MOHAMMED BEN ABD-EL-KERIM BEN OMAR EL-MEGHILY(1)
Il naquit à Tlemcen. Il fut la perfection de ceux qui possèdent des connaissances solides et exactes, un très docte et très intelligent imam, un modèle à suivre, un fidèle observateur de la tradition musulmane, un éminent docteur, un des hommes les plus sagaces du monde, un des savants les plus érudits et les plus distingués, un des dévots que l'on cite toujours comme exemples quand on parle de religion, et qui se sont rendus célèbres par leur amour pour l'Apôtre de Dieu et leur haine pour ses ennemis. Il poussa si loin cette haine qu'une querelle très vive s'engagea entre lui et un certain nombre de docteurs de la loi. Voici pourquoi: Il s'était élevé contre les Juifs de Touat et leur avait imposé les plus dures humiliations; il avait fait plus : il les a attaqués les armes à la main et avait démoli leurs synagogues. Son contemporain, Abdallah EI-Asnouny, cadi de Touat, s'étant opposé à toutes ces persécutions, on consulta à ce sujet les savants de Fez, de Tunis et de Tlemcen. Comme nous l'avons dit plus haut , Et-Tenessy rédigea sur cette question une longue réponse qui reçut l'approbation de l'imam Es-Senousi. Voici les termes de la lettre que ce dernier adressa à Mohammed El-Meghily :
« De la part d'Abou Abdallah Mohammed ben Youçof Es-Senousi, au frère et ami, le cid Abou Abdallah Mohammed ben Abd et-Kerim El-Megbily qui s'est imposé la tâche de rappeler ce que lu corruption des temps actuels a fait oublier, je veux dire le devoir d'ordonner de faire le bien et de défendre de faire le mal, devoir dont l'accomplissement est le signe qui caractérise aujourd'hui les mâles défenseurs de la science religieuse, les zélateurs de l'Islam et ceux dont le coeur est plein d'une foi élevée. Nous avons appris que vous avez été porté, par votre zèle religieux et votre courage pour la défense de la science théologique, à former le projet de détruire la synagogue que les Juifs ont eu l'insigne audace d'édifier en pays musulman; que vous avez excité les habitants de Tamantit à démolir la dite synagogue ; que ceux-ci, qui avaient déjà donné un commencement d'exécution à vos ordres, se sont arrêtés quand ils ont vu ce qui leur arrivait de la part de gens n'écoutant que leurs mauvaises passions, et qu'enfin vous avez adressé un questionnaire aux docteurs de la loi pour les inciter à examiner cette question. Or, je le déclare ici, le cheikh, le modèle à suivre, l'homme le plus distingué des hommes distingués, le hafidh accompli Abou Abdallah Et-Tenessy (Que le Très-Haut permette aux musulmans de jouir des fruits de son profond savoir !) est, selon moi, celui qui a le mieux réussi à établir la réponse qu'exigeait cette affaire, qui a étalé le plus de savoir et d'érudition dans la démonstration de la vérité, et qui a assouvi pleinement la soif des partisans de la vraie foi en traitant cette question. C'est le seul qui ait puisé, dans la force de ses croyances et la sincérité de ses convictions, le mépris de la joie diabolique qu'on éprouve en flattant les personnes dont la puissance est à redouter et dont la malveillance est à craindre, etc. » Nous avons donné plus haut (dans la biographie d'Et-Tenessy) un passage de cette lettre. Parmi les docteurs qui avaient répondu à la question, il convient de citer : Abou Abdallah Er-Ressa', muphti de Tunis ; Abou Mahdi Iça Maouacy, muphti de Fez ; Ahmed ben Zekri, muphti de Tlemcen; le cadi Abou Zakaria Yahia ben Abou'l-Barakat El Ghomary (2) et Abderrahman ben Sabou' ; ces deux derniers également de Tlemcen. Lorsque la réponse d'Et-Tenessy parvint à Touat, accompagnée de la lettre d'Es-Senoûst, El-Meghily ordonna au groupe de ses partisans de prendre les armes. Ceux-ci se dirigèrent alors vers la nouvelle synagogue, prêts à combattre; et ayant reçu l'ordre de massacrer tous les Juifs qui tenteraient de faire de l'opposition, ils envahirent l'édifice religieux et le démolirent après avoir tué jusqu'au dernier tous ceux qui s'y étaient réfugiés. Après cet exploit, El-Meghily dit à ses partisans: « Quiconque tuera un Juif aura droit à une prime de sept mithqals que je lui paierai de ma propre bourse. » Et il y eut, en effet, quelques massacres. A l'occasion de ces exécutions, EL-Meghily composa un poème qui commence par les louanges du Prophôte et finit par des imprécations contre les Juifs et ceux qui les protègent. Puis il quitta Touat et se rendit dans le pays d Acir.. Il entra dans la