Tlemcen - Concepts et leçons

L'état algérien, les zâwiyya et les turûq



L'état algérien, les zâwiyya et les turûq
À propos d’un séminaire sur le soufisme et les zaouïas qui s’est tenu à Sétif en avril 2012, sous l’égide de l’état algérien

L’Algérie participe pleinement à l’univers des zâwiyya (en réalité zâwiyya est au singulier, ce que zawâyya est au pluriel). Mieux, les zâwiyya innervent profondément l’espace algérien. En revanche, on ne comprend pas du tout pourquoi l’Algérie serait « un modèle en matière de tariqa soufie au Maghreb ». Aurait-elle une prééminence par rapport aux pays voisins ? C’est profondément méconnaître l’importance des zâwiyya et des turûq en Mauritanie, au Maroc, en Tunisie, en Libye… C’est méconnaître l’importance des circulations des maîtres, des disciples et des élèves, à l’échelle même du monde musulman. C’est méconnaître, malgré les points communs, l’extrême diversité des zâwiyya et des turûq. Toutes n’ont pas la même importance. Leur impact social, politique, religieux et culturel varie également dans le temps.

Les relations entre les zâwiyya et les turûq ne sont pas non plus univoques. Les deux ne se recouvrent pas entièrement, loin s’en faut. Parfois, elles se compénètrent, parfois elles se concurrencent. Certaines zâwiyya se sont créées indépendamment de toute allégeance confrérique. D’autres sont de parfaites créations confrériques. Parfois, elles convergent, divergent, se développent, ramifient, se transforment, s'étiolent, sont fermées ou détruites (pendant la conquête coloniale française, par exemple) ou disparaissent d'elles-mêmes.

On ne comprend pas bien pourquoi les zâwiyya et les turûq, pour le XIXe siècle en tout cas, doivent être vues à travers le prisme de l’état qâdirien, de « l’état algérien », de l’ « unité du peuple », de l’ « identité nationale »… Ces déformations sont coûteuses pour l’historien. L’importance de ces institutions est fondamentale dans l’entreprise de ‘Abd al-Qâdir ; mais, les travaux historiques ne les ont pas encore suffisamment étudiées en liaison avec la politique du sultan, hormis la qitna familiale de l’Oued el-Hammam. De plus, l’action de ‘Abd al-Qâdir ne s’étend pas à l’ensemble de l’Algérie et les zâwiyya et les branches de turûq, à plus forte raison pour celles des régions périphériques ou placées hors du champ qâdirien, ne s’impliquent pas nécessairement dans l’aventure sultanienne de ‘Abd al-Qâdir.

Les zâwiyya et les turûq ne sont pas étrangères aux questions de l’état, des populations, de l’identité, de la culture… Mais, elles ne résument pas qu’à cela et toutes ne sont pas concernées. Les hommes, y compris des leaders, qui ont lutté contre la conquête et la colonisation françaises ne sont pas tous issus du monde des zâwiyya et/ou des turûq. C’est là encore une simplification abusive.

Les zâwiyya et les turûq, ‘Abd al-Qâdir pour partie, Lalla Fadhma, Shaykh al-Haddad, Bû ‘Amâma deviennent à certains égards des ventriloques qui résonnent de paroles d’aujourd’hui plus que d’hier.

Il est pourtant heureux de voir reconsidérer le rôle historique des zâwiyya et des turûq, qui est essentiel dans l’histoire du Maghreb. Dans le cas de l’Algérie, elles ont été tant décriées par la colonisation, une grande partie des réformistes musulmans et des nationalistes algériens de la première moitié du XXe siècle et par beaucoup, depuis le sommet de l’état dans les premières décennies de l’Algérie indépendante, en particulier sous le président Boumediene. Elles ont à faire avant tout à la question de l’islam, de sa défense, de sa profusion… plus qu’à celles de « peuple » ou d’ « identité nationale » qui apparaissent plus tardivement, au cours du XXe siècle. La relation au prince et à l’état est cependant beaucoup plus ancienne et s’observe de manière récurrente à travers l’histoire. Des zâwiyya et des turûq jouent en la matière un rôle fondateur ou y apportent leur contribution, les combattent ou s’en tiennent à l’écart, selon les moments historiques. On aimerait que les participants au séminaire puissent produire des pièces d’archives. Ils feraient œuvre utile à tous et, en particulier, alimenteraient l’écriture de l’histoire.

Aziz Sadki

mis en ligne le 10 octobre 2012


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