Entretien avec Mohammed Ouamrane Faire de la maison natale de Cheikh El Hasnaoui un musée

Publié le 05.11.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie

S. A. M.

Féru de musique chaâbi et grand admirateur du chanteur, Mohammed Ouamrane est enseignant à l'Université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou à la retraite. Il est aussi membre pivot de l'association culturelle Cheikh El Hasnaoui et animateur du groupe «Les amis de Cheikh El Hasnaoui» sur Facebook. Ici, il revient sur les productions artistiques et intellectuelles consacrées au fils prodige d'Ihesnawen, région des hauteurs de la ville de Tizi-Ouzou à laquelle Mohammed Khelouat a emprunté son nom d'artiste.
Le Soir d’Algérie : Pouvez-vous nous dire, pour commencer, quand et pourquoi est née l'association culturelle qui porte le nom de Cheikh El Hasnaoui ?
Mohammed Ouamrane : L’association culturelle Cheikh-El-Hasnaoui que j'ai rejoint en 2016 a été fondée par un groupe de jeunes d’Ihesnawen à la fin des années 1990. La sauvegarde, la protection, la valorisation et la diffusion du patrimoine immatériel légué par le grand maître de la chanson algérienne, Cheikh El Hasnaoui figurent parmi ses objectifs. Ces derniers seront traduits à travers un programme d'action très ambitieux. Il consiste à répertorier l'ensemble de son œuvre (textes en arabe et en kabyle et partitions), retrouver les enregistrements originels de ses œuvres (vinyls 78 tours, 45 tours et 33 tours) et encourager leur réédition par ses ayant droits, retrouver les œuvres déclarées à la Sacem mais non disponibles sur support et les reconstituer le cas échéant, remastériser et promouvoir l’ensemble des œuvres. L'association s'est investie dans la recherche de partenaires pour la réalisation de films-documentaires ou de fiction, de pièces théâtrales, susciter des travaux de recherche, des rencontres (colloques, conférences) qui ont pour thème «Cheikh El Hasnaoui». Répertorier les reprises de ses chansons par d'autres artistes, collecter des témoignages et tout document se référant à sa vie, et enfin, réhabiliter la demeure de Cheikh El Hasnaoui, et en faire une sorte de mini musée qui contiendrait des objets lui ayant appartenu sont les autres chantiers qui ont été initiés par les membres de l'association.
Quelles sont les actions qui ont été concrétisées jusque-là?
Des actions citées ci-dessus, sont déjà réalisées, d’autres sont en cours de mise en œuvre. Nous avons organisé et/ou participé à l'organisation de plusieurs hommages, à Ihesnawen, à Tizi-Ouzou ou à Alger. Nous avons animé plusieurs émissions à la radio et à la télévision. Nous animons plusieurs pages et groupes Facebook, notamment «Les Amis de Cheikh El Hasnaoui» qui compte plusieurs milliers de membres dont plusieurs chanteurs, musiciens, écrivains, etc. Les actions concernant la discographie, les œuvres en général sont très avancées. Les chansons du Cheikh sont pratiquement toutes compilées en version numérique au format WAV, donc exploitables majoritairement, pour une réédition car ayant un son de meilleure qualité. L’ensemble des textes de Cheikh EL Hasnaoui a été récolté et saisi sous forme numérique et transcrit en caractères arabe et latin. Je tiens à remercier au passage messieurs Brahim Larid, un collectionneur et archiviste ainsi que monsieur Brahim Sahbi et tous les amis de Cheikh El Hasnaoui pour leurs contributions, ô combien importantes. Notre association a pris une part prépondérante dans le tournage du film La Kaza blanche du cinéaste franco-algérien, Rida Belghiat qui était en compétition à la 18e édition du Festival du film amazigh de Tizi-Ouzou.
Des projets en perspective ?
