Tipaza - 01- Généralités

Le maraîchage sur le littoral algérois



Les détracteurs de œuvre française en Algérie parlent toujours de colons quand ils veulent la déconsidérer. Qui étaient, d'après eux, ces colons? De gros propriétaires terriens qui faisaient travailler leur personnel comme des esclaves.
En Algérie, s'il y en eut, ils faisaient travailler leur personnel comme cela se pratiquait à l'époque. C'est-à-dire avec un nombre d'heures de travail comme on n'en voit plus maintenant, 10, 12 ou 14 heures par jour. Ce régime était valable aussi bien pour le personnel européen que musulman. On ne connaissait pas les 35 heures par semaine.
Mais je voudrais parler aujourd'hui de ces agriculteurs que les détracteurs assimilent à des colons. Ils étaient seulement de petits agriculteurs trimant sur de petites surfaces cultivables. Je les ai bien connus dans ce village de Guyotville (devenu Ain Benian à l'indépendance) sur la côte à 15 km à l'ouest d'Alger. Guyotville, une petite ville, s'étirait sur 1,5 km en bordure de mer. Le territoire de la commune s'étendait sur près de 5 km du Cap Caxine aux dunes terminant la plage de la Madrague. En arrière, une colline formait un amphithéâtre autour du village lui-même. C'est sur le plateau et le flanc de ce territoire rocheux, où l'épaisseur de la couche de terre était mince, que nos agriculteurs usaient leurs forces.

Qui étaient-ils ? Quelques-uns étaient propriétaires mais pour la majorité, ils étaient locataires de terrains communaux. Les propriétaires avaient souvent des commis qui dirigeaient et travaillaient la propriété. Les locataires utilisaient souvent leurs enfants, ce qui réduisait les frais de personnel. Les surfaces cultivées étaient restreintes et ne dépassaient pas quelques hectares. L'origine des agriculteurs se divisait entre natifs du sud de la France, mais surtout de descendants d'Espagnols et d'Italiens. Deux Musulmans étaient propriétaires.
Le climat sans gel, humidifié et rafraîchi par la proximité de la mer permettait des cultures toute l'année et surtout une production primeur. Ceci compensait l'exiguïté des terrains et permettait aux agriculteurs de vivre ou plutôt de survivre. Oui ! survivre, car deux invasions de sauterelles (en 1943 et 1944), la grêle ou une sécheresse de plusieurs mois en 1943, de janvier à fin novembre, étaient des catastrophes. En effet, les secours pour catastrophes naturelles n'avaient pas encore été inventés. Les assurances trop onéreuses étaient souvent négligées. Quels étaient les produits cultivés? Essentiellement ceux du maraîchage : tomates, poivrons, courgettes, petits pois, fèves, artichauts, aubergines, pommes de terre. Ceux de l'agriculture fruitière: oranges, mandarines, clémentines (ces derniers fruits ayant été créés en Algérie), et surtout le raisin chasselas. La plus grande partie de la production était expédiée en métropole; je parlerai plus loin des expéditeurs. Le deuxième choix allait aux halles d'Alger pour la consommation locale. Le vent, un élément important, constituait une contrainte dans le travail. La proximité de la mer, l'exposition face au nord faisait que le lieu était toujours venté, parfois fort à très fort, un peu comme à Perpignan. Aussi, les zones cultivées étaient-elles fractionnées en surfaces de 50 à 100 m2. Chaque surface était bordée, sur ses quatre côtés, de haies de roseaux secs qu'il fallait entretenir ou remplacer assez souvent. On comprend le travail et les frais que cela entraînait.
Cependant le problème le plus important posé aux agriculteurs était celui de l'eau. En effet, les
pluies très irrégulières, tombaient en automne et en hiver. Souvent violentes, elles étaient parfois plus dévastatrices qu'utiles en raison de la déclivité du terrain. Il n'y avait aucune eau courante de surface et il était interdit d'utiliser l'eau potable distribuée pour les besoins domestiques. Le seul moyen d'avoir de l'eau d'arrosage, était d'aller la chercher sous terre. Il y en avait mais il fallait creuser souvent très profondément. Les forages n'étaient pas courants à cette époque. Aussi, creusait-on des puits. Pour ce travail, il y avait des puisatiers, en général des Espagnols originaires des Baléares où le relief est le même.
J'ai dit que le sol était rocheux avec une faible couche de terre superficielle, donc un creusement difficile. On trouvait l'eau à des profondeurs de 7 à 20 m dans le bas du village près de la mer, et à 50 m sur le plateau. Le puits chez mes parents avait 18 m de profondeur, l'eau était pratiquement au niveau de la mer. Avoir de l'eau dans son puits était bien, mais encore fallait-il l'amener à la surface. C'est là qu'intervenait mon père. En effet, pendant plus de quarante ans, sa vie a été liée aux installations hydrauliques pour l'agriculture.
L'entreprise qui l'employait à Alger, l'avait installé dans la succursale créée à Guyotville. Pendant quelques années, il avait travaillé avec un seul ouvrier, puis une partie de l'entreprise d'Alger avait été décentralisée à Guyotville. Une forge avec deux forgerons, une ferblanterie avec deux ferblantiers, plusieurs monteurs dépanneurs formaient l'entreprise. Le travail concernait : la fabrication de chaînes, godets, tampons pour les norias, l'installation de norias, pompes et moteurs électriques ou diesel, l'entretien et les réparations du matériel installé chez les clients. Il y avait du travail toute l'année, mais surtout de mai à septembre, la chaleur obligeant à des arrosages quotidiens.

