Tlemcen - Souahlia

LA BATAILLE DE SIDI-BRAHIM. Les 23/26 Septembre 1845.



LA BATAILLE DE SIDI-BRAHIM. Les 23/26 Septembre 1845.

1.Introduction.

Nous voilà aujourd’hui face à une des glorieuses pages de notre pays. En parler, avec la tête froide, sans passion, en ces temps étranges qui appellent, n’eût été la sagesse, d’autres réactions, est d’une nécessité impérieuse. A travers ce que nous avons vécu au cours des derniers mois, et compte tenu que nul ne peut intervenir rétroactivement pour modifier l’œuvre du Grand Architecte qui a fondé notre chère Patrie, il nous semble urgent d’endiguer ce phénomène qui prend des proportions de plus en plus importantes mais pas pour autant inquiétantes. Elles ne peuvent l’être d’autant plus que cette gymnastique innommable est l’œuvre d’esprits rampants, totalement asservis par ceux qui s’en servent et qui, eux, n’ont pas le courage et l’intégrité nécessaires pour s’afficher publiquement en mettant en avant leurs convictions et ceci pour une raison bien simple : ils se sont servis de l’Emir s’en servent et s’en serviront à toutes les occasions en public. En coulisses, c’est une autre affaire. Aussi confient-ils la sale besogne à d’autres. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’à force de trop tirer sur la corde, et en conformité avec la loi de l’élasticité, couramment utilisée dans la résistance des matériaux, elle finira par rompre quelle que soit la matière dont elle est faite. Les dégâts sont d’ores et déjà prévisibles et ceux qui manient le fouet ou sont experts dans le lancer des boomerangs, et ils sont fort nombreux, doivent faire sérieusement attention à leurs retours ratés car tous leurs calculs basés sur des assertions gratuites rejailliront, mais pas avec l’effet qu’ils escomptent tout au contraire : l’Emir n’en ressortira que plus grandi bien que cela ne nous étonnera guère. Je ne vois qu’une explication à cette veulerie : ceux qui prônent des inepties hissées au rang de « vérités » bien que, pour certains, l’exercice de leurs fonctions officielles doit leur faire observer un minimum de retenue, sont dans l’ignorance totale de ce qu’est ce pays auquel ils s’entêtent à coller une autre histoire – celle qui les arrange bien sûr et dont ils n’ont été ni les auteurs ni les acteurs –et ne sont que les dépositaires connus de péchés commis par leurs ténébreux aïeux ce qu’ils ne parviennent pas à digérer. Le Président de la République, selon ce qu’a rapporté la presse n’a-t-il pas, récemment, menacé de divulguer des listes de Harkis dans l’Administration ? La liste des traîtres qui ont servi ceux qui ont asservi leur propre descendance est suffisamment connue. Alors peut-on être surpris lorsque l’ambassadeur de France déclare, au cours d’une rencontre, datant de quatre ans, avec les journalistes de la presse nationale, et ce suite à une question posée par l’un d’eux : « Nous sommes d’accord pour remettre à vos autorités les archives de la colonisation, mais cela fait deux ans que nous attendons la commission algérienne qui doit les prendre en charge ». Qui a peur du contenu de ces archives ? A l’évidence ils sont très nombreux. Et si les Algériens les prenaient en charge, combien de ces documents seraient mis à la disposition des chercheurs ? Et combien disparaîtraient définitivement? Que risquent ces peureux? Rien sauf une chose : ils ne se reconnaîtront plus dans les miroirs où ils veillent, avec fière allure, à admirer leurs statures car ces miroirs finiront, irrémédiablement par leur renvoyer une image d’eux-mêmes, tellement terrifiante de vérité qu’ils baisseraient leurs yeux en s’y mirant, non pas parce qu’il leur restera quelques atomes de dignité (ils ne savent pas ce que c’est), mais tout simplement parce qu’ils se rendront compte que la seule vérité vraie qu’ils ont obstinément refusé de voir en face les aveuglera pour de bon et « ne resteront alors dans les Oueds que leurs pierres ».

