Tlemcen - Grande Mosquée de Tlemcen


Grande Mosquée
Une inscription cursive qui se déroule sur la corniche du tambour de la coupole, à la Grande Mosquée de Tlemcen, nous fournit la date la plus ancienne qu'on puisse assigner à la construction de cet édifice. Cette inscription est ainsi conçue : « Au nom du Dieu clément et miséricordieux. Que Dieu bénisse Mohammed, sa famille et leur donne le salut ! L'ordre d'exécuter cet ouvrage(1) est émané de l'Emir très illustre... Que Dieu fortifie son pouvoir, augmente l'aide qu'il lui prête, et perpétue son règne! Ceci a été achevé sons la direction du jurisconsulte très illustre et cadi très généreux Abou El-Hasen-Ali-Ben- Abd-Er-Rahmân-ben-Ali que Dieu fasse durer sa gloire. L'ouvrage a été achevé en Djoumâda second de l'année 530(2) ».
D'autre part, une inscription gravée sur le pourtour de la porte en bois de l'ancienne maqçoura, nous donne la date de Ramadhan 533(3). Ces deux dates, correspondant aux années 1135 et 1138 de l'ère chrétienne, nous reportent au règne d'Ali-ben Yousef, l'avant-dernier des Almoravides (1106-1142). Ce prince, grand guerrier et bon administrateur, affermit en Espagne la domination musulmane. C'est sous son règne qu'apparut le mahdi almohade Ibn-Toumert, dont le successeur Abd-el-Moumin devait consommer la ruine des Almoravides.
« Une particularité qui frappe tout d'abord à la lecture de cette inscription commémorative, a dit Brosselard, c'est que le nom du prince fondateur, qui s'y trouvait originairement mentionné, a disparu sous le ciseau(4)». Il en est bien ainsi : entre les mots « le très illustre » (El-Adjall) et « que Dieu fortifie... » (Ayyada Allah) se remarque une lacune d'environ 50 centimètres. Barges a présumé, avec beaucoup de sagacité, que le mutilateur devait être l'almohade Abd-el-Moumin, qui s'empara de Tlemcen en 537, après en avoir chassé Tàchfîn-ben-Ali. Il aurait cherché à faire disparaître de la Grande Mosquée de Tlemcen, le souvenir des Almoravides exécrés(5). Peut-être obéissait-il aussi non seulement à la haine, mais à des scrupules religieux, hostiles à la pompe toute mondaine des inscriptions commémoratives(6). Par là s'expliquerait ce fait singulier, qu'effaçant le nom d'Ali-ben-Yousef, il ait laissé intacte la date de 530, qui nous permet de restituer le mérite de la construction de la Grande Mosquée à son véritable auteur. — Il est possible que, d'autre part, Abd-el-Moumin lui-même ait travaillé à la mosquée-cathédrale de Tlemcen. Le Qartàs prétend qu'il la bâtit, et le terme vague de banyân (construction), dont il se sert, s'applique également à une fondation, à une restauration, à un agrandissement(7). Mais rien ne vient corroborer ce renseignement douteux. Dans tous les cas, il parait certain que le vaste édifice, richement décoré à l'intérieur, attendit soixante-dix ans encore avant d'avoir un minaret. Ce fut Yarmorâsen-ben-Zeiyân, le fondateur de la dynastie abd-el-wâdite, qui, au dire de Tenesi et de Yahya ben-Khaldoun, éleva le minaret delà Grande Mosquée(8). De fait, l'analogie de style de cette tour avec celle du minaret d'Agadir, que les historiens attribuent au même prince, permet bien de croire à une origine commune. D'après une tradition célèbre, l'illustre sultan zeiyânide aurait refusé d'y faire inscrire son nom, et aurait répondu aux conseilleurs la phrase berbère : « Issenets Rebbi », « Dieu le saura(9)». On dit encore que Yarmorâsen, s'apercevant que sa nouvelle construction avait vue sur les dépendances du Qaçr-el-qadim voisin, abandonna définitivement cette résidence royale, et alla jeter dans la partie méridionale de la ville, les fondations d'un nouveau palais, le Méchouar(10).
