Tizi-Ouzou - HISTOIRE

La langue berbère : Les emprunts antiques



De tous ces emprunts de la La langue berbère - la liste n’est pas exhaustive-il n’ y a que la série des noms de mois qu’on peut rattacher, sans hésiter, au latin. Tous les autres emprunts sont douteux. Durant la période coloniale ,les emprunts latins ont été parfois interprétés comme des restes de latinité, voire des survivances de Rome au Maghreb.

Les Romains sont restés moins longtemps au Maghreb que les Carthaginois, mais leur influence linguistique semble plus importante, si l’on croit les listes d’emprunts latins en berbéres, dressées par différents auteurs.

A la différence du phénicien, apparenté au berbère (ils appartiennent à la même famille de langues : le chamito-sémitique), le latin est une langue indo-européenne, donc génétiquement différente. Cependant, les aires linguistiques des deux langues étant géographiquement proches, il n’est pas exclu qu’elles se soient mutuellement influencées et même qu’elles aient partagé un fonds commun que l’on appelle parfois fonds méditerranéen.

Rappelons d’abord que la rencontre de Rome et du monde berbère s’est faite dans la violence : celle d’une longue conquête qui a commencé avec les guerres puniques et la lutte entre les Romains et les Carthaginois pour l’hégémonie dans la Méditerranée occidentale, qui s’est poursuivie par des ingérences politiques et militaires et qui s’est achevée par une occupation qui devait durer plusieurs siècles.

Les historiens français de la période coloniale ont souvent parlé de miracle romain fait, en Afrique comme dans le reste de 1’ Empire, d’unité et de stabilité. Cette vision idéaliste et apologétique de l’impérialisme romain est non seulement fausse mais surtout elle voile, pour ce qui est du Maghreb, les résistances militaires et culturelles des populations autochtones à la romanisation.

Si dans les villes, le modèle culturel et donc la langue latine ont fini par s’imposer, dans les campagnes, les populations sont restées largement berbérophones. On parlait mais aussi on écrivait le berbére, ainsi qu’en témoigne l’abondance des inscriptions libyques datant de la période romaine.

Que des inscriptions soient bilingues ou que beaucoup d’autres aient été retrouvées à proximité des centres puniques ou romains ne signifie pas, comme on l’a parfois affirmé qu’il n’ y avait pas, avant la pénétration carthaginoise ou romaine, de tradition épigraphique libyque et que c’est par imitation des Carthaginois et des Romains que les Berbéres se sont mis à graver des textes sur les pierres. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas encore retrouvé d’inscriptions dans les régions éloignées des centres romains que l’écriture n’était pas utilisée dans ces régions. Bien des stèles ont dû disparaître et d’autres restent à découvrir. Pour le seul Maroc, indigent en matière d’inscriptions, le nombre de stèles découvertes a été multiplié par trois, en trente ans. Enfin, signalons que des inscriptions autochtones ont été retrouvées au Sahara, dans une région où les Romains n’ont pas exercé d’influence. Et de nos jours, le seul groupe berbérophone à avoir conservé l’usage de l’écriture, est celui des Touaregs.

Comme pour le punique, on peut reconnaître dans les dialectes berbères actuels, des mots d’origine latine mais les longues listes d’emprunts dressées depuis plus d’un siècle, sont certainement exagérées. Il ne faut pas oublier, non plus, que des considérations idéologiques ont souvent présidé les recherches, notamment durant la période coloniale où les emprunts latins ont été parfois interprétés comme des restes de latinité, voire des survivances de Rome au Maghreb.

Mots latins ou supposés latins en berbère

a- série des mots du calendrier julien, (donnés ici dans leur forme kabyle) encore en usage dans les campagnes maghrébines
yannayer, nnayer, latin januaris “janvier”
furar, latin : februarius “février”
meghres, latin : mars “mars”
brir, yebrir, latin, aprilis “avril”, on rapporte également à ce mot le nom de la grêle, abruri
mayyu, maggu, latin : maius “mai”
yanyu, yulyu, latin : junius “juin”
yulyu(z), latin julius “juillet”
ghuct, latin : augustus “août”, on rattache également à ce nom le mot awussu qui désigne, dans les parlers libyens, une période de canicule.
ctember, latin : september “septembre”
tuber, ktuber, latin : october “octobre”
nwamber, wamber, latin : november “novembre”
djember, dudjember, latin : december “décembre”

