Tlemcen - Ahmed Abou'l Abbès

Biographie d'Ahmed Aboul Abbès



C’est le petit-fils du cheikh Sidi Mohammed ben Merzouq . Il naquit dans la nuit du premier au deux Moharrem, premier mois de l’année 681 (nuit du 11 au 12 avril 1282).
Il apprit le Coran sous la direction du cheikh le saint Sidi Youçof ben Yaqoub Es-Sanhadjy, et eut pour professeurs dans sa ville natale (Tlemcen) : 1° les deux frères, les jurisconsultes Abou Zéid et Abou Mouça, fils de l’Imam et prédicateur Abou Abou Abdallah Ibn El-Imam ; 2° le pontife Abou Abdallah ben Hadiya ;3° Abou Yaqoub Youçof ben Ali Es-Sanhadjy. Ce dernier, qui était un homme pieux, scrupuleux, adonné aux mortifications, faisant des miracles, appartenait à la famille des Beni Ali de la tribu des Sanhadja (1), maître de Kalaat-Hammad (2) ; il excellait dans l’enseignement du Coran et était un professeur éminent. Beaucoup de Tlemcéniens furent ses élèves, et Dieu fit retirer de lui avantage et profit à tous ceux qui furent ses disciples.
J’ai entendu dire ce qui précède par les cheikhs de Tlemcen, qui le tiennent, par tradition, de la bouche de ceux qui les ont précédés. Son tombeau est connu, et se trouve au lieu dit : El-Merdj (La prairie) (3), entre les remparts, au dehors de la porte appelée : Bab-et-Djiad (Porte des homme généreux (4). On obtient tant de grâces auprès de ce tombeau, qu’on s’y rend en pèlerinage pour attirer sur soi la bénédiction divine et prier ; 4° Abou Mohammed Abd El-ouahid El-Mestary, qui lui apprit aussi le Coran.
Voici dit son fils Mohamed ben Merzouq El-Khatib un épisode de la vie de Sidi Ahmed Abou’l-Abbès, que j’ai jugé à propos de rapporter ici (c’est-à-dire dans l’original d’ou ce récit a été extrait. C’était pendant le siège de Tlemcen (5). Un des serviteurs de son père se rendit fréquemment dans la ville assiégée, avec des vives, et Sidi Ahmed profitait de cette occasion pour faire remettre, par cet homme, quelque provisions à sa sœur et à son oncle maternel qui était assiégés. Or, le sultan Abou Yaqoub, qui cernait Tlemcen, avant permis de répandre impunément le sang de tous ceux qu’on trouverait s’introduisant dans la place, ou qu’on saurait y être entrés, ainsi que le sang de tous ceux qui, ayant surpris quelqu’un pénétrant dans la ville ou connaissance celui qui y pénétrait, ne l’aurait pas dénoncé.
Un homme sortit un jour la ville. Poursuivi, il laissa tomber une lettre adressée à Ahmed ben Mohammed ben Merzouq par son oncle maternel, et dans laquelle celui-ci l’informait avoir reçu, tel jour, le pot de beurre qu’il lui avait envoyé, et avant et après cette date, telle et telle autre chose, malgré les difficultés qu’il avait fallu surmonter pour que toutes ces provisions arrivassent à destination.
Lorsque cette lettre fut lue en présence du sultan, celui-ci s’enflamma de colère et s’écrira : « C’est donc en vain que nous restons ici ! Où est cet homme ? – A El-Eubbed (6), lui répondit-on, c’est le fils d’un tel.- Qu’il soit, qu’on me l’amène sur l’heure ! » Commanda-t-il.
Les envoyés du sultan, sur le visage desquels se lisaient leurs mauvaises intentions, se succédèrent auprès de moi, dit Sidi Ahmed. Dès que je fus arrivé et qu’on eût informé le sultan de ma présence, celui-ci ordonna qu’on me mît aux arrêt dans une cellule où je trouvai le cheikh Abou’l-Hacen (variante : Ibn Hacèny) occupé à copier un exemplaire du Coran. Il me tint compagnie. Puis le sultan, au côté duquel se tenait sa favorite, femme originaire de Tlemcen, ayant parlé de moi dans l’intérieur du palais, celle-ci lui dit :
Sire, prenez garde au poison, car c’est le fils d’un tel », et elle lui parla de la considération dont mon père et moi jouissions.- « Que Dieu s’interpose entre cet homme et moi ! s’écria le sultan ; qu’il me fasse seulement connaître celui qui est entré dans la ville assiégée et en est sorti, et qu’il se retire après la prière de l’âsr (milieu de l’après-midi), le sultan sortit, convoqua le jurisconsulte Abou’l-Hacèn Et-Tenessy (7), frère utérin de mon père, et lui raconta ce qui se passait. Abou’l-Hacèn, dont le père était un homme de bien, lui dit : « Sire, c’est le fils d’un tel ; il est connu grâce à la considération dont jouit son père, et je crains qu’à cause de lui il ne vous arrive quelque désagrément.- qu’il me fasse connaître l’homme qui est entré dans la ville, c’est tout ce que je lui demande », lui répondit le sultan. Puis il fit appeler le grand jurisconsulte spécialement attaché à sa personne, le soutien de sa dynastie, Abou Mohammed Abdallah ben Abou Medien (8), et lui dit : « abdallah, va trouver ce jeune homme, dis-lui qu’il faut absolument qu’il me donne le renseignement que je lui demande, et insiste vivement auprès de lui. » Abou Mohammed Abdallah vint me trouver, et après s’être entretenu familièrement avec moi et m’avoir mis à mon aise, il me dit : « Le sultan se fait savoir qu’il faut absolument que tu lui fasses connaître l’homme qui était porteur de la lettre.