Tizi-Ouzou - 05- La période Ottomane

Histoire de Tizi Ouzou : L'indélébile présence turque



Histoire de Tizi Ouzou : L'indélébile présence turque
La présence turque à Tizi Ouzou a marqué de son empreinte l'ensemble du paysage sociologique de toute la région environnante. Les traces du passage turc restent présentes dans toutes les manifestations sociopolitiques et culturelles des Kabyles qu'on appelait alors les Zouaoua.

Néanmoins, l'on ne peut évoquer cette présence sans une rétrospective de l'histoire de ces majestueuses montagnes à l'ère de l'apparition sur les côtes maritimes de Bougie (en 1512) des deux corsaires Barberousse, Arroudj et Khair-eddine. Car, même si en ces temps, les noms de ces derniers sont beaucoup plus liés à l'histoire médiévale de la ville d'Alger, il n'en demeure pas moins que leurs succès sur ceux que l'on appelait à l'ère de la décadence de la civilisation musulmane les chrétiens, c'est-à-dire les Espagnols et les Génois qui harcelaient les ports nord-africains sont, à l'origine, obtenus avec le soutien des contingents kabyles.

Après la prise de Djijelli (Jijel) par les Génois conduits par André Doria en 1513 et l'échec des deux frères Barberousse dans leurs tentatives de libérer Bougie de la mainmise des Espagnols, le gouverneur hafside de Tunis chargea le nommé Sid Ahmed Oulkadi, faisant partie du gouvernorat de la même dynastie à Bône, de partir pour aider les deux corsaires turcs. La volonté des kabyles de se libérer des Chrétiens renforçait de plus en plus leur attachement aux frères Arroudj et Khair-Eddine. En dépit de leurs vaines tentatives de libérer Bougie, les Turcs tirèrent tout de même une réputation à travers le littoral nord-africain. Leur notoriété parvenait jusqu'à Alger, qui se trouvait alors sous la menace constante des espagnols, établis au Penon. Ainsi donc, Salim Ettoumi leur fit appel pour éloigner ce danger qui guette l'ancienne forteresse des Beni Mezghenna en l'an 1516. Alger reprise après maintes batailles contre les Espagnols, Arroudj, après avoir fait tuer Salim Ettoumi, se proclama nouveau roi. En quelques années, son pouvoir s'étendit jusqu'au massif du Chelif, avec la prise du port de Ténès. C'est alors qu'il devint indispensable d'organiser l'administration de tout ce royaume. A l'issue de guerres et de batailles livrées ensemble, la reconnaissance et le respect réciproques entre le corsaire turc et la famille des Belkadhi se renforcèrent et se solidifient davantage. Ce fut ainsi, comme le signale Si Amar Boulifa, que la province orientale, comprenant la grande Kabylie, fut, en récompense des services rendus, confiée à Si Ahmed Ou Elkadhi, qu'il ne cessa, par sympathie, de combler d'honneurs. Après l'avoir traité en prince au long de son séjour à Alger, Arroudj ramena pompeusement en Kabylie le chef zouaoui dans son pays d'origine où il lui fixa désormais sa résidence1.

Depuis, la résidence des Oulkadhi qui donnèrent naissance à un petit royaume connu sous le nom de Koukou, demeura dans le village Aourir de la tribu des Aït Ghobri. Cependant, la présence turque ne commença pas avec l'avènement du royaume de Koukou, fondé par la famille des Oulkadhi, mais elle s'affirma plutôt concrètement avec un semblant de présence militaire, marquée par la construction d'un poste d'observation. Vers 1640, les Turcs, qui occupaient déjà la vallée des Issers, pénétrèrent dans la vallée du Sébaou. Las des combats que leur imposaient les contingents turcs, les Amraouas finirent par concéder l'édification d'un poste d'observation sur le “Col des genêts“, à quelques encablures de l'actuelle ville de Tizi -Ouzou. Mais, parvenus aux frontières des tribus des montagnes qui surplombent le Oued Sébaou, ces derniers tentèrent de construire un autre petit fort en 1715 à Thazaghart, près de Timizart Loghbar. Mais, l'emplacement était mal choisi car sa proximité avec la montagne des Aït Ouaguenoun le rendait très vulnérable. Aussi ne tarda-t-il pas à être enlevé et saccagé par ces derniers qui le voyaient d'un mauvais œil.2

