Tlemcen - ARTISANAT ET METIERS

Le remailleur de filets de pêche



Le remailleur de filets de pêche
Neuvième Khaldiya
Khaldiya N° 9
Le remailleur , un métier qui se meurt.....


Ce texte qui a été inséré en avril 2003, sur Forum de Muriel (site nemours-ghazaouet) a déjà été publié sous ma signature dans le journal El Moudjahid du 25/04/1982, alors que j’étais correspondant de presse pour la ville de Ghazaouet.
Il a été également publié dans le site de notre ami Abdelhafid Khelidj, dès que le site WLED ET Bnet Ghazaouet vit le jour.
Ce soir, sur Facebook, notre ami Khaled Flitti nous apprend une bien triste nouvelle. Un homme qui a tant donné à la pêche et aux pêcheurs, Omar Rachdi rabbi yarahmou bi rah'matihi el oissiaa, nous a quittés .Il fut « l’un des plus grands chefs raccommodeurs et armeurs algériens de filets de pêche et a beaucoup contribué à la modernisation du secteur .» 
A lui, je souhaiterai par ce texte lui rendre hommage et à travers lui, également, rendre un hommage posthume à tous les remailleurs de Ghazaouet (les Meniri, Haddouchi, et tant d’autres, retraités, formateurs de l’Ecole d’apprentissage maritime de Nemours et l’ensemble des raccommodeurs de filets qui ne sont plus de ce monde, Allah yerhamehame.
Egalement, un hommage aux raccomodeurs, remailleurs vivants,j’adresse un salut fraternel et cordial aux actifs sur les quais, retraités, jeunes, aux formateurs de l’Ecole de Pêche de Ghazaouet sous la direction de Khaled Flitti, aux jeunes apprentis qui , dans leurs études et formation qualifiante, suivent ces cours afin de s’imbiber de ces pratiques afin de pouvoir exercer une fois devant un filet de pêche, quelque soit sa taille, sa texture, les trous béants occasionnés par les poissons et les heurts avec les rochers sous marins…
Le petit port de pêche de Ghazaouet est désert. Un soleil de plomb darde ses rayons sur les eaux sales de la darse des pêcheurs où tanguent quelques galions. Les pêcheurs font la sieste car ils savent quelle nuit encore ils vont affronter par ce temps nocturne instable, au grand large. Là où le froid mord malgré les épais tricots de laine... il est là, lui, assis à même la terre sur le filet étendu au soleil, pieds nus. Il recherche des petites surfaces à raccommoder.
Chapeau sur la tête, le paquet de cigarettes traînant plus loin ou la boîte de tabac à chiquer ou à priser, il travaille,reprise, solitaire, silencieux... Tout près, dans une grande boîte métallique, trois grandes bobines de fil de plusieurs coloris, quelques bouts de ficelle, des accessoires utiles..., et l'éternel canif okapi ...
Quelques aiguilles spéciales, longues, dépassant en taille celles des couturières, ressemblant plus à des arêtes de poissons... Les filets sentent l'eau de mer, l'air marin, et sont encore recouverts de quelques écailles sèches, de petits déchets de poissons échappés à la vigilance des marins qui ont secoué et resecoué le filet de pêche...
