Le président turc Recep Tayyip Erdogan a effectué une visite officielle de deux jours à Alger ( lundi 26 février 2018 et mardi 27 février 2018). A la faveur de cette visite, faisons un retour sur le jumelage de Tlemcen avec Bursa(Brousse), en passant par quelques « traces » culturelles du passage des Turcs dans la cité des Zianides.
Les Turcs et les Espagnols se disputèrent Tlemcen au début du XVIè siècle et les derniers princes zianides(abdelwadides) acceptèrent la suzeraineté des Espagnols d'Oran. Salah Raïs, pacha d'Alger, s'empara définitivement de Tlemcen en 1555 et le dernier roi de la vieille capitale du Maghreb central, Moulay Hassan, meurt de la peste à Oran en 1556, tandis que son fils se fait chrétien sous le nom de Carlos et passe en Espagne où il meurt sous le règne de Philippe II. Les Turcs avaient fait leur première apparition à Tlemcen avec Aroudj en 1518.
Durant la période ottomane, les deux Frères Barberousse du Méchouar firent de la citadelle le siège de la garnison turque. En 1516, Aroudj s'y installa en maître ; mais à la reprise de Tlemcen par les Espagnols d'Oran qui assiégèrent la ville durant six mois, à l'instigation des Tlemceniens, Aroudj réussit à fuir dans la direction du Maroc . Il fut rejoint par quelques Espagnols qui s'étaient mis à sa poursuite et tomba sous leurs coups, en un endroit voisin de la frontière marocaine actuelle, non loin de Maghnia, près de la rivière Mouilah(et non pas, comme on l'a dit, près du Rio Salado, en arabe Oued Malah, entre Tlemcen et Oran, près d'Aïn Temouchent). Il est assez généralement admis qu'Aroudj noya dans le Grand Bassin, un grand nombre de princes de sang royal, tous ceux qui se trouvaient à Tlemcen à cette époque, d'où le nom vernaculaire de Sahridj Bedda(le Bassin du génocide).
Les pavillons qui ornaient l'intérieur du Mechouar, furent peu à peu détruits, lors de la révolte des Tlemceniens contre le Bey Hassan en 1670. N'est restée de cet ensemble que l'enceinte qui lui conserva son rôle de forteresse où les Kouloughlis se réfugièrent en 1832 quand le sultan du Maroc vint s'emparer de Tlemcen et en 1836 quand l'Emir Abdelkader se fut rendu maître du reste de la ville.
Le 30 mai 1837, le général Cavaignac et ses soldats quittèrent la forteresse du Méchouar. L'article 9 du Traité de Tafna, signé en 1837, permet à l'émir Abdelkader de se rendre maitre de Tlemcen mais pas du Méchouar où pendant six années 800 Kouloughlis protègent la garnison turque commandée par Mustapha Ben Smail. Ceux-ci furent délivrés par le Général Clauzel.
Pour la France, les Turcs lutteront durant deux années contre l'Emir Abdelkader. Bouhmidi, lieutenant de l'Emir, nommé au gouvernement de Tlemcen, vient s'installer dans Dar El-Beylik, voisine du Méchouar. Après, Bugeaud vint en personne reprendre Tlemcen et la citadelle le 31 janvier 1842 avec le général Bedeau.
Les Tlemceniens eurent beaucoup, dit-on, à souffrir de l'administration de l'Odjak(gouvernement de la régence d'Alger). Pendant le XVIII è siècle, les troubles ensanglantent Tlemcen et l'autorité turque y est fortement ébranlée. L'une de ces révoltes eut pour chef un Chérif, Si Mohammed Ben Ali, établi dans le petit village d'Aïn El Hout.Un chantre célèbre, Cheïkh Ibn M'Saïb(mort en 1766 et enterré au côtés de Cheïkh Senouci), composa des poésies satiriques et des chansons populaires, dont « Ghitou el malhouf »(Secourez l'affamé), dans lesquelles il attaque avec une verve mordante, le gouvernement des Turcs...Dans ce sillage, l'on rapporte que la tête d'Ibn Triqui, le fameux chanteur populaire, a été enterrée à Sahridj Bedda(ce poète avait des problèmes avec le pouvoir turc de l'époque).
Lors de la présence turque à Tlemcen, des mariages mixtes ont été contractés entre les Turcs,souvent de Janissaires, et les femmes tlemceniennes, ce qui a donné naissance aux familles dites Koulouglies.
Les Koulouglis sont généralement blancs de peau, leur teint est coloré ; ils ont souvent les yeux bleus et les cheveux châtains ou blonds ; ils ont la mine ouverte et la physionomie intelligente.Les familles koulouglies se marient entre elles(elles sont endogames) ; les femmes se prévalent, outre la beauté, d'un savoir-faire culinaire et gastronomique sans égal.