Plus tard, d'autres dépendances vinrent au cours des règnes successifs s'ajouter à l'édifice principal : une bibliothèque placée à droite du mihrâb, construite par Abou-Hammou II en 760 (1359 après J.-C.)(11), une autre bibliothèque, datant du règne de Moulai Abou-Zeiyân (1394-1399) et qui se trouvait à la partie antérieure du monument(12). Enfin des tombeaux vénérés avoisinent le sanctuaire : l'un, à l'angle Sud- Ouest, est une qoubba à dôme polygonal, qui recouvre les restes de Mohammed-ben-Merzouq, d'Abou El-Hasen-ben-En-Nejjàriya, et peut- être de Yarmoràsen lui-même ; c'est le seul débris de ce qui fut jadis comme la nécropole des Beni-Zeiyàn(13). A l'Est de la Grande Mosquée, se trouve la chambre sépulcrale de Sidi Ahmed Bel-Hasen El-Ghomàri, à laquelle est adjoint un hospice indigène(14).
Plan. — Le plan de la Grande Mosquée est simple et classique. La cour (çahn) est un carré d'à peu près 20 mètres de coté(15), flanqué à l'Est et à l'Ouest de portiques couverts à trois et quatre nefs. Au Nord, un portique transversal à quatre travées enveloppe le minaret. Nous avons peine à croire que cette disposition soit originelle, et, que les deux galeries qui flanquent la tour du côté de la façade principale aient fait partie de l'ancien plan. La proportion ordinaire des mosquées, observée dans la mosquée de Cordoue, qui fait de la première arcade de la salle de prière le milieu de l'ensemble, suivant l'axe, l'habitude de placer le minaret en bordure ou même saillant sur la face principale, la présence d'un mur isolant les deux galeries indiquent suffisamment où s'arrêtait primitivement la Grande Mosquée.
Il convient de remarquer aussi, en même temps que l'absence d'ouvertures, la déformation imposée au plan naturel sur la face occidentale de cette partie, déformation qui entraîna sans doute le changement d'axe pour la cour tout entière, et même le léger gauchissement de l'arcature qui la borde a l'Ouest(16). Il semble bien qu'une telle disposition résulte du voisinage d'un édifice important, difficilement attaquable, antérieur à la mosquée, auquel celle-ci dut s'accoler, tout en en respectant l'ordonnance. Ce pan coupé indique vraisemblablement la place et l'orientation du Qaçr el-qadîm, dont la mosquée d'Ali ben- Yousef ne fut d'abord qu'une sorte de dépendance.
La salle de prière est formée de treize nefs perpendiculaires au mur du mihrâb et portées par six rangs de piliers, la plupart soutenant des arcs plein cintre en fer à chevai; quelques-uns, dans la partie orientale portent des arcs brisés. Les nefs ont toutes 3 m ,20 de largeur; seule la nef médiane a 4 m ,60. L'intérieur de la salle, qui forme un rectangle assez exactement deux fois plus large que profond, présente un total de 60 pieds droits et de deux colonnes.
Dieux coupoles situées dans le grand axe, l'une précédant le mihrâb, la seconde au centre de la salle, derrière le sedda, ont nécessité l'emploi d'arcades transversales établissant un tambour inférieur.
Pour la coupole du mihrâb, cette arcade se limite à la nef médiane, sans se continuer par une travée complète parallèle au mur du fond. De plus, un rapprochement progressif des saillants supportant les arcs de la grande nef fait que, de 4 m ,60, sa largeur du côté du çahn, elle est réduite, en arrivant à la qibla, a 3 m ,50, distance de la dernière rangée de pieds droits au mur du fond; il en résulte que la forme T, visible a Sidi Okba et dans les mosquées mérinides, n’existe pas à la Grande Mosquée(17).