Plusieurs mailles sont refaites. Une reprise par ci, un passage du fil par-là, une petite coupure et la partie est raccommodée. Parfois, de ses dents, il coupe le fil et fait de grands gestes pour repriser, toujours seul... parfois interrompu par quelques badauds ou promeneurs solitaires s'attardant sur les lieux.
Le vieil homme continue. Peut-on le considérer comme pêcheur ? Oui, il l'a été, et parfois fort longtemps...20, 30 ans de labeur, à sillonner la mer et plus !Il est à la retraite, une retraite active et sans son savoir-faire, les filets deviennent des passoires. Par solidarité, grâce à son savoir-faire, il reste ainsi dans l'équipage, gagne sa vie en remaillant et sa part de pêche (el parti).
Remailler, repiquer, raccommoder est plus qu'un travail de professionnel! La patience est sa meilleure amie. Pendant que les autres dorment, lui s'acharne sur ses filets. Demain, il recevra, lui aussi sa part de poissons ramenée grâce à l'outil de pêche dont il reprise ses mailles. Pas besoin pour lui de se réveiller aux aurores, il l'a fait pendant longtemps... Il a son propre emploi du temps et sait quand il faut intervenir pour qu'il ne retarde point l'équipage...D'ailleurs il ne peut agir que lorsque les autres lui confient le matériel. Il change de place, cela dépend du quai où mouille le sardinier, il se déplace, car les filets sont jetés sur le môle, une fois secoués...Peut être qu'un jour, des machines remailleuses viendraient le supplanter et le métier mourra alors ! Pour l'instant echebka (echebcha en ghazaoui) (le filet) est son gagne-pain et son terrain de prédilection...
Quand le port s'éveille...
Les moteurs des galions pétaradent, les mousses effectuent déjà des manœuvres, des cris fusent...C'est le soir, le port de pêche s'anime et s'éveille… avant de s'endormir après la sortie en mer des pêcheurs...
Un à un, balançant le panier où se trouve le dîner (el acha), ils montent à bord des bateaux de pêche. Ils redescendent, se saluent et vont voir le remailleur ou se contentent de regarder les filets raccommodés...Quand le remailleur est encore là, se hâtant à finir, ils le saluent et échangent avec lui des plaisanteries d'usage avec un coup d'œil sur le travail ''du vieux de la vieille''...Ils lui vouent un respect profond. Tous vont faire les préparatifs d'avant sortie en mer, pour affronter une nouvelle nuit...
Demain, la scène se répétera avec les mêmes gestes et le même sourire. Mais pour le remailleur, les parties à raccommoder seront sans doute différentes du fait que les pêcheurs ont laissé traîner le chalut sur des petits récifs ou rencontré des bancs de bonîtes et d'espadons, de sardines et d'anchois...
Aujourd’hui, il a du pain sur la planche. Les pêcheurs semblent presque s'excuser de lui présenter des filets esquintés...Quelle tâche attend notre ami !