ville de Takda (3) dont il fréquenta le sultan et y donna des leçons aux habitants qui en retirèrent le plus grand profit. De là il se transporta dans les royaumes de Kanou et de Kachen. A Kanou, il visita le roi de ce pays, lui donna d'utiles enseignements, composa même à son intention un traité sur les devoirs du sultan, dans lequel il l'engageait à suivre les prescriptions divines, à faire le bien et à éviter le mal, et enseigna à la population les commandements de la loi. Il alla ensuite dans le pays de Takrour et dans celui de Kaghou. Il se présenta chez le roi de ce dernier pays, Saska El-Hadj Mohammed, à qui il ordonna, selon son habitude, de faire tout ce qui est bien et d'éviter 'tout ce qui est mal, et composa pour lui, à ce sujet, un ouvrage dans lequel il répondit à certaines questions qui lui avaient été posées. C'est là qu'il apprit que son fils avait été assassiné à Touat. Exaspéré à la nouvelle d'un pareil attentat, il supplia le roi de Kaghou de saisir alors tous lesTouatiens qui se trouvaient alors dans sa capitale et de les jeter en prison, ce qui fut exécuté ; toutefois, sur les représentations de sidi Mahmoud ben Omar (4) qui n'approuvait pas que l'on punît des hommes pour un crime qu'ils n'avaient pas commis, le roi revint sur sa première décision et ordonna de les relàcher. El-Meghily retourna alors à Touat; mais à peine y fut-il arrivé, que le destin vint l'enlever : c'était en 909 de l'hégire (inc. 26 juin 1503). On raconte qu'après sa mort, un maudit, de religion juive ou autre, ayant eu l'audace d'uriner sur sa tombe, fut incontinent frappé de cécité.
El-Meghily était hardi, audacieux, téméraire même. Il fut un orateur éloquent, un observateur passionné de la tradition mahométane, un dialecticien habile et un connaisseur accompli.
On lui doit plusieurs ouvrages, entre autres :
1° La pleine lune éclairant la science de l'interprétation du Coran
2' Une explication exégétique du premier chapitre du Coran, en un feuillet;
3° La lampe des âmes ou fondements du bonheur ; c'est un magnifique ouvrage, en deux cahiers, qu'il adressa à l'imam Es-Senoûsi et au cheikh Ibn Ghazi qui en firent le plus grand éloge ;
4° Un commentaire du Précis de Khalil, où il a amalgamé le texte avec les explications. Cet ouvrage, intitulé : Manuel suffisant pour l'homme intelligent, est excessivement concis, et ne va pas plus loin que le paragraphe qui commence par ces mots : «Tout homme fera à ses femmes un partage égal de ses nuits » (5) ;
5° Des gloses sur le commentaire précédent, intitulées : Couronne du Manuel suffisant pour l'homme intelligent. J'en ai vu deux fragments : l'un qui renferme la dernière partie du chapitre du teïammoum (Lustration pulvérale), et l'autre qui traite des ventes et est intitulé : La clef des trésors. J'ai ouï dire qu'El-Meghily a commenté les trois quarts du Précis de Khalil ;
6o Livre qui éclaire la voie qui conduit aux ventes à termes de Khalil ;
7° Un commentaire des ventes à termes d'Ibn El-Hadjib, où il
discute les opinions d'Ibn Abd-es-Salam et de Khalil ;
8° Un ouvrage sur les choses défendues par la religion ;
9' Un abrégé du Telkhis et-Miftah, accompagné d'un commentaire ;
10' La clef de l'examen ou Science des traditions, où il discute les opinions émises par En-Nawaouy dans son Teqrib (6);
11° Un commentaire du traité de logique d'El-Khounedjy, intitulé : Le Sommaire ;
120 Une introduction au commentaire précédent;
13° Une mise en vers de certains chapitres du Djomal d'El-Khounedjy, qu'il a intitulée : Dons du Généreux par excellence (Dieu) ;
14° Trois commentaires de ces mises en vers. Mon père (c'est Ahmed Baba qui parle) a également composé sur ces poèmes un excellent commentaire, où il a donné toutes les explications désirables;
15° Avertissement donné aux personnes inattentives aux agissements répréhensibles des hypocrites qui prétendent jouir des privilèges réservés aux contemplatifs ;
16° Un commentaire de la Préface du Précis de Khalil ;
17' Préliminaires de la langue arabe ;
18' Un Index où il mentionne ses professeurs et les sciences que ceux-ci lui ont enseignées;
19° Le livre de la victoire éclatante ;
20' Réponses aux questions que lui avait posées le sultan de kaghou, Saska El-Hadj Mohammed ;
21• Un certain nombre de poèmes dont le plus important est celui appelé El Mimiya. Tous les vers de ce poème en l'honneur du Prophôte sont rimés en mim (m) ; leur mètre et leur rime sont les mêmes que ceux de la Borda.
