsque l’héritage de Yaghmoracen tomba entre les mains des successeurs de Barberousse, la ruine de l’antique cité était déjà entamée. Avec la colonisation, la destinée de la vielle capitale maghrébine fut scellée !
Les occupants français s’attelèrent à démolir une grande partie de l’agglomération tlemcénienne: des quartiers entiers furent rasés, des universités prestigieuses effacées, des mosquées et des médersas disparurent sous les pioches des militaires coloniaux. El-Qayssaria sera en grande partie démantelée; il ne subsistera de cette fière enceinte que quelques boutiques et le reste fut abattu: la muraille crénelée, les entrepôts, la plupart des caravansérails...
Au cours de ces travaux de destruction, on mit au jour, dans un pan de mur, une tablette en onyx mesurant 0,66 m de long et 0,18 m de large sur laquelle était gravé le texte indiquant qu’il s’agissait de la coudée royale ou Draâ. Cette mesure légale de longueur, pour les usages du commerce, fut instituée par le sultan zianide Abou Tachfin 1er en mars 1328, dans la dixième année de son règne. Sous l’autorité de ce prince éclairé, qui fut en même temps qu’un grand héros un homme d’Etat remarquable, la prospérité ainsi que la réputation de Tlemcen avaient atteint leur plus haut de degré. Le commerce y était florissant et avait connu un essor considérable

La loyauté comme l’honnêteté des commerçants tlemcéniens étaient proverbiales; ainsi donc Abou Tachfin 1er détermina et promulgua dans ses Etats cette fameuse mesure de longueur type à l’usage du commerce: le Draâ et-tilimçani qui fut employé partout dans le royaume à Oran, Ténès, Alger ainsi, croit-on, qu’à Constantine et les autres places du négoce dans le pays.
Pendant son règne de 19 ans, Abou Tachfin 1er, considéré comme un prince artiste, améliora beaucoup l’urbanisme de Tlemcen jusqu’à lui donner l’aspect d’une nouvelle ville. Il fit venir d’habiles artisans d’Andalousie pour ériger ses bâtiments qui restèrent debout durant des siècles: entre autres, l’université Et-Tachfinya qui porta son nom, le minaret de la Grande Mosquée d’Alger, le célèbre Sahridj M’bedda (ou Grand Bassin), lequel fut utilisé, en plus de ses fonctions agricole et hydraulique, comme un véritable atelier maritime où l’on formait les jeunes recrues de la marine tlemcénienne. Abou Tachfin 1er fit, pour l’histoire de notre pays, une oeuvre aussi utile que belle qui résista à l’usure du temps: citons le palais royal Dar El-Moulk, le château ou Dar Abou Fihr, l’hôtellerie de la joie Dar Es-Sourour ainsi que la Mosquée du Mechouar...
Tlemcen, plus que capitale de royaume, plus que centre de culture et foyer de rayonnement mystique, fut une opulente ville de commerce où il faisait bon vivre !
Située au croisement de deux grandes routes de négoce et d’échange est-ouest et nord-sud, elle possédait depuis la plus haute antiquité deux ports actifs et réputés: Archegoul et Honaïne. Les commerçants de Tlemcen avaient la réputation d’être «pécunieux, opulents en possessions, hommes justes, ayant en singulière recommandation la loyauté et l’honnêteté de leurs affaires et prenant merveilleusement grand plaisir à tenir la cité garnie» , écrivait, au début du XVIème siècle, Léon l’Africain.
 
Bibliographie
- A. Ibn Khaldoun: Histoire Des Berbères.
- Y. Ibn Khaldoun: Histoire Des Béni Abd El-Wad, Rois De Tlemcen.
- M. Et-Ettenessi: Histoire Des Béni Zayane.
- Ch. Brosselard: Les Inscriptions Arabes De Tlemcen, In Revue Africaine.
- Ch.E. Dufourcq: L’Espagne Catalane Et Le Maghreb.
- Léon l’Africain: Description De l’Afrique.
- P.J. Lethielleux: Le Littoral De l’Oranie Occidentale.
- G. Et W. Marçais: Tlemcen.
- Sid Ahmed Bouali: Les Deux Grands Sièges De Tlemcen.




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