La croissance urbaine en Algérie s'organise, presque systématiquement, à partir de deux modes d'occupation de l'espace : l'un planifié, l'autre illicite. A Tlemcen, ville située au nord-ouest algérien d'environ 200 000 habitants en 1993, deux villes coexistent dans le développement urbain contemporain. L'une, officielle, est déterminée par les prescriptions des documents d'urbanisme; l'autre, illicite, procède de la nécessité éprouvée par ses bâtisseurs de se loger. Cette dualité révèle l'existence de deux urbanismes mais aussi de deux modes de vie préconisés. Le premier prétend inciter à la modernisation; l'autre, mettant en oeuvre les savoir-faire constructifs traditionnels, matérialise les modes de vie autochtones.
Dans les deux cas, la référence aux grandes villes florissantes du moyen âge, symboles d'une civilisation urbaine ancienne au Maghreb, permet d'entretenir l'illusion d'un âge d'or où les cités étaient "socialement unies" à travers un code moral respectueux de l'éthique islamique.
Avec le volontarisme affiché par l'État algérien en matière de développement économique (années 70), la ville est devenue le point d'appui de la politique de modernisation du pays. Elle a été valorisée comme lieu de production et comme creuset de la reconstruction de la société algérienne après la période coloniale.
Ainsi, la ville industrielle doit permettre l'intégration progressive dans une civilisation moderne par la diffusion de techniques nouvelles, de produits, de modes de vie...
"[...] Mais la ville est aussi consentement : si l'on remonte aux "motivations", l'attraction de la ville reproduit les mêmes mobiles psychologiques, au XVIIIe siècle comme dans les pays du Tiers monde, à l'heure actuelle. Il ne s'agit pas d'identifier des sociétés mais des attitudes; la ville est un élément positif, attractif, même si le mouvement démographique vient essentiellement d'un surpeuplement ou d'une crise sociale des campagnes."1
Le logement, affaire des citoyensL'hypertrophie urbaine des villes du Tiers monde a fait remettre en cause l'exode rural vécu comme une ruée déstructurante pour les villes vivant jusque là dans une harmonie avec la campagne environnante. Or, les migrations des campagnes vers les villes ne sont pas les seuls facteurs de la "ruralisation" ou de la "bidonvilisation" craintes par les citadins et les gestionnaires des villes. Face à la démographie galopante (le taux global de croissance est de 3,2 % par an) et aux carences de la production des logements par l'Etat, les gouvernements successifs ont eu recours, comme dans beaucoup de pays, à l'initiative familiale pour la construction de logements. La crise de l'habitat en Algérie n'est plus à démontrer; le ministère de l'Habitat estimait en février 1994 qu'il manquait 1,2 millions de logements - auxquels s'ajoutent les retards en matière d'équipements et d'infrastructures - et que 21 millions d'Algériens vivaient en sur-occupation dans les logements2.
Dès les années 1970, en opposition avec la centralisation de l'industrialisation et sa prise en charge par l'Etat, la production de l'habitat, restée en retrait par rapport aux autres secteurs de la production, est présentée comme l'affaire des citoyens.
"Par ses dimensions comme par son objet, l'habitat national est l'affaire de tous les Algériens. L'État ne doit (ni ne pourrait d'ailleurs) assumer seul la charge de l'ensemble des actions nécessaires en ce domaine. [...] Il importe maintenant d'associer tous les citoyens, tous les travailleurs, tous les chefs de famille, individuellement, ou groupés au sein d'une coopérative [...] La stratégie des actions de l'habitat reposera donc toute entière sur ce principe, lequel implique : que l'on favorise le plus possible et à tous égards (notamment par des facilités financières), l'accession à la propriété individuelle du logement familial, ce qui sera sans doute moteur de la participation active des individus à l'effort collectif."3
L'intention est de s'appuyer sur les capacités des habitants de produire leur logement. Cette politique du "laisser-faire" sur les terrains communaux, agricoles, ou à l'intérieur des périmètres d'urbanisation soumis au plan d'urbanisme, a donné lieu à une prolifération de l'habitat illicite, déjà commencée sur les terrains les plus accidentés, par les populations exclues du circuit bureaucratique d'acquisition de terrains à bâtir. Les exemples concernent des zones périphériques qui sont aujourd'hui devenues des villes à part entière : Annaba, Oran et Tlemcen sont à ce titre exemplaires. Une partie non négligeable de l'accession à la propriété des familles échappe à la réglementation du permis de construire.
Le processus d'urbanisationL'analyse de la morphologie urbaine des quartiers de Tlemcen présente les traces de trois grandes étapes : la médina, la ville coloniale et la ville contemporaine.
La médina constitue un ensemble d'habitations homogènes. L'habitat y est fortement intégré et se distingue des autres quartiers. Le quartier (hawma) est le noyau originel, composé d'un nombre limité de maisons auxquelles on accède par des ruelles (zenqa). Autrefois, chaque maison abritait une famille. La location était possible : la recherche du maintien du bon voisinage primait et le contrat était oral (moral aussi). Le nouvel arrivant, intégré par l'intermédiaire des voisins, trouvait là une base de sociabilité permettant aux hommes et surtout aux femmes de passer de l'espace familial à l'espace du quartier.
Investie par les Français en 1842, la ville ne comptait que 13 000 habitants et elle se développait lentement. De nombreuses casernes y ont été implantées. L'occupation française de Tlemcen est le début d'une rupture de l'homogénéité spatiale et sociale. Le pouvoir militaire s'installe dans la ville intra-muros, occupant les bâtiments publics comme le vieux palais et le méchouar, mais aussi les riches demeures privées4.