Évidemment, les pannes étaient fréquentes, les réparations toujours urgentes et là, on voyait l'intérêt d'avoir des bassins de réserve d'eau, surtout de grande contenance.
L'année de forte sécheresse en 1943, dont j'ai parlé plus haut, avait obligé la plupart des clients à approfondir leur puits pour essayer d'avoir un peu plus d'eau car le niveau de la nappe phréatique avait bien baissé.
Cette situation avait obligé à allonger les chaînes des norias ou les tuyauteries des pompes, entraînant naturellement des frais supplémentaires, pas toujours répercutés sur le prix de vente des productions. Mais il fallait sauver les récoltes et on ne comptait pas les heures de travail. D'ailleurs des arrosages de nuit étaient fréquents.
À l'époque il n'y avait pas d'installation d'arrosage automatique, celui-ci se faisait par rigoles, ce qui exigeait une présence permanente. Il faut dire que le maraîchage demande beaucoup de soins car les temps de maturation sont courts et les légumes vite fanés.

Comme il est dit plus haut, la majeure partie de la production partait en métropole et à Paris en particulier. Celle-ci bénéficiant d'un micro climat en avance sur d'autres contrées moins favorisées, les prix étaient meilleurs. Aussi se créèrent des entreprises de conditionnement de fruits et légumes, on les appelait les exportateurs. Il y en eu cinq ou six dans le village.
Ils employaient des trieuses, des emballeuses, femmes européennes ou musulmanes, des manoeuvres, hommes en majorité musulmans. En saison, le travail durait toute la journée, mais les horaires étaient irréguliers car ils dépendaient des horaires des bateaux. Même la cueillette des fruits ou légumes était fonction des horaires des bateaux. Quand un départ imprévu était annoncé, on allait avertir le personnel de prendre vite le travail et la cadence de travail était maximale.
Le patron était là, surveillant un légume mal rangé ou avec un défaut imperceptible. Aussi, personne ne bronchait, chacun était à son travail. Il faut rappeler qu'il y avait, en Algérie, un organisme officiel appelé OFALAC (Office algérien d'action économique et touristique). Celui-ci contrôlait, entre autres activités, la marchandise partant pour la métropole. Sur les quais d'Alger, le contrôle avait lieu avant l'embarquement et si un cageot pris au hasard avait un fruit ou un légume non conforme, le chargement retournait chez l'expéditeur. Quand je vois les défauts visibles sur les fruits ou légumes vendus actuellement, je suis sidéré par le changement de qualité. C'était plus sérieux à l'époque de l'OFALAC. Ce dernier a disparu avec l'Algérie française. Après la guerre de 1939-1945, le transport aérien des fruits et légumes par avions-cargos se développa. Haricots verts, petits pois, légumes légers en fonction de leur volume, mais aussi et surtout, le raisin chasselas furent expédiés.
Là aussi, c'était le branle-bas de combat, il fallait faire vite dès qu'un avion avait de la place au dernier moment. Moins de 24 heures après la récolte, la marchandise était aux Halles à Paris. En 1974, au cours d'un voyage à l'étranger, parlant avec un jeune Algérien et lui faisant remarquer qu'on ne trouvait jamais, à Paris, un légume ou un fruit venant d'Algérie, alors qu'on en trouvait venant du Maroc ou de Tunisie, il me répondit: " C'est que nous avons un grave déficit agricole ". Ceux qu'on taxe de colons ont quitté l'Algérie, ils se sont installés en métropole dans des conditions difficiles, mais ils ont montré ce qu'ils savaient faire, alors qu'en Algérie la réforme agraire lancée par le gouvernement algérien n'a pas été capable de poursuivre œuvre des colons français.
(Les documents photographiques figurant dans cet article, nous ont été aimablement communiqués par l'Amicale des Anciens de Guyotville que nous remercions).








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