Tizi-Ouzou - Aghni Goughran

Au pied du Djurdjura, le village Aït El-Kaïd



Au pied du Djurdjura, le village Aït El-Kaïd
Situé à 50 km de Tizi Ouzou, Aït El- Kaïd reste le seul village qui préserve son ancienneté d’autant qu’il est classé comme patrimoine national. Nous y sommes allés pour un reportage.
Perché sur une crête dominant les plaines des Ouadhias et d’Agouni Gueghrane, au pied du prestigieux Djurdjura, Aït El-Kaïd continue à résister aux affres de la nature et de l’être humain, et ce après plusieurs siècles d’existence. C’est pratiquement le seul village de Kabylie qui continue à donner l’image d’un ordre social établi depuis des centaines d’années. Il reflète aussi les traditions d’une région qui sombre aujourd’hui dans l’oubli et se détache de tous ses repères sociaux et historiques. Situé à 50 km à l’extrême-sud de la wilaya de Tizi Ouzou, il est aujourd’hui classé comme patrimoine national aux côtés de la maison d’Abane Ramdane, de celle des Aït Kaci, Lalla Fatma N’soumer, et quelques autres sites romains existant au niveau de la wilaya. Des travaux de réfection ont été lancés en 2008 par la direction de la culture pour préserver les quelques maisons qui tiennent encore debout, rétablir et réaménager la totalité du site pour en faire un musée à ciel ouvert. C’est l’ambition du directeur de la tutelle, M. Ould Ali El-Hadi, qui compte mettre tous les moyens pour préserver le patrimoine local et en faire un atout touristique incontournable dans la région.
Lors du dernier colloque national sur l’habitat traditionnel, une visite à ce village a été organisée mercredi dernier. Après près d’une heure et demie de route, le village commençait à paraître sur les hauteurs d’Agouni Gueghrane complètement métamorphosé. La progression, comme on peut le noter de nos jours, a gagné du terrain. Tout le monde est fier de vivre dans des villas de deux à trois étages. Le patelin du défunt Slimane Azem est aujourd’hui méconnaissable. S’il était encore en vie et que l’exil l’ait laissé traverser les cieux pour s’y rendre, il aurait certainement regretté sa terre natale et toute la naïveté de la vie paysanne d’autrefois. Aït El-Kaïd est aujourd’hui un endroit pour se reposer et oublier les angoisses quotidiennes de la vie. Pour y vivre ? Personne n’y pense. Déserté peu après l’indépendance, seule une dizaine de familles y demeurent encore. Sur les lieux, le paysage est désolant, les ruines sont beaucoup plus nombreuses que les maisons qui résistent encore.
Celles-ci, si elles existent encore, c’est grâce à quelques personnes âgées résidant sur ce rocher qui ont refusé de céder à l’envie de leur progéniture d’aller vivre dans des habitations en béton. Des ruelles étroites séparent les deux parties du village, construit pendant l’époque ottomane.


Refus du régime fiscal
Aït El-Kaïd est le fruit d’une opposition de citoyens de la région au régime fiscal ottoman imposé à l’époque. Ils se sont réfugiés sur les hauteurs d’Agouni Gueghrane pour construire leur propre village. Son nom, Aït El-Kaïd, évoque un kaïd nommé à l’époque par les villageois pour diriger leurs affaires. Ce dernier n’a pas tardé à être tué suite à des dépassements répétés à l’égard de la population locale. Ces gens, résistants, se sont adaptés à la rudesse du climat sur les hauteurs du Djurdjura. Ils ont continué à résister au colonialisme français jusqu’au bout. Malheureusement, cet engagement et cet attachement à la terre ont été emportés par l’indépendance. Tout s’est effondré avec les neiges qui couvraient les belles crêtes de la Kabylie. Les habitants d’Aït El-Kaïd, animés par la chaleur de la liberté et l’envie d’une vie meilleure, ont laissé la paisible localité livrée à elle-même. Les familles, qui ont résisté à cette vague de «modernisation artificielle», se comptent sur le bout des doigts. On a abandonné les maisons en pierre, en argile et en bois pour rejoindre les grandes villes et les centres urbains. Un vieillard s’est joint à nous lors de notre visite. Il nous a montré un centre de torture colonial français, dont un seul mur est debout. Dans tous les coins et toutes les ruelles, les yeux des personnes âgées qui se tenaient devant les portes en disaient long. Le regret se lisait sur les visages, de même que les conséquences d’une vie qui n’a pas été tendre avec eux. Cela ne les empêche pourtant pas d’espérer et de croire que leur village reprendra un jour sa place. Preuve en est la réfection entamée sur le site il y a quelques mois, et le classement des Aït El- Kaïd comme patrimoine national. Désormais, ils croient en la volonté des pouvoirs publics, et ils sont heureux que des visiteurs viennent les réconforter de temps à autre. Ces villageois peuvent se réjouir. Leur terre reprend ses droits et deviendra dans quelques années un pôle touristique important dans la région. Le wali de Tizi Ouzou l’a bien dit à maintes reprises : «Il faut faire de nos particularités des atouts de développement et des sources de fierté pour notre population.»
La Kabylie est une terre qui renferme autant de secrets et autant de beauté que de détermination. Il suffit de savoir agir dans ce sens et de sauvegarder une culture ancienne et un art de vivre ancestral.


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