Tlemcen - Sidi Senoussi

Biographie de Sidi Es-Senousi



MOHAMMED BEN YOUÇOF BEN OMAR BEN CHOAÏB ES-SENOÙSI EL-HACENY ET-TLEMCENY (1). D'après ce que prétend son disciple El-Mellaly, il était originaire, par son père, des Beni-Senous (2), tribu bien connue dans le Maghrib, et, par sa mère (3), de Hacên fils d'Ali, fils d'Abou Talib. Il naquit à Tlerncen, dont il fut le savant, l'homme pieux, l'ascète et le grand personnage. Ce savantissime et habile cheikh, cet homme pieux, ce saint, était fils du vertueux cheikh, l'ascète, le dévot, le professeur accompli, le maître de lecture coranique, l'humble Abou Yaqoub Youçof Es-Senoûsî. Dès sa jeunesse, il se fit remarquer par ses excellentes qualités, par son mérite, par la bénédiction divine qui reposait sur lui et par sa vertu. Ainsi que le dit son disciple El-Mellaly, Es Senorûsi fit ses études auprès de plusieurs professeurs, tels que : son père, susmentionné, le très docte cheikh Nasr Ez-Zouawy, le savant cheikh Mohammed ben Toumert Es-Sanhadjy, le cheikh Ech-Cherif Abou'I-Hadjjadj Youçof ben Abou'l-Abbés Ahmed ben Mohammed Ech-Cherif EI-Hacêny (4), sous la direction duquel il apprit les sept leçons du Coran ; le cheikh Abou Abdallah Mohammed ben Ahmed ben Iça El-Meghily, plus connu sous le nom d'El-Djellab ; le savant astrologue Abou Abdallah El-Habbak, auprès duquel il apprit la science de l'astrolabe ; l'imam Mohammed ben El-Abbés, sous la direction de qui il étudia les principes fondamentaux du Ali ben Mohammed Et-Talouty El-Ansary qui lui enseigna la Riçala; le grand saint, le pieux El-Hacên ben Mekhlouf EI-Mezily Er- Rachidy, plus connu sous le nom d'Aberkan, dont il fréquenta longtemps l'école et des leçons duquel il retira le plus grand profit ; il bénéficia aussi des bénédictions de ce cheikh qui n'avait cessé de prier pour lui, qui l'avait aimé et préféré à ses autres disciples; Dieu réalisa d'ailleurs les espérances que ce professeur avait fondées sur lui et exauça ses prières; l'imam, l'ascète, le pieux Abou'l-Qacim El-Kenbachy (5), sous la direction de qui il apprit, avec son frère utérin sidi Ali Et-Talouty, l'Irchad d'Abou'I-Màaly ; c'est aussi auprès de ce maitre qu'il étudia l'unitarisme; le cheikh et imam, l'argument, le pieux et consciencieux Abou 'Zeid Et-Thàaleby qui lui enseigna les deux Sah.ih et autres ouvrages traitant des hadiths et lui délivra un diplôme par lequel il lui conférait le droit d'enseigner tout ce qu'il avait été lui-même autorisé à enseigner; le savantissime imam, le saint, l'ascète, le bon conseiller Ibrahim Et-Tazy qui résidait à Oran ; celui-ci le revêtit du froc des soufis (6) après lui avoir craché dans la bouche et communiqué la règle de l'ordre telle qu'elle lui avait été transmise par ses anciens maîtres ; Es-Senoüsi a rapporté une foule de choses qu'il tenait de ce professeur; le savant et très illustre cheikh, le pieux Abou'l Hacèn El-Qalaçady El-Andaloucy, sous la direction de qui il étudia le partage des successions et l'arithmétique, et dont. il reçut un diplôme qui lui conférait le droit d'enseigner ce qu'il lui avait lui-même appris, et autres professeurs. Si l'on considère la science d'Es-Senoüsi, son affabilité, sa vertu, sa conduite, son détachement des choses de ce monde, là délicatesse de sa conscience et sa dévotion, on peut affirmer qu'à tous ces points de vue il était une insigne merveille de la puissance de Dieu. Son disciple, Abou Abdallah El-Mellaly, a réuni dans un grand ouvrage d'environ seize cahiers, intitulé : Les dons très saints relatifs aux vertus du docteur Es-Senoüsi (7), toutes les particularités de sa vie, ainsi que les renseignements précieux qu'il avait donnés dans le cours de son enseignement. J'ai résumé ce livre (c'est Ahmed Baba qui parle) dans un opuscule de la grosseur de trois cahiers ; qu'il me soit permis d'en transcrire ici quelques pages : « Quant aux sciences non mystiques, dit El-Mellaly, on peut dire qu'Es-Senousi en avait acquis la part la plus considérable, et qu'il avait obtenu dans le partage des principes fondamentaux et secondaires de ces sciences non seulement sa propre part, mais encore toutes les autres. Lorsqu'il enseignait une science, ses auditeurs étaient tentés de croire qu'il n'en connaissait pas d'autres, tellement il en parlait savamment. C'était surtout en unitarisme et en métaphysique qu'il était remarquable ; mais il connaissait d'autres sciences non mystiques que ces deux dernières et n'avait point de rivaux en sciences mystiques. Il savait mieux que les autres jurisconsultes résoudre les questions difficiles, principalement celles qui concernent l'unitarisme. Quand il enseignait les sciences non mystiques, il était aussitôt entraîné à parler de celles relatives à la vie future; cela lui arrivait surtout lorsqu'il expliquait le Coran ou les traditions. On eùt dit, en effet, qu'il avait l'autre monde sous les yeux tant il contemplait et craignait le Très-Haut. Voici les paroles que je lui ai entendu prononcer : « Parmi les sciences non mystiques, il n'y en a qu'une seule, celle de l'unitarisme, qui puisse donner à l'homme la connaissance de l'essence de Dieu et l'amener à la contemplation du Très-Haut ; c'est grâce à cette science que l'homme pourra comprendre toutes les autres mieux il la possédera, plus il craindra le Seigneur et s'en approchera. » Il était si profondément versé dans cette science, qu'à cet égard nul ne pouvait lui être comparé. Ses Articles de foi tiennent lieu de tous les traités écrits sur la matière, surtout l'Article de foi mineur, qui, selon les propres paroles de l'auteur, ne peut être mis en parallèle avec aucun autre ouvrage de même nature. « Le vrai savant, lui ' ai-je entendu dire, est celui qui trouve obscures les choses claires, et qui éclaircit celles qui sont obscures par la puissance de son intelligence, l'étendue de son érudition et la parfaite exactitude de son enseignement ; voilà celui dont il faut fréquenter l'école et écouter les utiles et précieux renseignements. » Quand il mourut, on perdit, en effet, un savant. qui possédait toutes ces qualités. Ce n'est point