Le plan de la nouvelle ville, inspiré de l'architecture militaire avec des axes perpendiculaires, est mis en oeuvre par la destruction préalable d'îlots entiers de la médina. Dans cette transformation brutale de la morphologie urbaine, disparaissent des témoins d'une architecture authentique mais aussi d'une organisation sociale spécifique. De grandes rues sont percées et l'administration coloniale marque le centre-ville en construisant la mairie à l'emplacement même de la médersa Tachfînia, haut-lieu culturel, face à la grande mosquée. Le marché couvert s'élève sur les lieux hier dévolus au marché de la laine (sûq-el-ghzel), le marché aux grains se transforme en "place Bugeaud". Des bâtiments d'habitation de style européen sont construits avec leurs toits en pente et leurs grandes fenêtres.
Les îlots de la médina épargnés par les destructions (situés au nord-est et au sud-est) regroupent les populations autochtones et reçoivent d'autres familles chassées des maisons détruites. De manière générale, les "quartiers nègres" restent souvent confinés dans les restes des médinas originelles. Deux modes de vie se côtoient désormais sans jamais se mélanger : celui des musulmans et celui des non-musulmans.
Les premiers quartiers extra-muros, occupés par les nouveaux colons, se développent (habitat individuel). Gourbis5 et baraques apparaissent sur les pentes au nord de la ville, à Boudghène.
La fin des années cinquante est décisive pour la structure urbaine de la ville. Les bidonvilles se densifient et accueillent, avec la médina, les populations venues des campagnes. Les autorités françaises élaborent un nouveau plan d'urbanisme, le plan Mauget, dans le cadre du plan de Constantine6, tentative tardive d'intégration de la population indigène. De grands ensembles d'habitat collectif ainsi que des zones de pavillons sont mis en chantier. Les cités de Sidi Halloui Jdid au nord, de Sidi Lahcène à l'ouest, Pasteur et les Cerisiers à l'est, voient le jour.
L'éclatement de la villeUn vaste mouvement de migration intra-urbaine intervient après l'indépendance. La médina se vide de la plupart de ses habitants, notamment la bourgeoisie commerçante et industrielle qui investit, avec les professions libérales, les quartiers résidentiels coloniaux comme Pasteur, Bel Air, El Kalâa.
Les ruraux, installés aux abords de la ville, et les exilés de retour occupent les maisons de la médina, louées à la pièce, les immeubles "vacants" du centre-ville et les grands ensembles à peine achevés.
L'extension récente, essentiellement à l'est et au sud-est, a poursuivi le processus de désarticulation urbaine. A l'heure actuelle, les maisons de la médina, très dégradées, sont occupées par les classes les moins solvables et ayant peu de "relations" dans les circuits administratifs pour accéder à un logement.
Le quartier résidentiel de Birouana prolonge Boudghène et El Kalâa sur les contreforts sud-est de la ville. Ce lotissement regroupe les classes aisées (commerçants, industriels, professions libérales, quelques hauts fonctionnaires). Les villas y sont cossues, en général conçues par des architectes. Des références traditionnelles dans l'usage des matériaux (tuiles vertes vernissées, faïence, grilles en fer forgé...) ou dans les formes et les espaces (arcades, entrée en chicane, nombre de pièces...) côtoient des éléments architecturaux et décoratifs occidentaux comme de grandes baies vitrées.
La zone d'habitat urbain nouvelle (ZHUN)7 de Kiffane constitue la première grande extension urbaine planifiée de Tlemcen. Comportant des ensembles collectifs et de l'habitat individuel, elle préfigure les opérations programmées qui formeront à terme une couronne complète d'est en ouest : Champ de Tir, Koudia, Bains Romains et Chetouane8. Ces nouveaux logements sont essentiellement loués aux fonctionnaires et aux cadres des entreprises nationales par le jeu des quotas d'attribution. Les classes les plus aisées continuent d'investir dans la construction de villas à proximité de la ville, la pierre restant une valeur sûre du fait de l'inflation et de la faible imposition foncière9.
Les extensions spatiales se traduisent donc par des formes urbaines différenciées qui témoignent de l'hétérogénéité des classes sociales et de leur répartition géographique.
Boudghène, un quartier irrégulierA Tlemcen, Boudghène illustre la production de logements non planifiée, échappant aux statistiques comme à la légalité. La construction illicite n'est pas l'apanage des populations démunies. Le secteur public est aussi concerné : nombre de bâtiments publics sont construits sur des terres agricoles considérées par la réglementation comme strictement interdites à la construction. Les exemples sont nombreux - la zone industrielle de Chétouane, celle de Abou Tachfine, ou encore la ZHUN de Kiffane installée sur les terres d'un domaine agricole autogéré. Les cas de villas luxueuses sans permis de construire sont également nombreux.
L'habitat illicite est en Algérie, comme dans d'autres pays, à l'origine de la constitution de véritables quartiers. Ce type de construction de maison a longtemps alimenté les débats et a provoqué le limogeage de plusieurs hauts fonctionnaires. En effet, fallait-il détruire ou non cette auto-production en marge des règles d'urbanisme? Face à l'ampleur du problème de relogement, les responsables ont très rapidement laissé faire l'ambiguïté. Les circulaires, décrets et autres instructions encadrant la construction se font de plus en plus nombreuses dès 1972, pas moins de dix ont été promulguées en dix années10. Selon le ministère de l'Urbanisme de la Construction et de l'Habitat, il y aurait, en 1986, environ 500 000 logements illicites en Algérie. Cette même année, face à l'ampleur de la situation, l'État a décidé de procéder à la régularisation en attribuant un acte de propriété aux propriétaires illicites. A Tlemcen, 10 000 habitations sont concernées11. Une construction est déclarée illicite dans deux cas : soit elle est érigée sur un terrain public, sans permis de lotir, intégré dans la réserve foncière communale; soit elle se trouve sur un terrain privé sans permis de construire.