Naissance de la ville de Tizi Ouzou

Les historiens qui ont eu à se pencher sur l'histoire de cette ville ne mentionnent pas une quelconque existence de centre urbain au sens aussi rudimentaire, attirant un semblant d'intérêt. Avant l'apparition du fait Turc en Kabylie avec la domination du royaume de Koukou qu'ils implantèrent, les populations n'étaient vraisemblablement établies que sur les montagnes et les vallées avoisinantes. Il n'a, également, jamais été établi que ce fut cette arrivée sur les lieux qui donna naissance à la capitale actuelle du Djurdjura. La seule certitude est que le nom de Tizi Ouzou ne sera connu des chroniqueurs qu'à partir de l'installation des Turcs sur le col dont il prendra le nom.3

Les habitants de Tizi Ouzou

A l'arrivée des Turcs, la vallée du Sébaou était d'une part scindée en deux grandes tribus, les Amraoua Fouaga (Oufella) et les Amraouas Tehhata (Bwadda). D'autre part et aux côtés de ces regroupements urbains constitués de populations d'origines diverses, les montagnes avoisinantes étaient occupées par des autochtones. A l'origine, le pouvoir des Belkadhi, puis celui de leurs successeurs, les Aït Boukhtouche, soutenus par la régence, c'est-à-dire le pouvoir central d'Alger incarné par le caïdat du Bordj Sabaou à Tadmaït, faisait régner l'ordre. En décidant de combattre l'anarchie, ces représentants du déilikat implantèrent des postes de surveillance qui attirèrent des gens de différentes régions. Les nouveaux venus étaient pour la plupart originaires des tribus d'alentours ; d'autres parmi lesquels de nombreux arabophones, venant d'assez loin. Ce sont ces gens-là, des classes et d'origines différentes, qui constituèrent les noyaux des futurs villages des Amraoua.4 Leur nom provient même du fait qu'ils avaient été les premiers à peupler la vallée car traduit littéralement de l'arabe Ammara signifie peupler. Le rôle de ces populations ne faisait que croître atteignant son apogée durant le règne du bey Mohammed dit Edebbah, allié par un mariage aux Aït Boukhtouche d'Aourir. Répartis en deux grands groupes, les Amraoua tehhata qui occupaient la vallée des Issers étaient représentés par la grande famille des Aït Mahieddine de Taourga tandis que les Amraoua Fouaga, qui jetaient leur influence sur l'autre côté du Sébaou, faisant face aux montagnes des Aït Ouaguenoun, étaient représentés par la puissante tribu des Aït Kaci à Tamda sur les plaines des Aït Ouaguenoun.

Venus des Ouled Bellil à Bouira, les ancêtres des Ouled Mahiedine furent d'abord l'objet de sanction pour avoir tué un chaouch. Seul Mahieddine sortit indemne en trouvant refuge chez les Aït Ouaguenoun. Quelques temps après, ils furent refoulés par crainte du pouvoir central mais ils trouvèrent refuge chez les Aït Irathen. Les Aït Kaci quant à eux tiraient leur origine de la puissante tribu des Beni Hasballa du Hodna qui quittèrent la Qalâa des Beni Hammad à M'sila.5 Tout au début, ils vinrent s'installer aux Aït Flik mais, rejetés par les Aït Boukhtouch, ils s'installèrent à Semghoun chez les Aït Ouaguenoun qui eurent déjà, comme cité plus haute, accueilli les Ouled Mahieddine. A la création du caïdat du sébaou, Hemmou Ouhenda, leur chef de file vient s'installer à Tamda pour ainsi étendre la domination de la famille des Aït Kaci sur toute la région pendant toute la période turque qui s'en suivit et jusqu'aux débuts de la conquête française. A l'évidence, les populations gravitant autour du (pour) … Bordj turc du Titteri n'étaient pas exclusivement constituées de ces deux groupes puissants. Au fait, parmi ces regroupements fortement hétérogènes, naissait les descendants des mariages stratégiques entre les Turcs et les femmes kabyles : les koulouglis. Aux côtés de ce brassage se constituaient également des colonies nègres qui servaient de source de main d'œuvre et concentrées dans les zones à vocation agricoles comme celle de Chamlal près du confluent de Oued Aïssi, ainsi qu'à Boghni. Contrairement à ce que l'on puisse penser à première vue, le fait turc ne s'est pas restreint uniquement à la ville actuelle de Tizi Ouzou où le premier poste d'observation a été bâti en 1640 mais, il s'étend sur toute la région de Kabylie et bien plus à toute l'Algérie. Bien que les montagnards du Djurdjura furent les derniers à être soumis par le pouvoir ottoman, il n'en demeure pas moins que se sont ces mêmes populations qui furent les premières à faire appel à leur force militaire pour les libérer de la domination européenne incarnée par les Génois et les Espagnols. Les liens entre les Kabyles et les turcs étaient serrés bien avant l'établissement à Alger des frères Barberousse. Cependant, à la lumière des évènements déjà relatés, il devient aisé de constater que malgré ce brassage, il s'en distingue un constat éloquent. Toutes les grandes tribus qui ont à gouverner dans cette région n'ont pas vu leur pouvoir émaner de la population autochtone, mais bien du gouvernement central d'Alger. D'abord, les Belkadhi, bien que leur ancêtre qui, selon les historiens, était originaire des Aït Ghobri, de la région des Aït Djennad, il n'en demeure pas moins que ce fut pour services rendus qu'ils ont été placés par les Turcs depuis Alger pour étendre leur gouvernorat dans la région. Ce ne sera pas, idem, le pouvoir de leur branche successive, les Aït Boukhtouch, qui en fera exception. Bien au contraire, ce furent leurs liens étroits avec les Turcs qui en feront leur force.

