Tlemcen - Messali Hadj

Itinéraire de Messali Hadj (16 mai 1898 - 2 juin 1974)



Itinéraire de Messali Hadj (16 mai 1898 - 2 juin 1974)
Audacieux à ses débuts politiques, chef incontestable de l'Étoile Nord Africaine, symbole et martyr de la cause nationaliste algérienne; chef national prestigieux du PPA-MTLD discuté lors de son différend avec le Comité Central, mais non éclipsé, dépassé par les disciples qui déclenchèrent le ter Novembre et l'ascension du FLN.

Au cours de la Guerre de libération, Messali sera marginalisé et voire oublié durant l'indépendance. L'Histoire se doit d'expliquer et de comprendre toutes ses étapes.


LES DÉBUTS DE MESSALI

Né dans une modeste famille à Tlemcen. Messali subit deux influences, celle de la Révolution et celle de l'émir Khaled, qui vinrent s'ajouter à celles qui avaient imbibé sa jeunesse : l'atmosphère familiale, celle des Derqaoua et l'esprit frondeur de Tlemcen. Dans son premier discours à Tlemcen, il fit l'apologie de Kemal et de l'Islam.

A Paris, où il émigra après la Première Guerre mondiale, il connut la misère et le chômage, il fit tous les métiers. Messali satisfit sa soif de savoir et de culture, fréquenta les milieux des étudiants, assista à de multiples conférences à la Sorbonne et aux Langues Orientales, emmagasinant de nombreuses connaissances, souvent pêle-mêle. Cette formation autodidacte permit à Messali de donner à ses interventions et à ses articles, une formule intellectuelle et un aspect théorique accessible aux masses des émigrés.

Il expliqua souvent à ses coreligionnaires le combat d'Abdelkrim, la cause de I’indépendance du Maghreb, la renaissance de l’lslam et le réveil du monde musulman. Autant de causes intéressant le courant politique naissant dans les milieux des émigrés de Paris. Messali fréquenta les milieux ouvriers français, acquérant le sens de l'organisation et du combat politique. Lorsqu'il devint président de l'Étoile Nord-Africaine, son programme était tracé : indépendance, renaissance de l'islam, organisation nationaliste indépendante, spécifiquement maghrébine, alliée mais non soumise aux mouvements révolutionnaires français. Les activités de l'Étoile s'identifièrent à celles de Messali.



MESSALI, CHEF PRESTIGIEUX ET « PÈRE DU NATIONALISME ALGÉRIEN »


Messali symbolisa durant de nombreuses années le nationalisme algérien. Ses activités, ses déclarations, ses analyses de la cause algérienne le prouvent amplement.

Au congrès de Bruxelles, en février 1927, Messali expose la situation des Algériens : « Depuis 1830, l’expropriation et l'oppression systématique et brutale ont conduit la population algérienne, non pas dans la voie du progrès mais à l’esclavage. » Il mit en relief le système français de « domination politique » détruisant les anciennes formes de la démocratie musulmane. ll précise les revendications algériennes : « L'Étoile Nord-Africaine, qui représente les intérêts des populations laborieuses de l'Afrique du Nord, réclame pour les Algériens l’application des revendications suivantes et demande au Congrès de les faire siennes :

- l’indépendance de l'Algérie;

- Le retrait des troupes françaises d'occupation;

- La constitution d'une armée nationale;

- La confiscation des grandes propriétés agricoles accaparées par les féodaux, agents de l'impérialisme, les colons et les sociétés capitalistes privées et la remise de la terre confisquée aux paysans qui en ont été frustrés ;

- Le retour à l’État Algérien des terres et forêts accaparées par l'État français».

