Anouar Rahmani, étudiant en droit à l’université de Tipasa, auteur et blogeur, polémiste à sa manière, commentera chaque semaine dans les colonnes du supplément Etudiant l’actualité universitaire et étudiante. Sa chronique s’intitulera Mesmar Djoha, empruntée à la célèbre chronique Mesmar Dj’ha du journaliste satirique Saïd Mekbel, assassiné en 1994 à Alger par les terroristes islamistes. Un hommage que Anouar tient à lui rendre. Connu pour sa défense des minorités et sa lutte pour l’égalité, Anouar, en porte-voix des étudiants, nous fera part de son regard sur l’évolution de la société, les phénomènes constatés ici et là, notamment à l’université, et ce, sans tabou ni restriction. Il donnera libre cours à ses impressions, ses pensées. A travers Anouar, le cri des jeunes trouvera enfin une voix pour s’exprimer.
Voici donc mon premier article ! Quel bonheur d’écrire dans les colonnes d’El Watan, de surcroît le journal préféré de mon père, ce journal qui me donne l’espoir pour partager mes pensées, exprimer mes opinions avec les lecteurs, mes concitoyens. L’occasion aussi d’exprimer mon espoir qui manque cruellement dans ce pays, pourtant bien ensoleillé. Cet espoir qui me permet de garder mes capacités mentales et psychiques, que plusieurs jeunes de ma génération ont perdues, à cause de la bêtise humaine, celle de nos dirigeants politiques, doublée de celle des hommes de religion, pour qui l’espoir est synonyme d’apostasie.
L’espoir pour certains est un terme poétique, pour les gens de mon acabit il s’agit d’un principe de vie, une corde de sécurité, un élixir de l’éternité. Un terme qui aura perdu son sens en Algérie que tout le monde cherche et dont personne ne sait de quoi il s’agit. Pourtant, il est là, quelque part parmi nous, en nous, et on arrive pas à le saisir. Dès que la rédaction de l’Etudiant m’a proposé d’écrire pour le journal, j’ai été saisi d’excitation, submergé d’espoir, je me suis alors mis à m’imaginer écrire, entouré par ces milliers d’étoiles qui s’illuminent dans mon clair obscur, chacune portant en elle des idées et beaucoup d’obsessions.
Dans ces moments de réflexion intense, J’ai pensé alors à mon ami Hichem, avec qui j’ai de tout temps partagé la même classe à l’école, cet élève brillant en mathématiques, devenu aujourd’hui un accro de la drogue, victime de la situation sociale de sa famille. Il a tout fait pour rejoindre les rangs de la police ou de la Protection civile, s’engager dans l’armée, sans succès à cause d’une intervention chirurgicale d’appendicectomie. Solide comme un roc, Hichem avait l’habitude de résoudre des équations et des problèmes bien plus difficiles et compliqués que ce qu’il endure, il a fini par décrocher, sombrer dans le noir, perdre tout espoir et devenir, difficile de le dire : un drogué.
J’ai aussi pensé à mon ami Hocine, cet autre jeune qui a abandonné son travail, laissé tomber tout derrière lui, même ses rêves les plus chers pour s’exiler en Suisse. Il a longtemps vécu et évolué dans sa terre de refuge avant de ressentir l’appel de sa patrie, l’odeur de sa terre natale et décidé de revenir retrouver la chaleur et l’affection de ses proches, lui l’orphelin, qui n’avait que les larmes de son pays pour le consoler. Cette même terre qui l’accueillera cadavre, assassiné dans sa maison à Bou Ismaïl, parce qu’il était homosexuel.
Dans mes moments d’égarement, j’ai pensé à mon voisin, lui qui avait une belle situation financière, il avait de l’argent, des voitures, une grande demeure, de quoi rêvent l’immense majorité de mes compatriotes. Il a tout laissé tomber et il décida comme beaucoup d’autres moins gâtés et lotis de prendre une embarcation de fortune pour rejoindre l’Europe «retrouver ma liberté et me réconcilier avec ma jeunesse, en Algérie la jeunesse est interdite».