Quand il s'agit de transactions privées, les terrains sont vendus à Boudghène selon la coutume de la "parole donnée" formalisée sur une feuille de papier vierge sur lequel est collé un timbre fiscal de dix dinars. Le propriétaire atteste avoir vendu une parcelle à Monsieur X devant deux témoins qui apposent leurs signatures en bas du document. Les terrains communaux sont tout simplement "squattés". Boudghène, impropre à l'agriculture et peu propice aux opérations de construction licites du fait des fortes pentes, offre des opportunités à saisir12 pour les populations qui n'accèdent pas au réseau de relations nécessaires, au "piston" minimum pour obtenir un logement ou un bout de terrain.
Le peuplement de BoudghèneLa population de Boudghène a quadruplé entre 1966 et 1993, elle est composée essentiellement de jeunes, 70 % des habitants ont moins de 25 ans. Alimentée par l'exode rural jusqu'en 1966,1'augmentation de la population se fait depuis par la croissance naturelle et par les migrations intra-urbaines.
ÉVOLUTION DE LA POPULATION
Années 1950 1954 1962 1966 1977 1993
Boudghène 2000 3000 6450 7788 12632 35000
Sources : Services statistiques de la mairie de Tlemcen,1993.
Il semble que le peuplement de Boudghène ait connu trois grandes filières.
La première qui a une relation étroite avec les transformations de l'espace agro-pastoral semble très organisée. Elle concerne les nomades et semi-nomades de Ain-Sefra, de Mecheria, d'Al-Bayadh, grands voyageurs, habitués aux routes du Nord qu'ils ont longtemps sillonnées et contrôlées, qui avaient (pour les plus riches) investi dans quelques propriétés de la médina où ils venaient vendre une partie de leur cheptel13, de la laine et leur tissage. Ces propriétés servirent de tête de pont à l'immigration. Dans cette aventure, les moins fortunés finirent par s'installer aux portes de la ville, au seul endroit disponible : les pentes de Boudghène.
La deuxième filière concernait les tribus des contrées les plus proches de Tlemcen. Les Beni Ouernid qui occupaient le plateau au sud de Tlemcen, les Ouled N'har venant des portes du désert et les Beni'Ad venant de l'ouest ont fourni une population assez nombreuse après la perte de leurs terres. Elles fuyaient les zones frontalières occupées par les militaires français. Ces populations cantonnées, de plus en plus misérables, échouèrent dans la première grande ville du Nord, cherchant emploi et sécurité.
Enfin, la troisième filière concerne les populations installées le long de l'oued Figuig (sud de Béchar), qui nomadisaient sur les futurs sites d'exploitations minières coloniales (mines de fer et ensuite de phosphate) à Kénadza et plus tard à El-Abed.
A la fermeture des mines, certains sont retournés dans leur région d'origine, mais il semble cependant que la majorité ait choisi de s'installer définitivement dans les villes du Nord. Cette population aurait alors émigré en partie vers la ville de Maghnia (frontière marocaine et proche d'El-Abed) et vers Tlemcen où elle constitue une colonie importante sur les pentes de Boudghène. La guerre de libération et l'industrialisation engagée après l'indépendance n'ont pas atténué ces mouvements migratoires.
Les compétences14 constructives des habitants
Aujourd'hui, Boudghène (autrefois lieu des marabouts Ouled Sidi Messahel et El Ouali Mustapha) présente une très grande homogénéité typologique et morphologique. Construites "en dur", les habitations témoignent de la mise en oeuvre de techniques relativement élaborées. Elles sont réalisées en maçonnerie pour les plus anciennes, en béton armé, avec un système poteau/poutre et plancher semi-industriel (poutrelles et hourdis) pour les plus récentes ou pour les extensions/rénovations. Les différences de parcellaire résultent des différents modes d'appropriation du sol. L'occupation du terrain se réalise selon un remplissage progressif par addition de pièces et d'étages, selon l'augmentation du nombre d'occupants, les partages (héritages) ou les cessions de parts.
L'utilisation du sol, les réseaux de rues et de ruelles, les impasses et la distribution des parcelles comptent nombre de régularités qui pourraient suggérer l'existence de règles ou de principes relativement stables comme dans beaucoup de quartiers spontanés.
L'exemple d'une famille
L'histoire du quartier de Boudghène se confond avec celle des exclus, de tous ceux qui n'auront pour se loger qu'à compter sur leur propre imagination constructive. Ce parcours et l'évolution du quartier seront saisis à travers l'histoire d'une famille et de sa maison, depuis sa première pierre jusqu'à son état actuel.
L'histoire de la maison a été reconstituée à partir d'entretiens avec l'actuelle propriétaire des lieux, Rachida, née en 1933 et sa fille, universitaire, qui a participé à une étude sur le quartier15. Les deux récits ont permis de reconstituer la monographie d'une famille à laquelle s'ajoute un travail de relevés de l'évolution de la maison16.
En 1930, la famille de Rachida quitte la petite ville de Kénadza du Sud-Ouest algérien (wilaya de Béchar) pour le Nord. Tlemcen est la première grande ville sur le chemin, la famille y loue une pièce au lieu-dit Djenane El-Arafil7. La petite famille, couple et enfants, s'installe. L'homme est employé comme maçon et sa femme travaille la laine. Une période d'épargne permet la constitution d'un pécule investi dans un premier temps en bijoux et dont la revente, quelques années plus tard, servira à l'achat d'une maison.
Habituée aux espaces oasiens, la mère accepte difficilement sa nouvelle vie dans cet espace exigu; il faut une parcelle suffisamment grande pour augmenter sa production de toile pour burnous, voile ou djellabas, et pour élever ses poules et ses lapins. Elle convainc son mari de la nécessité d'acheter une parcelle. Cependant, les coûts des terrains ne laissent guère de choix; seules sont disponibles, à des prix abordables, les pentes de Boudghène. L'endroit est mal famé, occupé par les Béni Ghezli, dont la réputation est mauvaise, "des étrangers, sans foi ni loi". La famille est prévenue : "Tu cours vers un véritable nid d'abeilles".