Deux des arcs transversaux, ainsi que la travée entière qui, partageant la salle de prière de l'Est à l'Ouest, interrompt les combles des nefs, et supporte un chéneau de briques, sont découpés suivant de grands festons circulaires. Trois grandes portes donnent, en plus de l'entrée de la face antérieure, accès dans la Mosquée par le côté oriental(18). Deux petites portes à droite et à gauche du mihrâb font communiquer avec la salle de prêche ; deux autres portes plus écartées permettent d'entrer par le mur du fond(19).
Lis coupoles et le mihrâb. — La coupole centrale est creusée de larges cannelures rayonnantes. Celle qui précède le mihrâb est polygonale. Le point de départ des pans qui la forment est une suite d'arcades trilobées (celles des angles formant trompes et décorées de stalactites embryonnaires). Des cintres étroits, se croisant plusieurs fois au sommet, séparent les pans entièrement ajourés. Le tambour carré sur lequel elle est établie a pour corniche un large cavet où court en caractères andalous l'inscription dédicatoire dont nous avons plus haut donné la traduction.
Une fenêtre en plein cintre vient au dessous, garnie par une claire voie à décor géométrique. Elle interrompt une fausse galerie formée d'arceaux trilobés posant sur des pilastres à chapiteau trapézoïde. Sous la galerie lobée règne une bordure qui enveloppe tout le cadre du mihrâb. Une frise vient ensuite ou des acanthes vues de profil alternent avec des acanthes vues de face, puis une bande de caractères coufiques dessine le rectangle intérieur où s'inscrit l'arc du mihrâb.
C'est un plein cintre en fer à cheval portant sur deux colonnettes engagées. Des représentations de voussoirs sculptés alternent avec des portions lisses d'une largeur à peu près égale à celle des voussoirs [fig. 15). Deux arcs de cercle les limitent : le cercle enveloppant, déformé à sa partie inférieure, est découpé en larges festons. Ces voussoirs rayonnent autour d'un centre unique placé sur la corde qui sou tend l'arc d'ouverture, au sommet du tailloir des colonnettes.
Deux panneaux rectangulaires décorent la cimaise; ils sont bordés par des inscriptions coufiques, et garnis, comme les quatre écoinçons qui cantonnent l'arc du mihrâb, d'un décor floral foisonnant. Si l'on en croit le Bostân, tout le mihrâb était primitivement peint en vert.
La coupole du mihrâb est intaillée de grosses cannelures; elle repose sur un polyèdre à huit pans. Cinq d'entre eux forment la niche; ils sont interrompus à la hauteur de la naissance de l'arc par une inscription coufique [fig- 21): trois fenêtres en plein cintre, garnies d'entrelacs floraux ajourés, décorent les pans du fond.
Charpentes. — Comme l'était primitivement la mosquée de Cordoue, la Grande Mosquée de Tlemcen est couverte par des charpentes apparentes. Les fermes, d'un modèle extrêmement simple et très inspiré des fermes romaines à entraits, y sont fort rapprochées les unes des autres; de légères sculptures décorent les blochets et les consolettes qui les soutiennent.

Notre croquis [fig. 16), emprunté à la collection des Monuments historiques, reproduit les fermes de la nef médiane; dans les autres nefs, les chevrons reparaissent au-dessous de la panne basse.
Le style. — Le style du décor est encore fortement imprégné de l'influence byzantine, et l'on peut dire que chaque élément du revêtement de plâtre révèle une imitation voisine encore du décor mosaïque et sculpté de la mosquée de Cordoue ou la communauté des origines.