que je veuille affirmer qu'il n'y avait pas à son époque de savants érudits : il n'en manquait certes pas; mais je veux dire qu'il n'en existait point dont la science fût aussi profitable que la sienne et qui fussent aussi pénétrés que lui de la crainte de Dieu. Il était le pivot et le soleil radieux des sciences mystiques ; ceux qui l'écoutaient parler sur cette matière ne tardaient pas à s'apercevoir qu'il pénétrait Dieu en se confondant avec lui, et qu'il connaissait les sources du ses secrets et les foyers de ses lumières. Il aimait le Seigneur qu'il contemplait constamment ; nul autre que Lui n'occupait son esprit ; souvent même il se retirait dans les lieux solitaires pour se livrer à de longues méditations ayant pour but d'arriver à le connaître ; aussi, parvint-il à découvrir ses merveilleux secrets et à déchirer le voile qui le cachait à ses yeux. C'est ainsi qu'il devint l'un des héritiers des prophètes. Il possédait à merveille la connaissance de la loi positive et celle du sens mystique qu'elle renferme. Il se conduisait avec une exquise délicatesse et parlait et agissait avec sincérité. Sa pensée était absorbée par les vérités de l'unitarisme et son corps était voué aux mortifications. Les aspirants à la vie spirituelle se guidaient sur ses paroles. Il était pénétré de la crainte de Dieu et était en proie à de longues tristesses. La crainte que Dieu lui inspirait était si forte qu'elle arrachait des gémissements à sa poitrine. Il ne s'apercevait pas de la présence des personnes qui l'entouraient, tant son esprit était absorbé par l'idée de Dieu. Humble, doué d'un excellent caractère et d'un coeur tendre, il souriait à tous ceux qu'il rencontrait, les accueillait avec affabilité et leur adressait de bonnes paroles. Les enfants eux-mêmes accouraient en foule sur son passage pour baiser avec respect les pans de son manteau. I1 était modeste et réservé jusque dans sa démarche. L'excellence de sa nature, la largeur de son esprit, la noblesse de son âme, la bienveillance de son coeur, la fidélité avec laquelle il remplissait ses engagements le rendaient incomparable. Il honorait les grands, était serviable pour les petits et s'humiliait devant les faibles. On écoutait ses avertissements avec le plus grand respect. Par la force de ses arguments, il fermait la bouche à tous ceux qui osaient le contredire. Il était à la fois un théologien accompli, un pratiquant très assidu et un saint de premier ordre. Plein de compassion pour ses semblables, il leur rendait service en soutenant devant le roi les intérêts qu'ils lui confiaient, et supportait avec résignation les injustices dont il était victime de leur part. Parmi les savants et les ascètes de son siècle, aucun n'a été aussi estimé, respecté et honoré que ce cheikh. On se rendait en foule auprès de lui pour recevoir ses bénédictions. Voici les paroles que je lui ai entendu prononcer vers la fin de sa vie : « S'il existait à notre époque un savant joignant dans son esprit, à la connaissance des sciences mystiques, celle des non mystiques, on pourrait considérer cette éventualité comme une chose extraordinaire ; mais elle le serait à plus forte raison si ce savant faisait bénéficier tout le monde de ses lumières. Un tel homme est excessivement rare, et qui conque l'a trouvé possède en lui un trésor immense qui lui procurera la félicité dans ce monde et dans l'autre. Que celui qui a le bonheur de l'avoir rencontré le serre fortement dans sa main de crainte qu'il ne lui échappe bientôt, car il ne trouverait jamais plus le pareil, ni en Orient ni en Occident. » Il semble qu'il a voulu, par ses paroles, faire allusion à lui-même : car, assurément, on ne verra jamais son pareil ; on dirait aussi, qu'il a voulu nous faire savoir qu'il ne tarderait pas à mourir : il décéda, en effet, peu de temps après avoir prononcé ce discours. Sa dévotion et son détachement des biens de ce monde étaient si connus que nul ne pouvait les ignorer. Le sultan lui fit offrir une part des revenus de la medersa qu'avait dirigée le docteur sidi Lahcén Aberkan, mais il refusa. Comme on insistait, il s'excusa dans une longue épitre; mais, à la fin, il ne put s'empêcher d'accepter. « Le véritable saint, lui avons-nous entendu dire, est celui qui, si on lui montrait le paradis et ses houris, ne détournerait même pas la tète pour y jeter un coup d'oeil ; c'est aussi celui qui ne cherche de refuge qu'auprès du Très-Haut; celui-là connaît réellement Dieu. » En prononçant ces paroles, Es-Senoûsi se dépeignait lui-même. « Quant à ses sermons, ils étaient persuasifs et faisaient frissonner d'épouvante ; toutes les personnes qui y assistaient disaient : « C'est moi que vise le prédicateur, oui c'est bien moi. » La plupart des sujets qu'il traitait roulaient, en effet, sur la nécessité de craindre Dieu et de l'observer constamment, ainsi que sur ce qui nous attend dans la vie future. Il ne manquait jamais dans toutes ses conférences de faire une admonition. Ses paroles avaient une douceur qu'on ne trouve pas dans celles des autres hommes. Il donnait à chacun des conseils et des avertissements en rapport avec sa situation (c'est-à-dire avec son âge, sa condition, son intelligence, etc.). Je l'ai toujours vu remuant les lèvres pour célébrer les louanges de Dieu. II craignait tellement le Seigneur et l'observait avec tant de constance que sa poitrine laissait échapper des soupirs et des gémissements. « On n'est vraiment pieux, lui ai-je entendu dire, que lorsqu'on obéit aux ordres et aux défenses de Dieu avec une humilité et une soumission parfaites. » Il était le plus scrupuleux de ses contemporains et détestait la société des gens du monde qu'il ne voulait ni regarder ni voir en face. Un jour que nous étions allés avec lui dans le Sahara, il aperçut dans le lointain des cavaliers richement costumés. « Qui sont ces hommes? demanda-t-il. — Des officiers attachés à la personne du sultan, lui répondîmes-nous. — Dieu me garde de les rencontrer ! s'écria-t-il, et il retourna sur ses pas pour prendre un autre chemin; puis, les ayant rencontrés de nouveau, et ne