Lors de grands meetings à Paris et dans de nombreuses villes françaises, Messali dénonce le rattachement de l’AIgérie à la France préconisé par les élus : « Nous refusons le rattachement de toutes nos forces. Nous déclarons qu'à la représentation parlementaire à Paris qui ne peut être efficace, on substitue la constitution d'un Parlement en Algérie qui serait élu au suffrage universel, sans distinction de race ou de religion ». Messali condamna à plusieurs reprises l'assimilation : « La politique d'assimilation ne peut se faire, elle est condamnée par la raison, par la justice et par l'Histoire. La seule solution du problème est l'émancipation de l'Afrique du Nord ». Lors de son retour à Alger, le 2 août 1936, Messali fit un grand discours historique, réclamant avec force un Parlement National Algérien ; le maire d'Alger qualifia ce discours d'anti-français jamais entendu en Algérie, car « réclamant devant plus de 8.000 personnes, la constitution d'une nation algérienne musulmane ». A Tlemcen, en novembre 1936, Messali fit ressortir l'originalité du programme de l'Étoile : « Nous réclamons l'octroi des libertés démocratiques, nous voulons la constitution d'un Parlement algérien, élu au suffrage universel, mais nous entendons bien atteindre ces buts grâce à la collaboration intime des Algériens et des Français... Nous travaillons, en prévision de l’avenir logique de l’Algérie, pour que le peuple algérien puisse participer à la direction économique, politique et administrative de son pays, l'Israélite, le Musulman et le Français se trouvant alors sur le même pied d'égalité ».

Au procès de l'Étoile, en janvier 1936, Messali déclare : « Le Maroc et la Tunisie ne sont pas territoires français... Quant à l'Algérie, qu'il me soit permis de dire qu'elle n'est pas française... L'Algérie a été conquise militairement, mais notre cœur est toujours resté entièrement algérien et, tous, nous aspirons à notre émancipation et à notre indépendance totale ».

En août 1937, Messali définit clairement les grandes lignes du programme du PPA, distinguant d'une part les li bertés démocratiques et, d'autre part, la revendication d'un Parlement national algérien. Il ne craint pas de parler de l’Algérie musulmane, et de définir le nationalisme algérien révolutionnaire. Face au tribunal, il eut le courage de faire connaître la volonté du peuple algérien : « Nous demandons à participer effectivement à la gestion politique, économique, sociale de notre pays ; nous demandons notre émancipation avec l’aide effective de la France, nous demandons notre indépendance, nous travaillons pour notre indépendance, dans la légalité, dans le cadre des lois républicaines. Nous demandons cette indépendance à la France, mais nous sentons que nous avons quand même nos sentiments, que nous avons un passé, une civilisation, une langue. Nous sommes un peuple, Monsieur le Président. Nous avons notre langue, cette langue arabe si riche. Nous avons un passé glorieux. Nous avons eu, nous aussi, des penseurs, des géographes, des savants. Nous avons tout pour faire un peuple. Nous sommes tombés en décadence mais, avant nous, Athènes, Pékin, Rome, l'ont connue aussi. Nous, la jeunesse algérienne, la jeunesse musulmane, nous disons franchement la vérité. Nous ne voulons pas faire de politique dans l'ombre; nous ne voulons pas d'une politique de platitude; nous osons dire ce que nous pensons, nous voulons voir ce pays libre ! Oui, c'est là notre pensée, Monsieur le Président. Mais nous désirons que cela se fasse par la France, avec la France, et alors la France pourra non seulement compter sur nous, mais sur l'Islam tout entier ».

Prisonnier, Messali rappelle à la commission de réformes la position des nationalistes, affirmant son hostilité au projet Blum-Violette repris par le général de Gaulle et sa fidélité à la citoyenneté algérienne et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : « Le musulman algérien demande avec ardeur à jouir de la citoyenneté algérienne lui garantissant le respect de sa langue, de sa religion, de ses droits politiques, sociaux et économiques. C'est ainsi qu'il conçoit la démocratie, les libertés de l’homme et du citoyen et la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. »

Messali a été le dirigeant prestigieux du PPA, et cela particulièrement en 1937 et 1938. Président du PPA, il symbolisait la direction du Parti, et la grande majorité des militants rendait hommage à son patriotisme et à son courage. Si, en 1938, deux comités dirigeaient le Parti, l'un à Paris, l'autre à Alger, c'était ce dernier, grâce à la présence de Messali, qui était prééminent. De la prison de Maison-Carrée, Messali se réunissait toutes les semaines, à l'occasion des jours de visite, avec des cadres militants, dirigeait en fait le Parti.

Durant les premières années de la guerre, en 1940-1941, des inscriptions, des tracts, des qacidas rappelaient le martyr de Messali :

- Pour avoir dit la vérité, Messali est condamné

- Tout le peuple est avec Messali

- Messali chef suprême de l’Algérie

- Le héros, le Zaïm, c’est Messali.