La mère de Rachida reste déterminée. Pour obtenir un terrain aux dimensions convenables, elle préfère la présence de voisins "étrangers", venant d'une contrée inconnue d'elle, des voisins de mauvaise réputation, à cette pièce exiguë où les premières années de l'exil l'avaient conduite.
"Boudghène n'était que boue et cailloux... les Béni Ghezli, toute la famille habitait par là... que des soeurs... elles se sont alignées... ensuite, il y a leur cousine... elle a eu une grande maison..."
Les pentes de Lalla Setti, rocailleuses, à peine accessibles, sont alors semées de petites constructions, regroupées selon les tribus. La famille emménage dans une maison d'une pièce entourée d'une zrîba18 au milieu de cet environnement peu accueillant :
"A partir d'ici tu marches dans les cailloux et les dépotoirs et tu trouves la maison Ben Draâ... et puis la maison des El-Ghazi... ainsi de suite... tu marchais longtemps entre une maison et une autre... plus haut, il y avait des Tagmawa19... et le reste, que des cailloux... de la boue... des chardons et des ordures avant d'atteindre Lalla Setti..."
Ce hawsh20 fait le bonheur de la mère de Rachida. Entouré de sa zrîba qui interdit tout regard trop indiscret sur la cour et délimite son territoire, la porte placée sur le côté donne directement accès sur le poulailler, les clapiers et le potager. La vie oasienne peut être presque reproduite dans son économie de recyclage et d'autosuffisance. La cour, côté poulailler et clapiers (P), accueille tous les déchets et les excréments. Plusieurs trous, creusés derrière le poulailler, entourés d'une haie de broussailles ou de figuiers de barbarie formant un demi-cercle servent de toilettes (W). Après chaque usage, les déjections sont recouvertes de terre. Régulièrement, les hommes opèrent un curetage des fosses, le produit ainsi obtenu servant de fumure pour le potager.
Ce système rappelle les dispositifs sanitaires des ksours, notamment ceux de Kénadza d'où est originaire la famille de Rachida. Les W. C., à l'étage, sont construits en encorbellement de manière à ce que l'évacuation donne directement sur cet enclos. Les excréments sont, selon les cas, dispersés par la volaille ou recouverts de sable. Le curetage du poulailler, transporté à dos d'âne, sert d'engrais pour les jardins dans les palmeraies2l.
La parcelle n'est pas très grande, mais la chance sourit à la famille. L'administration coloniale dépêche sur place un géomètre. En 1935, le géomètre accueilli par la famille va délimiter définitivement la parcelle, en guise de remerciement de l'hospitalité reçue :
"Le géomètre a dressé tout le plan de Boudghène, il a tout relevé les maisons, les routes... le garde champêtre a emmené le géomètre chez ma mère... elle les a reçus, leur a préparé le thé, le casse-croûte... le géomètre a donné les plans à ma mère pour les cacher... quand il venait travailler, elle lui sortait les documents... quand il a fini son travail, il a dit à ma mère : "Fatma, ce terrain est à vous... je l'ai mis sur le plan... Boudghène va devenir un terrain très cher... mettez autour des piquets et prenez-le"..."
A l'origine, d'après plusieurs témoins, le terrain était communal. Profitant de l'indifférence de l'administration coloniale, trop occupée à régler des problèmes bien plus urgents dans les années quarante, des familles s'y installèrent sans que nul n'y attache une importance particulière. Selon d'autres sources, en particulier l'administration actuelle, Boudghène était le nom d'un quidam qui se serait emparé des terrains et se serait érigé en propriétaire foncier. Monsieur Boudghène se serait ensuite fait maître d'oeuvre du lotissement et agent immobilier. Maître incontesté des lieux, il y aurait régné en autorité bienveillante et quelque peu intéressée; le quartier porte désormais son nom. Ce personnage n'est pas sans rappeler la figure du passeur de Nanterre que M. Marié22 décrit comme ambassadeur des immigrés en terre d'accueil, celui qui tisse ce fil par lequel le nouvel arrivé se retrouve dans le labyrinthe du nouveau monde. Il aurait ainsi vendu les terrains aux candidats à l'immigration et à d'autres spéculateurs.
Le terrain borné, le titre de propriété en main, le plan du géomètre l'attestant, la famille pense à l'avenir et aménage immédiatement l'autre pièce indispensable, celle des invités, en particulier les hommes.
L'étape étant longue - Kénadza et Béchar se trouvent à plus de 500 km, il faut prévoir un grand espace pour héberger la famille élargie. La mère de Rachida souhaite une pièce spacieuse et met son mari maçon à l'ouvrage :
"Elle a construit une grande pièce... elle l'a couverte avec des poutres et du bois, mais elle s'est effondrée trois fois..."
La pièce (B) sera donc plus petite et, à la quatrième tentative, tient sur ses quatre murs. L'extension de la maison se poursuit au gré de l'évolution du quartier, des moyens financiers dont dispose la famille et des relations avec le voisinage. L'arbitrage du droit et de l'administration n'existant que pour la ville basse, à Boudghène, la construction d'un mur fait l'objet de négociations avec les voisins :
"Les voisins lui ont reproché de leur barrer le chemin en mettant son potager... elle leur disait au début "vous pouvez passer", elle a attendu un peu et puis elle a construit une pièce..."
La zrîba n'est plus vraiment étanche, et les constructions se faisant toujours plus nombreuses, il faut prévoir de se protéger de manière définitive. La famille entreprend alors d'enclore la cour d'un mur de maçonnerie. Les enclos de figuiers de barbarie qui abritaient les premières maisons, leurs petites pièces, leur potager, les quelques animaux et le poulailler, disparaissent à mesure que les maisons s'urbanisent. Les murs se dressent et le quartier émerge.
"Elle a reconstruit de ce côté [pièces C et D]... elle a barré la route... elle a construit à la place du potager... elle a construit un mur de la cuisine là-bas, jusqu'à la porte d'entrée... il y a encore le mur que ma mère a construit... elle a entouré la cour... elle l'a bouclée..."