Oui. Nous sommes actuellement sur plusieurs projets, notamment la formation d’un orchestre et d’une chorale, l'organisation de concours d’interprétation des œuvres de Cheikh El Hasnaoui, participations aux hommages et festivals. Pour vous donner un scoop, nous sommes sur le point de finaliser un projet de pièce théâtrale ou de comédie musicale dont le titre est La voie du chagrin qui est une création fusionnelle adaptée aux œuvres musicales de Cheikh El Hasnaoui. Elle sera réalisée en partenariat avec l’auteur et metteur en scène cinéaste Rachid Bouider. L’idée originelle vient du docteur Mohand Soulali, psychiatre et co-auteur du livre Mohand et Fadhma, une histoire d’amour d’après les œuvres chantées du poète et chanteur Cheikh El Hasnaoui, paru aux éditions Berbères en 2012. Le projet est encadré par Dr Soulai, M. Aissi, L. Hedjadj et notre association. Par ailleurs, notre association collaborera avec le docteur Mohand Soulali et son équipe composée de plusieurs auteurs, chercheurs et artistes, à l'organisation d'un colloque. Le thème de cette rencontre scientifique qui sera axée sur les œuvres de Cheikh El Hasnaoui aura lieu, si tout va bien, au printemps prochain (vers mars/avril 2025). La rencontre
qui se veut un hommage à un des maîtres du genre chaâbi, qui a dédié son art à l’expression des préoccupations de son temps, a pour objectif de faire découvrir aux générations présentes et futures l’œuvre de Cheikh El Hasnaoui et de proposer des regards croisés (psychologique, sociologique, littéraire et musical) sur son œuvre. Deux registres composent le colloque. D’une part une conférence-débat autour de l’œuvre chantée du Cheikh et d’autre part un tour de chants qui nous plonge dans les chansons du maître. La première partie sera animée par 3 conférenciers qui portent leur regard sur l’œuvre artistique du maître. D’abord une introduction par le docteur Arezki Khouas, intitulée: «L’amour dans la chanson kabyle» qui retrace la diversité de l’expression de cet amour chanté et nous introduit à l’œuvre du maître qui a déclamé l’amour de façon si particulière.
A la suite de ce préambule, le docteur Soulali et l’écrivain Ahmed Aït Tudert, tous deux coauteurs du livre Mohand et Fadhma, une histoire d’amour, évoqueront en profondeur le récit de cette histoire d’amour. Il est évident, pour nous, que l’œuvre du maître appartient à tous. Aussi, considérons-nous que nous ne détenons pas son monopole et sommes ouverts à toute collaboration dès lors qu’elle s’inscrit dans l’esprit de faire vivre l’œuvre du Cheikh et sommes disposés à la faire connaître sur tout le territoire national. Nous accueillerons volontiers d’autres intervenants et artistes locaux.
A moyen et long terme, nous organiserons un autre colloque sous forme d’ateliers qui auront pour tâche de dégager un consensus autour des textes des chansons de Cheikh El Hasnaoui. Ce projet aboutira à la publication d’un cahier comprenant tous les textes du maître. Parallèlement, un autre groupe s’attellera autour de la musique du Cheikh, écriture des partitions, spécifications des modes, des rythmes, etc. Ce travail sera édité et publié par l’association. Un autre point qui nous tient à cœur, est la réhabilitation de la maison natale de Cheikh El Hasnaoui et pourquoi pas en faire un petit musée pour les fans du Cheikh qui voudraient visiter la maison natale de Cheikh El Hasnaoui. Ce musée pourrait contenir l’ensemble des objets ayant appartenu au Cheikh (photos, coupures de presse, biographie, discographie, objets personnels. A ce titre, nous cherchons à récupérer les objets personnels du Cheikh qui sont en possession de tierces personnes (cravates, réveil-matin, mandole…) sous forme de prêt pour exposition au musée.

Un mot pour finir cet entretien…
Je profite de l'hospitalité que m'offre Le Soir d'Algérie pour déplorer le manque de moyens financiers qui entrave l'action de l'association et l'empêche de mener à bien ses activités présentes et futures.
L'aide et le soutien des responsables de la culture sont vivement souhaités. En outre, ne disposant pas d'un siège notre association est réduite au statut de SDF, des demandes ont été faites à l’APC et à la wilaya de Tizi-Ouzou, car l’association est wilayale et non communale, pour l'octroi d'un siège. Enfin, nous lançons un appel aux bonnes volontés pour intégrer l'association afin de contribuer avec nous à la sauvegarde du patrimoine artistique et symbolique légué par notre artiste.
Propos recueillis par S. Aït Mebarek