Je ne me gênerais nullement de m’inquiéter de la tiédeur prévisible de ceux qui avaient pour mission première de réagir à l’infamie proférée contre l’Emir, d’être outré par l’indifférence totale de ceux qui serinent à longueur de discours sur les constantes de ce Pays, constantes devenues, par une étrange alchimie, des variables tournant au gré du vent comme des girouettes et me questionne sur l’inqualifiable comportement d’une certaine presse qui prête le flanc à ces zélés et non moins mauvais imitateurs qui, à travers des affectations déguisées, distillent leur venin faisant de cette presse qui leur ouvre ses colonnes un vrai dépotoir culturel alors qu’elle dispose, en apparence, des moyens qui doivent lui rappeler les limites du champ au-delà duquel elle joue sa crédibilité. Un premier constat à chaud ? Les Algériens ne sont pas aveugles et les borgnes ne seront jamais les rois qui les guideront. Et si ces borgnes osaient se prévaloir de ce que la démocratie leur permet de dire et ils en profitent à loisir, nous leur rappellerions que cracher sur le plus grand symbole de ce Pays ne relève pas de la démocratie mais de la démonocratie.

2. Quelques rappels.

L’événement dont nous voulons traiter a été lancé à partir du Maroc où l’Emir s’était réfugié avec sa Deïra. Comment en était-il arrivé là ? C’est ce que nous nous proposons de voir à travers ces brefs rappels.

En 1835, Clauzel, « Chargé de capturer ou de faire capituler l’Emir » se met en compagne, début décembre 1835, à la tête de 11000 hommes appartenant aux 11ème, 13ème, 47ème 63ème et 66ème régiments d’Infanterie de Ligne, aux 2ème, 10ème et 17ème régiments d’Infanterie Légère et au bataillon de l’Infanterie Légère d’Afrique. L’Emir, comprenant parfaitement que l’affrontement allait être une réplique de celui de la Macta qui a eu lieu quelques mois auparavant, organisa ses troupes, convaincu qu’il avait tout à sa disposition pour en finir dans la Habra, entre Sig et Mascara. Il explique sa stratégie et donne ses ordres à ses chefs militaires. Les premières escarmouches eurent lieu sur la rive occidentale de l’Oued Sig puis progressivement vers Habra où tout devait se régler. Fort de la leçon de la bataille de la Macta, Clauzel manoeuvra habilement. Il n’empêche que les Algériens, qui avaient l’avantage du terrain, eurent, dès le premier choc, la certitude de la victoire. Oubliant, dans l’euphorie, les ordres de l’Emir tant ils étaient certains de l’issue de la confrontation, ils se lancèrent dans une mêlée générale qui fait faire un mouvement de recul aux troupes françaises. Les troupes algériennes n’ont pas eu le temps de regagner Mascara qu’elles furent informées du retour de Clauzel qui avait été rejoint par des renforts. L’Emir, qui avait besoin d’espace pour se battre à sa manière, fit évacuer la ville le 6 décembre 1835 et Clauzel la trouva entièrement déserte en y pénétrant. En la quittant deux jours plus tard, il la laissa en flammes. L’Emir comprit alors qu’il ne serait en sécurité, avec ceux qui le suivaient, que dans la mobilité qui allait devenir progressivement une de ses force et arme principales. C’est, sans aucun doute, de ce principe que naquit l’idée d’une capitale itinérante :la Smala.

Composée de presque quatre cents douars, avec 60 000 personnes et même plus, 12 000 chevaux, avec ses marchés, ses écoles, ses tribunaux, ses Mosquées, ses différentes manufactures et son impressionnante bibliothèque et quelques gardes, elle se déplaçait en fonction des événements pour s’installer en formant quatre enceintes circulaires concentriques. Au mois de mai 1843, elle était installée à Goudjillah à l’est de Tiaret.

