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Tizi Ouzou - LE SYSTÈME D’IRRIGATION ASSIF LANASSAR EST VIEUX DE 80 ANS: L’aqueduc de Boghni, un trésor déterré



Tizi Ouzou - LE SYSTÈME D’IRRIGATION ASSIF LANASSAR EST VIEUX DE 80 ANS: L’aqueduc de Boghni, un trésor déterré


Munis de pelles, de pioches et de toutes sortes d’outils, les volontaires de tous âges ont répondu à l’appel lancé sur les réseaux sociaux par un habitant de la ville. Tout le monde met la main à la pâte pour extirper un ouvrage historique de l’oubli.

Réalisé dans les années 1940 par des colons à des fins d’irrigation des potagers et des lopins de terre, mais aussi pour d’autres usages, comme faire marcher les moulins à blé, l’ancien système hydraulique d’Assif Lanassar est en voie de réhabilitation. Le canal qui traversait autrefois la ville de Boghni, au pied du Djurdjura, avait fini, avec le temps, par disparaître et même par être effacé de la mémoire des hommes. Désormais revenu au centre des intérêts de la population locale qui a mis à profit la période du confinement dû à la crise sanitaire, l’ouvrage bénéficie aujourd’hui d’une salutaire attention de la population locale. C’est dans la foulée de la dynamique née un peu partout dans la région autour de l’embellissement et du nettoyage des villages et des quartiers que les membres du comité du quartier Assif Lanassar, dans la partie ouest de la ville de Boghni, ont pris l’initiative de réhabiliter ce canal hydraulique, long d’environ 5 km. Obstrué par des gravats, des blocs de pierre et des déchets de toutes sortes, ce canal commence à retrouver une nouvelle vie après seulement quelques jours de travaux. Munis de pelles, de pioches et de toutes sortes d’outils, les volontaires de tous âges ont répondu à l’appel lancé sur les réseaux sociaux par un habitant de la ville.

Des jeunes, des moins jeunes et même des personnes âgées continuent d’affluer vers cette zone. Qui pour participer directement aux travaux, qui pour apporter à manger aux bénévoles, et pour les plus âgés encourager tous ceux qui mettent la main à la pâte pour extirper un ouvrage historique de l’oubli.

“Trois journées de volontariat nous ont permis de nettoyer plus de 500 m et de refaire découvrir ce canal. D’autres journées seront consacrées au nettoyage de tout le canal”, nous explique Arezki Yahiatène, le président du comité de quartier, qui voit grand pour ce secteur victime du laisser-aller des hommes près de trois décennies durant.

“Nous avons pensé à recouvrir tout le canal à l’aide de dalles en béton, et même à réaliser un chemin piétonnier en vue de permettre aux familles de se promener dans ce bel endroit. Au terme de la réhabilitation de tout le canal, nous remettrons en route l’écoulement de l’eau à partir de la digue, comme au début quand il fut construit par les Français”, assure notre interlocuteur, pour qui cet ouvrage en voie de réhabilitation a une portée historique qu’il ne faut pas négliger.

Un avis que partage Chabane Bellali, un autre membre du comité de quartier.

“Nos enfants doivent avoir des réponses quant à certains repères historiques de notre localité. C’est dans ce sens que nous avons, après concertation avec les responsables locaux, décidé de lancer ce volontariat titanesque qui concerne la réhabilitation de ce canal et de mettre tous les moyens pour le faire sortir de l’oubli”, nous a-t-il affirmé lors de notre virée sur les lieux.

M. Bellali est d’ailleurs très loquace lorsqu’on évoque avec lui l’histoire de ce canal. D’après lui, sa réalisation remonterait à la fin des années 1940.

“C’est à la même époque qu’ont été lancés les viaducs de la ligne de chemin de fer qui devait relier la gare de Boghni jusqu’à Aomar, du côté de Bouira, en passant par Frikat et Draâ El-Mizan”, dit-il, soulignant que ce canal traversait toute la ville de Boghni.

“Il y avait une écluse tout juste devant l’école primaire. Quand le gestionnaire de l’ouvrage levait cette écluse et manipulait les vannes dans un sens ou dans l’autre, l’eau passait du côté de l’ex-église, devenue une mosquée aujourd’hui, et derrière la SAS (Section administrative spécialisée) où il y avait une porcherie ou vers d’autres endroits de la ville. Ils entretenaient les porcs avec cette eau”, se souvient Arezki Yahiatène, qui dit même garder en mémoire, comme si cela datait d’hier, ce jour où les militaires français avaient lancé des tirs de sommation pour faire fuir les enfants qui, comme il faisait chaud, barbotaient dans l’eau du canal qui passait devant les maisons.