Ainsi continue-t-il avec chaque filet, même les plus neufs ont besoin de maintenance. Il est là, assis, sous le soleil, il a mis son chapeau de paille, et de temps à autre , il se désaltère en puisant l'eau fraîche dans une bouteille-bonbonne recouverte de jute trempée d'eau et scellée au milieu d'une corbeille d'osier ..Assis, parfois à genoux, il suit la déchirure et après l'avoir repérée, il enfile son aiguille et ses mouvements routiniers d'expert se succèdent .Cet homme exerce encore un métier pour lesquels la relève ne se bouscule pas, il exerce un métier qui se meurt...
Par Khaled SIDHOUM

[Article ancien remanié ...J’ose penser que le texte qu’il est encore d’actualité même si le métier a connu des évolutions .Dans l'élan, 35 ans plus tard, la main a envie d'ajouter un mot, d'imager une expression, mais l'esprit premier a été respecté, dussè - je être l'auteur !]
Petite histoire autour de l’article :
[une Khaldiya dans une autre : j’ai baptisé un dictionnaire « le remailleur »]
Cet article publié le 25/4/1982 , page 7 d'El Moudjahid, dans la rubrique ''ces métiers qui se meurent''. Je le reprends tant il entre dans l'évocation , et souhaite par la même occasion envoyer un grand bonjour et un vibrant hommage à ces loups de mer, ces pêcheurs qui bravent la mer nourricière, à ces remailleurs, qui , après tant d'année à bord des sardiniers, galions, autrefois lamparos, tirent la révérence, mais sans quitter le monde de la pêche, ils se destinent à la réparation, au raccomodage, à la maintenance des filets dont les mailles sont déchirées par les poissons et rochers de fonds...
Cet article a aussi une histoire. Le jour de sa parution, on vint, dans le collège où j'enseignais me jeter à la figure que ''le mot remailleur ne se trouvait pas dans le dictionnaire''. Mais qu’as-tu fait , Khaled, le mot n’existe pas et El Moudjahid titre en gras « le remailleur, un métier qui se meurt ?  » Moi, j’étais sûr que le mot existait bel et bien .Je l’avais appris alors, de la bouche de ma regrettée mère ; ma mère(qui s’y connaissait bien en mailles, remaillage, tricotage), Allah yarmahouha ou yarhamou oummati Mohamed kamila !) qui me l'avait appris, très tôt, encore enfant ce mot, à la maison quoique mon père ne fût pas pêcheur , mais ma famille comptait dans ses rangs plusieurs parents, cousins, oncles, des gens de mer établis à Sidi Amar...dont un remailleur bien connu , le regretté Meniri dit Mimri, époux de la tante de ma mère.
J'étais sûr de ce mot puisque je connaissais signification, racine et dérivés...Mais, l'opposition fut forte, et l'on m'invita à feuilleter plusieurs dictionnaires que s'empressa de nous apporter notre directeur Omar Berri Rahimahou Allah … Effectivement,Il ne figurait pas , le mot...seulement le radical, et les autres mots de la même famille. Trois, quatre dictionnaires, rien...Il n’existait dans aucune page feuilletée jusque-là !
On alla travailler et à la sortie des cours, vers 16 heures, nous refîmes les recherches, cette fois, chez une autre personne, dans un bureau...Chez un inspecteur de français très intéressé par ce défi et la recherche car lui aussi y croyait en ce mot qui nous avait accueillis dans son propre bureau, voisin du CEM.Quatre, cinq ouvrages, six, sept avec cette encyclopédie et pas le mot! Pourtant je restais confiant, pour moi, il existait...La personne en question voulait aller jusqu'au bout, notre hôte aussi, et il ramena le dernier dictionnaire de chez lui après avoir passé en revue tous ceux qui se trouvaient dans son bureau, et il en avait plusieurs sources(dictionnaires de plusieurs tailles)métier d’inspecteur de français oblige !) Cette fois , il alla chez lui à l’étage et nous ramena le dernier dico. C’était un autre type de dictionnaire « Etymologique » . Là, c’était un peu l’Etat civil des mots ! Eenfin, il apparut, en toutes lettres ! ...et là, le mot remailleur jaillit des mailles, pardon des pages, sa date de naissance, les périodes où il fut employé, délaissé, son histoire, quoi, tout y était de sa vie de mot ...
Sans un mot, comme un footballeur qui ne célèbre pas son but,e me levais , remerciais, saluais et je partis...Je m’étais enquis, d’où l’inspecteur avait acheté ce livre : direction la librairie Kebatti Bénamar, Allah yarhamhou), le premier libraire de la ville! A peine arrivé, je demandais ce livre, il me dit de passer chercher moi -même dans les rayons. Un seul exemplaire était rangé sur les rayons. Je l'achetais sans demander le prix .Depuis ce jour, ce livre, c'est devenu ''mon remailleur'',je l’ai baptisé ainsi. Je ne le consulte pas tous les jours, seulement quand j'ai ''un trou'' et que je veux « remailler, trouver, raccommoder, repriser... »Inutile de vous dire que j'ai laissé là-bas à Ghazaouet, tous mes bouquins, distribués à droite et à gauche, sauf celui-là; je l'ai ramené dans ma valise, jusqu’en France. Il est « un remailleur patient, silencieux », c'est aussi ''un livre qui se meurt, comme le métier évoqué...''d ‘ailleurs, ce livre qui a vieilli, je l’appelle encore d’ailleurs, affectueusement « le remailleur »,
Par ce geste de rééditer ce message, je voulais une fois de plus, rendre hommage aux remailleurs et pêcheurs de Ghazaouet, pour ceux qui nous ont quittés, que Dieu les accueille auprès de lui, de sa Miséricorde!
Khaled Sidhoum



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