Le mariage d'une de leurs filles avec le bey Mohamed dit Edhebbah6 renforça leur position, en ayant aussi le même résultat pour ce représentant du pouvoir central qui fut le plus connu de tous les Beys établis à Tizi Ouzou. Les Aït Kaci, les Aït Mahieddine et bien plus tard des Amraouas ne furent que des tribus Makhzen au service du deïlikat d'Alger et qui vont servir de relais aussi au pouvoir des français qui reprendront l'organisation turque. Pour leurs supplétifs, les officiers français reprirent les dénominations de Caïd, Agha et Bachagha avec pour finalité de reproduire les mêmes personnages et, avec eux, les mêmes chaînes de soumission dans les plaines.7 Les populations autochtones sont demeurées dans leurs villages altérant tantôt obéissance à l'autorité de ces tribus, tantôt révoltes rapidement étouffées vu le rapport de force largement oscillant au coté des alliés des Turcs. Du point de vue sociologique, l'objectivité d'un tel phénomène s'avère grandement établie. Le mode de gouvernance chez ces populations regroupées dans des villages coupés les uns des autres non seulement ne favorisait point l'émergence d'une branche capable d'étendre son pouvoir mais, l'interdisait catégoriquement. La Thajmaath qui était une forme de gouvernance démocratique pratiquée en Kabylie ne pouvait pas s'étendre à l'extérieur des frontières d'un village. Porté à la tête du douar démocratiquement par l'ensemble des villageois ayant atteint l'âge d'assister aux réunions, l'Amin ne pouvait point prétendre gouverner au-delà des frontières de son village car tous les autres villages adoptaient le même mode de gouvernance. Ce pouvoir que lui confèrent les siens ne pouvait pas demeurer entre ses mains ou éventuellement être transmis à sa progéniture car les successions de père en fils sont contraires aux mœurs kabyles. Celles qui ont existé à certains moments de l'histoire de la Kabylie, ont résulté de leur accointance avec le gouvernement central conquérant, en place à Alger8. Cette accointance est demeurée sans influence sur cette organisation villageoise même pendant le règne des Turcs avec les tribus qui se sont succédées dans les montagnes du Djurdjura.

La présence turque à Tizi Ouzou

Le passage du pouvoir Ottoman à Tizi Ouzou ne peut pas être abordé objectivement de la date de l'édification du poste d'observation qui allait enclencher la dynamique d'une présence effective, militaire, administrative et par conséquent sociologique. Avant la date de 1640, ils passèrent par les côtes kabyles avec l'aide des Belkadhi pour libérer Alger des Espagnoles. La force militaire des frères Barberousse était alimentée par des contingents kabyles. Ce furent les liens de cette grande tribu avec ces périodes de conflits et celles de grande complicité qui allait donner un sens à la présence turque qui allait marquer le pays des Zouaouas jusqu'à nos jours. Au coté des familles de descendants Turcs qui se sont relativement fondus dans la population kabyle actuelle, les marques de ce passage et de cette présence demeurent encore indélébiles. La période de colonisation française de plus d'un siècle bien qu'ayant apporté son lot de transformations n'a pas pu effacer cette présence pour deux raisons essentielles. De prime abord, les liens étroits tissés par les représentants de la régence avec les familles influentes des Amraoua ont engendré des générations qui se sont fondues dans le tissu social kabyle. Puis, vient le rôle de la stratégie d'implantation française qui a maintenu le même système de gouvernement élaboré par leurs prédécesseurs. Cette présence se manifeste par l'existence encore de nos jours de leurs édifications dans tous les domaines. Jusqu'à présent, le plus grand marché hebdomadaire de la wilaya rappelle encore ce passage.