El-Meghily eut pour professeurs : le cheikh Abderrahman Et-Thâaleby, le cheikh Yahia ben Ydir et autres. Il eut un grand nombre de disciples dont les plus remarquables sont : le jurisconsulte Aïd Ahmed (7), le cheikh qui clôt la série des cheikhs de talent, El Ansamouny (8) et Mohammed ben Abd-el-Djabbar EI-Figuiguy .
Il disputa sur la logique avec Djelal ed-Din Es-Soyouty. Voici quelques-uns des vers qu'il adressa à celui-ci, sur ce sujet:
« J'ai entendu dire quelque chose d'inouï ; mais l'autorité de tout discours dépend de celle de l'homme qui le prononce ;
« Se peut-il qu'un homme, représenté comme l'argument de la science, en vienne, par ses paroles, à défendre l'étude du Forqan (ce mot désigne ici la logique).
« La logique signifie-t-elle autre chose que la vérité ? N'est-elle pas le moyen d'acquérir la certitude quand on ne l'a pas ?
« Elle régit tous les discours. Croyez-vous qu'un jugement juste puisse échapper à l'autorité des règles de cette science?
« Si vous pouvez me montrer (Que Dieu vous dirige dans le droit chemin !) un seul jugement juste qui ne repose pas sur les principes de la logique, vous l'aurez, de ce fait, exclu du domaine de cette science.
« Ne venez plus dire : « C'est un infidèle qui a inventé la logique ; des hommes l'ont condamnée », si vous en avez constaté la valeur.
« Écoutez la vérité, sortit-elle de la bouche d'un infidèle, et ne jugez pas un homme d'après la religion de ces concitoyens.
« Je reconnais que c'est nous, musulmans, qui avons enseigné la vérité aux païens, et que le contraire est faux ; guidez-vous donc sur elle et non sur eux, car ils n'ont été que nos devanciers dans cette science.
« Ce que vous rapportez au sujet des infidèles est vrai; mais combien de gens et combien de docteurs de la loi n'ont-ils pas proclamé l'excellence de la logique 1 »
J'ai laissé de côté une partie de cette épître en vers à cause des fautes de copie que renferme le manuscrit d'où je l'ai tirée.
Voici la réponse, également en vers, que lui fit parvenir Djellaled-Din Es-Soyouty:
Après avoir loué le Maître du trône et l'avoir remercié des bienfaits dont il m'a comblé, je le prie de bénir le Prophôte et sa famille.
« J'ai été surpris de recevoir de la part d'un docteur, dont je reconnais le talent, un poème comme je n'en ai jamais entendu.
« Ce docteur trouve étrange que j'aie composé un livre original et substantiel qui renferme de nombreux renseignements puisés aux sources,
« Un livre dans lequel je démontre que la logique est une science défendue et j'expose les critiques dont elle a été l'objet de la part de beaucoup d'auteurs.
« N'a t-il pas eu l'audace d'appeler la logique :El Forqan ? (9) Plut au Ciel qu'il n'eût pas donné ce nom à cette science l Cette appellation est, en effet, réservée au noble Coran à cause de l'excellence de ce livre sacré.
« Il n'a appuyé sa thèse sur aucune autorité, et a prononcé des paroles étranges et déplacées.
« Ne venez plus dire, s'écrie-t-il : « C'est un infidèle qui a inventé la logique » ; puis il ajoute : « Écoutez la vérité, sortit-elle de la bouche de l'infidèle perfide. »
« On rapporte cependant des traditions qui blâment ceux qui s'instruisent dans les sciences juives et chrétiennes.