pouvant, cette fois, retourner en arrière, il se couvrit le visage et, se tournant contre un mur, il resta dans cette posture jusqu'à ce que les cavaliers fussent passés sans l'avoir vu. Lorsqu'il fut arrivé, dans l'interprétation du Coran, au chapitre de la reconnaissance du dogme de l'unité de Dieu (112e), il projeta de consacrer tout un jour à son explication, et un autre jour à celle des deux derniers appelés « les préservatifs ». En apprenant cette nouvelle, le vizir s'était promis d'honorer de sa présence la séance finale; mais le cheikh, informé du désir du ministre, expliqua les trois chapitres en un seul jour, de crainte que cet homme du monde n'assistât à sa conférence. Le sultan l'ayant mandé auprès de lui pour qu'il expliquât le Coran en sa présence, selon la coutume des savants versés dans cette science, le cheikh refusa. Comme on insista de nouveau, il adressa au sultan une lettre dans laquelle il donnait pour excuse de son refus qu'étant extrêmement timide, il ne pourrait parler devant lui. On renonça alors à l'entendre. Lorsqu'il savait qu'un homme du monde devait offrir un festin, il s'absentait de chez lui toute la journée, de peur qu'on ne vint l'y convier; quelquefois même, il quittait son logis plusieurs jours avant la date de ce repas et ne reparaissait plus qu'après cette date. Il refusait les présents du roi et de ses courtisans, et il arrivait souvent que ceux-ci lui en fissent apporter pendant son absence; mais, à son retour, le cheikh grondait les membres de sa famille qui les avaient reçus et se montrait fort contrarié. Il acceptait, au contraire, les cadeaux de toute autre personne, et faisait des voeux en faveur de ses généreux donateurs. Il dédaignait les gens du monde, et, quand ils se jetaient à ses pieds, il se détournait d'eux. Un jour, le fils du sultan vint faire une visite au cheikh, et, après lui avoir baisé les mains et les pieds, il le pria de vouloir bien accepter comme cadeau une certaine somme d'argent qu'il portait sur lui; mais le cheikh refusa en souriant et lui donna sa bénédiction. En désespoir de cause, le prince lui dit: « Sidi, si vous ne voulez pas accepter cet argent pour vous-même, faites-en l'aumône à qui vous voudrez parmi les pauvres. — Non, répondit-il, et il persista dans son refus. » Le cheikh était d'un naturel si timide qu'il n'osait ni contrarier les gens, ni leur faire mauvais accueil ; il n'aimait point à écrire aux officiers de la cour; mais si quelqu'un venait solliciter de lui ce service, il leur écrivait parce qu'il avait honte de refuser. Son frère, sidi Ali Et-Talouty, lui fit un jour des remontrances à ce sujet : « Pourquoi, lui dit-il, écrivez-vous si souvent au sultan et à ses 'courtisans? — On me l'impose, répondit-il. — Refusez catégoriquement et dites aux solliciteurs: Je ne veux pas écrire. — O mon frère, répliqua le cheikh, je vous jure que la honte est. plus forte que moi, et que je ne pourrais jamais me résoudre à dire : Je ne veux pas écrire. — N'ayez honte de personne, reprit sidi Ali. — Si la timidité, ajouta Es-Senousi, doit conduire à l'enfer celui qui en est doué, je suis sûr d'y entrer. » Eu somme, sa grandeur d'âme était connue de tous; il n'était farnilier avec personne et ne cherchait à faire la connaissance de qui que ce fût. Il aurait voulu, au contraire, que personne ne le vit. « Ah ! mon fils, me dit-il un jour, je vous jure que je voudrais ne voir personne et n'être vu de personne ; que dis-je? je voudrais vivre complètement isolé. Quant aux présents que je reçois, si les gens qui me les apportent croient, en ce faisant, m'être utiles, moi je leur en fais grâce, car je n'ai besoin ni d'eux ni de leur argent. » Malgré cela, il était calme et très patient, S'il lui. arrivait d'ouïr des choses désagréables, il feignait de ne pas les avoir entendues et ne s'en montrait point affecté: il souriait, au contraire ; telle était d'ailleurs sa manière d'agir quand il se trouvait dans le cas de se mettre en colère. Il faisait bon accueil à quiconque l'avait offensé et ne haïssait personne ; jamais il ne montrait un visage maussade à ceux qu'il rencontrait. Il adressait de bonnes paroles à celui qui avait attaqué sa réputation, ne lui faisait aucun reproche et lui témoignait tant d'estime que celui ci finissait par croire qu'il était son ami. Il fut l'objet d'une foule de discussions : quelques-uns prétendaient, en effet, que le plus savant de la terre avait un mérite moindre que le sien ; mais il ne prêta aucune attention à leurs querelles. Cependant, lorsque après avoir écrit un de ses Articles de foi, il se vit désapprouvé par un grand nombre de savants de son époque, et critiqué par eux en des termes peu convenables, il fut très affecté de leur manque d'égards et resta plusieurs jours en proie à un vif chagrin. Puis il vit en songe le calife Omar ben El-Khattab, qui, debout à son chevet et tenant à la main un glaive ou un bâton, brandissait cette arme au-dessus de sa tête et l'en menaçait comme s'il eût voulu lui dire : «Pourquoi crains-tu le monde?» Lorsqu'il se réveilla le lendemain matin, son chagrin s'était dissipé et son coeur était devenu insensible à la peine. Dès lors, les langues se turent et il pardonna à ses calomniateurs qui, dans la suite, revinrent sur leur premier jugement et reconnurent la supériorité de son mérite. Le trait suivant est une preuve de son excessive pitié: Un chacal poursuivi par un chasseur et ses chiens vint à passer près de lui; arrêtée par les chiens,, la pauvre bête fut ensuite égorgée. Lorsqu'il arriva près d'elle et qu'il la vit étendue sans vie sur le sol, il se prit à pleurer et dit: « Il n'y a de Dieu qu'Allah! Où est l'esprit qui animait ce corps? » « L'homme, lui ai-je entendu dire, doit marcher sans précipitation et avoir toujours les yeux fixés devant lui afin de ne pas écraser les bestioles qui rampent sur le sol.» Il s'affligeait quand il voyait quelqu'un frapper brutalement un âne, et lui disait : « O homme béni, traite ta bête avec douceur.» Il défendait aux maîtres d'école de battre les enfants. « Dieu, lui ai-je entendu dire, dispose