Messali entrait dans la légende, le poète kabyle espère voir Messali sultan, étendre l’étendard. Durant la guerre et les années qui ont suivi, la libération du prisonnier Messali était le vœu le plus cher des Algériens et ils l’ont montré au cours des manifestations de Mai 1945. Le parti l’a affirmé dans tous les journaux. Messali était le chef, l’exemple, le martyr. Un rédacteur du Parti écrivait : « Un homme dont la bravoure n’a d’égal que son génie, un homme d’une audace incomparable, brandit tout haut le flambeau de l’anti-colonialisme. Il parle du peuple algérien, de peuple opprimé, il parle de peuple français conquérant, de peuple oppresseur, il parle de ces libertés fondamentales que tous les homme connaissent et auxquelles les Algériens ont droit. Les Algériens tressaillent. Debout ! Pour la lutte et la liberté. Tous autour de Messali Hadj». On pourrait aisément multiplier les articles dithyrambique que lui consacrait la presse du parti. Au niveau de l'opinion populaire, Messali était devenu le prophète des humbles, le patriarche, symbole vivant du parti et du nationalisme. Messali n'était pas seulement chef de parti, mais chef national, symbole de la constance et de la fidélité, se comportant en « chef d'État », envoyant des télégrammes et des messages aux souverains et présidents des États musulmans, à la Ligue arabe et à l'ONU. Son autorité était incontestable, son point de vue était finalement adopté lors des discussions au niveau de la direction. C'était presque un sacrilège de s'opposer au chef national.



LES DIFFICULTÉS, LA MARGINALISATION ET L'OUBLI DE MESSALI

Après la guerre et la tragédie de Mai 1945, de nouveaux dirigeants, de jeunes intellectuels et des activistes de l’Organisation Spéciale (O.S) commençaient à jouer un rôle important dans le parti, les premiers voulant dépasser les slogans et refusant de se plier à l'autorité de Messali, les seconds préparant les moyens pour déboucher dans la lutte révolutionnaire année, d'où les premières crises au sein du Comité Central et surtout durant la guerre de libération.

La crise au niveau du Comité Central, si elle a amené la masse des militants à soutenir Messali, a éloigné de lui des cadres expérimentés et valables. Messali a reproché à la Direction, « sa politique de facilité et de compromission » et surtout sa passivité aussi bien sur le plan national qu’international. Il lui a reproché également de ne pas l'avoir totalement informé, alors qu'il était en résidence à Bouzaréa et à Niort, des problèmes qui se posaient au Parti. Aussi demandera-t-il les pleins pouvoirs. Ce à quoi les membres du Comité Central ont répondu en reprochant à Messali, son « travail de sape et de division et ses slogans faussement révolutionnaires ». Ils ont mis en relief « la consolidation du Parti et leurs efforts pour le travail de formation et de préparation sérieuse d'une union solide de toutes les forces saines de la Nation ». L'étude critique de cette crise reste à faire et doit se situer dans le contexte de l'impuissance de la politique légale, suite à la répression coloniale multiforme et non dans les reproches des uns. et des autres. Si Messali a convaincu la masse des militants, il a perdu la confiance de nombreux cadres.

Durant la guerre de Libération, si la participation du M.N.A doit être objectivement appréciée, et elle reste à faire, il y a lieu de souligner de nombreux points faibles dans l’attitude de Messali et les positions de son mouvement.



Messali n’a pas pris en considération la démarche de Benboulaïd et la demande du C.R.U.A quant à l’unité du mouvement révolutionnaire. Surpris par le déclenchement du Premier Novembre, on a faussement fait croire à aux militants de France que ce déclenchement était le fait de Messali. La lutte s’aggravant entre le F.L.N et le M.N.A, on a raté l’unité de la lutte révolutionnaire alors que des propositions avaient été faites, par trois fois à Messali de rejoindre le F.L.N où, nul doute, surtout les premières années de la guerre, personne n’aurait pu lui ravir la première place. La guerre fratricide a coûté à l’Algérie des milliers de morts, patriotes révolutionnaires dans les deux camps. Pour toutes ces fins douloureuses, l’Histoire devra faire le bilan tragique et l’analyse objective.

L’indépendance acquise verra une marginalisation machiavélique non seulement du leader charismatique mais souvent même de tout un courant politique, découlant non pas de la réalité historique mais d’analyses claniques.

Curieux destin que celui de Messali, pionnier du nationalisme algérien, chef prestigieux de partis nationalistes qui ont œuvré pour l’indépendance de notre pays, qui n’a pas pu retourner dans l’Algérie indépendante et qui est mort dans l’exil. (…)



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