Le quartier des Koulouglis se trouvait à Bab El Hadid, au sud-ouest de la ville. La grande Mosquée des Koulouglis est la mosquée de Sidi Brahim El Masmoudi. Aux côtés de la petite mosquée des Ouled El Imâm. Ce quartier abritait Dar Sbitar(infirmerie indigène) et l'école de tapis indigènes. Les maisons sont très confortables et indiquent une certaine aisance de ses habitants. Avec l'aménagement du quartier et l'ouverture de rues, les Koulouglis ont dû transférer leur résidence vers Bab El Djiad où nous rencontrons les Benkalfat, Meliani,Sari,Mezouar, Bendraa, Benchekra, Belkhodja, Bouali, Kazi, Triqui,Korso,Bali, Bendimered,Abadji, Mesli,Messali, Mrabet,Seladji, Saboundji, Bali, Bendermel...Aux côtés d'autres noms d'origine koulouglie( osmanli), tels Kahoudji, Brixi, Berrezoug,Nebia,Benyelles, Gourmala, Korso, Bouchenak, Benosman, M'hamedi, Benzengli, Benhamza, Hamdi,Kara,Boukli,Dib, Damerdji, Borsali, Borsla,Dali, Ali Chaouche,Hadj Slimane, Bekhchi, Benhabib, Sari, Bendiouis,Mami, Mazari, Malti, Mahdjoub, Malamane, Soulimane, Sersour, Boudjakdji, Taleb, Mehtar(i),Taouli, Terki Hassaïn, Mesli, Tchiali, Tchouar, Tchenar, Bouayed, Abi Ayed, Boudghène, Boublenza, Baghli, Mehter, Mehtari, Baghdadli, Khelil,Baba Ahmed, Hamidou, Bedjaoui,Taouli, Bilami, Benchaâbane, Bel Ouldj,Bentchouk,Bensid, Bensenane, Hadj Allal,Berber,Hamidou, Bedrane, Bestaoui,Bouchama, Mamcha, Bey,Daidj, Mir Ali, Hamas, Inal, Zmirli, Rostane, Kahia, Mlouka, Ramdane Chaouch,Chalabi, Bouchenak, Kaïd Slimane,Zenagui, Zerrouk(i), Zellam, Rahmoun, Gharnaout, Gourmala, Fardeheb, Hamzaoui, Hamza Cherif,...(faisant d'une liste de 508 familles koulouglies répertoriées par feu Ghouti Charif(1913-2002), premier maire de Tlemcen post indépendance, dans son essai « L'arbre de Tlemcen » édité en1993).
S'agissant du sens étymologique des patronymes, donnons quelques exemples : Dali(l'illuminé), Kalfat(réparateur de bateau), Baghli(travailleur de la vigne), Berber(coiffeur),Bentchouk(porte drapeau), Mezouar(responsable de la sécurité),
A noter que plusieurs mots utilisés dans le dialecte tlemcenien(daridja) sont d'origine turque comme tebsi (assiette) , q'charet (chaussettes), zerda ( festin), soukarji (ivrogne), douzane (outils), balak (peut-être), guawri (européen), siniya(plateau),balgha (babouche),bechmaq (claquettes), beqraj (bouilloire), kaghat(papier),kahwaji (vendeur de café), chichma (toilettes), beylik(Etat)...L'on se souvient de la légendaire chanson turque « Youk Baba Jeim » chantée par Cheïkh Larbi Bensari(1867-1964) qui l' « importa » d'Istambul, et qui sera reprise avec brio par le duo Rachid(1946-1995) et Fethi Baba Ahmed. « Youk Baba Jeim » représente un dialogue(duo) entre un père et sa fille ; le père lui demande, entre autres, « akou smasala ? »(tu veux des babouches ?) et lui réplique « Youk baba jeim »(non, mon père), jusqu'à ce qu'il lui « propose » un mari...Au fait, mis à part quelques vocables d'origine turque, pourquoi les Koulouglis n'ont-ils pas appris la langue turque après près de trois siècles de présence ottomane à Tlemcen ?Comment les jeunes couples mixtes arrivaient-ils à communiquer au sein du foyer ?
