Sid-Ahmed BOUALI , Entre la Medersa de Sidi-Bouabdellah et l’Ecole Franco-Arabe de Tlemcen ,Sid-Ahmed BOUALI, comme à l’accoutumé, traversait la place de la grande mosquée de Tlemcen, mais ne pouvant passer depuis un certain nombre d’année par la rue des sept arcades annexée par des services administratifs, il contournait alors la grande mosquée et se dirigeait vers la rue Idriss pour marquer une halte quotidienne chez un de ses amis de toujours qui ne pouvait être qu’un imprimeur.
Ce mercredi 19 juillet 2000, il s’attarda pour saluer de plus près, ceux qui d’habitude il ne leur offrait qu’un simple geste de la tête, avant de se frayer son chemin en s’aidant de plus en plus de sa canne. « Mohammed ! n’oublies pas le 21 juillet cette année. C’est le 80e anniversaires de Mohammed DIB ! » me lança t-il cette fois-ci.
Ce 21 juillet 2000 Sid-Ahmed BOUALI reposait pour l’éternité dans le panthéon de Sidi-Es-Snoussi Tlemcen sous l’olivier familial, à mi-distance du président Sidi Zkri et du Sage Sidi-es-Snoussi.
Une autre figure de Tlemcen venait de disparaître d’une cité qui avait mal vécu de ses intellectuels, ceux qui avaient mis tant d’espoir pour redorer le blason d’or des legs de leurs aïeux dans lequel tout le pays devait s’y retrouver nécessairement.
La première fois que Sid-Ahmed est sorti de la maison familiale où il est né un 27 janvier 1931, il s’est trouvé face à un coin de bâtisse blanche vers lequel convergeait un croisement, l’un venant de la rue de Paris, l’autre se terminant dans la rue de la Bataille de Stalingrad.
Très jeune Sid-Ahmed fut subjugué par les contes tlemcéniens que sa mère lui racontait et il en garda dans sa mémoire quelques-uns uns qu’il put offrir à la langue française, dans un parfum de lys et de basilic, notamment sa Princesse aux yeux de velours, le Rêve de la Vieille Maman, ou un rêve de sang, qui deviendront « La princesse et l’Oiseau » édité en avril 1982. Il ne cessait de raconter les histoires d’enfant que sa mère lui avait patiemment inculquées :Le Lion et la souris, la jeune fille devenue gazelle, la vache des orphelins, les sept filles et l’ogresse, les deux frères le singe et le bâton, l’enfant et le rossignol, le coq l’agneau et le lion, le renardeau, le roi et la sorcière, la jeune fille aux joues roses, méquidèche etc…Plusieurs de ces contes ont été imprimés en arabe et mis en vente à la grande joie des enfants de sa cité.
Adulte, Sid-Ahmed préférait longer la bâtisse et prendre l’autre coin de rue vers le Mechouar. Face au dos du Mihrab de la Mosquée de Sidi-Brahim, Sid-Ahmed s’arrêtait devant une maison arabe Dar Mebkhout qui fut la première Ecole Franco-Arabe inaugurée en 1871.
C’est dans cette école Franco-Arabe devant laquelle Sid-Ahmed passait tous les jours que se développa l’idée du concept de Franco-Musulman qui allait être matérialisé au début du siècle par les Medersas de Tlemcen, de Constantine et d’Alger pour former les futurs auxiliaires à l’administration française pour la gestion du statut personnel des « indigènes ».
Des fois, Sid-Ahmed remontait la rue de Paris pour rejoindre la rue Ibn-Khamis avec ses écoles françaises et de se retrouver près de la Mosquée de Sidi-Brahim.
D’autres fois, Sid-Ahmed traversait le Matmar par « la grande Maison » de Mohammed DIB, longeait la Mosquée-Medersa des Oulad Al-mâm et se retrouvait près de l’Ecole Jules-Ferry et l’Ecole Decieux. Revenons avec Sid-Ahmed au coin de la bâtisse blanche face à la maison familiale où sont enterrés à la fois un Maître de son époque, Sidi Mohammed Abou-‘Abdellah Ech-Cherîf et Tilimçani et Abou Ya’qoûb, le père de Abou Hamou Moussa II ainsi qu’Abou Saïd, le frère d’Abou Ya’qoub.
C’était l’époque où les hommes du pouvoir recherchaient la compagnie pour l’au-delà des savants de leur temps. C’est ainsi que Yaghmouracen avait choisi Ibn MERZOUK comme compagnon dans Dar Er-Râha, au coin de la Grande Mosquée avec cette ouverture minuscule au mur donnant à l’intérieur sur le lieu où depuis toujours le Coran est psalmodié par des tolbaq et ce, à leur grande quiétude sans être dérangé par quiconque.
Cette bâtisse blanche que Sid-Ahmed apercevait chaque fois qu’il sortait de chez lui n’est qu’une partie de ce que fut la Medersa Al-Yaqoûbiyya qui s’étendait vers le Cinéma Rex actuel et comprenait la Mosquée de Sidi-Brahim et le Mausolée Royal des Bani-Ziyyane où repose avec eux l’un des Boabdils, un des derniers rois de Grenade dont l’épitaphe fait toujours l’objet d’une recherche puisqu’elle n’est jamais retournée à Tlemcen depuis qu’elle fut expédiée pour une Exposition Universelle tenue à Paris.