Une toute autre pensée, cette fois bien particulière, va à mon amie Samia, honnie et bannie par sa famille car elle a perdu sa virginité et est tombée enceinte de son amoureux qui l’a aussitôt abandonnée et s’est réfugié en Italie pour refaire sa vie ailleurs, loin des regards et des pressions. Samia a perdu espoir, vit dans les dédales d’Alger et se prostitue le soir pour subvenir à ses besoins et ceux de son enfant.
Mes pensées me hantent, parfois me perturbent, d’autres fois me troublent et me donnent espoir, même si je pense à Oussama qui n’a toujours pas trouvé de travail. A Lotfi, qui se débat avec ses problèmes de service militaire.
Au drame de Abdellah, amputé des deux jambes suite à un accident tragique survenu en Allemagne, où il est parti poursuivre ses études. Aujourd’hui, il vit avec une pension d’invalide de quelques sous, 4000 DA, une honte pour l’Algérie. A cette jeunesse perdue dans l’ombre de mon frère étranglé jusqu’au cou par les dettes de l’Ansej, j’ai profondément pensé. Cette jeunesse qui n’a cherché qu’un boulot, un avenir, s’est vu vite rattrapée par le mirage d’une fortune désuète, d’un faux espoir vendu par les maîtres du moment.
Avec rage, j’ai pensé à un ami du monde virtuel, Rachid, arrêté par les services de sécurité pour un péché originel , pour un crime incomparable, inqualifiable, un crime extraordinaire, un crime pas comme les autres… celui d’avoir osé traduire le Coran en darija. Imaginez-vous ?
A cette Algérie des paradoxes et des contradictions, je refuse de penser qu’un demi-siècle après son indépendance, la femme, qui a tant donné pour son épanouissement, pour voir sa terre enfin libérée, s’est vu vite enfermée, réduite à un semi-citoyen et peine à retrouver cette liberté pour laquelle, elle a ardemment combattu, cela parce que les dogmes ont fait d’elle un être secondaire, non complet.
Elle est à nouveau massacrée par la horde islamiste terroriste et en a payé le prix le plus lourd. Malgré cela, elle résiste face aux fascismes religieux, au diktat des gardiens autoproclamés de la morale, au nom de l’unicité du culte religieux. Quelle obséquiosité ! Quelle ingratitude envers cette femme qui les a allaités, qui les a nourris et a combattu côte à côte pendant la Révolution.
Je refuse de penser que l’Algérie, ce grand corps malade dépourvu d’esprit, après tant de drames, de pleurs, ait toléré les terroristes au nom de la réconciliation nationale et qu’en lieu et place, elle livre guerre à ses écrivains, ses artistes, ses journalistes mais aussi aux minorités, que ce soit sexuelle, religieuse, culturelle ou autre. L’Algérie belle, jadis rebelle, fait fuir, hélas, aujourd’hui et n’arrive plus à offrir de l’espoir à ces jeunes.
Je voulais que mon premier article soit clair et sans détour, illuminé par une bougie d’espoir pour cette Algérie perdue quelque part dans mes rêves. L’Algérie, cette vaste terre à l’histoire ancestrale, cette Algérie plurielle, qui ne ressemble pas à celle où je vis aujourd’hui. Mon Algérie où tout le monde est libre, moderne.
Une Algérie juste, qui donne les mêmes droits à tous ses citoyens sans discrimination, une Algérie qui se réconcilie avec les libertés individuelles, une Algérie qui respecte les droits de l’homme et le droit à la différence, une Algérie qui supporte la cohabitation et la coexistence entre ses habitants, et comme Martin Luther King, qui avait un rêve, moi aussi j’ai un rêve : un rêve et l’espoir.
Posté Le : 15/09/2016
Posté par : frankfurter
Ecrit par : Anouar Rahmani
Source : http://www.elwatan.com/hebdo/etudiant