Tizi-Ouzou - Parc National du Djurdjura	(Wilaya de Tizi Ouzou)

Le Parc national du Djurdjura: Une biodiversité à mieux faire connaître



Le Parc national du Djurdjura: Une biodiversité à mieux faire connaître

L’Algérie, de par sa grande superficie (2 741 381 km2) jouit d’une large gamme de biotopes et de bioclimats1, favorisant l’existence d’un ensemble d’écosystèmes et la différenciation d’un grand nombre d’espèces animales et végétales2. Le nord de l’Algérie renferme plusieurs écosystèmes forestiers et un ensemble de zones humides qui entretiennent cette diversité3. En Kabylie, le Parc national du Djurdjura, situé entre la wilaya de Bouira et celle de Tizi-Ouzou, est un majestueux site naturel couvrant 18 550 ha, riche d’une grande variété de paysages et d’espèces, certaines endémiques de la région du Djurdjura, d’autres endémiques de l’Afrique du Nord. Ces espèces endémiques jouent un rôle primordial dans le maintien des fonctionnalités des écosystèmes, et représentent aussi un centre d’intérêt culturel, touristique et écologique pour les populations locales. Malheureusement, la richesse écologique du Parc est menacée, confrontée à plusieurs transformations de son territoire causées notamment par le surpâturage, les feux de forêt et un urbanisme mal maîtrisé qui dégradent les milieux de jour en jour.

Une richesse climatique, géologique et biologique

Le Parc national du Djurdjura est un établissement public dont le cadre administratif a été défini par le décret ministériel n° 460/83 du 23 juillet 1983, sous la tutelle de la Direction générale des forêts et du ministère de l’Agriculture4. Il forme un massif forestier situé au niveau de la chaîne de montagnes de l’Atlas tellien. Ce massif est fractionné en trois parties : le massif oriental (point culminant : Lalla Khedidja à 2 308 m), le massif central (point culminant : Ras Timédouine à 2 305 m) et le massif occidental (point culminant : Haizer à 2 164 m). Le sol de ce massif, pour partie de nature calcaire, est constitué de terrains fortement plissés et fracturés5. Gneiss, granits et grès sont également présents. La région du Djurdjura se caractérise par des précipitations (pluie et neige) annuelles, variables selon l’altitude, pouvant atteindre les 1 500 mm, ce qui la place parmi les régions les plus arrosées d’Algérie. La température peut descendre en dessous de 0 °C durant la période hivernale (de décembre à la fin février) mais dépasse rarement 24 °C en été, en altitude.


Joyau du Parc, le lac Ouguelmim est un fabuleux écosystème hydrique temporaire, qui culmine à une altitude de 1 600 m. Lieu de culte et de plaisance pour les randonneurs du Parc, il possède une flore et une faune particulières, adaptées aux rudes conditions du climat local. En effet, il est enneigé durant toute la période hivernale et le début de la période printanière.



Une grande biodiversité floristique…

La systématique proposée ici se rapproche de celle présentée dans un récent rapport de l’UICN. La Kabylie-Kroumirie, où se situe le Parc naturel, abrite un ensemble d’espèces végétales caractéristiques de la région, dont quelques endémiques de rang infra-spécifique à protéger. Citons, par exemple un agropyron (Roegneria marginata subsp. kabylica), une aristoloche (Aristolochia longa var. djurdjurae) et un pâturin (Poa ligulata var. djurdjurae).La végétation du Parc est structurée en strates arborescente, arbustive et herbacée. Les formations sylvatiques sont des chênaies et des cédraies pures (à cèdre de l’Atlas – Cedrus atlantica) ou des associations de chênaies-cédraies. Au sein du Parc, une réserve intégrale délimitée par une clôture héberge une sous-espèce endémique et emblématique maroco-algérienne de pin noir (Pinus nigra subsp. mauretanica). Les pinacées (principalement le pin d’Alep – Pinus halepensis – et le cèdre de l’Atlas) et les fagacées (représentées par le chêne liège – Quercus suber –, le chêne zéen – Quercus canariensis –, et le chêne vert – Quercus ilex) sont majoritaires, mais on y observe aussi certaines familles accompagnatrices telles que les cupressacées avec le genévrier oxycèdre (Juniperus oxycedrus), les taxacées comme l’if commun (Taxus baccata), ou encore les aquifoliacées représentées par le grand houx (Ilex aquifolium). La présence, unique pour l’Afrique du Nord, du genévrier sabine (Juniperus sabina) est à signaler. Parmi les plantes herbacées on peut apercevoir plusieurs armoises dont Artemisia absinthium et A. atlantica, ainsi que la férule (Ferula communis), plus commune. À partir du début du mois de mars on observe sur une large partie du Parc le calicotome épineux (Calicotome spinosa) en fleur.