Nous sommes alors à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il y a dix ans à peine que la famille a décidé d'arrêter sa migration vers le Nord à Tlemcen.
Dans le quartier, la plupart des murs, construits en pierre ou en pisé, sont remplacés progressivement par des parpaings cimentés puis par du béton armé. Les toits des premières pièces faits de diss (sorte de jonc faiblement putrescible) font place à des tuiles soutenues par des charpentes simples. Les tuiles, plus fragiles et plus complexes dans leur mise en oeuvre, ont été remplacées plus tard par des tôles ondulées, directement clouées sur les madriers avant que ne se généralisent les dalles de béton et les toitures-terrasses étanches.
"Autrefois, ils ne construisaient pas avec une dalle... ils couvraient avec la tuile, ensuite, les enfants cassaient les tuiles, les gens se sont rabattus sur la tôle... après l'ère de la tuile et de la tôle... tout le monde construit maintenant avec des dalles..."
Cet habitat est très comparable à l'habitat populaire décrit par A. Raymond en Égypte, en Syrie et au Hidjaz23.
Un habitat collectif
L'habitat des pauvres dans les périphéries urbaines, en particulier l'assemblage de pièces indépendantes autour d'une cour, ressemble aux premières maisons de Boudghène, non seulement du strict point de vue de leur typologie, mais également du point de vue de leur occupation. Il est vrai qu'à Boudghène, et l'exemple de la famille de Rachida en atteste, certains hawsh étaient occupés par une seule famille. Ce n'était pas le cas général; il s'agissait de familles "aisées". Les hawsh étaient et sont toujours occupés par plusieurs familles regroupées là par leurs origines géographiques -les Tagmawa ou les Béni-Ghezli... Chaque famille occupe une pièce et partage avec les autres la cour qui communique directement avec le derb (ruelle).
Les pièces, biût, sont, dans tous les cas, de forme allongée, ouvertes uniquement sur la cour. La cuisine n'existe pas en tant que pièce indépendante; la préparation des repas est réalisée dans la cour. Les toilettes sont situées immédiatement à l'entrée du hawsh, loin des "espaces propres". Avec l'extension des volumes construits et la diminution des espaces réservés aux activités agricoles, les toilettes sont placées sous un abri. La filiation rurale des constructions de Boudghène semble incontestable. Les transformations successives empruntent cependant à l'architecture de la médina, notamment dans les modifications les plus tardives, quand apparaissent les étages sur cour, et à l'architecture des maisons urbaines récentes, dans le décor, les balustrades, les ouvertures des pièces sur l'extérieur, l'individuation des portes d'entrée, les balcons donnant sur la rue, etc. Les habitants marquent ainsi l'évolution de leur urbanité.
La densification
A la veille de la guerre de libération, se souviennent les premiers occupants - fait confirmé par les photographies aériennes -, le quartier se fait toujours plus urbain, très fortement structuré et dense au centre et à l'est des pentes de Lalla Setti. Il regroupe un ensemble de constructions très homogènes. La période de la guerre, entre 1954 et 1962, va accélérer la densification du quartier et lui donner ses lettres de noblesse, car la résistance y sera fortement implantée. Boudghène accueillera pendant cette période une grande partie des "déracinés" qui avaient choisi Tlemcen pour se réfugier24.
La population du quartier triple : environ 2 000 habitants en 1950, 6 450 en 196225. Les premières locations apparaissent.
Dans le cas de la famille de Rachida, ce sont les mariages qui ont entraîné les divisions du hawsh. Les filles (Rachida et sa soeur) quittent alors la maison paternelle. Le fils, comme le veut la tradition, se marie et habite dans la partie la plus spacieuse avec les parents. L'autre partie est mise en location.
Les loyers, même peu élevés, représentaient pendant la guerre une source de revenus substantiels pour les familles. La location est réservée aux "étrangers", car il n'est pas coutume de faire payer la famille, logée gratuitement et prise en charge quand les hommes étaient en prison, au maquis ou au chômage. Le taux de chômage atteignait à l'époque près de 20 % de la population active masculine et l'essentiel des emplois était à la journée. Cette situation a poussé également les femmes à travailler : elles s'emploient dans les fabriques de tapis, célèbres à Tlemcen, mais aussi comme cardeuses ou tisseuses de laine. Boudghène fournissait à l'époque le plus grand contingent d'ouvrières.
Après l'Indépendance, l'une des deux filles, Rachida, retourne chez ses parents avec ses enfants. Le père l'installe dans une pièce, à côté des locataires :
"Mon père m'a donné cette pièce [A], ensuite il y a eu le départ des locataires de l'autre pièce [C], il m'a dit de l'utiliser comme cuisine..."
Les locataires partent au fur et à mesure que la situation se stabilise et que sont utilisés les "biens" laissés vacants par la population européenne. Les maisons sont à nouveau occupées, comme autrefois, par les familles élargies. Dans le cas de la maison de Rachida, à l'exception de sa soeur mariée à Béchar, toute la famille est à nouveau réunie dans le hawsh.
Cette période de stabilité démographique du quartier est de courte durée car un nouvel exode commence avec l'arrivée de nouveaux migrants. Boudghène s'étend alors vers l'est sur les dernières parcelles encore libres ou très faiblement bâties. En 1977, on compte 12 632 habitants à Boudghène.
Le quartier se densifie encore dès lors que les liens familiaux traditionnels se relâchent. Ainsi, chez Rachida, les deux familles, celle du frère et la sienne, éprouvent de plus en plus le besoin d'être "chez elles". La mort des parents engage les procédures de partage qui seront longues et difficiles. Cependant, la soeur de Béchar accepte de céder sa part à égalité entre son frère et sa soeur restés sur place :
"La pièce d'entrée [D], c'est la part de ma soeur... moi, j'ai eu une pièce-cuisine [A et C], elle de même [D et F], et mon frère deux pièces [B et E]... alors ma soeur a vendu à son frère sa pièce [F]... mon frère, par méchanceté, voulait prendre la pièce qu'elle m'avait donnée [D] et la vendre aux Béni Ghezli, nos voisins... comme ça, ils auraient une pièce dans ma cour et ils barrent la route... alors ma soeur a refusé... elle m'a donné la pièce..."