de cent miséricordes, mais il en a une à laquelle seul peut prétendre celui qui se signale lui-même par sa miséricorde et sa pitié pour toutes les créatures. » Je ne l'ai jamais entendu proférer des imprécations, sauf une fois : il s'était aperçu de certaines choses blâmables qui se passaient dans une maison comme il ne pouvait les supporter, il se mit en colère et s'écria : « Que Dieu extermine jusqu'au dernier les habitants de cette maison! » L'effet de sa malédiction se produisit dans le plus bref délai. Pendant la maladie qui l'emporta, il reçut la visite de l'un des savants de son époque qui l'avaient dénigré; celui-ci lui ayant demandé le pardon de ses torts, le cheikh le lui accorda en y ajoutant sa bénédiction. A la mort du cheikh, ce savant versa d'abondantes larmes et s'affligea beaucoup ; toutes les fois qu'il pensait à lui, il pleurait et disait: « J'ai tout perdu en le perdant. » Je lui ai entendu faire le plus grand éloge de deux savants de son époque, du nombre de ceux qui le dénigraient et se conduisaient mal à son égard. Il réconciliait les adversaires et faisait aboutir les affaires qu'on lui confiait. Il m'a assuré avoir écrit un jour trente lettres sans interruption; « c'est un homme, nie dit-il, qui m'avait chargé de cela, et je n'ai pas osé refuser. » « Si quelqu'un, ajouta-1-il, copiait chaque jour un nombre égal de pages, il se trouverait bientôt possesseur d'un grand nombre de volumes ; quant aux lettres qu'on nous charge d'écrire, ce sont des ennuis inhérents à notre profession.» Il était si patient qu'il s'arrêtait longtemps à écouter les personnes qui venaient l'entretenir de leurs affaires, et qu'il ne quittait jamais son interlocuteur avant que celui-ci eût pris congé de lui. Malgré toutes ses occupations, il ne négligeait point ses actes de dévotion. La règle de vie spirituelle qu'il s'était imposée était droite et juste. Il était très respectueux des droits de chacun et n'attendait pas, pour les reconnaître, qu'on les revendiquât. Lorsqu'il empruntait un livre, il le rendait dans le plus bref délai et avant que son propriétaire le lui eût réclamé ; c'était quelquefois un gros volume qu'on ne pouvait lire qu'en trois jours, mais il le parcourait en un seul et le restituait. Il ordonnait à sa famille de faire l'aumône, surtout aux époques de disette. «Celui qui veut gagner le paradis, disait-il, doit faire de nombreuses aumônes, principalement quand les vivres sont chers. » Il se chargeait souvent de distribuer lui-même des secours aux pauvres. Il se rendait fréquemment dans les lieux solitaires et dans les endroits où se trouvaient d'antiques monuments en ruines, pour s'y livrer à la méditation; et lorsqu'il voyait avec quelle solidité ces édifices avaient été construits, il rappelait ces paroles traditionnelles du Prophète : «Dieu fasse miséricorde à celui qui, entreprenant quelque ouvrage, le fait solidement. » « Où sont, disait-il encore, les habitants de cette ville ? et de quelle vie de délices jouissent-ils?» «Combien, lui ai-je entendu dire, n'y a-t-il pas de personnes qui rient quand elles se trouvent en société, et dont le coeur pleure tant elles craignent le Seigneur l Telle est, du reste, la conduite de ceux qui connaissent Dieu. » Un de ses amis, du nombre de ceux qui recherchaient ses faits et gestes, lui posa cette question : «Pourquoi votre visage change-t-il de couleur et s'attriste-t-il souvent en prenant une expression d'angoisse ? — Je veux bien vous renseigner là-dessus, répondit-il après avoir fait quelques difficultés, mais à la condition que vous ne fassiez connaître à personne ce que je vais vous dire. — Bien, dit son ami. - Dieu, reprit alors le cheikh, m'a montré l'Enfer et tout ce qu'il renferme ; et c'est depuis que je suis peiné et triste; voilà la cause de mon chagrin. » Notre professeur Belqacem Ez-Zouawy, qui a été l'un des disciples favoris du cheikh, a dit : « Je lui ai entendu prononcer les paroles suivantes : J'ai parcouru tous les mondes qui s'étagent depuis le trône de Dieu jusqu'à la Terre; mais rien de ce qu'ils renferment ne m'a réjoui ni attiré.» Il craignait tellement le Seigneur, l'observait avec une attention si soutenue et y pensait si fréquemment, qu'on eût dit qu'il était étranger à tout ce qui se passait autour de lui. Il jeûnait de deux jours l'un, et cela à l'imitation du prophète David. Le soir venu, il rompait le jeûne avec fort peu de nourriture, ne s'enquérant jamais de la nature ou de la qualité des aliments qu'on lui donnait. Il lui arriva plus d'une fois de rester trois journées entières sans boire ni manger. Si on lui apportait à manger, il mangeait; si on oubliait de lui apporter de la nourriture, il restait à jeûn. Souvent la journée s'était presque entièrement écoulée qu'il n'avait rien encore pris, et quand les personnes de sa famille lui demandaient s'il était à jeûn : « Non, leur répondait-il, j'ai déjeuné et je ne suis point à jeûn. — Pourquoi, lui répliquait-on, n'avez vous rien dit ? » A cela il se contentait de répondre par un doux sourire. Il lui arrivait parfois de plaisanter avec ses amis, mais il le faisait d'une manière si exquise que, sous ce rapport, il était incomparable. Il parlait toujours sur un ton modéré sans jamais élever la voix. Il donnait des poignées de main aux personnes qu'il connaissait et permettait même qu'on lui baisât la main. Du reste, il ne cherchait point à se distinguer, par quoi que ce fût dans son extérieur, du commun des fidèles, car il s'habillait comme tout le monde, et son costume était tel que celui que l'on porte habituellement de nos jours. On a remarqué qu'après la prière du matin et celle de l'asr (milieu de l'après-midi), il n'aimait point à parler. Il laissait un intervalle entre l'iqama ou second appel à la prière et le premier tekbir (tekbir el-ihram) (8); puis il marquait un nouveau temps d'arrêt et prononçait alors le tekbir initial de la prière. Voici ce qui m'a été raconté par son épouse : « Au début de sa vocation religieuse, lorsque le cheikh se levait la nuit, il regardait le ciel et s'écriait : 0 homme heureux 1 