Avec les aléas du temps, Docteur Nekkache, 90 ans au mois d?avril prochain, n?est plus que l?ombre de lui-même. Sous cette bonhomie de vieux lutteur au sens propre et figuré, se cache tout un pan de notre histoire quelque peu tumultueuse et des fois oublieuse. Dix années après avoir perdu son épouse, le Docteur, ou Hakim comme aiment l?appeler ses plus proches amis, n?est plus le même. Aléas de l?âge, il ne se souvient presque de rien. A Oran, dans la chambre où on l?a rencontré, chez le bienfaiteur qui l?héberge et qui le couve comme un membre de sa propre famille, il était là, presque prostré devant le poste de télévision, un café-crème devant lui, donnant l?air de voir, mais sans vraiment regarder. Il nous dira qu?il ne se souvient plus de rien, nous invitant par-là même d?aller voir ceux qui le connaissent mieux qu?il ne se reconnaît lui-même et, dans la foulée, il nous cite le nom du Docteur Bensmaïn qu?il qualifiera de grand nationaliste, oubliant que cet autre éminent Docteur est déjà décédé. Il s?en est suivi un long silence et l?homme, physiquement encore robuste, absent, est tombé dans un grand silence.Docteur Mohamed Seghir Nekkache est né le 26 avril 1918 à Ouled El-Mimoun, d?une fratrie composée de 5 enfants. Enfance aisée et studieuse du jeune Mohamed qui poursuivra, avec brio, des études qui le mèneront jusqu?à Tlemcen, qui fut un foyer du mouvement national de l?entre-deux-guerres. En parallèle à ses études, il s?imprégnera, durant cette époque, de l?enseignement réformiste chez un certain Cheikh El-Hadi de l?Association des Ouléma et de lectures acharnées de manuscrits relatifs à tous ceux qui touchaient à l?éveil arabe et musulman, avec notamment Mohamed Abdou et Djamel Eddine El-Afghani. Bachelier en 1938, le jeune Nekkache, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, est à Toulouse, en France, où il va poursuivre des études en médecine sans pour autant se distancer avec le mouvement national déjà en ébullition durant ces années là. Du témoignage de plusieurs de ses amis, il fut même membre d?une cellule française de résistance armée durant l?occupation allemande de la France.1948, soutenance de la thèse de Doctorat et retour en Algérie. A Oran, exactement, où il établira son premier cabinet à M?dina Jdida et ses milliers d?habitants vivant dans la maladie et la précarité. Humaniste jusqu?au bout des ongles, il soignera les plus pauvres avec amour et dévouement, le plus souvent gratuitement, et c?était parfois lui qui achetait les médicaments de sa poche. Les témoignages sont éloquents quant à cet altruisme qui fit de lui un homme probe, respectable parmi le petit peuple. Il aidera de son argent les Medersa, notamment la célèbre Madrassat El Fallah dont il fut l?un des membres les plus actifs, ainsi que plusieurs associations sportives. Il consacrait beaucoup de son temps aussi pour aider les élèves qui allaient passer leurs examens. Les anciens d?El-Hamri se souviendront longtemps de cet homme sévère et droit qui ne badinait pas avec la rectitude et la morale.Le déclenchement de la Révolution ne le laissera pas insensible au cri du peuple, lui qui pouvait facilement se fondre dans l?aisance et la tranquillité du bon médecin de quartier bourgeois. Comme nombre de ses confrères, il ira rejoindre la base de l?Est où on lui confiera la tâche d?organiser le système de santé à l?intérieur des wilayas en combat. Après l?indépendance, il est ministre de la Santé jusqu?au coup d?Etat de 1965 et sa mise aux arrêts en compagnie de nombreux autres camarades de combat, notamment Ben Bella qu?il a intimement connu durant leurs vies de jeunes lycéens à Tlemcen. Elargi à la fin des années soixante, il est mis sous résidence surveillée à Touggourt, avant de regagner Oran, en 1972, avec interdiction de séjour dans plusieurs wilaya du pays. Nekkache redevient le simple médecin qu?il fut toujours, vivant paisiblement avec son épouse, une suédoise convertie à l?Islam, avec laquelle il eut deux enfants.En 1981, en compagnie de son vieux compagnon de route, Ahmed Ben Bella, il ira, sur invitation des autorités saoudiennes, accomplir le pèlerinage aux Lieux Saints de l?Islam. Rattrapé par les vicissitudes de la vie, il est arrêté en 1983 et jeté en prison pendant 9 mois. Sa proximité avec Ben Bella, alors leader du MDA, lui valut cette arrestation tout comme ce fut le cas avec Ali Yahia Abdenour et bien d?autres militants des autres mouvements qu?a connus l?Algérie en ce début des années 80 et qui activaient dans la clandestinité. En 1997, après avoir été réhabilité et touchant pour la première fois une retraite de vieux combattant, sa femme meurt et le Docteur Nekkache, alors âgé de près de 80 ans, fatigué, s?arrête d?exercer le métier qu?il a toujours aimé. Depuis cette date, réhabilité, il vit chez ce particulier cité ci-haut, entouré de toute l?affection de ses nombreux amis. De temps en temps, il reçoit la visite de hautes personnalités qui, malgré l?adversité d?un jour, n?ont pas oublié l?homme et son engagement indéfectible à la cause de son pays et des plus faibles. L?on peut citer Hadj Ben Alla, un compagnon de cellule, Chadli Benjedid et bien d?autres personnalités du sérail politique. Même le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, lui a offert, il y a quelque temps de cela, un véhicule de marque Peugeot 407 que conduisent pour lui ses amis. Contrairement à ce que nombreux croient, l?actuelle clinique Nekkache n?est pas la sienne, mais celle d?un neveu. Honneur intact, le Docteur Nekkache a toujours exercé, dans son cabinet du Boulevard Front de Mer, en humaniste désintéressé de l?argent et des lauriers factices qui se fanent toujours au premier coup de vent.
Posté Le : 05/02/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : T Lakhal
Source : www.lequotidien-oran.com