L'arrivée aux commandes du bey Ali Khoja en 1720 allait donner une dynamique de développement et d'organisation jamais atteints durant le règne Ottoman. Ce haut fonctionnaire était un guerrier et un administrateur hors pair9. Pour instaurer son autorité, il organisa les villages des Amraoua en makhzen, mot qui désigne une force armée non régulière composée de cavaliers rémunérés. Le Bordj Boghni était également l'une de ses réalisations dont les vestiges demeurent encore vivants. Son règne fut le propulseur de l'implantation des colonies ou les zmala, mot qui signifie littéralement en arabe camarade, de Abid Chamlal à quelques kilomètres de la ville de Tizi Ouzou ainsi que la zmala de Boghni. Si de nos jours, le plus grand marché hebdomadaire de la région se trouve à Tizi c'est en effet grâce au bey Ali Khodja. Au coté du marché implanté à Baghlia, il dota les Amraoua Fouaga d'un autre marché situé, au début, à Draa Ben Khedda. C'est ce marché qu'on appelle jusqu'à nos jours Sebt El Khodja mais, qui se trouve aujourd'hui à Tizi Ouzou. Son nom le tient de la journée du samedi, jour choisi pour se tenir et le nom de son fondateur. Notons également que le bey Mohamed Ben Ali, dit Edhebbah, originaire de Blida mais, qui étudia dans la zaouïa de Sid Ali Moussa à Maatkas, qui vint en 1737, après Ali Khodja réussit à instaurer une paix et une sécurité qui étaient inconnues jusqu'alors. Son personnage incarnait la terreur et l'autorité. Le surnom «Edhebbah» lui provient du fait qu'il réussit à exterminer les malfaiteurs. A chaque fois qu'un bandit tombait entre ses mains, il l'exécutait immédiatement en lui tranchant la gorge.10 Toutefois, cette affirmation de rôle positif se trouve contredite par Younes Adli pour qui Ben Ali instaura la terreur dans la vallée afin de réaliser son vieux rêve de soumettre la Kabylie. Cette méthode de gouvernance lui valut le nom de Edhebbah.

La présence turque bien qu'elle fut moins soumise aux turbulences dans les centres urbains qu'ils dominaient n'est pas pour autant passée sans conflits souvent sanglants. Depuis les débuts de leur expansion dans les montagnes, les cavaleries ottomanes se sont heurtées aux résistances farouches des Kabyles. Avant de se soumettre, les Aït Boukhtouch ont livré de rudes batailles contre les forces de Ali Khodja. Si Ahmed Ou Ali Boukhtouch, qui fut peut-être le dernier de sa lignée à s'opposer, les armes à la main, à la mainmise des Turcs sur la vallée du Sébaou, livra bataille à Ali Khodja à Draa Ben Khedda. A leur deuxième bataille au lieu dit Bou Illzazen aux Aït Fraoucen, les Boukhtouch allaient être définitivement soumis11. La résistance était tout au long de cette présence constante. La Kabylie n'a jamais été totalement pacifiée. De ses débuts, à son apogée et jusqu'à son déclin, le pouvoir de la régence n'aura su qu'alterner périodes de paix relative aux trêves et traités signés avec les tribus montagnardes et insurrections contre ses représentants dans la vallée du Sébaou.

Notes : 1 Si Amar Boulifa : Le Djurdjura à travers l'histoire p73 2 Mohamed Seghir Feredj : Histoire de Tizi Ouzou. P34 3 Mohamed Seghir Fredj : Histoire de Tizi Ouzou. P 34 4 Mohames Seghir Feredj : Histoire de Tizi Ouzou. P 32 5 Mohamed Seghir Fredj : Histoire de Tizi Ouzou. P 46 6 Si Amar Boulifa : Le Djurdjura à travers l'histoire. P 171 7 Younes Adli : La Kabylie à l'épreuve des invasions. P 101 8 Younes Adli : La Kabylie à l'épreuve des invasions. P45 9 Mohamed Seghir Feredj : Histoire de Tizi Ouzou. P35 10 id 11 Mohamed Seghir Feredj : Histoire de Tizi-Ouzou. P 35






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