Pendant huit années elle se déplaça, avec la composante que nous venons de décrire, dans une organisation parfaite, sans que l’ennemi ne pût la découvrir, en dépit de l’assistance d’une nuée de traîtres et de stratèges appelés à la rescousse. Le génie de l’homme qui l’avait conçue y était pour beaucoup. Voilà une page à approfondir parmi la multitude qui ont été écrites par cette minorité qui a pris la responsabilité de se battre jusqu’au bout pour chasser l’ennemi qui, aujourd’hui se retrouve parmi nous sous les formes que nous connaissons tous.

Puis vint ce fatidique lundi du 15 Rabie II / 1260 – 15 mai 1843. Quelques jours auparavant, deux traîtres, Ahmed Ben Ferrat et Omar Al Ayadi informèrent le Colonel Youssef de l’emplacement de la Smala. Le Colonel convainquit le Duc d’Aumale de la prendre, l’Emir étant occupé à suivre les traces du général Lamoricière. Avec 2000 hommes qu’il fait habiller des tenues rouges identiques à celles que porte la cavalerie de l’Emir, il prit, à partir de Boghar, la direction de Goudjillah ; mais la Smala s’était dirigée vers le Djebel Amor. Elle choisit de dresser son campement dans l’oasis de Taguine au sud de Tiaret, et fut surprise par les soldats du Duc d’Aumale alors qu’elle était en pleins travaux d’installation.

Un carnage s’ensuivit, 3000 hommes et femmes sont faits prisonniers, parmi eux certains, parents avec l’Emir, ainsi que le vénérable Sidi Laredj Ben Nedjadi, le premier homme qui prêta serment d’allégeance lors de la première Bay’a faite à l’Emir. Lalla Zohra, mère de ce dernier réussit à s’enfuir sur une mule.

Plus tard, l’Emir dira à ses ennemis : « Dieu vous l’a offerte froide ma Smala, mais c’était Sa volonté ». Il précisa que « le Duc d’Aumale n’en avait pris que le dixième ». Plutôt que d’être accablé, quoiqu’il fût très peiné par ce mauvais coup du sort et surtout de la perte de sa bibliothèque, il se sentit même soulagé d’être dorénavant moins gêné dans ses mouvements. Un autre coup allait lui être porté : les Beni Amer avaient rallié les Français. Il les attaqua pour les ramener à la raison. Il écrasa ensuite les troupes du général Lamoricière à la bataille de Sidi Youssef le 23 septembre 1843.La Smala réduite à une simple Deïra comptait désormais deux mille âmes. Il fallait la mettre en lieu sûr mais Lamoricière tenta de l’arrêter. L’Emir déploya toute son énergie, stoppa les troupes ennemies et la fit entrer en territoire marocain. Il s’installa à Aïoun Sidi Mellouk, à quelque 50 kilomètres à l’Ouest d’Oujda puis à Aïn Zora dans le Rif d’où il écrivit au Sultan le mettant dans le menu détail des derniers événements et l’appela à se joindre au combat. Nous sommes quasiment certain que l’Emir savait la suite qui allait être réservée à cet appel. Néanmoins, il le fit pour deux raisons : la première consistait à rappeler au Sultan son devoir religieux ; la deuxième est que Moulay Abderrahmane, ayant fait revêtir, le 3 juillet 1839, par un de ses émissaires l’Emir du kaftan faisant de lui son Khalife se devait de lui apporter tout son soutien pour mener à bien son combat. L’Emir, qui était parfaitement au courant de la personnalité du Sultan eut droit, de sa part, à une réponse de Normand. Le Sultan lui écrit :