Quant aux « vestiges » turcs qui subsistent encore à Tlemcen, citons la fontaine publique du Mechouar, la pittoresque dar Bensmaïne, perchée en haut d'El Kalaâ, des maisons traditionnelles (avec bassin) à Bab El Djiad, Bab El Hdid, derb Sidi El Yeddoun, la chechia que portait à cheval le marié Moulay El Malik et Messali Hadj, les gâteaux Ghribia, smasa de l'Aïd, halwet miliana de Ramadhan...Ras El Qasba(prison spéciale), quartier Mustapha(Ars Ddidou), caserne Gourmala(maison de la Culture),dar el Beylik(dar Général ou secteur militaire), Bab Qsar el beylik, Bab derb Kara Mohammed, Bab Bendi Mourad, terrain Karadja, terrain Hamza Cherif,terrain Guellil, faubourg Boudghène, zaouiya Cheïkh Benyelles(Ars Didou),zaouiya Mamcha(Bab el Hdid), Bab Ali(vieille medina),cafés Douidi(Medress), Benkazi (Blass), Kazi (Tafrata), Tchouar (Bab Sidi Boumediène), Brixi Reguig(Tafrata), Lagha(Medress), Belkhodja((Sidi Boudjema), Hadj Allal(Blass), Mehtari(Mechouar), Hammam Tchiali dit el hofra de la rue Belle vue (Ras el b'har),Hammam Bensmaïne de la rue des Forgerons (Hart r'ma), Hammam Boutmène de derb Ouled El imam,Hammam Mami (quartier Sidi Brahim), Hammam El Korso (El Kalaâ),Hammams Benouis (Bab Ali), Hammam Boudghène (R'bat), Hammam Sari (Agadir), Hammam Brixi (Souiqa),Hammam Korso (Les Cerisiers), Hammam Boudjakdji (El Kalaâ),Hammam Bendimered (La Metchkana) ,Hammam Baba Ahmed (Bab el hdid), Hammam Belkhodja (R'hiba),Hammam Benabadji (Bab el djiad),Hammam Slimane de la rue Lamoricière,Hammam Benkalfat (derb Sidi Hamed),Hammam Bali(Bab Wahran), huileries ma'sra des Hadj Eddine (Haï louz), Boudjakdji (Riat el hammar), Benkalfat(Sidi Boudjemaâ), foundouk Rostane(Tafrata),Tapis Soulimane Hadj Mokhtar,Maison Ben Kalfate(Au musée oriental), Transports Bendimered, Maison Ben Sliman(Au salon oriental),Maison S.Bereksi(Palais de l'habillement), Maison Bendimered(lutherie), B.Boukli(Mon tailleur), Borsla Frères(Auto école), Grand garage national Omar Lachachi, Imprimerie Bedjaoui, Manufacture de tissage Bekhchi Hami, Cycles Djilali Kara...sont, entre autres, des sites et lieux dits à consonnance toponymique koulouglie.« Je réside à Bab El Djiad, quartier de derb El Meliani », chantait Ben Triqui, poète du 18 è siècle, dans « Yab Bouya Ki rani » ; ce derb est également évoqué par son alter égo Bensahla dans la qacida « Ya daw ayani »(ô lumière de mes yeux)...Dans les cafés maures, on fumait jadis avec le narguilé, aujourd'hui ressuscité à travers la chicha, dans des salons de thé à El Hartoun(Tlemcen), les Dalias(Kiffane)...Par rapport au choix des prénoms, il est loisible de trouver dans les familles des Ismet, Hikmet, Hidayat, Ramzi, Nazim...
Citons quelques personnalités locales, telles Messali Hadj(leader), Mohammed Dib(écrivain), Cheïkh Larbi Bensari(musicien), Cheïkh Abdelkrim Dali(musicien), Si Djelloul Chalabi(mufti), Cheïkh Mohammed Benyelles(cheikh zaouiya), Cheïkh Benaouda Mamchaoui (cheïkh zaouiya), Cheïkh Mohammed Bensenane(imam)Mohammed Bedjaoui(diplomate), Cheïkh Mustapha Belkhodja(musicien), Cheïkh Mohammed Bouali(musicien), Djelloul Benkalfat(instituteur), Abderrahmane Mahdjoub (professeur), Sid Ahmed Bouali(libraire), Rachid Baba Ahmed(chanteur),Taleb Bendiab (ambassadeur), Mustapha Yadi(medecin), Mostefa Kara(doyen des médecins), M'hamed Triqui(pharmacien), Zoubir Rahmoun(speaker radio), Chakib Khelil(ministre)...N'omettons pas d'évoquer aussi la mémoire de quelques chouhada, comme Benaouda Benzerdjeb, Inal Mohammed, Benali Dghine(Lotfi), Maliha Hamidou, Aouicha Hadj Slimane, Salima Taleb, Abdelkader Abadji, Djamel Bensenane(plus Abdelghani et Mohammed), Abdelhalim Chaoui Boudghène, Rachid Chaouche Ramdane, Benali Baghdadli, Mohammed Baghdadli, Boumediene Hamzaoui(et Mounir), Abdelkader Bendimred, Benali Gaouar,Mustapha Benabadji, Abderrahmane Bedjaoui, Choaïb Tchouar(plus Sid Ahmed), Baya Tchenar, Daoudi Kazi Tani, Mohammed Kazi Aoul, les frères Benchekra, les frères Zerga,Hossine Ben Illes, Abdelhak Taleb, Hamed Bendimered, Zenagui Douidi, Abderrahim Benosman(plus Abdelaziz et Ghouti), Mohammed Dali Youcef, Sid Ahmed Yadi...