b- Plantes cultivées et sauvages

tarubia (Chleuh) “garance voyageuse”, latin : rubia
tifirest (Chleuh, Kabyle etc.etc.) “poire commune”, latin : pirus
ulmu (Kabyle) “orme champêtre », latin : ulmus
gernunec (Chleuh), gerninuc (Kabyle) “cressons”, latin : crisonus
ifilku (Kabyle) “fougère”, latin : felix, felicis
blitu (Kabyle) “chenapodium album, latin : blitum
azebbuj (Rifain, Kabyle) “oléaster”, latin : acerbus “amer”
tinuat (Chleuh) “tan”, latin : tanum
akerruc (Kabyle) “chêne”, latin : qercus
tilintit, tlintit (Chleuh) “lentilles”, latin : lens, lentis
ikiker (Chleuh) “pois chiche”, latin : cicer (prononcé : kiker)
abawn (Chleuh) ibawen (Kabyle) “fève”, latin : fabae
ileli “millet” (Ghadames) ilni (Nefousa), latin : milium
tayda (Wargla) “écorce de pin servant à tanner”, latin : taeda etc.

c- Agriculture, matériel agricole

urti (Chleuh) “jardin, verger”, latin : hortum, horti
iger (Chleuh, Kabyle etc.) “charnp”, latin : ager
anarar (Ghadames) “meule de paille” armar (Chleuh, Kabyle) “aire à battre”, latin : area
atemun (Rifain, Maroc Central, Kabyle) “flèche de la charrue”, latin : temonem
awraru, awatru (Chleuh) “perche de la charrue”, latin : aratrum “charrue”
tayuga (Chleuh, kabyle etc.) “attelage, paire de bœufs, couple », latin : yagum “joug” et “attelage, couple, paire”
azaglu (Kabyle, Chleuh etc.) “joug”, latin : Jugulum “gorge, clavicule”

d- Animaux

afalku (Kabyle etc.) “gypaète barbu (oiseau de proie) », latin : falco “faucon”
amergu (Kabyle) “grive”, latin : mergus
tafullust (Chleuh) “poule” abullus “coq”, afullus (kabyle) “poussin” latin : pullus
asnus (Chleuh) “âne”, latin : asinus
ajatt’us (Chleuh), aqitt’us (Néfousa) “chat”, latin : cattus etc.

e- Objets

taghawsa (Touareg, Nefousa, Kabyle, chaoui etc.) “chose, objet”, latin : causa
afarnu (Chleuh, etc.) “four”, latin : furnus
anaw (Chleuh) “navire”, latin : navis
tabburt (Kabyle, Maroc Central, etc.) “porte”, latin : porta
kamur (Wargla) “chambre, pièce d’appartement”, latin : camera
tara (Sokna) “terrasse”, latin aera “sol uni, ernplacement, place etc.”
abelun (Nefousa) “tapis”, latin : velum
tut’ebla (Nef) “table, tronc de palmier scié”, latin tabula
tusebla (Nefousa) “alene”, latin : sebula
gbasru (Nef) “ksar, village fortifié au Sahara”, latin castrum, plutôt que de l’arabe qas’r, qui dériverait lui aussi du latin etc.

f- Autres mots

akurat (Wargla) “chef de clan, de quartier”, latin curatus
amerkidu (Wargla, Mzab) “grâce”, latin merces
abekkad (Touareg) “péché”, latin peccatum anedjlus (Touareg) “ange, chéri”, latin angelus tafaska (Touareg) “fête du sacrifice”, latin : pascua “pâques” etc.

De tous ces emprunts - la liste n’est pas exhaustive - il n’ y a que la série des noms de mois qu’on peut rattacher, sans hésiter, au latin. Et encore, il n’est pas sûr que l’emprunt se soit effectué directement du latin au berbére. On pense, en effet, que les dialectes berbéres n’ont fait que reprendre les dénominations du calendrier copte d’Egypte, calqué sur le calendrier julien et que les conquérants arabe ont diffusé au Maghreb sous le nom de aam al aagamî, “I’année profane”.

La preuve est que certaines mansions du calendrier copte, comme abeggan, nnissan etc., se retrouvent dans le calendrier berbére alors que les subdivisions romaines, ides, calendes et nones, y sont inconnues. Tous les autres emprunts, comme nous le verrons, dans un prochain article, sont douteux.


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