Comment peux-tu dormir connaissant les terribles menaces de Dieu ? Si par hasard il venait à se rendormir après son réveil, il se condamnait à un jeûne d'un an. Lors donc qu'il lui arrivait de s'éveiller, il passait le reste de la nuit sans dormir. Telle fut sa manière de faire jusqu'à sa mort. Il dormait pendant la première partie de la nuit et passait le reste du temps en prières, c'est-à-dire jusqu'au point du jour ; aussi portait-il sur son visage les traces de cette vie austère. a Il était si renfermé en lui-même qu'il ne se montrait gai avec personne. Il lui était pénible de se rendre à la mosquée pour y donner ses leçons ou prier. Quelquefois même, il n'y venait que parce qu'il avait honte de se faire attendre. Lorsqu'il ressentit les premières atteintes de la maladie qui devait l'emporter, il ne reparut plus à la mosquée et garda le lit jusqu'à sa mort, Sa maladie dura dix jours. Pendant son agonie, il se retourna vers son neveu qui ne cessait de lui répéter la profession de foi, et lui dit : « Y aurait-il là-haut d'autre profession de foi que celle-là ? » A sa fille qui lui disait : « Père, tu t'en vas et tu me quittes », il répondit : « Le Paradis nous réunira bientôt, s'il plaît à Dieu. a Un peu avant de mourir, on l'entendit dire : « Nous prions le Seigneur de nous faire la grâce de pouvoir articuler en toute connaissance, à l'heure de la mort, les deux parties de la profession de foi. » Il décéda le dimanche 18 de Djomada II de l'année 895 (9 mai 1490). Au moment où le cheikh rendit le dernier soupir, il s'exhala une odeur de musc qui embauma tous les assistants. Il était né postérieurement à 1'année 830 (inc. 2 novembre 1426). Voici un de ses miracles : Un homme venait d'acheter de la viande quand il entendit faire, à la mosquée, le second appel à la prière. Comme il craignait qu'en allant déposer cette viande en quelque endroit, il ne perdit du temps et n'arrivât après le premier rekâa, il mit la viande dans un panier, pénétra précipitamment dans la mosquée, prononça le tekbir et entra aussitôt en prière, ayant le panier à son côté. Après le salut final, il partit chez lui et donna la viande aux siens qui la mirent sur le feu où elle resta jusqu'à l'heure de la prière du soir. Lorsqu'ils voulurent la retirer du foyer, ils s'aperçurent qu'elle était encore sanguinolente et qu'elle n'avait pas cuit. a C'est sans doute, dirent-ils, de la viande de bête âgée », et ils passèrent toute la nuit à entretenir le feu sous la marmite. Mais au matin, la viande n'avait pas changé d'aspect et était encore dans l'état où elle se trouvait quand ou l'avait mise sur lu leu. Après réflexion, l'homme se rendit chez le cheikh et l'informa de ce qui venait de se passer. « Mon fils, lui dit alors Es-Senoùsi, j'ose espérer que le Très-Haut exemptera du feu de l'enfer qui conque aura prié derrière moi. Peut-être avais-tu cette viande près de toi lorsque tu as fait ta prière avec moi ? Mais je te recommande de ne rien dire de tout cela. » Tel est le récit que m'a fait mon professeur, le pieux ami de Dieu, sidi Ahmed Belgacem EI-Harouy Et-Tadely. On raconte que le cheikh Es-Senoûsi disait : « Veut-on obtenir une grâce du Très-Haut ? Qu'on nous prenne comme intercesseur auprès de lui et qu'on vienne à nous. » Voici ce qu'on rapporte : Une femme, qui avait perdu la clef de sa maison, essaya de l'ouvrir par tous les moyens ; comme elle n'y réussissait pas, elle mit la main sur la serrure et s'écria : « Par les mérites de sidi Mohammed ben Youçof Es-Senoûst, porte, ouvre-toi ! » Après avoir prononcé ces paroles, elle tira la porte qui s'ouvrit aussitôt. Les miracles du cheikh sont innombrables ; nous n'en avons pas entrepris le récit à cause de sa longueur. Quant à ses ouvrages, il convient de citer : 1° Son grand commentaire sur la Haufiya, intitulé : Ce qui rend accessible et facile l'étude du livre d'El.Haufy et épuise les questions qui y sont traitées; c'est un gros volume, rempli d'érudition, qu'il écrivit à l'âge de dix-neuf ans. Son professeur Laihcên Aberkan en fut tellement émerveillé, que, pour mettre le jeune auteur à l'abri du mauvais oeil, il lui conseilla de n'en parler à personne jusqu'à sa quarantième année. « Aucun ouvrage à ma connaissance, disait sidi Lahcen Aberkan, n'est comparable à celui-ci », et il fit des voeux en faveur de l'auteur ; 2° L'Article de foi majeur, appelé aussi L'Article de foi unitariste; ce traité, qui comprend dix feuilles de format in-4°, fut son premier essai dans la science de l'unitarisme. Il est accompagné d'un commentaire; 3° L'Article de foi moyen. Il est accompagné d'un commentaire; le tout en treize cahiers; 40 L'Article de foi mineur (9). Il est suivi d'un commentaire et comprend, avec celui-ci, six cahiers. C'est un des plus beaux traités écrits sur la matière. L'auteur lui-même affirme, dans les premières lignes de son commentaire, que cet « article de foi » ne peut être mis en parallèle avec aucun autre. Quelqu'un m'a raconté ce qui suit : « Je venais, dit-il, de perdre un de mes parents, qui était du nombre des hommes vertueux. Je le vis en songe après sa mort, et je lui demandai des nouvelles de son état: « Je suis entré en paradis, me répondit-il, et j'y ai vu mon seigneur Abraham, l'ami de Dieu, occupé à faire lire aux enfants l'Article de foi d'Es-Senoûsi; ceux-ci l'avaient copié sur leurs tablettes et l'apprenaient comme leçon en la lisant à haute voix. » Es-Senousi disait lui-même : « Parmi les articles de foi que je connais, aucun n'est comparable à celui-ci ; il peut dispenser de la lecture de tous les autres. » Sidi Mohammed ben Yahia Et-Tazy (10) en a fait l'éloge dans une pièce de vers de sa composition ; 5° Un article de foi abrégé, plus petit que l'Article de foi moyen ; il est accompagné d'un commentaire et comprend, avec lui, quatre cahiers; il abonde en renseignements utiles et notes explicatives de toutes sortes ; 6° Discours préliminaire qui donne des éclaircissements sur l'Article de foi mineur. Cet ouvrage forme un volume qui est à peu près de la grosseur de l'Article de foi mineur ; il comprend, avec son