إننا نتمنى الحضورَ بأنفسِنا في غمار المسلمين و مباشرةَ القتال بأيدينا بين صفوف المجاهدين. و لكن ما نحن فيه من قمع العتاة و كف البغاة جهادٌ، بل أفضلٌ من جهاد النصارى حسبما نص على ذلك إمـامٌنا مـالك رحمه الله ولو كمٌل قتالهم و انتظم على الاستقامة حالٌهم لسرنا و إياهم لنصرة الدين و قمع الكفرة المعتدين و بذلك ينال الموفق غايةَ أمله و نية المرء خير من عمله 1250/1844 Le peuple marocain, quant à lui, avait pris fait et cause pour le combat des Algériens et fut fasciné par leur Chef. Il lui apporta ses soutiens humains et matériels ; il fêtait avec faste, à travers tout le royaume, les victoires qu’il remportait sur l’ennemi commun. Il alla même jusqu’à prendre, à travers nombre de personnages influents, parmi eux le vizir et poète Mohamed Ibn Idriss qui écrivit plusieurs lettres en ce sens à l’Emir, la décision de lui proposer le trône de ses ancêtres : les Idrissides. Churchill écrit à ce sujet : « Abd El Kader eût-il été un vulgaire usurpateur, il n’aurait eu alors qu’à étendre la main pour se saisir du sceptre marocain. Mais l’inspiration qui le dirigeait était le patriotisme non l’ambition. Il était entré en campagne pour la liberté et l’indépendance de l’Algérie. Ses pensées, ses désirs, ses prières, toutes les énergies concentrées de son corps et de son désir étaient vouées à sa Partie. Aucune offre quelle qu’en fût la grandeur ne pouvait le séduire au delà de cette sphère légitime de son action. Il dira plus tard : « Je refusais l’offre séduisante qui m’était faite d’une voix si unanime, non seulement parce que ma religion m’interdisait de léser un souverain choisi, légitimé par Dieu, mais parce que connaissant le Maroc comme je le connaissais avec la diversité de ses races, je sentais qu’il m’aurait fallu au moins douze ou quinze ans, non pas, en fait, pour gouverner comme Abderrahmane mais pour me permettre, en quelque domaine que ce fût, d’imposer l’obéissance à la Loi et de faire respecter mon gouvernement ».

Son séjour au Maroc ne l’empêchait pas de lancer des incursions répétées en territoire algérien amenant la France à lever de vives protestations auprès du Sultan, ce qui provoqua un événement dont l’issue scellait définitivement le destin de l’Algérie, destin dans lequel elle sera rejointe par le Maroc. Cet événement, la bataille d’Isly puisqu’il s’agit d’elle, est nécessaire à retenir pour apprécier les ratages occasionnés par le seul entêtement du Pouvoir marocain d’alors. Nous renvoyons nos aimables lecteurs aux péripéties de cette bataille parues sur BAI le 14/08/2011.

En Algérie comme en France, les Français étaient sûrs de s’être définitivement débarrassés de l’Emir mais c’était sans compter sur sa foi et le sens religieux de la bay’a qui pendait à son cou, bay’a faite par des hommes ayant juré de le servir jusqu’à la mort dans la voie de Dieu. La Frontière était hermétiquement fermée et son pays regorgeait de traîtres. De plus il ne disposait tout au plus que de 2000 hommes mais, là, était son moindre souci. Revenons un peu en arrière : le 4 février 1834, il écrivit une lettre au général Desmichels avec lequel il signera 22 jours plus tard le traité qui portera le nom du général :

و نحن و إن كنا ضعفاء، على زعمكم فقوتنا بالله…غير أن الموت مسر لنا وإن دوي الرصاص، و صهيل الخيل في الحرب لآذاننا من الصوت الرخيم “Si nous sommes faibles à l’extérieur, notre force est en Dieu. La mort est pour nous un sujet de joie. Le sifflement des balles et le hennissement des chevaux au combat, sont à nos oreilles, un son mélodieux ».

Cette lettre, il l’écrivit il y a plus de onze ans et l’homme n’avait changé que dans l’affermissement de ses convictions premières. Il prit sa décision : il traverse la frontière et dévale la vallée de la Tafna.

6.La bataille de Sidi Brahim.