Après le partage, le frère de Rachida a construit à l'étage une grande pièce de réception, des toilettes, une pièce pour son fils et a aménagé le rez-de-chaussée [G et H]. Cette opération réalisée, il a vendu sa part à une famille qui s'est empressée de louer le rez-de-chaussée. Cette pratique de cohabitation d'un propriétaire et de ses locataires à l'intérieur d'une même maison est très courante dans le Boudghène contemporain.
La modernisation
De son côté, Rachida ne reste pas inactive. Ses enfants grandissent et de son second mariage naissent trois fils qui doivent trouver de quoi se loger à ses côtés. Elle commence donc par faire installer une porte d'entrée qui, désormais, est bien individualisée et met la barrière indispensable entre elle et ses nouveaux voisins "étrangers". Ouvrier qualifié sur les chantiers de construction à Tlemcen, son mari réalise avec ses fils toutes les transformations, et cela malgré les protestations de sa femme qui aurait préféré l'intervention d'un m'alem (maître-maçon). Après la porte d'entrée, c'est la cuisine qui est modernisée. La pièce devient autonome - rupture significative avec l'habitation rurale -, raccordée au réseau d'alimentation en eau, munie de nouveaux appareils (évier, gazinière, chauffe-eau, paillasse). Mono-fonctionnelle, elle ne servira plus désormais qu'à la préparation des repas aux dépens de la cour. Cette dernière n'est pas tout à fait abandonnée. Rétrécie puis couverte lors de la réalisation des étages, elle devient moins pratique et ne sert plus que dans les grandes occasions, lors des fêtes, quand s'y réunissent pour la confection des pâtisseries toutes les femmes du hawsh.
Des toilettes, jusque-là communes, sont construites pour l'usage strict de la famille, juste à l'entrée, sous les escaliers [S] qui conduisent à ce qui n'est pour l'instant qu'une grande terrasse où les fers en attente laissent présager des aménagements à venir. La toiture, en effet, a été remplacée lors de l'aménagement de la cuisine par une dalle en béton armé. La terrasse, utilisée pour l'étendage du linge, sert aussi aux femmes qui s'y réunissent la journée et aux hommes, le soir. A Boudghène, la terrasse est un lieu de stockage de matériaux accumulés en vue des prochains travaux, des outils ou de pièces détachées diverses.
L'extension verticale de la maison coïncide avec le mariage de l'aîné des fils. La naissance d'une famille correspond à la construction d'une pièce à l'étage. Deux pièces sont réalisées sur une partie de la terrasse. Les espaces se divisent alors sur le plan vertical selon le sexe. Une des deux pièces, la plus grande, est affectée au nouveau couple, la seconde aux invités hommes, qui montent désormais directement par l'escalier situé à l'entrée. Celle-ci sert aussi de chambre aux deux fils célibataires.
Le rez-de-chaussée est désormais réservé aux femmes et aux parents. L'espace du bas, ainsi libéré, est à son tour transformé par l'adjonction d'une salle de bain à la place de l'ancienne cuisine transférée dans l'une des deux pièces [D], réservée auparavant aux fils.
Ces évolutions sont quasiment imposées par les jeunes qui y participent activement, en main-d'oeuvre pour les garçons, financièrement pour les filles. Ils négocient avec le père, peu favorable aux aménagements "modernes" (salle de bain, toilettes réservées à la famille).
L'agrandissement de la pièce du fond [A*], au rez-de-chaussée, dernier aménagement au moment du relevé, a été décidé par le père. La pièce retrouve sa forme allongée et son ouverture sur la cour, s'approchant de l'espace traditionnel. La fenêtre donnant sur le derb donne la mesure des évolutions de l'habitat à Boudghène.
La production de l'urbanité par les habitantsL'arrivée à Boudghène d'un étranger passe rarement inaperçue. Il est rapidement repéré, d'abord par les enfants, nombreux sur la place à l'orée du quartier et dans la rue, qui donneront en premier l'alerte, puis par les jeunes adossés aux murs par petits groupes ou assis sur les marches d'un seuil, qui chercheront tous à identifier le nouveau venu. Les terrasses des cafés, disposées pour la plupart à l'entrée du quartier, sont autant de points de surveillance des visiteurs et des femmes, car le sens de l'honneur demeure très développé.
Les hommes préfèrent la place de la mosquée, à l'est; moins "méfiants", ils peuvent contempler la ville et la plaine de Tlemcen à leurs pieds, ils parlent et accompagnent l'étranger de leurs yeux, mais interviennent très rarement pour l'orienter. Ce travail est laissé aux enfants qui s'empressent de demander, dès que l'étranger a l'air d'hésiter, de quelle famille il se fait l'hôte.
Car n'importe qui n'est pas "de Boudghène". Etre un des enfants du quartier, Ouled el hawma, est une appartenance à un territoire marginalisé, ignoré, sujet à de multiples projets d'éradication car accusé d'abriter tous les maux de la société (délinquance, drogue, prostitution...). Dominant Tlemcen, Boudghène rejoint à l'ouest El-Kalâa et ses luxueuses villas. La bourgeoisie traditionnelle et certains techniciens de l'urbanisme considèrent depuis longtemps ce quartier comme un point noir, une "honte", " un bas quartier", un "ramassis"26... Ceux-là rêvent de plus d'espace et imaginent un nouveau quartier résidentiel en prolongement de Birouana. Ainsi, Tlemcen aurait-elle aussi ses "hauteurs", comme El-Biar ou Hydra à Alger.
