Tlemcen

Mehdi Ghezzar, victime expiatoire d'un racisme refoulé



Monsieur Ghezzar, chroniqueur à la chaine RMC (Monte- Carlo ) a été révoqué pour avoir dit certaines vérités sur le rôle joué par André Azoulay, conseiller du roi Mohammed VI, après avoir été conseiller de son père Hassan 2, sur les relations de connivence, tous azimuts, entre la monarchie alaouite et l'Etat d'Israël. Notre chroniqueur a été l'objet de sérieuses réprimandes de la part du Makhzen, ce qui a conduit, sans plus tarder, à l'exclusion du journaliste.

Je voudrais signaler que cet incident en appelle à de nombreuses confusions, volontaires ou non, de la part des médias, voire du pouvoir français. Aussi est-il utile, par les temps qui courent, de rappeler certaines vérités historiques. Le Makhzen ne cesse de faire croire que les relations cordiales entre peuples marocain et juif existent depuis une éternité et que le Maroc a toujours été le garant d'une amitié indéfectible avec les juifs d'origine marocaine, selon une tradition qui n'a jamais été démentie, contrairement aux pays voisins (sous-entendant l'Algérie ).

Cette affirmation vient d'une interview (que j'avais suivie) accordée, il y a une dizaine d'années, par André Azoulay à une journaliste d'une chaîne française, à l'occasion de sa visite du musée d'Es Saouira (ex-Mogador ). Une telle déclaration, prise pour argent comptant par les médias français, voire occidentaux d'une manière générale, n'est contredite que par une faible minorité, notamment les universitaires qui ont travaillé sur l'histoire moderne et contemporaine de l'Afrique du Nord, sinon les gens de ma génération qui ont traversé les 80 printemps, et qui n'ont pas perdu le souvenir de la nature de nos rapports avec les communautés juives de notre pays. Nous n'évoquerons pas l'histoire qui remonte à une judaïsation partielle de certaines communautés locales à une période antérieure à la domination romaine. Inutile de préciser les localités concernées, au sein desquelles cette judaïsation a disparu au profit de l'islamisation qui recouvre l'ensemble du Maghreb, même si certains syncrétismes demeurent, ici et là, au niveau des rituels, aujourd'hui en voie de disparition.

En revanche le gros de la présence juive en Afrique du Nord est lié à l'inquisition espagnole de la fin du 15ème siècle-début 16ème, qui a poussé les Marannes (juifs) et les Morisques (musulmans) à s'exiler, chez nous, pour ne pas subir les exactions commises par un Ximenes ou un Torquemada ( juif converti , se consacrant à servir Isabelle la Catholique pour convertir de force au catholicisme ceux qui n'étaient pas nés dans cette religion ). Il faut lire à ce propos le magnifique ouvrage de Rodrigo de Zayas : «Les Morisques et le racisme d'Etat (Ed. La Différence, 1992). La communauté juive refoulée sur nos territoires a gardé le souvenir d'une convivialité et d'un vivre-ensemble exemplaires, notamment dans des vieilles cités comme Nedroma, Tlemcen, Constantine, sans oublier certaines bourgades du sud du pays. Dans nos médinas, cette communauté partageait les traditions vestimentaires, culinaires, artisanales, et surtout musicales. Le tombeau du Rab Ephraim En-Kaoua, venu d'Espagne avant l'Inquisition, repose dans le cimetière israélite de Tlemcen. Jusqu'au début des années 50, les musulmanes qui n'avaient pas les moyens de payer un médecin conduisaient leur enfant malade de la coqueluche auprès de la tombe de ce santon et enfouissaient sur le terre-plein contigu un canif rouillé, comme le voulait la tradition. Inutile d'en rajouter sur les visites similaires å Santa-Cruz, aux abords d'Oran, où les femmes de marins musulmanes et juives se croisaient pour allumer un cierge et rendre ainsi propice l'état de la mer, etc. Tout cela est fort connu sur tout le front côtier méditerranéen. Au-delà de cet aspect, disons folklorique, certaines solidarités se sont nouées entre musulmans et juifs, dans la mouvance du mouvement national et ce, depuis les années 30. Rappelons à cet effet quelques noms rendus célèbres dans le contexte de la Guerre de Libération algérienne : sans prétendre être exhaustif, citons pour l'exemple l'ancien directeur d''Alger Républicain', Henri Alleg.