Le 21 septembre 1845, Montagnac apprend que l’Emir a quitté le Maroc vers l’est. Fasciné par Abdelkader il rêve de se mesurer à lui. En dépit des ordres reçus il quitte Ghazaouet à la tête de 400 hommes (nous reviendrons sur ce chiffre). C’est ce même Montagnac qui écrivit à Philippeville, le 15 mars 1843 : « Toutes les populations qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe : l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis le pied. Qui veut la fin veut les moyens, quoiqu’en disent nos philanthropes. Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de commander sont prévenus par moi-même que s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils recevront une volée de coups de plat de sabre. (…) Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger les bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs. En un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens. »

Abdelkader, des hauteurs qu’il occupait découvre les premiers éléments de la troupe française. L’Emir divise ses troupes en deux groupes, l’un sous ses ordres, l’autre sous ceux de l’implacable et irréductible Bouhmidi El Oulhaci (le Giap de l’Emir), fidèle d’entre les fidèles, à la bravoure légendaire, et au dévouement sans limite à la cause pour laquelle il se battait et qui n’avait d’égal que le Khalifa Ben Allal de Koléa qui périt héroïquement en novembre 1843 à 15 kilomètres à vol d’oiseau de Tessalah en allant vers El-Malah.

Au signal de l’Emir, ses cavaliers rouges, avec des compagnons marocains, chargèrent et taillèrent en pièces leurs ennemis. Ne réchappent que 80 carabiniers laissés en réserve par Montagnac lui-même blessé à mort. Ils coururent se réfugier dans l’enceinte du Marabout de Sidi Brahim. Le siège durera trois jours et trois nuits. Une héroïque résistance s’en suivit. Pour l’unique fois de sa vie, l’Emir fut blessé à l’oreille droite. Il descendit de cheval et fit une prière. Avec l’essentiel de ses hommes, il rejoignit sa Deïra au Maroc. A Sidi Brahim les assiégés tentent, le 25 septembre 1845 une sortie désespérée : sur les 80, seuls 15 furent faits prisonniers. La nouvelle provoqua un cataclysme tant à Alger qu’à Paris. Parmi les prisonniers figuraient le commandant Courby de Cognord, Saint Alphonse, Chargère et le trompette Escoffier, qui au péril de sa vie, donna sa monture à son capitaine qui avait, suite à une ancienne blessure, des difficultés à marcher. Cet acte de bravoure lui valut le respect de l’Emir qui le témoignait d’ailleurs à tous les bons soldats. Le Roi des Français, Louis Philippe, lui décerna la Croixde la Légiond’Honneur alors qu’il était en détention chez les Algériens. L’Emir lui organisa une réception où il accrocha lui-même cette Croix à son titulaire. Lorsqu’il fut détenu à Amboise, Escoffier demanda son affectation pour être mis à son service. Le plus éloquent commentaire qu’on peut en faire consiste justement à ne pas en faire : dans quelle langue décèlerons-nous les mots justes pour exprimer cette subjugation d’Escoffier pour l’Emir ? Et si cette difficulté est surmontée, subsistera le problème de la disponibilité de la plume qui restituerait fidèlement ce chapitre qui fait partie d’un long chapelet, existant en une infinité d’exemplaires comme seul l’Emir pouvait en concevoir. Un de ses plus irréductibles ennemis, Pélissier avait, à juste titre écrit : « Il est impossible d’approcher cet homme sans l’aimer ». Combien d’hommes, à travers l’Histoire, sont parvenus à devenir l’Exemple de leurs ennemis au point de s’en faire aimer ?

