Tipaza - Gouraya

hommages à Lakhdar, au fou de Bou-Ismaïl



hommages à Lakhdar, au fou de Bou-Ismaïl
En 1982, de retour en Algérie après deux décennies exil, je perds tous me repères. Je ne reconnais plus le pays pour lequel mes père et mère, mon frère Mohamed… se sont sacrifiés pour le rendre : libre, prospère et heureux. Le pays pour lequel j’étais près à me sacrifier, qui m’avait privé de ma liberté pendant huit mois, exposé à la torture coloniale d’une extrême cruauté à laquelle j’ai survécu par miracle, alors que je n’étais âgé que de 13 ans, n’était déjà plus que l’ombre de lui-même.mairie_castiglione_1959.jpg



20 ans après la décolonisation de l’Algérie par la France, je constate : les beaux platanes qui bordent les routes sont en voie d’éradication, le goudron des routes fuit, le boulevard du front de mer de Bou-Ismaïl ex. Castiglione, s’était effondré. Je me mets face à la mairie de la perle de la Mitidja, je découvre une façade, qui fut 20 ans auparavant radieuse, lépreuse, en lieu et place des fleurs d'antan des tas d'ordures. Les mentalités des algériens s'étaient rapidement dégradées.


Je lève mon nez dans la direction du fronton de la mairie, je constate la présence d’un intrus, d’un slogan, écrit en Arabe et en Français : « Min echcha3b ila echcha3b », « Par le peuple et pour le peuple », barrer le fronton de la belle bâtisse en voie délabrement accéléré.



L’affligent spectacle m’avais mis KO debout. D’abord j’ai cru être la proie à un horrible cauchemar. Soudain, je constate la présence d’un Monsieur solitaire de ma génération, modestement vêtu, le visage triste, assis sur une marche. Je décide de tenter d’entamer une conversation avec lui : « Assalemou 3aleik », lui ai-je lancé. Sans lever la tête « Oua 3aleik assalem », m'a-t-il répondu. Puis-je m’assoir et bavarder avec vous ? Avais-je insisté. Il lève la tête, me toise de pied en cap : « Toi tu n’es pas d’ici ! », me dit-il, d’une voix manifestement agacée. "Si, je suis d’ici. Je me suis seulement absenté pendant quelques années et me voici de retour", lui avais précisé. « De quoi veux-tu bavarder ? » m’avait-il interrogé. Je veux savoir ce que tu penses du délabrement du pays, et que t’inspire le slogan qui orne le fronton de notre belle mairie, avais-je insisté. Il me fusille d’un regard, il jette un coup d’œil appuyé autour de lui pour être sûr qu’il n’y avait aucune oreille indiscrète, me fait signe de m’asseoir à sa gauche, j’entends mieux avec mon oreille gauche, a-t-il indiqué. Il se penche vers mon oreille et me lance à voix basse : « Tu appelles cette horreur (le slogan) un ornement ? », m'a-t-il apostrophé. Que t’inspire-t-il ? », avais-je poursuivi. Il scrute à nouveau autour de lui avant d’ajouter : « Il m’inspire min lahit echcha3b bakherlou » (encensé le peuple avec les poiles de sa barbes).





« Autrefois, quand j’avais les enfants encore jeunes, quand ils m’agaçaient par leurs chahuts à la maison, je sortais sur le boulevard du front de mer, je m’appuyais sur la balustrade pour respirer l’air frais et regarder le coucher du soleil, je retrouvais mes esprits et mon calme, je retournais chez moi apaisé pour dormir. Maintenant, je ne supporte plus rien. Cette ville qui fut jadis une ville de carte postale, la perle de la Mitidja, est devenue une « Zoubia » (décharge ») s’était-il lamenté, en ponctuant ses propos par de profonds soupirs.



« Un pouvoir qui est incapable d’entretenir son patrimoine existant, balayer ses trottoirs… à qui voudrait-il faire croire qu’il puisse assurer la sécurité des algériens et développer le pays ? », s’était-il interrogé.



Et que signifie l’indépendance pour vous ? Lui avais-je encore demandé. « Avant l’indépendance il y avait à Bou-Ismaïl un jeune qui s’appelait Lakhdar. Il était orphelin de père, il était porté sur l’alcool. Comme il était misérable, il buvait du pas cher, un mélange de je ne sais quoi. A l’indépendance, la vente de l’alcool a été interdite. Le pauvre Lakhdar se retrouve en manque, il perd sa raison…», m’a-t-il rappelé.