… et faunistique

Le Parc regorge d’animaux nocturnes et diurnes qui font sa réputation. Les visiteurs de ce sanctuaire peuvent facilement observer les grands rapaces qui sillonnent le ciel, entendre et contempler les petits passereaux qui enchantent la vue. Durant cinq mois successifs (de février à juin 2016), nos investigations, menées chaque quinzaine sur un transect de 30 km qui rend possible les observations sur la majeure superficie du Parc, nous ont permis de recenser 20 espèces animales diurnes. Parmi ces animaux, les oiseaux sont les plus représentés (50 %) dans nos relevés, suivis par les mammifères (35 %). Les résultats de cette étude reposent principalement sur nos observations personnelles ou des questionnaires renseignés à l’aide de la population locale.

Les amphibiens sont représentés par sept espèces dont la salamandre algire (Salamandra algira) ou nord-africaine et la rainette méridionale (Hyla meridionalis), adaptées aux conditions extrêmes d’altitude.Des études précédentes au sein du Parc6 recensent 145 espèces animales, dont 10 de mammifères considérées comme menacées et 18 espèces de reptiles ; principalement des lézards, des couleuvres et des tortues. Les principales espèces d’oiseaux observées sont les rapaces diurnes, tels que le vautour percnoptère (Neophron percnopterus), le milan noir (Milvus migrans) et autres aigle botté (Aquila pennata), buse féroce (Buteo rufinus) et épervier d’Europe (Accipiter nisus), ainsi que quelques passereaux au niveau des forêts denses du Parc. Lors de nos observations, nous avons pu noter la présence de quelques rapaces cités dans des rapports précédents : le vautour fauve (Gyps fulvus), l’aigle royal (Aquila chrysaetos) et le gypaète barbu (Gypaetus barbatus). Nous n’avons toutefois pas pu confirmer la présence du vautour moine (Aegypius monachus) quelquefois mentionné dans la littérature, mais nous espérons que des suivis portant spécifiquement sur les rapaces de la région pourront avoir lieu dans un avenir proche.

Nous avons aussi observé la présence d’une petite population menacée par le braconnage (invoquant le besoin de protection des troupeaux) d’hyènes rayées (Hyaena hyaena). Une grande population de singes magot (Macaca sylvanus) colonise actuellement le Djurdjura, principalement au niveau du massif avoisinnant la cascade de Mimouna. Ce massif rocheux de falaises et de grottes est situé à 1 200 m d’altitude sur le versant sud du Parc, autour d’une source d’eau localisée à 8 km de la ville de Haizer. Cette cascade est dominée par des formations de cèdres, de chênes, d’oliviers (Olea europaea), de lentisques (Pistacia lentiscus). Elle est également le refuge d’une population de crabes d’eau douce (Potamon fluviatile algeriense), sous-espèce endémique d’Afrique du Nord. Cette population de crabes semble avoir colonisé la cascade de Mimouna depuis la zone humide de l’oued Soummam, par l’intermédiaire de l’un de ses affluents.