Chapiteaux. — Nous avons essayé déjà d'indiquer la lente formation du chapiteau arabe de Grenade et de Mansourah. La place des chapiteaux de la Grande Mosquée (Fig. 17 et 18) est facile à déterminer dans le tableau dressé plus haut [fig. (6). Très analogue à ceux des nefs orientales de Cordoue, les deux spécimens de Tlemcen, qui portent encore la double couronne d'acanthe, montrent déjà le grand développement pris par le rebord supérieur de la corbeille prêt à devenir le turban à inscription. Un seul détail les différencie des chapiteaux de Cordoue : c'est le parallélépipède attaché aux deux disques angulaires du premier [fig. 17) et dont les volutes du second (fig. 18) portent une interprétation significative(20).
Le style du décor de plâtre. La division des coupoles en larges cannelures rayonnantes s'observe à Cordoue, dans les niches angulaires, au croisement supérieur des cintres (la grande coquille monolithe en donne peut-être ou l'idée initiale, ou une ingénieuse déformation) (21).
La Grande Mosquée présente un très intéressant exemple de ces coupoles sur nervures [fig. 19) dont les origines et les rapports avec la croisée d'ogive française demeurent encore si obscurs(22), c'est vraisemblablement une ossature de bois qui soutient ces cintres et les vingt-quatre pans ajourés qui les réunissent. Un pavillon carré la surmonte.
Nous avons parlé plus haut(23) des encorbellements qui soutiennent les angles de cette coupole. Ébauches maladroites encore, parce qu'elles ne suppriment pas complètement les grandes portions vides en porte-à-faux sur le tambour inférieur, elles constituent, croyons-nous, un document de premier ordre pour qui veut étudier l'histoire de la stalactite dans l'architecture arabe occidentale. — La fausse galerie à arcades trilobées qui couronne le mihrâb se retrouve presque identique à Cordoue mais ici les chapiteaux simplifiés adoptent nettement la forme trapézoïde des impostes byzantins.
La frise d'acanthe (fig. 20), qui règne en dessous de la petite fenêtre, présente cette particularité que cinq feuilles vues de face y alternent avec dix groupes de feuilles vues de profil, et que les feuilles de face présentent à leur sommet incurvé un relief sensible sur tout le reste de la décoration. Un rapprochement avec la frise sculptée du mihrâb de Cordoue(24), elle-même déformation probable de la corniche à modillons, indiquera l'origine de ces reliefs et de cette alternance. Un second rapprochement avec une bordure du soubassement du même mihrâb(25) - montrera un emploi analogue des feuillages formant voûte au-dessus des feuilles affrontées.
Comme à Cordoue, un décor floral remplit les claveaux (Fig- 15) rayonnant autour d'un point pris à la naissance de l’arc. Mais il n'y a plus ici de rameaux s'échappant d'une tige médiane ; la plante se courbe selon un rinceau plus purement ornemental, qui est encore loin cependant de l'entrelacs axé de Sîdi Bel-Lahsen et de Sidi Bou-Médiène.
Les plaques de la cimaise ne sont qu'une réduction des grands panneaux de marbre qui, à Cordoue, descendent jusqu'au sol de la mosquée(26).
Élément épigraphique. — L'épigraphie occupe une place importante dans la décoration de la Grande Mosquée. Nous avons déjà décrit (p. 89) les inscriptions coufiques qu'on y rencontrait : l'une à petits caractères, assez archaïque, mais manifestant cependant par des fioritures terminales des tendances décoratives; l'autre, que nous reproduisons ici en entier (fig. 21), s'accompagne d'un rinceau très maigre ; la troisième enfin qui, laissant toute sa clarté à la base des lettres, détache sa partie supérieure sur un ornement floral touffu. Une seule inscription cursive, mais la plus importante au point de vue historique, court sur la corniche du tambour (p. 92, fig. 8).