Vu que mon interlocuteur ne comprenait pas le berbère parlait par Lakhdar, il avait oublié son discours. Le sujet était mon voisin, il parlait le même berbère que le mien. Je rappelle donc à mon interlocuteur : le fond et la forme, la signification du discours, les gestes et les mémiques du jeune Lakhdar, qui n' pas survécu à "L'indépendance" de l'Algérie. Son fournisseur, l'épicier J, refuse de le servir. Celui-ci sort dépité de la boutique, fait quelques pas, se fige, lève les bras au ciel et proclamme à haute voix :



«Nouid estiqlal Mani hérou, hérou. nqaqer izmaren iguenfan si tagueth nesoudhfed ouchannen yelouzen si haoureth. Nouid estiqlal ma hérou hérou » (nous avons eu notre indépendance adviendra que pourra. Nous avons fait fuir les gras agneaux par les fenêtres et avons ouvert grandement nos portes à des chacals affamés. Nous avons eu notre indépendance adviendra que pourra, etc).



Je vois des larmes perler sur les saillantes pommettes de mon unique auditeur. « Et dire qu’on prenait le pauvre Lakhdar pour un fou !», ajoute-t-il d’une voix nouée.



Allah yerehemek ya Lakhdar ! Je suis presque sûr qu’Allah t’a ouvert grandement les portes de son vaste paradis et que tu as, à la portée de ta coupe, un ruisseau courant de vin délicieux pour les dégustateurs. Le fou ce n’était pas toi.



Peut-être que les algériens ont-ils écouté les chansons d’Abdelmadjid Meskoud, le maître du Cha3bi algérois, notamment « Ya dzayer ya al 3assima ». C’est avec une immense émotion que je vais essayer de rappeler et de traduire ici, forcément maladroitement, quelques idées forces d’une balade algéroise, en musique, d'un immense artiste :

« Ya dzayer ya 3assima, soumtek fi qalbi 3dhima, fesdouk eli ma 3andhoum qima, oukilhoum el matyn » (Alger la capitale, ta valeur est inestimable, bien que souillée par des vauriens, je t’aime toujours). L’artiste avoue son impuissance par un « Nouekel 3alihoum el matyn ». Il s’en remet au tout puissant pour la délivrer des mains des malfaiteurs et des corrupteurs.



« Choufou dzayer khadhbana, ou Hioutha medhabala… » (Regardez Alger est triste, ses murs lépreux…). L’artiste s’interroge : « Ouyne rahi rihet elyasmine, oua ouyn rahi binnet ramadhan, oua ouyn rah baba Salem… la3ab legragueb et zarnadjia… » (Où sont passés : les parfums du jasmin, les délices des ramadhans, les troubadours noirs, les joueurs de castagnettes et de la cornemuse… ?)



Avant de se lamenter : « Goulou li ya sam3in oualed el 3assima ouyne » (dites-moi auditeurs, où sont passés les enfants de la capitale), sous entendu, les vrais, les vertueux qui n’aurait jamais laissé une valetaille, des enfants des soubrettes de la colonisation, s’emparer de l’Algérie, rabaisser son peuple un rang inférieur à celui qui était le sien sous les « Méchants colons », le prendre en otage. Alger est classée par des institutions mondiales comme étant la capitale du monde la plus sale.



La presse algérienne annonce régulièrement des cas d’immeubles haussemaniens, hérités du colonialisme qui s’effondrent sur leurs habitants et les passants, dans l’indifférence générale. Selon plusieurs sources de cette même presse, 80% de ce « Magnifique patrimoine immobilier hérité du colonialisme » (Ferhat Abbas) menacent de s’effondrer.



Tandis que les tyrans algériens et leurs relais : politiques, médiatiques, associatifs, syndicaux… traitent tout critique de la politique de leur maîtres : « De nostalgique du colonialisme », « De harki ou de fils de harki », « De vendu de l’impérialisme", de "Communiste ou un d’Islamiste… ».



Il y a environ quinze, dans l’un de ses excellents ouvrages, Monsieur Antoine Besbous, avait écrit : « Les algériens qui ont le moins contribué à la libération de leur pays du joug colonial tiennent le propos les plus virulents à l’égard de la France.» Avant d’ajouter : « Des généraux décideurs algériens ont le passeport français qu’ils conservent précieusement dans leur coffre-fort, à l’abri des regards de leurs (pluriels volontaires) femmes et de leurs enfants …», a-t-il ajouté.


J’ôte mon sombrero et m’encline jusqu’à terre et m’exclame : chapeau ! Maître Antoine Besbous !


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