Face à cette urbanité déniée, les habitants de Boudghène sont très unis autour de la djemâ'a27. Ils se veulent urbains et sont très impliqués dans les opérations d'aménagement du quartier. Soucieuse de son rapport à l'urbain, la djemâ'a de Boudghène a exprimé la volonté de la population de s'intégrer à la ville, affirmant notamment :
"- leur attachement à leur mode d'habiter,
- leur regroupement autour de leur saint patron, Sidi Messahel et de leur mosquée,
- leur attachement à leurs fractions d'origine avec lesquelles l'échange est permanent,
- leur attachement à leur mode de vie typiquement familial,
- leur désir d'être mieux compris et dûment représentés au niveau de l'APC (municipalité),
- leur volonté d'aider à promouvoir, à contrôler et à policer eux-mêmes les activités bouillonnantes d'une population très jeune dont l'aspiration profonde est de devenir citadine à part entière."28
L'histoire du quartier de Boudghène se confond avec celle des luttes de ses habitants pour l'amélioration du confort de leurs maisons et de leur relation avec la ville, car leur vie quotidienne en dépend. Ainsi, l'adduction d'eau et l'assainissement ont été réalisés grâce à la contribution des habitants défiant ainsi la municipalité tentée par la destruction d'une partie du quartier, et renouant avec une forme de solidarité traditionnelle, la twiza29.
La contribution financière et la participation aux travaux sont toujours un moyen d'affirmation d'une urbanité chez les habitants de Boudghène. C'est ainsi que des maisons se construisent; on élève ensemble un étage, on nettoie ensemble les ruelles, on procède ensemble au curetage du dépotoir public. Boudghène s'est dotée de moyens matériels mais aussi spirituels, et les deux mosquées du quartier sont la fierté de ses habitants.
La population, avec les moyens dont elle dispose, fait preuve d'une imagination remarquable dans l'adaptation de l'habitat aux contraintes physiques, dans l'adoption de matériaux et de procédés de construction nouveaux, dans le jeu entre une conception de l'habitat s'inspirant des usages traditionnels - persistance de la cour, de la terrasse, du traitement de l'entrée - et des éléments modernes - ouverture de fenêtres sur l'extérieur, décor de la façade, individuation de la cuisine, adoption de la salle de bain...
Ces combinaisons multiples constituent, sans aucun doute, des signes d'un processus d'appropriation essentiel pour que les identités sociales s'affirment. Les opérations d'aménagement prévues dans le cadre de la restructuration du quartier contribueront à améliorer les conditions de vie à Boudghène et inciteront par là les habitants à valoriser les dispositifs ingénieux de leurs maisons. Le sentiment de rejet que peuvent éprouver les habitants de Boudghène n'est certainement pas spécifique à ce quartier, mais cette relation à la ville, toujours au bord du conflit ouvert, s'exacerbe à chaque occasion. Les événements récents en Algérie font de Boudghène une cible, les forces de police le quadrillent immédiatement lors des ratissages.
Situé à trois kilomètres du centre ville, Boudghène dispose d'un service de taxis remarquablement efficace, doublé ces dernières années d'un service de bus urbains à des prix très abordables. Dans le quartier lui-même se sont ouverts quelques épiceries, des boucheries et un marché de fruits et légumes. La construction d'une poste, de l'antenne de la mairie, du centre de soins et l'ouverture d'un cabinet médical ont soulagé la population d'une dépendance trop importante à l'égard du vieux centre de Tlemcen. Ces dernières années, des artisans (tissage, cordonnerie...) sont également venus s'installer dans ce quartier.
Urbaine et citoyenne à part entière, la population de Boudghène, par son dynamisme, a montré sa capacité de mobilisation pour gérer les affaires de sa cité.
1. M. Roncayolo, La ville et ses territoires, Paris, Gallimard, collection Folio/Essais, 1990, p. 178.
2. 12,3 millions d'habitants vivent avec un taux d'occupation de logement compris entre 7 et 10 personnes; 8,9 millions vivent entassés à plus de 12 par logement, sachant que le parc logement en Algérie est constitué de 60 % de logements de 2 à 3 pièces. ministère de l'Habitat, flash statistique sur la situation de l'habitat à la fin de 1993.
3. "Note de présentation relative à l'habitat", ministère de l'Urbanisme, de la Construction et de l'Habitat, J.O. du 9 février 1977.
4. D. Sari, "La réhabilitation et l'appropriation de l'ancienne capitale de l'Algérie pré-moderne : Tlemcen", in Premier séminaire maghrébin sur les médinas, Actes des journées des 27, 28, 29 septembre 1988 à Tlemcen, p. 97.
5. Gourbi : habitat en jonc (diss) analogue aux mechtas des Aurès.
6. Plan de Constantine : déclaré par le général de Gaulle le 3 octobre 1958 lors d'un discours sur la place de la Brèche à Constantine, il avait comme objectif de mettre en place un programme complet de développement afin de "transformer les conditions de vie sociales et économiques des musulmans".
7. Z.H.U.N : Zone d'Habitat Urbain Nouvelle : ensemble d'habitat collectif et individuel en lotissement issu de la planification de la production des zones à urbaniser La première Z.H.U.N de Tlemcen occupe 310 hectares partagés entre 180 ha pour l'habitat et 130 ha pour les infrastructures et les équipements. 5000 logements y étaient prévus.
8. Pour l'analyse des extensions planifiées voir la thèse de J.-Y. Toussaint, architecte-urbaniste en Algérie, Un fragment de la crise algérienne, Thèse de Dactorat de sociologie, Université de Paris X-Nanterre, 1993.
9. La loi sur l'impôt foncier est très récente et n'est pas mise en oeuvre. De plus, il n'existe pas d'impôt sur les grandes fortunes en Algérie.