Des menaces liées à la surexploitation

La grande diversité faunistique et floristique observée dans le Parc national du Djurdjura est cependant en sursis : plusieurs menaces pouvant provoquer une disparition rapide de ces paysages sont signalées. En premier lieu, la surexploitation des ressources naturelles, due principalement au surpâturage bovin, ovin et caprin, représente une réelle menace pour les pelouses alpines du Parc. Cette pratique, pourtant essentielle pour les agriculteurs locaux, a des conséquences majeures sur l’intégrité du paysage. En effet, les pratiques de surpâturage non réglementées sont un facteur de dégradation de la végétation portant atteinte à la diversité locale : l’absence de moyens de gestion favorise l’expansion du cheptel local au détriment des espèces végétales essentielles au maintien de cet équilibre écologique. La propagation des incendies naturels ou provoqués est une autre forme de menace. En effet, ces deux dernières années, plusieurs hectares de cédraie ont été ravagés par des feux de forêt, provoquant une transformation paysagère majeure.


Un autre paramètre joue sur l’intégrité du Parc et compromet sa pérennité dans le temps : l’expansion des constructions. Par endroits on voit ainsi apparaître des complexes touristiques ou des chaînes hôtelières, avec leur lot de pollutions (sonores, déchets…) et de dérangement de la biodiversité. La fréquentation humaine perturbe l’équilibre entre les espèces et change même le comportement de certaines d’entre elles. Le fait de côtoyer chaque jour les visiteurs du Parc et de s’habituer à recevoir de la nourriture de leur part (malgré une interdiction) favorise la dépendance de certaines espèces, fragilisant leur survie individuelle. Le singe magot, par exemple, a tendance à se familiariser avec les humains, perdant son instinct sauvage.

Les pratiques de reboisement par semis et les relâchés d’animaux (obtenus par supportive breeding) constituent un des outils de gestion permettant de limiter l’érosion de la biodiversité locale et de préserver le Parc pour les générations futures. Néanmoins, ces pratiques doivent être effectuées en veillant à limiter le brassage entre populations autochtones et populations allochtones, car cela risquerait de poser des problèmes au niveau de la diversité génétique. En effet, des croisements avec des lignées génétiques allochtones entraînent un risque de diminution des capacités d’adaptation des populations aux conditions locales (voir l’exemple de l’abeille noire dans Le Courrier de la Nature n° 305, p. 11). Des populations de chardonneret élégant (Carduelis carduelis) récupérées du trafic illégal sont ainsi réintroduites sur le site, mais il est indispensable de les contrôler (étude des caractères génotypiques) avant cette pratique. Un autre problème peut survenir en cas de populations de taille réduite et isolées : la menace de la consanguinité, qui à terme diminue la capacité de la population à se maintenir durablement dans son écosystème en favorisant l’apparition de tares ou en diminuant la fécondité.


Conclusion

La diversité en termes d’écosystèmes (forestier et montagnard d’un côté, littoral de l’autre) et d’espèces endémiques (animales et végétales) fait de l’Afrique du Nord méditerranéenne et plus précisément de la Kabylie dans le cas présent un point chaud régional de biodiversité, pas encore assez connu et cependant menacé par l’anthropisation, comme l’ont montré plusieurs études scientifiques réalisées ces trente dernières années.

Nous participons à plusieurs campagnes de sensibilisation destinées à la population locale et aux visiteurs pour la protection et la valorisation des ressources naturelles de ce site. Des efforts de restauration des milieux sont ainsi entrepris.


La forte diversité faunistique et floristique dans cette aire protégée, et surtout la présence de nombreuses espèces endémiques, lui confèrent une grande valeur patrimoniale. Cette diversité biologique, au niveau des espèces, des écosystèmes et des paysages, peut constituer un facteur positif pour le développement socio-économique, culturel et touristique local. En effet, la production de bois, les aires de repos et de plaisance, ainsi que les sites historiques et culturels, s’ils sont bien gérés, sont au cœur d’un développement touristique et économique de cette région alors compatible avec ses capacités d’accueil, d’adaptation et d’évolution, au bénéfice de la population locale.

Cependant, malgré l’intérêt que revêt le Parc national du Djurdjura pour la Kabylie et l’Algérie, la persistance locale et l’intensification de certaines pratiques anthropiques pesant sur l’intégrité et la richesse du paysage au sein du Parc risquent de compromettre à long terme son statut d’aire protégée et les bénéfices que la région pourrait tirer d’une bonne gestion, qui s’inscrirait dans une perspective de développement durable.












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