La baie de Matarès était un joyau enserré entre Tipaza à l’Est et les falaises du Chenoua à l’Ouest. Son ovale parfait, bordé de sable blond hébergeait une quarantaine de cabanons construits côte à côte, sur pilotis. Ils épousaient en parallèle le rivage à quelques mètres de l’eau. Un art de vivre...
A partir du mois de juin, la Météo se calait au beau fixe, avec une régularité de métronome : jusqu’à 10h, la mer était un lac, une glace qu’aucune ride ne venait plisser. Le vent se mettait ensuite à souffler progressivement avec force, sans pour autant lever la mer. Une sorte de « largade » en fait, qui blanchissait la baie et faisait naître d’assez gros rouleaux en plage. A partir de 17h00 le calme revenait lentement, offrant ainsi une mer d’huile et un silence réconfortant aux chaudes fins de journées d’été.
A la belle saison, les épousailles de la Mer, du Soleil et des Hommes se consommaient sans modération. Au rang de celles-ci la pêche occupait une place privilégiée. L’activité mobilisait petits et grands, en plage, sur les rochers ou en mer pour les plus équipés.
Ainsi, je me souviens "d’une fois" où mes cousins étaient passés nous réquisitionner pour un week-end de pêche. La veille, dans l’après-midi, on avait mis la pasterra « à tremper » dans la petite mer : un plan d’eau ceinturé par des rochers, peu profond, protégé des vagues où la plupart des enfants apprenaient à nager. Les jours de gros temps, on y était en sécurité. La pasterra voyez-vous, ne devait pas rester trop longtemps à sec, tirée sur le sable, car les planches de bois séchaient vite au soleil et en se rétractant laissaient passer l’eau. C’était une barque à fond plat assez lourde à manier.
Sur les « mates », ces rochers à fleur d’eau recouverts de mousses, on avait fait provision de vers de roche à l’aide de sulfate de cuivre : quelques cristaux d’un bleu vif glissés dans un chiffon ficelé en aumônière faisaient l’affaire. Entre deux vagues qui submergeaient nonchalamment le platier, il fallait tapoter sur une variété d’algues à l’aide de cette papillote pour voir surgir comme les diables d’un bénitier, des « câbles », gros vers gesticulants de droite et de gauche qui s’extrayaient asphyxiés. L’eau devenait bleutée, et les vers sortaient de partout. Quelques sardines fraîches, un bocal de crevettes au sel et une mie de pain malaxée en pâte complétaient la panoplie des appâts. Parfois, s’y ajoutaient des vers de sable patiemment récoltés sur la grève, dans les trous que nous faisions du revers de la main, rincés par la vague mourante.
Nous avions également monté les hameçons sur les palangrottes, préparé les lignes sur les cannes, vérifié le palangre et le petit matériel. On emportait également le carreau, histoire de voir ce qui se passait en dessous, et pour éventuellement faire des oursins. De rigueur également le girelier, chef d’œuvre d’osier tressé en forme de grosse citrouille, pour assurer dans la soupe du soir les incontournables poissons de roche : girelles, rascasses, grondins et petits rougets.
Une partie de pêche ne s’improvisait pas ! Il était courant de devoir poser un premier palangre pour soustraire à la zone un maximum de murènes, afin de pouvoir attraper ensuite quelques sars ou marbrés, et surtout de les remonter entiers. A tort, la murène n’était pas considérée comme un poisson noble (jugement non partagé par tous), au même titre que le muge (mulet). La première avait la réputation d’être un charognard, et le second celle de fréquenter trop souvent les sorties d’égouts. Alors en général, la murène servait d’appât ou s’incorporait au « broumitch ».
Chacun avait ses coins. Les dilettantes épiaient les experts connus et reconnus, à l’affût d’une nouvelle calée ou d’une nouvelle technique. Au palmarès de ces grands pêcheurs devant Poséidon, M. Veyne occupait les premiers rangs. Sa famille avait un cabanon vers la fin, côté Chenoua. Ses retours étaient attendus, guettés même par le voisinage. Sitôt la barque tirée sur le sable, il se formait immédiatement un attroupement pour admirer les mérous, les dentis, les sars ou les corbs, qui garnissaient le fond du bateau. C’était un rituel superbe. Un subtil mélange de fierté et de modestie, d’ostensible retenue et de mise en scène spontanée.
Les fonds marins étaient rocheux, avec de larges zones sableuses vers le centre de la baie, à l’embouchure de l’Oued Nador. Les champs de posidonies s’étalaient à perte de vue (sous l’eau cela ne fait pas très loin...). Ils alignaient leurs longues gouges vernissées, qui se balançaient au gré du ressac. Un ballet parfait de régularité qui donnait le tournis à ceux qui s’attardaient à les admirer. Une riche faune habitait ces herbiers, dont le saran, la vache, le racao ou les oblades. La palangrotte se prêtait parfaitement à ce type de pêche, et il n’était pas rare de la remonter avec ses 2 ou 3 hameçons garnis. Parfois un saurel trop vorace assurait le complément de prise à la remontée.
Parmi les habitués des fonds locaux, on croisait souvent quelques variétés de raies, dont le Tchoutche qui pouvait atteindre un poids impressionnant. Lorsque les pêcheurs professionnels (petits métiers) calaient leurs filets en plage, généralement en fin de journée, ils repassaient ensuite lentement, en tapant sur le bordé et dans des gerbes d’étincelles jaillies du moteur dont ils enlevaient le pot d’échappement. Un boucan qui précipitait les poissons dans les filets (« batibat »).
Le matin du jour convenu, nous nous sommes donc retrouvés dès 5h30 du matin à Matarès, avec tout notre fourbi. Fait rare en début de saison, un mauvais petit vent de nord soufflait déjà assez fort pour creuser la mer d’une houle courte, qui ne présageait rien de bon. Mon frère et moi étions catastrophés. Et la sentence tomba : « ...ne soyez pas déçus, allez, on remettra ça une autre fois... ».
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Posté Le : 05/01/2009
Posté par : nassima-v
Source : notrejournal.info