commentaire, cinq cahiers ; 7° Un commentaire en vingt feuillets, des noms de Dieu, oü il explique chacun des divins attributs et indique les grâces que l'homme en recueille ; 8° Un commentaire des litanies qui se récitent après la prière; il y parle des vertus de ces litanies ; 9° Un 'commentaire de l'Article de foi d'El-llaudhy (11), en cinq cahiers ; 10' Un grand commentaire sur le poème intitulé: El-Djezairiya, par El-Djezairy (12). Il renferme de précieux renseignements ; 11' Un abrégé de l'ouvrage d'El Obby sur le Sahih de Moslim, en deux volumes. Il renferme de précieux renseignements ; 12 Un commentaire de l'lsagoge de Porphyre ; 13° Un commentaire du traité de Borhan-ed-Din El Biqa'y (13); 140 Un admirable Précis de logique contenant des additions aux questions traitées par El-Khounedjy ; 15° Un merveilleux commentaire sur le Précis précédent ; 16° Un magnifique commentaire du poème d'El-Habbak sur l'astrolabe ; 17° Un commentaire des vers attribués à l'imam El-Elbiry et relatifs au soufisme (14) ; 18° Un commentaire d'une poésie commençant par ces mots: « Purifie-toi avec l'eau du mystère si tu possèdes des secrets divins. » Ce poème est l'oeuvre d'un mystique ; 19° Un autre article de foi dans lequel il expose des arguments décisifs contre ceux qui admettent l'influence des maléfices, traité qu'il adressa à un saint homme; 20° Un admirable commentaire du Sahih d'El-Bokhary; il est inachevé et n'a été poussé que jusqu'au chapitre intitulé : Celui qui demande à être exonéré de sa dette ; 21' Un commentaire des passages obscurs d'El-Bokhary, en deux cahiers ; 22 Un abrégé du commentaire d'Ez-Zerkéchy sur El-Bokhary ; 23° Un abrégé des gloses d'Et-Taftazany sur le Kachchaf 24° Un commentaire de l'Introduction à l'étude de l'algèbre et de l'équation par Ibn Et Yasmin ; 25 Un commentaire du traité de logique intitulé : Le Sommaire par El Khounedjy; 26 Un commentaire du Précis d'Ibn Arafa, dans lequel il a aplani toutes les difficultés de cet ouvrage. Es-Senoûsi dit lui- même : « J'ai eu beaucoup de peine à résoudre toutes les difficultés que présente ce livre, car il est excessivement malaisé à comprendre; il m'a fallu, pour y arriver, recourir à la retraite ; 27° Un commentaire du poème en vers redjez d'Ibn Sina (Avicenne) sur la médecine ; 28 Un abrégé des sept leçons du Coran ; 29° Un commentaire de la Chatibiya El-Koubra (La grande Chatibiya, poème sur les sept leçons du Coran par Abou Mohammed, El-Qacim Ech-Chatiby, de Xativa) , inachevé ; 30° Un commentaire du traité de jurisprudence intitulé : El Ouaghliciya (par El-Ouaghlicy) 31° Un poème sur les successions ; 32° Un abrégé de Ria'ya (Observance des règles) d'El-Mohaciby (Soufisme) (15) ; 33° Un abrégé de Prairie nouvelle d'Es-Sohaïly (qui est le commentaire du Sirat er-raçoul' d'Ibn Ishaq) , inachevé ; 34° Un abrégé du Boghiet es-salik fi achref el-maçalïk (L'objet des désirs de celui qui suit la plus noble des voies) (15) 350 Un commentaire de la Morchida (Celle qui dirige), par Abou Abdallah Mohammed ben Toumert, mahdi des Almohades (16); 36° Un commentaire sur, la Djaroumiya, qu'il a intitulé : Perles enfilées ; 370 Un commentaire du Djawahir el-'oloum (Joyaux des sciences) (17), qui est un traité de théologie scolastique composé par Adhed-ed-Din, selon la méthode des philosophes; c'est un magnifique ouvrage sur la matière; mais il est très difficile à comprendre ; 38° Une interprétation du Coran, en trois cahiers de grand format; il ne l'a poussée que jusqu'à ce verset: Ceux-là seront les bienheureux (Sourate VII, v. 156). Il voulait terminer l'explication du Livre sacré, mais cela ne lui a pas été possible ; 39° L'explication de la sourate Sad (38°) et de toutes les suivantes. « Voilà ceux de ses ouvrages que je connais. On doit ajouter à cette liste l'explication de ces paroles du Prophète : « L'estomac est le siège de toute maladie; la sobriété est le premier des remèdes et. l'indigestion est l'origine de toute altération de la santé » (18), ainsi qu'un grand nombre de fetouas, de recommandations, d'épîtres et de sermons. « Malgré le grand nombre d'oraisons dont Es-Senousi s'imposait la récitation quotidienne, il trouvait encore le temps de s'occuper des affaires qu'on lui confiait et d'enseigner la science. Voici comment il avait l'habitude de répartir son temps : Après avoir fait la prière du matin dans sa mosquée et récité son office, il donnait des leçons jusqu'à l'heure habituelle du déjeuner. Puis il sortait et, s'arrêtant sur le seuil de la porte de son logis, il passait quelques instants à causer avec le monde. Ensuite, il rentrait et s'acquittait de la prière de midi pour laquelle il récitait dix soixantièmes du Coran; après quoi, il se mettait à lire si les journées étaient longues; mais, si elles étaient courtes, il arrivait souvent que le soleil commençait à décliner qu'il était encore à faire sa prière du matin. Après le déclin du soleil, il se retirait dans des endroits solitaires, d'où il ne revenait que vers le coucher du soleil, ou bien il restait chez lui et faisait ses ablutions et une prière de quatre rekâas. D'autres fois, il se rendait dans sa mosquée pour y faire la prière de midi avec l'assemblée des fidèles, et, après avoir fait une prière surérogatoire de quatre rekaas, il se mettait à lire. Un peu avant l'Asr (milieu de l'après-midi), il faisait une prière surérogatoire de quatre rekaas, puis il faisait la prière de l'Asr. Après s'être acquitté de ce devoir, il donnait des leçons ou retournait à sa maison et se mettait à réciter 'son office jusqu'au coucher du soleil. Puis il se rendait de nouveau dans la mosquée pour procéder à la prière du coucher du soleil. Ce devoir rempli, il restait dans le lieu saint et faisait une prière surérogatoire de trois rekaas. C'est là qu'il s'acquittait aussi de la prière qui se fait à l'entrée de la nuit, et, après avoir fait encore quelques pieuses lectures, il s'en retournait chez lui. A peine avait-il dormi une heure, qu'il se levait pour étudier ou pour copier des livres. Puis il faisait s'es ablutions, se mettait en prières et attendait