Beaucoup plus que la personnalité de Sidi- Bou’abdellah, Sid-Ahmed BOUALI méditait sur El-Abilî, le maître de Sidi- Bou’abdellah, de Ibn Khaldoun et de tant d’autres. La personnalité pédagogique d’El-Abilî passionnait Sid-Ahmed à un tel point qu’il lui consacra un article dans la Revue El-Hindiss N°11/12 en 1981.
« Les deux Sièges de Tlemcen » lui permirent de retracer la saga de sa cité face à l’envahisseur comme aucune autre cité dans le monde ne put en endurer.
Le 1er siège effectué par Abu Ya’qoub Youcef du 5 mai 1299 au 10 mai 1307 et le second siège fut levé par Aboul-Hassen’Ali d’août 1337.
Le Palais du Méchouar le passionnait et il nous laissa une description des automates qui garnissaient les demeures de ce Palais dans un autre article publié dans la Revue El-Hindiss N°6 en 1980 – De la Mangâna de Tlemcen au Maître de l’heure.
Ses lectures sur les intrigues du Méchouar l’amenèrent à considérer qu’il n’y avait peut-être pas eu d’autres exemples dans l’histoire de l’humanité d’une période aussi troublée aussi agitée par les discordes et les déchirements intérieurs que le furent les quarante années qui suivirent la mort d’Abou Hamou Moussa II de 79 H. Jusqu’à l’avènement de son dernier fils en 834 H. N’ayant pu intégrer toutes les données sur cette période à partir de ses seules sources en langue française, il se résigna à abandonner la narration de la saga tlemcénienne commencée par le siège de 1299.
Le livre tenait une place de choix dans son existence. « Malgré les succès fracassants des moyens de communication audio-visuels, l’invasion presque indécente de l’image dans l’intimité de nos foyers, le livre tient encore une place de choix, aussi solide que discrète, parmi les médias…En fait, tous les bienfaits, tous les progrès du monde moderne, les lois, les mœurs, les techniques, les merveilleux pouvoirs dont est doté l’homme d’aujourd’hui, ont eu pour point de départ des livres et leur diffusion. »
Il nous laissa une petite introduction à la musique classique algérienne, éditée en 1968 et préface par Mahmoud BOUAYED, suite au succès rencontré par le festival de musique classique algérienne organisé durant le Ramadhan 1386 H soit 1966/1967.
Les sources françaises de l’Histoire de Tlemcen que Sid-Ahmed BOUALI aimait citer avec beaucoup d’érudition rappelant toujours le nom de l’éditeur, l’année du tirage, parfois le format et le nombre de pages de l’ouvrage, et qu’il souhaitait voir ré-éditer parce que rarissimes et très recherchés mais surtout indispensables à tout chercheur dans l’histoire de sa cité étaient principalement :
- J.J.L. BARGES : Tlemcen, ancienne capitale du royaume de ce nom.
- J.J.L. BARGES : Complément de l’Histoire des Béni-Zeiyan, rois de Tlemcen.
- CH. BROSSELARD : Les inscriptions arabes de Tlemcen.
- W.& G. MARCAIS : Les monuments arabes de Tlemcen.
- F. PROVENZALI : Jardin des biographies des saints et savants de Tlemcen (Traduction d’El-Bostan d’Ibn-Maryem avec un important appareillage de notes).
Le destin de l’Algérien face à sa fatalité et face à … la mer, passionna Sid-Ahmed BOUALI un moment et il entreprit un travail de recherche et d’érudition sans précédent épluchant un ouvrage qu’il a considéré comme fondamentaux à la compréhension de l’Histoire de la Marine algérienne :
- R.P..DAN : Histoire de Barbarie et de ses corsaires.
- E. DUPUY : Américains et Barbaresques (1776-1824).
- CH. FARINE : Deux pirates au XVIe siècle. Histoire des Barberousse.
- JURIEN DE LA GRAVIERE (Amiral) : Les corsaires barbaresques et la marine de Soliman le Magnifique.
- CH. DE ROTALIER : Histoire d’Alger et de la piraterie des Turcs dans la Méditerranée à dater du XVIe siècle.
Sid-Ahmed BOUALI était friand de toute documentation sur l’Histoire générale de l’Algérie en langue française :
- A. BERBRUGGER : l’Algérie historique, pittoresque et monumentale.
- A. BERBRUGGER : Le pegnon d’Alger ou les origines du gouvernement turc en Algérie.
- X. BARDON : Histoire nationale de l’Algérie.
- BASSET, CAT, CAGNAT, BALLU : Histoire de l’Algérie par ses monuments.
- G. BOISSIER : L’Afrique romaine.
- DAUMAS (Général) : Mœurs et coutumes de l’Algérie.
- A. CERTEUX & H.CARNOY : L’Algérie traditionnelle : Légendes, Contes, chansons.
- G. ESQUER : La prise d’Alger (1830).