D'obédience communiste et militant pour l'indépendance du pays, il fut arrêté, torturé et emprisonné a Serkadji (cf. La question'), André Castel, détenu à la prison d'El-Harrach et condamné à perpétuité, dénommé Mourad après s'être converti à l'Islam, après l'indépendance. Il fut fonctionnaire à la Direction Générale du Plan sous la responsabilité de Abdel-Malek Temmam, qu'il connaissait pour avoir partagé avec lui, 6 ans de prison jusqu'à l'indépendance. (j'ai eu l'honneur de connaître feux Temmam et Castel, lors de mon recrutement au Plan en juin 1963). Citons Fernand Yveton, condamné à mort en tant que fidaï et exécuté suite au refus de sa demande en grâce auprès du très socialiste François Mitterand, alors ministre de la Justice. Évoquons Jacqueline Guerroudj condamnée à 30 ans de prison, ainsi que sa fille Danielle Minne (née en 1939 d'un premier mariage) arrêtée au maquis et ayant purgé sa peine à la prison de Pau. Je n'oublierai pas Daniel Charbit, ayant rejoint le maquis en 1956... La liste est loin d'être close, s'agissant des seuls militants d'extraction juive. Nous n'avons jamais oublié ces valeureux militants et compatriotes de surcroît, ni les historiens comme Pierre-Vidal Naquet, ou des gens du barreau comme Gisèle Halimi, qui ont, non seulement, contribué à restituer la réalité historique du moment, mais remplir leur devoir de militants pour faire triompher le droit.

Cependant, la question qui nous heurte à la judéité n'est pas religieuse mais simplement politique. L'antisémitisme, qui est une invention de l'Occident chrétien, depuis deux mille ans, pour le supposé déicide subi par le Christ, n'est toujours pas clos, en dépit de la mauvaise conscience occidentale, face au génocide de la Deuxième Guerre mondiale. Cette mauvaise conscience devient, d'une certaine manière, racialiste ou fondamentaliste par défaut. Si l'on emprunte à Freud sa démarche, la judéité est le ‘Ça catholique'. S'agissant du peuple de Palestine, qu'il soit d'extraction musulmane ou chrétienne (même si beaucoup parmi ces derniers ont quitté les lieux et sont réduits à une peau de chagrin en Cisjordanie), son rapport a Israël n'est ni d'ordre racial ni d'ordre religieux, mais d'ordre strictement politique. Cette rupture remonte à 1948, donc relativement très récente. Est-ce opportun de rappeler Marcel Khelifa, chanteur patriote palestinien, installé au Liban ? Est-il opportun de rappeler l'existence d'un homme mondialement connu comme, Edward Said ? Ou encore Naim Khader, ancien représentant de l'OLP, en Belgique assassiné par le Mossad, à Bruxelles en 1980 ? Naïm était de confession chrétienne, comme tant d'autres ayant fini par s'exiler en Amérique Latine (notamment le Chili).

Pour revenir à l'amalgame nourri par la diplomatie marocaine, il va sans dire qu'elle fait partie du brouillage de piste, aujourd'hui manifeste quand on voit de près à quoi ressemble cette coalition, en catimini, venant de certains médias qui entendent défendre les frontières autour Tinzouaten , dans l'axe frontalier algéro-malien , tout proche, par ailleurs , des confins algéro- libyens qui mobilisent le maréchal et ses affidés émiratis...

S'agit-il d'un encerclement en pointillés où notre Sahara est en cause ? Et si c'est le cas, d'où vient l'intrigue subtile ? Je laisse le soin au cher lecteur de le deviner.



*Professeur émérite, UPJV Amiens




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