10. Dossier Algérie-Actualité ndeg. 1007, février 1985.
11. Chiffres approximatif annoncés par l'Assemblée Populaire Communale (la municipalité) lors de la campagne de régularisation.
12 Beaucoup de quartiers illicites s'érigent sur des sites que les gestionnaires de l'habitat déclarent non constructibles en raison de fortes pentes, des risques de glissement de terrain. Voir la recherche intéressante de F. Tahraoui, "Les rapports au logement dans un quartier illicite, le cas de Si Salah à Oran", in Les rapports à l'espace, Actes de la journée d'étude, U.R.A.S C, Université d'Oran, 29 juin 1988.
13. Les moutons vendus aux bouchers de la vieille ville étaient égorgés sur une petite place à l'entrée du derb-el-qtût (ruelle des chats) qui portait ce nom à cause des odeurs et des déchets qui attiraient tous les chats de la contrée. Ces pratiques posaient déjà de sérieux problèmes de salubrité, les rues servant souvent au Moyen Age d'abattoirs ou de tanneries (Cf. à ce sujet les hisba édictées par Al-'uqbani à Tlemcen ou Ibn-'arafa à Tunis). Il semble que ce soit dans cette partie de la ville que s'étaient installés ces commerçants du Sud.
14. Compétence de l'habitant est entendu ici au sens que lui donne H. Raymond : c'est la capacité de l'habitant à agir sur son espace pour le rendre conforme à l'idée qu'il se fait des rapports avec celui-ci, selon ses modèles culturels. H. Raymond, L'architecture, les aventures spatiales de la raison, Paris : C.C.I., 1984. voir aussi l'application fructueuse de cette notion par A. Deboulet à l'analyse de l'habitat spontané au Caire; Vers un urbanisme d'émanation populaire. Compétences et réalisations des citadins. L'exemple du Caire, Thèse de Doctorat, IUP, Paris, 1994.
15. Rapport pour le colloque sur l'urbanisation de Tlemcen, du 01 au 03 mars, Revue El Bi'a, ndeg. 2, 1982, ASPEWIT, Tlemcen.
16. Le relevé de l'état de la maison fut effectué par J.-Y. Toussaint en 1987, deux entretiens ont été réalisés par R. Bekkar successivement en 1986 et 1991. Les différentes étapes de la construction ont été reconstituées à partir du récit de Rachida par O. Dupont (architecte).
17. Djenane El-Arafi : verger de Monsieur Arafi, lieu-dit à l'ouest de Boudghène, au pied de plateau de Lalla Setti.
18. Zrîba : clôture faite de figuier de barbarie, de branchages, parfois de piquets. Dans certaines contrées, elle est faite de branches d'acacia d'Arabie. L'enclos ainsi formé est l'espace où se déploie l'activité féminine et où sont parqués le soir les animaux domestiques (moutons, chèvres...). M. Cote, L'Algérie ou l'espace retourné, Paris, Flammarion, 1988, p. 29.
19. Tagmawa : habitants du village de Tagma, à 30 km de Tlemcen.
20. Hawsh : désigne la cour d'une maison, enclos pour le bétail. C'est un ensemble de pièces d'habitation disposé autour d'une cour.
21. Le travail A. Khaldoun et les relevés effectués dans les ksours de Boussemghoun et Brézina sont très instructifs. Mémoire de DESS d'urbanisme en cours, INFORBA, Alger. Voir également Donnadieu et Didillon, Habiter le désert, Liège, Pierre Mardaga, 1977, p. 104.
22. M. Marie, Les terres et les mots, analyse institutionnelle, Paris, Méridiens/Klincksieck, 1989, p. 70.
23. A. Raymond, Les grandes villes arabes à l'époque ottomane, Paris, Sindbad, 1985, p. 323.
24. "Les regroupements ont accéléré l'exode vers les villes d'individus qui n'avaient plus rien à perdre. Entre 1954 et 1960, la population globale des villes et des bourgs a augmenté de 67 % dans l'Algérois, de 63 % dans le Constantinois et de 48 % en Oranie (...)", P. Bourdieu, A. Sayad, Le Déracinement, Paris, Minuit, 1964, p. 21.
25. Chiffres cités par A. Sehili, Propositions de restructuration du quartier de Boudghène à Tlemcen, mémoire de fin d'études en Architecture, EPAU, Alger, 1971.
26. Ce sont des qualificatifs employés lors du Colloque sur l'urbanisation de Tlemcen en mars 1982, organisé par l'Association de la protection de l'environnement de la wilaya de Tlemcen.
27. Djemâ'a : conseil de sages, constitué, dans les villages, par les hommes âgés. La djemâ'a règle les problèmes de communauté, tranche dans les conflits de voisinage, de cohabitation, et décide souvent des travaux collectifs à effectuer. A Boudghène, la djemâ'a est plus récente et ne se confond pas avec le comité de quartier.
28. Colloque sur l'urbanisation de Tlemcen, op. cit., atelier sur Boudghène.
29. Twiza : forme d'entraide et de solidarité rurale; elle s'organisait autour des travaux de battage, de la moisson, de la construction, de la rénovation. Les femmes organisent la twiza pour le couscous, pour faire des conserves, pour laver, carder ou filer la laine.
Rabia Bekkar est maître de conférences en sociologie urbaine à l'Université de Paris X-Nanterre et chercheur à l'IPRAUS. Ses recherches portent sur les pratiques urbaines au Maghreb et en France. Auteur d'une thèse sur les territoires et pratiques urbaines des femmes en Algérie, elle a publié Immigration et espaces habités (L'Harmattan, 1994) en collaboration avec R. de Villanova. Elle travaille actuellement sur les trajectoires résidentielles des migrants et la double résidence, sur l'accès des femmes à l'espace public et sur les pratiques du propre et du sale dans le logement social.
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Posté Le : 07/08/2007
Posté par : hichem
Ecrit par : Rabia Bekkar
Source : www2.urbanisme.equipement.gouv.fr