- Je ne connais, répondis-je ni cet homme, ni celui qui s’en est servi ; j’ignore tout cela ». Alors Abou Mohammed me baisa la tête et me dit : « Que ta conduite est belle, ô fils de saints ! Dieu garde que quelqu’un périsse à cause de toi ! Persiste dans ton dire et ne crains rien ». il me laissa, et après lui vinrent un tel et un tel, chargés de la même mission, qui insistèrent vivement auprès de moi. Je persistai dans mes déclarations et le sultan finit par croire à ma sincérité. « Faites-toi venir ! » commanda le sultan. Abdallah El-Qochéïry vint me prendre et entra avec moi chez le prince. Lorsque je fus en sa présence, il me fixa, m’appela et m’invita à m’approcher de lui et à m’asseoir ; puis il m’adressa des paroles douces et bienveillantes : « C’est vraiment un fils de saints », s’écrira-t-il .-Tu dois avoir eu peur ; me dit-il.-Je n’ai éprouvé quez de bons traitements.- Prie pour nous, et retire-toi !-Puis il ajouta : « peut être as-tu quelque chose à me demander.- Rien, répondis-je j’avais péri.
Après mon départ, le sultan dit au jurisconsulte, Et-Tenessy : « C’est avec un pareil jeune homme qu’il conviendrait de marier la fille de ton frère Sidi Abou Ishaq ! (9)- Dieu vous accorde la victoire ! répondit le juriste, j’ai déjà causé de cela avec sa famille. –Allons, Abdallah ! dit alors le prince en s’adressant à Abou Mohammed, fais ce mariage et je me charge du reste.- Bien, répondit Abdallah. »
Le lendemain (dit Mohammed ben Merzouq El-Khatib Abou Mohammed ben Abou Medien envoya chercher mon père et lui dit : « Le sultan et le juriste Abou’l-Hacèn Et-Tenessy ont décidé telle chose. – J’ai un frère plus âgé que moi, qui vient d’arriver du Hidjaz, et sans lequel je ne décide jamais rien, répondit-il. « On fit venir celui-ci, et, lorsqu’il fut présent, mon père refusa de se marier, prétextant n’en avoir pas envie ; mais on insista tellement qu’il finit par accepter et on conclut le mariage. »
A ce mariage (dit encore Mohammed ben Merzouq El-Khatib) se rapporte une anecdocte qui fait plutôt partie de la biographie de mon grand-père maternel Abou Ishaq Et-Tenessy, mais que je place ici (c’est-à-dire dans l’original d’où est extrait ce récit), parce qu’elle se rattache à la précédente :
Notre professeur, le légiste Abou’l-Abbès El Qattan, m’a raconté ce qui suit : « j’entrai, dit-il, avec ton père et ton oncle paternel, chez Sidi Abou ishaq Et-Tenessy, pour lui faire visite pendant sa maladie. Ton père (Ahmed) avait alors environ sept ans, et ton oncle était adolescent. Lorsque nous l’eûmes salué, il nous fit bon accueil et dit : « Bienvenus soient les enfants de mon ami ! »et, s’adressant à ton père, il ajouta : « Bienvenu soit mon fils et ami ! » Ensuite, il l’approcha de lui et le baisa sur la tête, en disant : « Tu seras mon genre. » Puis, portant ses regards vers sa fille qui pouvait avoir trois ou quatre ans, il l’appela : « Khadidja ! », mais elle s’enfuit en se couvrant le visage. « Elle a honte de toi, ah !mon Dieu !mon Dieu ! »S’écrira-t-il alors. Sur ce, nous retirâmes en disant : « Ces paroles doivent avoir une signification. »
Or, lorsque mon oncle paternel, qui était plus âgé que mon père, fut de retour du pèlerinage, le légiste Abou’l-Hacèn Et-Tenessy, informé de son arrivée, lui fit proposer de le marier avec sa nièce. Mais mon oncle hésita parce qu’il se souvenait des paroles qu’avait autrefois prononcées Abou Ishaq. Cette proposition de mariage fut faite à mon oncle à l’insu de mon père qui ne devint le financé de Khadidja qu’après les événements relatés plus haut.
Trois mois après les fiançailles, le légiste Abou’l-Hacèn mourut, et mon père ayant été nommé le tuteur de Khadidja, la receuillit chez lui ainsi que son frère, mon oncle maternel Abou Abdallah. « Abou’l-Hacèn Et-Tenessy avait laissé, en mourant, des maisons à Fez et à Tlemcen, ainsi que des richesses considérables. Le sultan dit au jurisconsulte Abou Mohammed ben Abou Medien : « Je te charge, Abdallah, de remplacer le légiste Abou’l-Hacèn Et-Tenessy, pour mener ce mariage à bonne fin, et de faire le nécessaire dans cette circonstance. » Puis il ordonna de remettre à Khadidja, quatre cent quatre-vingt dinars d’or et un tapis qui avait été envoyé de Tunis à l’oncle paternel de la jeune fille.
Mon père et ma mère furent enfin définitivement unis, et, sept jours après leur mariage, il arriva au sultan ce que l’on sait (10).
Tout ce qu’il y avait en fait d’ornements et de tentures, dans les maisons d’Abou Mohammed, se trouvait réuni chez nous, me dit mon père ; et quand il vint nous voir, la foule était si compacte qu’elle ressemblait à une mer aux flots agités. « Nous vous inquiétez pas , disait-il, je jure qu’on ne vous enlèvera rien des meubles que je vous ai prêtés, jusqu’à la fin de la noce. »
Le repas qu’il est coutume d’offrir le septième jour après le mariage se préparait, et mon oncle paternel, accompagné de ses amis, courut faire les invitations. Sur ces entrefaites, il se produisait l’événement que l’on sait (l’assassinat du sultan), et quand mon oncle et ses amis furent de retour, tout était prêt. Les habitants de Tlemcen se rendirent aussitôt au festin qui fut pour eux un profit inattendu que Dieu Puissant et Grand leur avait réservé après sept ans de siège (11). Gloire à celui qui répartit les biens ! » (Extrait de l’ouvrage intitulé : Lez vertus d’Ahmed ben Merzouq).

