Tizi-Ouzou - 01- Généralités

Le système politique kabyle ancien



Le système politique kabyle ancien
Lorsqu’une flopée d’érudits et de chercheurs investissent une contrée assiégée par des soldats colonisateurs, leur but est uniquement d’assurer au dominateur les conditions les plus appropriées afin d’exercer une souveraineté totale sur le peuple indigène. Dans l’ouvrage de A. Hanoteau et A. Letourneux, réédité en 1999 par Berti Editions (*), M. R. Aït Saïd, souligne à juste titre, dans sa préface, qu’"il faut connaître les lois qui régissent ce peuple pour agir en pleine conscience et essayer de juger objectivement lorsqu’on a l’ambition d’administrer ce peuple pour longtemps".

AINSI, quelques années après le débarquement des militaires français à Sidi Fredj, le colonel Hanoteau, du canton militaire de Draâ El Mizan, lors de ses expéditions, se mit à récolter toutes sortes de renseignements sur les mœurs et les lois de la région. En 1863, le gouvernement général et l’Autorité militaire mandatèrent M. A. Letourneux afin qu’il puisse se consacrer à l’œuvre commencée par Hanoteau et prévoir sa publication. Une publication qui s’effectua en 1872 alors que la rédaction de l’ouvrage fut achevée en 1868. Ce remarquable livre, malgré quelques imperfections (inexistance de la table des matières, fautes de transcription, erreurs typographiques), se compose de trois grandes sections, à savoir : l’organisation politique et administrative, procédures diverses et enfin droit criminel, droit pénal, chacune d’elles structurée en plusieurs chapitres. En première partie de l’œuvre, il est question d’observations préliminaires où il est mentionné que "L’organisation politique et administrative du peuple kabyle est une des plus démocratiques et en même temps une des plus simples qui puisse s’imaginer... L’idéal du gouvernement libre et à bon marché dont nos philosophes cherchent encore la formule à travers mille utopies est une réalité depuis des siècles dans les montagnes kabyles.. ;" La première section du livre traite également de thaddart, des çof de thadjemaïth, de l’amin, des Temman, de l’oukil de la mosquée, de l’imam, des impôts, de thinoubga, de thimecheret, de lanaia mais aussi et surtout de la guerre. A ce propos, un paragraphe illustre parfaitement la manière dont débutaient les hostilités : "Autrefois les tribus qui étaient fréquemment en lutte avaient l’habitude d’échanger pendant la paix, deux fusils. Celle qui voulait recommencer les hostilités faisait rendre à ses propriétaires le fusil qu’elle tenait en dépôt, ce renvoi équivalait à une déclaration de guerre. Le nom de Mezrag, "lance" donné aux armes ainsi échangées indique assez que cette coutume remontait à une époque bien antérieure à l’introduction des armes à feu". On peut lire ainsi à travers les différents chapitres abordés qu’une longue et minutieuse étude a été effectuée pour traiter aussi méticuleusement des passages se rapportant à l’organisation de l’instruction publique, du fonctionnement des marchés et des recherches très poussées sur l’origine des marabouts. A ce sujet, l’historique des marabouts fut retracé dans les moindres détails : "Beaucoup de familles de marabouts ne sont pas assez anciennes pour qu’on ne puisse remonter facilement à leur auteur, c’est-à-dire à l’ancêtre qui les a fait entrer dans la caste privilégiée. Il nous a suffi de quelques recherches pour arriver à des résultats certains : sans sortir de la confédération des Aït Irathen, nous pouvons citer des marabouts de toute origine, arabe, turque, kabyle et même nègre... Il n’y a guère en effet, que deux moyens de faire souche de marabouts. Un homme qui se livre à l’étude obtient bien facilement dans son village le nom de taleb aspirant à la science... on s’habitue à voir en lui un homme supérieur, et si ses descendants fréquentent les écoles et acquièrent de l’instruction, à la deuxième ou troisième génération, ils sont marabouts au même titre que tous les autres. Le second moyen consiste à se faire derviche. Or tout le monde peut être derviche. Il suffit que quelqu’un se couvre de haillons, affiche une dévotion exagérée, soit fou