7. Quelques questionnements.

Après le massacre des prisonniers français, détenus dans la Deïra, ordonné le 24 avril 1846 par Mustapha Ben Touhami, beau-frère et cousin de l’Emir, seuls onze officiers en réchappèrent. La plupart faisaient partie de ceux qui s’étaient réfugiés dans l’enceinte du Marabout Sidi Brahim. Il est établi qu’à leur retour en France, ils furent disséminés loin les uns des autres. Le trompette Escoffier qui,sur sa demande fut mis au service de l’Emir alors détenu à Amboise, a écrit un livre en deux volumes sur sa présence en Algérie. Il ne pouvait le terminer, s’il s’agit d’un récit chronologique, que par la bataille de Sidi Brahim et sa détention dans la Deïra.Qu’a-t-il raconté sur la bataille ? N’essayez pas de chercher son livre parce que, bien que connu, il n’est disponible nulle part. De très fortes présomptions laissent supposer qu’il a dit des vérités dérangeantes…et cela ne peut que concerner la bataille dans laquelle il s’est bravement distingué. Son livre connut curieusement la même censure que celle qui a touché un tome (sur les huit) de « l’histoire des Turcs » d’Alphonse de Lamartine où il écrivit une sublime page sur le Prophète.

De plus le nom de l’officier supérieur Montagnac n’existe ni dans le dictionnaire encyclopédique Larousse (12 volumes) ni dans l’encyclopédie du même éditeur composée en 22 volumes. Pourquoi cette occultation ? Ne serait-ce pas parce qu’il a déshonoré cette armée française très belliqueuse, qui a gagné quelques batailles dans l’Histoire mais perdu toutes ses guerres ? L’onde de choc, provoquée par la bataille, fut considérée, comme nous l’avons écrit ci-dessus, comme un cataclysme tant à Paris qu’à Alger. Des journaux parisiens qui avaient osé en parler furent censurés. Il n’y a qu’une explication : Montagnac ne disposait pas seulement de 400 hommes mais de beaucoup plus et seuls 15 furent pris vivants ! La France avait été touchée là où elle ne s’attendait pas. Déjà elle n’avait jamais digéré la débâcle de Berthezène, en juin 1831, dans les gorges de la Chiffa.Pendant des décennies elle obligea ceux qui écrivaient – y compris la presse – à obtenir le sceau de la censure. Beaucoup plus près de nous, lorsque Charles André Julien commença à écrire son « Histoire de l’Algérie Contemporaine », il a été dit qu’il allait y citer des faits abominables. Malgré les fortes pressions qu’il devait subir et des allusions à peine déguisées pour l’en dissuader, il alla jusqu’au bout de son travail. On peut citer d’autres exemples : l’énigmatique Léon Roches qui accomplit pourla France un travail plus colossal que celui accompli par tous ses soldats a une seule rue au monde qui porte son nom : elle se trouve en…Tunisie. Sa propre ville natale célèbre régulièrement le souvenir de quatre autres Dauphinois que Léon Roches a connus personnellement et dont deux ont été ministres de Mèhémet Ali. Pourquoi pas lui ? Il serait fastidieux de citer les contradictions qui apparaissent dans ses correspondances qui vont, sur certains faits, à contresens du contenu de son livre. Tout ceci pour dire que l’Histoire gagnerait plus que jamais à être sérieusement prise en charge et à être écrite rapidement. Alors qu’avons-nous dit réellement sur la bataille de Sidi Brahim si ce n’est que cette conclusion nous montre que le plus important à connaître est à venir ?

Sources :

1/ Le Mémorial du Maroc. (9 volumes). Tome 4 : 1666-1906 : De la grandeur aux intrigues. Edition Nord Organisation. 1982.

2/.Dix ans à travers l’Islam. 1834-1844. Léon Roches. Librairie Académique Didier. Paris. 1884. .

3/ Autobiographie de l’Emir. Editée en fac-similé. Introduction du professeur Abdelmadjid Meziane.

4/ Kitab El Istikça. Chroniques marocaines. Ahmed En-Naciri. Version arabe. 9 volumes. Edition de Dar el Kitab.1954. Casablanca.

5/ Le Maroc à travers l’Histoire. (3 volumes) Ibrahim Harkat. Edition Dar Er Rachad Al Haditha. 2002. Casablanca.

6/ L ‘Algérie Ancienne et Moderne. Léon Galibert. Furne et Cie, Libraires-Editeurs. Paris. 1844.




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