le lever de l'aurore soit en prolongeant celles ci, soit en récitant les louanges de Dieu. Telle était la manière dont il partageait le plus souvent son temps. « Deux ans environ avant sa mort, il me fit connaître qu'il était âgé de cinquante-cinq ans. » Tout ce qui précède (dit Ahmed Baba) est un résumé de mon abrégé du livre d'El-Mellaly, dont j'ai parlé plus haut. J'ai lu dans un recueil de notes qu'un savant ayant demandé l'âge du cheikh Es-Senoûsl à El-Mellaly, celui-ci lui répondit : « Il mourut à l'âge de soixante-trois ans. » Au surplus, Dieu sait le mieux ce qu'il en est. J'ajoute encore ceci : J'ai ouï dire qu'ES-Senoûsi a annoté le Précis de jurisprudence d'Ibn El-Hadjib et d'autres ouvrages. Plusieurs hommes remarquables ont été ses disciples, tels que Ibn Said, Abou'l-Qacim Ez-Zouawy, Ibn Abou Medien, le cheikh Yahia ben Mohamed, Ibn El Hadjj E1-Yebdery, Ibn El-Abbès Es-Seghir, le saint Mohamed El-Qala'y qui fut la plante odoriférante de son époque, Ibrahim El-Ouedjdijeny, Ibn Melouka et autres hommes de mérite. Le cheikh Abou Abdallah Mohammed ben Mançour El-Mosteghanemy, qui a composé une poésie en l'honneur d'Es-Senoûsl, dit avec raison dans un passage de cette pièce: « Dieu, dans sa bonté, nous a gratifiés, dans ces derniers temps, d'un astre brillant « Qui nous a fait paraître douce et pure l'étude de l'unitarisme, et a été, pour tout le monde, un conseiller tout à fait désintéressé. « Cet astre, c'est Es Senoûsi dont le mérite est extrême; il jouit parmi les hommes d'une gloire éclatante; « C'est l'honneur de Tlemcen. Lecteur, procure-toi ses livres qui valent bien plus que la poudre d'or fin » (19). Notes 1 Voyez, dans le Journal asiatique de février 1854, un article de Cherbonneau, intitulé: Documents inédits sur Es-Senoûçy, son caractère et ses écrits. Voyez aussi Complément de l'Histoire des Beni-Zeïyan, p. 366 et suiv., et l'article de M. Brosselard dans le n° 28 de la Revue africaine, juillet 1861. J'extrais le passage suivant d'un article de M. Brosselard, intitulé Tombeau du cid Mohammed Es-Senoûçy et de son frère le cid Ali Et-Talouty, et publié dans le u° 11 de la Revue africaine, décembre 1858: o La piété reconnaissante des disciples et des admirateurs d'Es-Senoùçy, jointe à la libéralité du sultan alors régnant, lui éleva un tombeau sur lequel près de quatre siècles sont. déjà passés, sans diminuer la vénération universelle dont il est l'objet. Ce monument, de forme rectangulaire, recouvert de tuiles vernissées qui flamboient au soleil, est assis sur la petite éminence qui domine toutes les sépultures du cimetière musulman, à droite du chemin qui conduit au village d'El-Oubbad, et non loin de la tombe plus modeste d'Ibn Abi Amer. L'intérieur est orné d'arabesques et de nombreuses offrandes y attestent la dévotion toute particulière des visiteurs. Sous un catafalque (tabout) recouvert de riches étoffes et abrité par des bannières aux couleurs islamiques, on peut remarquer deux pierres carrées droites (chouahed) gravées en relief, et placées eu regard l'une de l'autre, aux deux extrémités de la tombe. Sur la première, qui indique l'endroit où repose la tète du défunt, on lit: TRADUCTION u Louanges à Dieu ! C'esl ici le tombeau du Cheikh, le savant, le saint homme, l'homme de bien, Sidi Mohammed ben Sidi Youçof Es-Senoûçi. Il est décédé (Dieu l'ait en sa miséricorde !) dans le mois de Djouma'da second de l'année 895. » Sur la pierre qui se dresse à l'extrémité de la tombe, est gravé le verset 88 de la 28e sourate du Koran : « Dieu me préserve de Satan le lapidé ! Tout périt, excepté la face de Dieu. A lui la puissance ! c'est à lui que vous retournerez! » 2 Lés Beni-Senous habitent les montagnes qui bordent le cours supérieur de la Tafna, entre Sebdou et Medjaed. 3 Ahmed Baba, dans Neïl el-iblihadj, p. 34G, avant-dernière ligne, dit : « par la mère de son père ». 4 Voyez sa biographie dans Naïl el-iblihadj, p. 388, et dans Djedhouat el-iqtibas, p. 348. 5 Le Neïl el-ibtihadj porte El-Kenabechy 6 J'ai lu ce qui suit dans un recueil de notes : « Voici l'origine du port de la khirqa (froc) : Le Prophète, dans une de ses extases, laissa choir son manteau de dessus ses épaules. Aussitôt ses compagnons le ramassèrent et le divisèrent en douze morceaux; puis ils se partagèrent ces morceaux et s'en vêtirent pour attirer sur eux la bénédiction céleste. Le port de la khirqa, dit ensuite (l'auteur de ce livre), a lieu en plusieurs circonstances, c'est-à-dire quand les soufis jurent fidélité à leur cheikh, quand ils se touchent la main, quand ils se prennent par la main en entrecroisant les doigts, quand on leur remet le chapelet, quand on les initie au dhikr, etc. ». « J'ai lu dans un livre, dit Bou Ras, les paroles suivantes attribuées au cheikh Abd-el-Ouahhab : « Voici l'origine du port « de la khirka : L'ange Gabriel apporta au Prophète un coffre « que celui-ci ouvrit. Ce coffre contenait des frocs rouges, verts « et noirs. — Qu'est ceci ? dit Mahomet à Gabriel. — Ce sont, « répondit l'ange, des frocs destinés aux principaux personnages de ton peuple ». Ce hadith, ajoute Bou Ras, est authentique, car la chaine des traditionnistes qui se le sont transmis remonte de l'auteur du livre où je l'ai lu jusqu'au Prophète. Autrefois ces frocs étaient la parure de ceux qui faisaient profession de religion, mais aujourd'hui, ils ne sont plus que des filets à l'aide desquels on prend les musulmans ». 7 La Bibliothèque d'Alger possède, sous le n' 1,066, un bel exemplaire de cet ouvrage. C'est un manuscrit in 4° de 354 pages. 8 Le tekbir est une courte invocation que l'on fait au début de la prière. Cette invocation est ainsi nommée du mot akbar qui s'y trouve deux fois au commencement et deux fois encore à quelques mots plus loin. La voici : « Dieu est grand ! Dieu est grand ! (Allahou akbar l Allahou a/char / Il n'y a de Dieu qu'Allah! Dieu est grand ! Dieu est grand! .Et la louange est pour Dieu ». Le tekbir el-ihram est celui qui se fait aussitôt après l'iqama ou second appel à la prière ; après lui vient le tekbir initial de la prière. 