- G. ESQUER : Iconographie de l’Algérie.
- H.L. FEY : Histoire d’Oran avant, pendant et après la domination espagnole.
- H. DE GRAMMONT : Histoire d’Alger sous la domination turque (1515-1830).
- GAUDEFROY- DEMOMBYNES : Les cérémonies du mariage en Algérie.
- L. HOUDAS : Ethnographie de l’Algérie.
- LESSORE : Voyage pittoresque dans la régence d’Alger pendant l’année 1833
- E. MASQUERAY : Formation des cités chez les populations sédentaires de l’Algérie (Kabyles du Djurdjura, Chaouia de l’Aurès, Béni-Mzab).
- E. MERCIER : Histoire de l’Afrique septentrionale.
- MARMOL : L’Afrique Trd. Perrot d’Ablancourt, 3 vol.
- P.MASSON : Histoire des établissements et du commerce français dans l’Afrique barbaresque (1560-1793).
- PELISSIER DE REYNAUD : Annales Algériennes.
- E. PLANTET : Correspondance des deys d’Alger avec la cour de France (1577-1830).
- Abbé POIRET : Voyage en Barbarie.
- L. RINN : Marabouts et Khouan, étude sur l’Islam en Algérie.
- SANDER-RANG : Fondation de la Régence d’Alger.
- W. SHALER : Esquisse de l’Etat d’Alger. Enfin Sid-Ahmed BOUALI fut fasciné par la personnalité de l’Emir Abd-Elkader, d’abord à travers les écrits suivants :
- A. BELLEMARE : Abd-Elkader, sa vie politique et militaire.
- E. CARDON : L’Emir Abd-Elkader
- E. DE CIVRY : Napoléon et Abd-Elkader
- A. DE LACROIX : Histoire privée, politique d’Abd-Elkader
- L.F. DE RABAN : Histoire privée, politique et militaire d’Abd-Elkader
Sid-Ahmed BOUALI fut surpris de voir se développer à Tlemcen la lecture des Ecrits Spirituels de l’Emir Abd-Elkader sur un manuscrit mis à disposition, à l’occasion du centenaire de la mort de l’Emir, avec l’appui d’éditions anciennes de ces écrits. Craignait-il de découvrir un autre personnage que celui forgé par les lectures de tous ceux qui l’ont connus avant son envolée spirituelle dans les pensées de Sidi-Abou-Madyan Chouaïb et Sidi Muhyeddine Ibn ‘Arabî ?
Lorsqu’il s’est agi de préfacer une édition d’un recueil des poèmes de Sidi-Abou-Madyan, la réserve de Sid-Ahmed BOUALI l’amena à ne pas signer une des plus belles présentations du Saint de Tlemcen dans la langue française : « Un Saint de première grandeur Sidi-Abou-Madyan de Tlemcen ».
Rapidement, ce texte fut utilisé dans les recherches universitaires de magister qui ne trouvaient pas meilleure présentation, notamment par M. Nassreddine KASSAB dans sa thèse de magister sur la préservation des sites et monuments historiques, magister intitulé « Le Sanctuaire, une Poétique à révéler » il en fait référence à trois reprises et en Bibliographie sans pouvoir identifier l’auteur de cette présentation.
En fait, tous les samedis matins, Sid-Ahmed BOUALI était à l’écoute du compte rendu des séances senouciennes tenues la veille dans la demeure-retraite même du Cheikh Sidi-Mohammed Ben Youcef Es-Senouci et qu’i ne pouvait assister à cause de ses rhumatismes et difficultés à rester dans la position assise assez longtemps.
Sa crise spirituelle trouva satisfaction d’abord dans l’élaboration d’une œuvre encore inédite et dans la correction soignée d’une nouvelle saisie de la traduction en français du Boustân d’Ibn Meriem par F. Provenzali, dont il n’existe plus d’exemplaires disponibles. A trois reprises, il eut l’opportunité de re-visiter tous les saints et savants de Tlemcen et de se satisfaire de l’immense appareillage de notes qui accompagne cette traduction. Ce fut là sa réconciliation avec les valeurs de sa cité dont il avait assisté, impuissant, à sa « clochardisation », comme il aimait le clamer. La caserne Gourmellah où il avait passé quelques jours de détention durant la guerre de libération lui a laissé le même goût une fois transformée en une bétonnière prévue pour le rayonnement de la culture à Tlemcen.
Il n’avait pu là aussi trouver sa satisfaction de pouvoir faire germer l’immense jardin culturel de Tlemcen dans une vision moderne et prospective.
Seul le Boustân constituait pour lui le véritable terreau d’où pourront germer de nouvelles fleurs et maintenir haut l’étendard de la contribution de Tlemcen au patrimoine culturel et spirituel universel.
Les œuvres de Sid-Ahmed BOUALI resteront un autre legs précieux de Tlemcen à la pensée universelle dans la langue française.
notre cher père nous manque énormément, ses pensées, ses idées, etc
bouali leila - aix en provence
23/02/2009 - 2724
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Posté Le : 28/02/2008
Posté par : hichem
Ecrit par : Mohammed BAGHLI
Source : membres.lycos.fr/ptlemcenien