L'élément géométrique. — Le rôle réservé à la géométrie est encore très restreint. La claire-voie médiane présente seule un décor purement géométrique que nous rencontrerons à Sîdi Bel-Hassen, l'axe étant, dans son nouvel emploi, dévié de 30° (fig. 31). Il convient également de noter l'étoile à huit pointes. Elle décore les angles du cadre coufique et entre dans la composition d'une bordure plus mince, où elle alterne avec un polygone curviligne à six pointes. Ces deux figures se retrouvent, à peine déformées et garnies de remplissages analogues au palais de la Cuba; mais, dans le monument sicilien, elles entrent dans un décor à répétitions plus savant et plus purement arabe(27).
Bien qu'encore limité comme surface et timide comme forme, le décor géométrique joint au décor floral et au décor graphique, s'annonce comme devant jouer, dans le décor méplat des plâtres, le rôle des ornements en relief qui surchargeaient les moulures de la décadence romaine : (denticules, oves, rais de cœur, perles et pirouettes. Rien de tout cela à la Grande Mosquée, mais des inscriptions coufiques et cursives, deux longs rubans se croisant régulièrement, des chapelets de fleurettes et de boutons aplatis, des palmes étalées parallèlement (fig. 15) ou ces successions de crosses lisses dont nos décorateurs romans ont fait un si constant usage (fig. 19).
L’élément floral. — Le décor floral a pris à la Grande Mosquée de Tlemcen la place la plus importante. Disons tout de suite que la flore de Cordoue y apparaît extrêmement appauvrie et ayant fait un pas de plus vers l'interprétation purement ornementale. La feuille d'acanthe, presque seule, en fait tous les frais, divisée en deux portions inégales ou s’échappant en une seule palme d'un bourgeon initial, parfois revêtant une forme de fleuron imbriqué, qui, nous le verrons (fig. 15, 20, 68), remplit toujours le même rôle que la palme à nervures. Le modelé s'est très simplifié; il n'est plus formé que de stries profondes et des trous circulaires de la basse époque byzantine.
Quelques pastilles trouées en leur centre s'appliquant sur les tiges grêles, quelques fleurettes vues de face, à quatre ou huit pétales, parfois séparées par des représentations schématiques d'étamines, complètent la flore. La feuille lisse ne se manifeste encore que par quelques rameaux courant dans l'inscription cursive de dédicace, par la tournure donnée aux bordures à crosses dont nous parlions plus haut, peut-être aussi par les décors gravés des arcs lobés de la grande nef.
Ameublement. — L'ameublement de la Grande Mosquée se compose des pièces nécessaires pour assurer les besoins du culte d'une mosquée-cathédrale. Il est fort pauvre; le minbar, la sedda, placé dans la nef médiane, en avant de la coupole du cintre, le koursi du moderrès n'ont aucune valeur artistique. Les lampes sont de date récente ; seul un grand lustre, appendu à la coupole centrale, mérite quelque attention. C'est, suivant la tradition, un des nombreux présents que le sultan Yarmorâsen fit à sa mosquée de prédilection, celle où il aimait à venir prier et discuter sur des sujets édifiants avec les savants docteurs de son temps. C'est une couronne de lumière de 8 mètres de circonférence, en bois de cèdre, revêtue de lames de cuivre repercées. Trois autres cercles plus petits, étagés et rejoints par des pièces de bois inclinées, forment une sorte de cône aplati. Un cylindre en cuivre massif orné de trois boules porte à son sommet des anneaux pour le suspendre. Sa forme archaïque et la tradition qui le concerne en font un objet fort intéressant(28).
De ce lustre il convient de rapprocher une couronne de cuivre (fig. 23) (29) gravé et repercé qui surmontait, il y a quelques années encore, le minaret d'Yarmorâsen et qui est peut-être ancienne. Elle est d'une facture fruste, assez semblable à celle du lustre. Le fait qu'elle porte la sentence cursive : « El-youmn wal-iqbal », « Le bonheur et le succès », qui nous apparaît comme l'épigraphe « passe-partout» des industries d'art espagnoles, nous induirait à penser qu'elle sortait de quelqu'atelier d'Andalousie. Ce ne serait d'ailleurs pas le seul travail de cuivre de cette origine. Le grand lustre en proviendrait-il également? On ne peut sur ces points de détail se permettre que des conjectures.