“Les militaires avaient remarqué que l’eau était sale et que leurs bêtes avaient des diarrhées et autres maladies; ils firent alors une ronde sur les lieux. Ils tirèrent des rafales et nous quittâmes le canal”, raconte-t-il, avant que Chabane Bellali nous explique comment ce canal a été conçu.

“C’est un système conçu par gravitation afin que l’eau y coule facilement. Il y avait au point de départ une embouchure avec la rivière qui traverse actuellement la ville de Boghni. L'eau descend directement de la montagne en passant par la centrale électrique de Thala Oullili. Une partie de l’eau prend son cours normal et l'autre est déviée vers le canal”, précise-t-il non sans se remémorer qu’il y avait également une écluse juste devant l'hôpital de Boghni et que les responsables coloniaux de l'époque avaient installé une pompe à eau et arrosé le jardin et les rosiers.

“C'est là que j'ai vu pour la première fois des roses. Vraiment, c'était très beau de passer devant l’hôpital. L'eau qui coulait le long des artères de la ville notamment d'avril jusqu'à octobre lui donnait un environnement splendide comme Venise, l'Italienne”, se rappelle-t-il.

Juste avant d'arriver à la digue, nos accompagnateurs s'arrêtent pour montrer deux sources d'eau naturelle utilisées jusqu’à aujourd’hui par les femmes et les habitants de la ville.

“Cet endroit a été squatté par des groupes de jeunes, mais nous le récupérerons une fois les travaux de réhabilitation achevés”, promet le président du comité de quartier qui dit être, certes, satisfait du travail fait par les volontaires jusque-là mais souhaite, toutefois, que les responsables de l’APC leur fournissent une aide matérielle et humaine pour pouvoir mener à terme ce grand projet, surtout que certaines parties de ce canal sont recouvertes de bitume et de béton.

“Notre objectif est de réhabiliter ce système car il fait partie de l'histoire de Boghni. Je saisis cette occasion pour appeler tous les habitants de la ville à venir en grand nombre en cette fin de semaine afin de réussir une grande opération de nettoyage. En tout cas, le P/APC nous a rassurés qu'il ne ménagera aucun effort afin de nous accompagner dans ce grand chantier”, explique encore M. Yahiatène.

Tout comme ces membres du comité de quartier, Dda Saïd Saïdani, dit Dda Rabah, n’a pas caché sa joie de voir les habitants de cette localité œuvrer pour réhabiliter ce patrimoine. Dda Rabah se souvient avec une grande nostalgie de ces rigoles qui charriaient des poissons jusqu'au centre-ville.

“Je me rappelle ces jolis poissons que nous ramassions dans les rigoles. Je les vendais à 2 francs. C'était durant les premières années de la guerre de Libération nationale. Comme Claude Rochette, je garde de très bons souvenirs de la ville de Boghni, notamment des pelouses arrosées par l'eau de ce canal long de plus de cinq kilomètres qui traversait toute la ville. C'est du passé, mais je crois que nous sommes capables de redonner cette belle image à la ville de Boghni”, raconte Dda Rabah aux yeux de qui ce projet hydraulique était vraiment fiable et rentable pour les habitants.

“Ce système assurait même le fonctionnement d’un moulin à grains situé en amont de la digue”, se souvient-il, lui dont les terrains agricoles familiaux ne sont qu'à un jet de pierre de cet ouvrage hydraulique.

Tout comme Saïd Saïdani, les membres du comité de quartier n’ont qu’un seul souhait: réhabiliter cet ancien système hydraulique qui donnait jadis à la ville de Boghni son aspect particulier et aussi de voir les autres vestiges de la région, tels que le Bordj Turc de Boghni, restaurés et sauvegardés.

Paradoxe des paradoxes, c’est le confinement imposé avec l’avènement de la pandémie de Coronavirus qui a sorti de sa torpeur la population. D’importants travaux d’embellissement et d’amélioration du cadre de vie ont été menés à travers toute la région. La restauration du canal de Boghni est la cerise sur le gâteau.



Réalisé par O. Ghilès


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