9 La Soghra a été traduite et publiée par M. Luciani, conseiller de Gouvernement et directeur des Affaires indigènes au Gouvernement général de l'Algérie (Fontana, Alger). 10 On lit dans le Neïl el-iblihadj, p. 360 : « Mohammed ben Abderrahim ben Abderrahman ben Yahbech (sic) Et-Tazy était très versé en jurisprudence, en grammaire et en prosodie. Il composa un poème qui porte le titre de Monfaridja (qui est aussi celui d'un poème d'Ibn en-Nahouy). On lui doit des pièces de vers dans lesquelles il fait l'éloge des oeuvres d'Es-Senoûçy, telles que la Soghra et l'Abrégé de l'ouvrage d'El-Obby sur le Sahih de Moslim. Il mourut en 820 (sic). » C'est sans doute 890 qu'il faut lire, car en 820 Mohammed Es-Senoüçy n'était pas né. 11 Voyez sa biographie à la p. 288. 12 Abou'l-Abbès Ahmed ben Abdallah El.Djezaïry Ez-Zouawy est l'auteur de El-'Aqida el-mendhouma (Article de foi) en vers rimant en lam(I), qui a été l'objet de deux commentaires, l'un composé par Es-Senoùcy, l'autre par le cheikh Mohammed El-Djauhary El-Khalidy. Ces deux commentaires se trouvent à la Bibliothèque nationale, le premier dans le supplément, n° 240, et l'autre dans le même supplément, n° 241. Ahmed ben Abdallah El-Djezaïry mourut l'an 884 de l'hégire (inc. 25 mars 1479), sous le règne du sultan Abou Abdallah Et-Thabity. Voyez sa biographie dans Neïl el-ibtihadj, p. 68. 13 Borhan eddin Ibrahim ben Ornar ElBiqa'iy, qui mourut l'an de l'hégire. 885 (inc. 13 mars 1480), est l'auteur de plusieurs ouvrages considérables, dont les principaux sont : Nadhm ed-dorar (Fil de perles), commentaire sur le Coran, qu'il composa en 875 (inc. 30 juin 1479). (Voyez Hadji Khalfa, tome II, p. 356, n° 3,239); Baïan el-idjma'ala men' el-idjtima', etc., traité dans lequel il soutient que les concerts et les assemblées de musique sont défendus par la loi musulmane ; Adab oua aqoual el-hokama el-qadima, traité des moeurs et des sentences des anciens philosophes ; Bahat fi 'ïlm el-hiçah, etc., traité de divination qui se fait par les nombres ; Inarat el-faqr, louanges de la pauvreté ; Inba el-ghomr, etc., Histoire des hommes illustres ; Açouaq el-achouaq, Marché des amours, recueil de récits, d'anecdotes et de poésie sur l'amour et les amoureux. 14 Cet ouvrage est mentionné par Hadji Khalfa (tome III, p. 471, n° 6,480). Son auteur est Abou Abdallah El-Harith ben Aced El-Mohaciby, célèbre théologien, mort à Bagdad, en 245 de l'hégire (inc. 8 avril 859). Voyez sa biographie dans Ibn Khallikan; tome I, p. 224. 15 Le Boghiet Es Salik, etc., est un ouvrage d'Es-Sahily 16 El-Morchida (Celle qui dirige) est un ouvrage du Mahdy Abou Abdallah Mohammed Ibn Toumert ; il a été publié par Goldziher (Fontana, Alger). « Abou-'Abdallah Mohammed Ibn Toumert (forme berbère du nom d'Omar) naquit le 21 février 1092 de J.-C., dans les montagnes de l'Atlas qui dominent la province de Soûs, au Maroc. très jeune encore, il s'était attiré un grand renom de piété. II voyagea : le désir d'accomplir le pèlerinage de la Mecque le conduisit d'abord à Cordoue, puis au Hedjaz, et enfin â Bagdad, où il suivit les cours de la Nizhamiyya. Élève des professeurs du dogmatisme acharite, il en rapporta cette doctrine à Tripoli de Barbarie, et mêla à l'interprétation allégorique le dogme chiite de l'impeccabilité de l'imam de la famille d'Ali. Les tumultes que causa son enseignement le firent éloigner de Tripoli et de Bougie ; il se retira dans la tribu berbère, des Maçmouda, d'où il était originaire, et qui prit son parti ; poursuivi par le. gouvernement, il se déclara Mandi en 1121 et commença la lutte contre les Almoravides. Il mourut au cours d'une entreprise contre la ville de Maroc, quatre mois après que ses troupes eurent été défaites devant cette place, en 1130. Ses successeurs répandirent son enseignement dans l'Afrique du Nord et l'Espagne ; son élève, 'Abd-el-Moumen, fonda la dynastie des Almohades. La bibliothèque de Paris possède ses œuvres complètes, réunion de petits traités de théologie et de jurisprudence ; un autre ouvrage de lui, le kanz-el-'Aloum (Trésor des sciences), philosophie religieuse, est au Caire. » (Cl. Huart, Littérature arabe, p. 250 et 251). Voyez la biographie d'Ibn Toumert, dans Ibn Khallikan, tome II, p. 726. Cf. Chronique des Amohades et des Hafçides, p. 1 et suiv. de la traduction de M. Fagnan. 17 L'ouvrage d'Adhed-eddin ne se nomme pas Djaouahir el-'oloum (Joyaux des sciences), mais bien Djaouahir el-Kalam (Joyaux de la théologie scolastique). Voyez Hadji Khalfa, tomeII, p. 646, 647. Le cadi et soufi Adhed eddin Aberrahman ben Ahmed El-Idjy, de Chiraz, mort en 756 de l'hégire (inc. 5 janvier 1356), est aussi l'auteur d'une histoire des patriarches, de Mahornet et de quelques-uns de ses compagnons. Il a écrit aussi, sous le titre de Maouqif (Les Stations), un traité de métaphysique et de théologie dont Sarensen a publié la cinquième et la sixième partie, ainsi que l'appendice consacré aux sectes musulmanes, avec le cornmentaire de Djordjany. 18 On lit ce qui suit clans la Bibliothèque orientale, de D'Herbelot, .aux additions d'Antoine Galand (Bons mots et maximes des Orientaux): « Un roi de Perse avait envoyé un médecin à Mahomet, et le médecin demeura quelques années en Arabie, mais sans aucune pratique de sa profession, parce que personne né l'appelait pour se faire médicamenter. Ennuyé de ne pas exercer son art, il se présenta à Mahomet et lui dit, en se plaignant: « Ceux qui avaient droit de me commander m'ont envoyé ici pour faire profession de la médecine ; mais depuis que je suis venu, personne n'a eu besoin de moi et ne m'a donné occasion de faire voir de quoi je suis capable ». Mahomet lui dit : « La coutume de notre pays est_ de manger seulement lorsqu'on est pressé par la faim, et de cesser de manger lorsqu'on peut encore manger ». Le médecin repartit « C'est là le moyen d'être toujours en santé et de n'avoir pas besoin de médecin ». En disant cela, il prit son congé et retourna en Perse d'où il était venu ». 19 Cette notice biographique est extraite de Neïl el-ibtihadj, p. 346.


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