Notes

1 Voyez sur les Sanhadja, l’histoire des Berbères, par Ibn Khaldoun, traduction de Slane, tome II, p1 et suiv.
L’histoire des Ben Ali ou Hamdoun se lit dans le même ouvrage, p553 et suivantes
2 El-Kalaa, dont les ruines se voient encore au nord de Mecila, commune indigène de Maâdid, dans le djebelNechar qui ferme au nord le bassin du Hodna, fut fondée par Hammad en 1007 de j.c (398 de l’hégire)
D’après M. De Mas-Latrie (traités de paix et de commerce concernant les relations des chrétiens avec les arabes de l’Afrique septentrionale au Moyen Age, tomeI page 52 et suiv.), un groupe important de berbères chrétiens contribua à former la population d’El Kalaa. Des privilèges leur furent accordés pour le libre exercice de leur culte et un évêque leur fut donné plus tard par le pape Grégoire VII. Les historiens arabes sont muets sur ce point. (Mercier, hist de l’Afr, tome I, p394)
3 El Merdj est une prairie située sur la route de Tlemcen au pont de SafSaf ; elle touche au tombeau de sidi Abdellah
4 Les ruines de Bab-el-Djiad se voient encore en dehors de la porte Bou-Medine, à gauche chemin qui conduit au village de ce nom. Il est à remarquer que la ville de Sanaa, dans le Yemen, avait une porte appelée aussi Bab-el-Djiad
5 Le sultan mérinide Abou Yaqoub Youçof Ibn Abd-el-Haqq arriva sous les murs de Tlemcen le 2 Châban 698 (11 mai 1299). Voyez Ibn Khaldoun, trad de Slane, tome IV, p141 et suivantes. Voyez aussi histoire des Béni-Zéïyen, par Mohammed et-Tenessy, trad de l’abbé Bargès,p30 et suivantes.
6 Le village d’El Eubbed, que les arabes et les européens désignent sous le nom de sidi-Bou-Médine, à cause du marabout de ce nom qui y est enterré, est situé à une demi lieue au sud-est de Tlemcen
7 Voyez hist des Béni-Zeîyan, trad de l’abbé Bargès, p22 et suivantes
8 Voyez Ibn Khaldoun, hist. Des Berbères, traduction de Slane, tome IV, p180 et suivantes
9 Voyez hist des Béni-Zeîyan, trad de l’abbé Bargès, p22 et suivantes
10 Allusion à l’assassinat du sultan Abou Yaqoub Youçof Voyez Ibn Khaldoun, trad de Slane, tome IV, p168 et 169
11 Le siège de Tlemcen dura huit ans : du 11 mai 1299 au 10 mai 1307



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