Il faut savoir que Tlemcen est jumelée avec la ville turque de Bursa(Brousse) depuis 2012.Pour l'histoire, Bursa surnommée la ville verte, avait offert l'hospitalité à l'Emir Abdelkader lors de son exil(il y résida de 1852 à 1855 avant de se rendre à Istanbul suite au tremblement de terre qui détruit la première capitale de l'empire ottoman).Un grand boulevard à Bursa porte son nom. L'illustre Cheïkh Abdelkader Mahdad(1896-1994),, une grande figure de l'intelligencia tlemcenienne, fasciné par la grandeur de l' histoire et la beauté des villes de Turquie séjourna à Bursa durant plusieurs années( de 1963 à 1987). A noter qu'une école de Brousse(Bursa) est baptisée à sa mémoire. Cet illustre pédagogue jouissait d'un profil polyglotte, puisqu'il maîtrisait, outre l'arabe et le français, l'espagnol, le latin, le turc et le persan. La Turquie l'a toujours fasciné par la grandeur de son histoire et la beauté de ses villes, selon feu Me Rachid Benblal. En 1963, il exauça son désir en s'y rendant. Il devait y séjourner durant plusieurs années. En 1987, il retourna à Tlemcen où il mourut sept ans après, à l'âge de 99 ans. N'omettons pas de citer la famille Borsali ou celle de Borsla de Tlemcen, originaires de Bursa. Le poète français Claude Maurice Robert avait « anticipé » ce jumelage dans un beau poème dont voici un extrait : « Aussi longtemps, ô belle et douce, que tu seras Chiraz, avec Grenade et Brousse ; aussi longtemps, enfin que tu seras l'Eden, je t'aimerai... ».
Des voyages sont organisés régulièrement par le club de culture soufie de Tlemcen vers Konya où repose le célèbre soufi Djalal Eddine Ibn Rumi(1207-1273), fondateur des derviches tourneurs, avec le concours de Djoul Travel. A souligner que le président dudit club, le Dr Sari Ali Hikmet est l'auteur de l'ouvrage « Quatrains de Djallal Eddine El Rumi, poète de l'amour universel ». En octobre 2015, à l'initiative de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel(AARC), la troupe de derviches tourneurs de Konya(Turquie) menée par Deur Erdem avait donné un spectacle soufi au palais de la culture Cheïkh Abdelkrim Dali. En octobre 2009, une exposition des archives algéro-turques avait été organisée à la maison de la culture Abdelkader Alloula, un évènement rehaussé par la présence du chargé des Affaires culturelles à l'ambassade de la Turquie en Algérie et le Directeur général des Archives nationales Chikhi Abdelmadjid.Le grand Bassin avait abrité en mai 2011, le coup d'envoi de la semaine culturelle turque ,dans le cadre de la manifestation « Tlemcen, capitale de la culture islamique », à travers la parade de la fanfare militaire Mehter, en présence de l'ambassadeur de Turquie en Algérie Ahmet Necati Bigali.En février 2016, l'ambassadeur de Turquie à Alger, Mehmet Poroy, a effectué une visite de travail à Tlemcen, en l'occurrence à la chambre de commerce la Tafna. La relance du protocole de jumelage entre les villes de Tlemcen et de Bursa, signé en 2012, avait été évoquée à cette occasion. Sur un autre registre, c'est l'entreprise turque Dek In San, qui s'est vu confier l'étude et la réalisation des 2600 logements AADL de Tlemcen. Dek In San qui a son siège à Ankara est certifiée ISO 9001 depuis 2008. Elle est détentrice de plusieurs chantiers en Algérie et figure dans la “short list” du ministère de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville. Le centre des études andalouses d'Imama(annexe du CNRPAH) a abrité les 13 décembre 2016 , 21 février 2017 et 24 novembre 2017, trois conférences sur le thème de l'empire Ottoman, intitulées « Les Algériennes à l'époque ottomane »(par le Pr Leila Kheirani),« Le statut de l'Algérie au sein de l'Empire Ottoman » (par le Pr İlber Ortaylı) et « L'importance des archives ottomanes pour l'écriture de l'Histoire de l'Algérie »(par le Pr Chakib Benhafri).
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Posté Le : 22/08/2020
Posté par : tlemcen2011
Ecrit par : Par Allal Bekkaï