Les clôtures qui ferment la salle de prière sont d'un âge difficile à déterminer. Elles sont assez bien construites et habilement décorées de panneaux à claire-voie(30).
La mosquée avait une maqçoura. C'est elle que désigne vrai- semblablement ce passage de l'abbé Largos : « Le sanctuaire (il désigne ainsi le mihrâb) est séparé du reste du temple par une balustrade en bois que nous franchissons pour visiter les autres parties du monument. » Cette clôture servit peut-être de maqçoura à l'époque turque : mais il est assez probable qu'elle en remplaçait une autre plus élevée et plus riche. Cette maqçoura primitive a été retrouvée dans une autre partie de la mosquée et se trouve maintenant au musée de la ville. C’est une clôture de bois à trois pans, faite de claires-voies et de panneaux à petits cadres assez habilement emmanchés et dont les dispositions contrariées offrent les combinaisons caractéristiques de la menuiserie arabe. Une arcade en fer a cheval, reproduisant assez bien, dans ses proportions, l'ouverture du mihrâb, servait de porte à cette enceinte: une inscription formant un ruban pour tournant le cintre, lui assigne la date de 533 de l'hégire, trois ans après l'édification de la coupole (Fig. 24). Un cadre surélevé entoure la partie supérieure de cette porte; il est également composé de petits panneaux et surmonté de merlons à redans découpés et sculptés.
Le minaret. — Bien qu'il ait un siècle et demi de moins que la mosquée, le minaret n'en est pas moins un des plus anciens du Maghreb. C'est le plus élevé de la ville et il a sa place marquée à plusieurs pages de l'histoire. Sa fondation par Yarmoràsen donne lieu à la curieuse légende rapportée plus haut. En 789 (1387 J.-C), Abou-Hammou étant rentré dans sa ville dévastée par Abou'l-Abbâs, son fils Abou-Tachfin y accourt, s'installe en maître dans le palais du sultan. Celui-ci se réfugie dans le minaret de la Grande Mosquée(31). Ayant appris où se radiait sou père, le fils révolté va l'y chercher lui-même et, versant des larmes, se réconcilie avec lui.
Ce minaret est décoré sur ses quatre faces d'un grand panneau rectangulaire garni d'un réseau de briques. Ce réseau, orné de fleurons marqués d'un émail vert, repose sur une arcade en fer à cheval que portent deux colonnettes monolithes semblables à celles d'Agadir. Une galerie d'arcades lobées règne au dessus. Le campanile est décoré d'un défoncement avec réseau incrusté de terre émaillée verte. Le cadre porte une garniture de mosaïque très simple blanche et verte.
Cent trente marches donnent accès à la plateforme supérieure. Les volées d'escalier qui tournent autour du noyau central sont couvertes par des voûtes d'arête.
D'autres dépendances augmentent encore la superficie de la Grande Mosquée. Les anciennes latrines s'étendaient au Nord et occupaient une partie de l'espace aujourd'hui ouvert par la rue de la Paix; une belle cuve rectangulaire de marbre onyx en a été transportée au musée de la ville. Le terre-plein compris entre le mur Nord de la musquée et ces latrines était occupé par divers bassins d'ablutions; il était en partie recouvert de voutes reposant sur des arcades. Les latrines actuelles, qui datent de quelques années, sont situées au Nord-Ouest de la Grande Mosquée.
A la partie Est, se trouve un hôpital musulman joint au tombeau du Soufi vénéré Ahmed Bel-Hasen El-Ghomâri 1466.