ou simule la folie et prophétise l’avenir. Si parmi de nombreuses prédictions, deux ou trois viennent à se réaliser, sa réputation est faite : c’est un saint inspiré, visité par l’esprit de Dieu. Après sa mort, ses enfants sont marabouts sans conteste. De même le chapitre relatif aux ordres religieux a fait l’objet d’une étude très approfondie concernant les multiples confréries établies dans la Kabylie. La seconde section du livre, traite, elle, de la procédure civile et dans l’introduction il est écrit : "Il n’y a point en Kabylie de magistrats ni de hiérarchie judiciaire : la coutume ne connaît ni les avoués, ni les avocats, ni les huissiers... Le pouvoir judiciaire y est exercé par la djemaâ, les juges-arbitres ou les arbitres ordinaires." Développé en trois parties, le volet relatif à la procédure civile aborde plusieurs chapitres se rapportant aux modalités juridiques qui gérèrent les plaintes, l’exécution des jugements, des frais occasionnés, de la procédure des marchés et autres diverses procédures. La troisième et dernière section de l’œuvre quant à elle, est consacrée au droit criminel et droit pénal, divisée en deux titres : droit privé extérieur et droit privé intérieur ou domestique. Plusieurs exemples illustrent parfaitement les réparations effectuées pour préjudices, moraux ou physiques dans différentes régions de Kabylie. Savamment développées, diverses pratiques et coutumes consacrées au sanctions réservées aux meurtriers. Le chapitre premier explique clairement thamegueret et la punition à laquelle s’exposent les auteurs d’un homicide envers la famille de la victime : "La thamegueret est la dette de sang contractée par la famille de celui qui, en temps de paix, a commis un homicide envers la famille de l’homicidé". Le second chapitre décrit en détail le droit privé lorsque les faits touchent à l’honneur. De l’adultère et de l’attentat à la pudeur. Les auteurs décrivent plusieurs variantes et versions ayant été constatées dans certaines tribus kabyles. Il est également fait mention de la violation de l’anaïa des particuliers : "L’ânaïa est une véritable institution politique. Elle peut émaner d’un simple particulier, d’un marabout, d’une djemaâ ; elle peut résulter de la force des choses. Le Kabyle est engagé à la faire respecter même au péril de ses jours, et s’il n’a pu y réussir, il engage, par une solidarité d’honneur, sa kharrouba, son village, sa tribu et surtout son çof." L’œuvre superbement détaillée offre au lecteur une panoplie complète de rites et de coutumes ancestrales aujourd’hui disparues. Différentes régions de Kabylie furent ainsi revisitées par les auteurs français qui ont longuement enquêté pour découvrir les multiples mécanismes du système judiciaire de l’époque. Les Kanouns kabyles ont été minutieusement "autopsiées" afin de faciliter la tâche des conquérants qui voulaient à tout prix exercer leur souveraineté sur les autochtones. "La chose admirable chez ce peuple, reste la place accordée à la liberté individuelle qui est l’un des piliers de son organisation sociale et qui n’a jamais permis l’usage des prisons", soulignera M. R. Aït Saïd. Les auteurs, eux, notent que grâce à ces institutions "le kabyle, initié par la conscience de ses droits à la connaissance du devoir envers ses concitoyens, a pu conserver jusqu’à nos jours sa liberté et son indépendance... En revanche, il n’a échappé à aucun des dangers de la démocratie..." Ainsi cette œuvre de A. Hanoteau et A. Letourneux demeure l’un des ouvrages les plus précis sur la législation kabyle de l’époque. Cent trente et une années après sa publication, les coutumes décrites dans ce livre sont, depuis, tombées en désuétude. Cependant, ce système fondé par les anciens, à savoir un régime social basé sur des valeurs morales, demeure fortement ancré dans les esprits et à ce jour, quelques villages ont su préserver cette organisation de taddarth en sauvegardant l’aspect positif relié aux mœurs et pratiques traditionnelles kabyles.

Hafidh B. * Les coutumes kabyles, A. Hanoteau et A. Letourneux Berti-Editions, Alger 1999 - 272 pages


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