Tizi-Ouzou - Kabyle

Cherif Kheddam et le lyrisme poétique



Cherif Kheddam et le lyrisme poétique
La chanson kabyle a emprunté à la poésie traditionnelle non seulement la substance thématique faite de récits épiques, de sagesse, d’apologues et de résistance, mais aussi ses mélodies, sa prosodie et les images qui lui servent de décor.

Dans une société réputée rigoriste, l’expression des sentiments et des élans du cœur était plutôt l’apanage d’une frange à qui on a accolé un concept quelque peu dégradant : Tamedyazt imaksawen (la poésie des bergers), par opposition à Tamedyazt imousnawen (poésie des doctes ou poésie savante) faite de sapience et de morale. Dans le registre officiel, seule cette dernière avait droit de cité. L’autre forme de poésie constituait l’underground culturel qui avait son activité en marge de la société et de l’agora. Elle avait comme terrain d’exercice les champs et la rue chez les garçons et le foyer clos pour les femmes. La forme la plus extrême de cette poésie étant les izlane, vers licencieux par excellence qui exprimaient la frustration féminine, les joies intimes et la philosophie du corps.

Dans le quatrième de couverture du livre de Tassadit Yacine intitulé "L’Izli ou l’amour chanté en kabyle", il est écrit : "Une légende tenace veut que l’amour dans la société kabyle traditionnelle n’existe pas. La langue n’a pas de mots pour le dire. Le discours ordinaire le gomme, la grande poésie, réservée aux thèmes majeurs de la religion ou de la guerre, ne le traite qu’à coups d’allusions métaphoriques et lointaines. Enfin, le nif, le code souvent rigoureux de l’honneur, dont le sens commun fait de l’essence même de la kabylité, l’ignore ou bien souvent le réprime dans la tragédie. Le cas du poète kabyle Si Mohand, célèbre pour avoir chanté l’amour, est trop personnel pour servir de contre-argument". Le livre de Tassadit Yacine montre que cette variante de la poésie est quand même assez présente dans la société kabyle ; “elle remplit la fonction vitale de recréer les droits et les voix de l’individu au sein d’une société par ailleurs très régulée’’.

La chanson moderne kabyle a très difficilement intégré dans son répertoire la poésie sentimentale. Le problème est d’autant plus délicat que la chanson a une ambition légitime de faire partie du domaine public. Aucune marginalité ne lui est permise avec les moyens de diffusion modernes. Tout en soignant leurs textes de façon à ne heurter aucune sensibilité, nos chanteurs ont puisé en eux-mêmes beaucoup d’ingéniosité et de patience pour se faire admettre auprès des auditeurs. Aït Menguellet a su traduire cette situation dans une chanson datant de 1983 : "Amour dont nous avions honte, Aujourd’hui tu es admis de tous, Et orné du nom Tayri. Quant à moi, ton nom m’agrée".

Depuis le début des années 1950, Cherif Kheddam a fait évoluer le genre amoureux en le mêlant à l’amour de la terre natale, à la magnification du décor des paysages kabyles, au sentiment de l’exil et à l’exaltation des valeurs patriotiques. Avec “Nadia tumliht n’tit’’, il allait inaugurer un lyrisme particulier qui glorifie la femme kabyle en citant sa beauté et son charme dans un esprit de chasteté sublime. Il lui adjoint les activités traditionnelles (cueillette d’olives, colportage de l’eau de la fontaine) dans des strophes bucoliques de grande intensité. Enfin, la femme représente le foyer fondateur, l’authenticité et le pays, particulièrement dans la situation d’exil, destin qui fut celui de Cherif Kheddam en cette période de la difficile histoire de la Kabylie et de l’Algérie.

Au cours des années 1960/70, cette tendance se confirme et évolue au point de retrouver imbriquées la poésie lyrique et la poésie épique dans les mêmes compositions. Le tout est soutenu par des musiques symphoniques uniques dans le répertoire algérien. Qu’il hèle la montagne neigeuse, qu’il s’adresse au vent et aux nuages, qu’il glorifie le drapeau national et le sang des martyrs, qu’il exalte les vertus ancestrales et la rectitude de nos pères, qu’il élève au sublime le visage et la chevelure de la femme, qu’il chuchote des mots doux au basilic, à la rose et aux pierres de nos villages, Cherif Kheddam a su utiliser les mots du cœur, les phrases touchant les sens et les métaphores les plus percutantes. Dans une exceptionnelle harmonie, les rythmes et la musique chevauchent les images suggérées et les émotions ravivées.


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