« Elles se répandent au loin, les vertus de ce sanctuaire, pareilles au rayon de l’aurore ou à l'éclat des astres, qui guident les pas du voyageur. Si quelque malheur te frappe, cherches-en le remède auprès de ce soleil de noblesse et de science, Ahmed»(32).
Ainsi parle le distique inscrit sur le linteau de la porte orientale.
En face du tombeau, quatre grands vases sont disposés contre le mur oriental extérieur de la Grande Mosquée, enfoncés dans un massif de maçonnerie et couronnés d'une margelle. Le gardien du tombeau les remplit chaque jour de l'eau d'un puits voisin de la chambre sépulcrale du saint. Elles offrent au passant une boisson bénie.
Des arceaux rejoignent le marabout au mur de la mosquée. Ils sont percés, aux angles supérieurs, d'ajours géométriques, motifs fréquents dans les maisons arabes. Une treille reliant les arceaux fait à ce passage une voûte légère et motivante, sous laquelle flotte presque toujours le parfum du djâoui, l'encens arabe que l'on brûle au tombeau. Et sans cesse des femmes, des mendiants, des infirmes, viennent chercher dans cet endroit reposant, en même temps que des consolations morales, un abri contre la chaleur du jour.

NOTES :
1- Mimma amara bi Amalihi;— cf. sur cette formule, de Saulcy ap. Journal asiatique, avril 1839, p. 317et suiv. — Van Berchem, Notes d'archéologie, 1, p. 19 , note 2.
2- Publiée et traduite par Brosselard (les Inscriptions arabes de Tlemcen Revue africaine, décembre 1858) et Barges Tlemcen, ancienne capitale, etc., p. 133, 130). Apres vérification, nous adoptons la lecture de Brosselard, et notre traduction ne diffère que très peu de la sienne: on trouvera reproduit le fac-similé de la date de cette inscription p. 112, fig. 8. D'autre part, Brosse- lard (Rev. Afric., déc. 1858. p. 85 confond la Grande Mosquée de Tlemcen (Tagràrt) avec celle d'Agadir, quand il attribue sa fondation première à Idris- ben-Abdallah.
3- Publiée par l'un de nous (Bulletin archéologique de l'Afrique du Nord, p. 548-551); on trouvera le fac-similé d'un fragment de cette inscription, la date de 533 et « la mosquée cathédrale de Tlemcen » fig, 24.
4- Revue africaine, décembre 1858, p. 87.
5- Tlemcen. ancienne capitale etc, 436 ; mais il nous est impossible de le suivre quand, après réflexion, « il se souvient d'avoir lu lui-même sur place », dans la lacune, les mots rajoutés El-amdjad maoulâna Abd-el-Moumin le très louable notre seigneur Abl-el-.Moumin.) Nous avons sous les yeux une photographie agrandie de l'inscription de la Grande Mosquée, et il ne nous est permis de rien démêler dans la partie mutilée de l'inscription. — Cf. des exemples de mutilations d'inscriptions analogues ap. Van Berchem, Matériaux pour un Corpus, p. 163 et suiv, p. 314, 315.
6- Cf. Doutté, Mission au Maroc (Journal asiatique, janvier 1902, p. 161).
7- Cf. Roudh-el-Qartâs, p. 269; Tlemcen, ancienne capitale, etc., p. 437.
8- Cf. Histoire des Benî-Zeiyan, p. 22; — Complément, p. 9.
9- Cf. Histoire des Benî-Zeidn, XXXVII; — dans Tenesi, la réponse de Yarmorâsen est rapportée en arabe (Ed-Oourr wal-lqyàn, manuscrit de la Médersa de Tlemcen, f° .59 verso).
10- Cf. Brosselard, Tombeaux des émirs Benî-Zeiyan, p. 53.