« Selon lui, la logique est le moyen d'acquérir la science ; mais ceux qui en useront subiront le châtiment qui convient à leur coupable action.
« L'Élu (Mahomet) interdit au plus judicieux de ses compagnons (Omar) de transcrire le Pentateuque qui avait été pourtant le livre sacré de ses ancêtres; et Omar ne copia plus, sur des tablettes, que les versets du Coran.
« Combien n'a-t-on pas défendu de suivre les doctrines des infidèles ! Si donc ce que j'ai avancé est vrai en principe,
« J'aurai prouvé la justesse de ma thèse par des traditions, et je n'aurai pas jugé un homme d'après la religion de ses concitoyens.
« Salut à l'imam El-Meghily I Je lui adresse tous mes éloges et je me plais à reconnaître la supériorité de sou mérite (10). »
Notes1 Le Neïl el-ibtihadj le nomme : Mohammed ben Abd-el- Kerim ben Mohammed El-Meghily.
Voyez Complément de l'Histoire des Beni-Zeïyan, p. X de l'Avertissement, et p, 389 et suiv. ; Annuaire de la Société archéologique de la province de Constantine (années 1854-55), Notice biographique sur les Littérateurs du Soudan, par Cherbonneau, et Revue africaine (année 1883) : « Voyages extraordinaires et nouvelles agréables », par Mohammed Bou Ras, traduction de M. Arnaud, interprète militaire, p. 349.
2 Abou Zakariya Yahia ben Abdallah ben About-Barakat mourut le 1er Moharrem 940 (14 juin 1504). Voyez sa biographie dans Neïl el-ibtihadj, p. 393.
3 Ville du Grand Désert que le voyageur Ibn Batouta place à quarante jours de marche de Bornou et à soixante-dix de Touat. Voyez Ibn Batouta, tome IV, p. 438 et suiv.
4 Mahmoud ben Omar ben Mohammed Akit ben Omar ben Ali ben Yahia était de la tribu berbère de Sauhadja.Il naquit à Tombouctou en 868 (inc. 15 septembre 1463). Nommé cadi de cette ville en 904 (inc. 19 août 1498), il exerça ces fonctions jusqu'en 955 (inc. 11 février 1548), date de sa mort. C'est lui qui inaugura au Soudan l'étude du Précis de sidi Khelil, inconnu avant lui.
Voyez sa biographie dans Neïl el-ibtihadj, p. 376. Cf. Annuaire de la Société archéologique de la province de Constantine, année 1854-55, Notice biographique sur les Littérateurs du Soudan, par Cherbonneau.
5 Voyez Sidi Khelil, Précis de Jurisprudence, p. 95, ligne 6 du texte arabe, et tome II, p. 503, section XIV, de la traduction du Dr Perron.
6 Le titre complet. de cet ouvrage est Teqrib oua Taicir (L'Etude facilitée). Le Teqrib est une introduction à l'étude des traditions, par En-Nawawy. Il a été imprimé au Cake en 1890 avec le commentaire que lui a consacré Soyouty, sous le titre de Tedrib (Exercice), et a été traduit en français par M. Marrais, directeur de la Médersa d'Alger.
7 Mohamed ben Ahmed ben Ali Mohammed et-Takdaty, plus connu sous le nom d'Aïd Ahmed, fit ses études à Takda, sa ville natale. Voyez sa biographie dans Neïl el-ibtihadj, p. 362.
Cf. Annuaire de la Société archéologique de la province de Constantine, année 1854-55, Notice biographique sur les Littérateurs du Soudan, par Cherbonneau.
8 El A'qib ben Abdallah El-Ansamouny, le Massoufite, était né à Takda, au Soudan. Il mourut postérieurement à l'année 950 (inc. 6 avril 15'13), en laissant un certain nornbre d'ouvrages. Voyez sa biographie dans Neïl cl. ibtihadj, p. 210. Cf. Annuaire de la Société archéologique de la province de Constantine, année 1854-55, Notice biographique sur les Littérateurs du Soudan, par Cherbonneau.
9 Le mot Forqan désigne proprement tout ce qui sert à indiquer la séparation, et, par extension, le Coran, parce que ce livre établit la différence qui existe entre le bien et le mal, entre le licite et l'illicite.
10 Cette notice est extraite du Neïl el-ibtihadj, p. 355.
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Posté Le : 09/09/2008
Posté par : nassima-v
Source : Ouvrage "El Bostan" d'Ibn maryam, trad par F. Provenzali