11- Cette bibliothèque, qui existait encore il y a cinquante ans (Cf. Tlemcen, ancienne capitale, etc., p. 431, 432; Brosselard, ap. Revue africaine. décembre 1858, p. 90), a disparu dans les remaniements que le service des Monuments historiques a fait subir à la Grande Mosquée. L'inscription sur bois qui surmontait sa porte ; Cf. Brosselard. loc. cil.) est encore en place.
12- Cf. Histoire des Benl-Zeiyân, p. 98.
13- Cf. Brosselard, Tombeaux des émirs Beni-Zeiyân, p. 54, 137 et suiv; — Tlemcen, ancienne capitale, p. 430, 431.
14- Cf. infrà. p. 160-161.
15- Notre photographie présente, au premier plan, le bassin aux ablutions; au fond, quatre des arcades qui s'ouvrent sur la salle de prière, montrant l'emploi simultané de quatre genres différents de découpure. A droite, à la base de la grande arcade qui précède la nef médiane, on remarque l'échancrure prolongeant le niveau du çahn pour indiquer la qibla aux fidèles placés dans celle partie de la Mosquée.
16- Une irrégularité analogue se remarque à la Mosquée de Sidi Okba.
17- Cf. suprà, p. 41.
18- Une quatrième porte, à l'extrémité Nord-Ouest, donnait autrefois accès dans la partie de l'édifice actuellement occupée par la Mahakma du cadi. L'installation du ce prétoire à cet emplacement, pris sur le portique Nord de la mosquée, est toute récente.
19- Celle qui est située à gauche du mihrâb (en lui faisant face porte extérieurement une inscription moderne peinte sur bois, publiée par Brôsselard (Revue africaine, décembre 1858, p. 92).
20- Il y a un autre chapiteau à la Grande Mosquée, placé dans la portion Nord-Ouest des portiques de la cour. Il est d'un modèle très archaïque. De galbe tronconique, il est revêtu presque complètement de feuilles lisses imbriquées. Nous en observerons un assez semblable dans une des petites mosquées de Tlemcen (cf. Mosquée: de Bàb-Zir).
21- Sur les coupoles en forme de coquille en Orient : Van Berchem, Notes d’archéologie. II, p. 21.
22- Cf. Choisy, Histoire de l'Architecture, t. Il, p. 98, 99; — supra, p. 57.
23- Cf. supra. Encorbellement a stalactites, p. 66.
24- Girault de Prangey, Essai sur l'architecture des Mores (PI. 1. n° 10).
25- Ibid. fig, n- 6 et 13.
26- Sur l'origine présumée de ces lambris, cf. Dieulafoy, l'Art antique de la Perse, t. V. p. 102-103 et 153.
27- Cf. Girault de Prangey, Essai sur l'architecture, PI. 12, n* 3, 4 et 5.
28- Comp.au lustre de Cairouan.au lustre mérinide de la mosquée de Taza [Roudh-el-Qartas, p. 570. el au lustre primitif de la Qarawiyin [id., p. 8o. Signalons aussi un lustre conservé à la mosquée de Nédromah, de forme plus compliquée et de date vraisemblablement plus récente.
29- Arrachée par des ouvriers qui posaient des fils électriques, elle fut pieusement recueillie par Si Mohammed ben-Kalfate qui en a fait don au Musée de la ville.
30- Sur des claires-voies analogues à Sidi Okba. cf. Saladin, la Mosquée de Sidi-Okba p. 53), ou ce travail est comparé à celui des moucharabiés du Caire.
31- Sur l'emploi possible des minarets comme réduits fortifiés, et. Saladin. Mosquée de Sidi-Okba, p. 8" : — et aussi Van Berchem, Notes d'archéologie, 1. p 34.
32- Cf. Brosselard, Revue africaine, décembre 1858, p. 93, 94; — Tlemcen, ancienne capitale, p. 440 — le Bostân (notre manuscrit, p. 58 et suiv.) consacre à ce saint personnage une longue notice ; il fut enterré, dit-il, dans une cellule qu'il habitait, auprès de la Grande Mosquée.



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