Selon l’anthropologue Bruno Etienne, en 1830, avant que l’Algérie ne soit colonisée par la France, le taux de lettrés en Arabe chez les autochtones était plus élevé que celui des envahisseurs en Français. Au terme de 132 années de colonisation de l’Algérie par la même France, le taux d’analphabétisme chez les indigènes était supérieur à 95%. Les quelques 5% de sommairement lettrés appartenaient, à plus de 95%, à des familles plus au moins supplétives de la colonisation.
Les concepts : liberté, égalité, fraternité, politique, démocratie, pouvoir, victoire, défaite, maire, policier, préfet, ministre, président de la république, développement, croissance… n’existaient pas dans le vocabulaire des différents berbères algériens ni dans l’arabe dialectal. Cependant, ces humbles tribus étaient bien informées de la déroute de la l’armée française contre les troupes nazies en juin 1940, de l’occupation de la France par le 3ème REICH, de la collaboration des français avec leurs occupants, et de la déculottée de cette même armée en mai 1954 face aux combattants vietnamiens dans la cuvette à Dien-Bien-Phu. Dès le début des années 50, les jeunes de ma tribu et des tribus alentour attendaient « Bi rig ennachef » (avec impatience) l’arrivée de la génération de combattants algériens qui allaient inexorablement jeter à la mer leurs arrogants colonisateurs qui se croyait invincible.
L’attente du Mahdi. Face à des hommes à l’esprit tribal, apolitiques, au vocabulaire limité, tandis qu’ils croient que leur colonisateur était porteur des gènes de sa propre destruction, il serait ridicule de les assommer de longs et ennuyeux discours politiques, dans un pataquès qui n’est pas le leur. Leur Mahdi attendu doit se limiter au rôle d’observateur, capable d’interpréter leurs gestes et leurs silences. Les algériens de 1954 n’étaient pas seulement convaincus que leurs colons allaient bientôt faire leurs valises et refluer mais ils le croyaient au sens religieux du terme, au sens du « Mektoub ».
Le Mahdi attendu par de telles populations ne devait surtout pas se conduire comme un maître, donneur de leçon et d’ordres mais comme un disciple, comme un observateur capable de traduire leurs gestes et leurs silences. Il doit s’abstenir de leur dire : écoutez-moi, faîtes ou ne pas faîtes pas mais : « Je vous ai compris ! Regarder comment je fais et faîtes comme moi ! »
Le stratège de la bataille de Saadouna. Il répondait au nom de Hannoufi Mohamed. Il avait pour pseudonyme « Si Abdelhaq. » Il était : natif de Cherchell, passionné de football, sans doute l’avait-il pratiqué longuement et à un haut niveau. Il semblerait qu’il avait appartenu au mouvement de scout musulmans. Son humble expérience sportive lui aurait-elle permis de devenir un stratège politico-militaire ? Il avait rassemblé un groupe de fellahs et de bergers, des ruraux et des montagnards algériens : hétéroclites, analphabètes et illettrés (ne sachant ni lire ni écrire dans aucune idiome), indisciplinés, sous alimentés, recouvert de haillons, pieds nus, ridiculement armés. Un tel effectif et de tels moyens étaient-ils de nature à aller au-devant d’une armée coloniale appartenant à l’un des plus puissants empires coloniaux de l’époque, membre de l’OTAN, encadrée par officiers issus des plus grandes écoles de France et de l’Occident, surentrainée, abondamment alimentée, chaudement vêtue, dotée d’armes des plus sophistiquées, se déplaçant par air, mer et terre ?
Les secrets de la victoire de Saadouna. A la tête de son groupe de va-nu pieds et armée de bric et de broc, dans la plus grande discrétion, pour étudier le terrain avant de croiser le fer contre un mastodonte, Si Abdelhaq avait d’abord investi les maquis mitoyens au plateau de Saadouna. Il avait chronométré le temps nécessaire à homme monté ç cheval, pressé, pour couvrir la distance allant du douar Saadouna à Gouraya, soit environ 3 kilomètres à vol d’oiseau, le temps nécessaire à la gendarmerie de Gouraya pour alerter les 22ème RI basé au Bois Sacré, le temps nécessaire à ce régiment d’infanterie pour ressembler et transporter par la seule voie carrossable, la vallée de Kellal et le temps nécessaire à la troupe pour parcourir le versant Est de la vallée pour atteindre le plateau de Saadouna. Il fallait que la bataille s’engage dans la demi-heure qui précède le coucher du soleil de manière à ce que l’obscurité rende l’arrivée des renforts héliportés inopérants. Une seule erreur de calcul se serait soldée par un fiasco militaire pour Abdelhaq et les siens.
Le secret de la victoire de Saadouna résidait dans les capacités de Si Abdelhaq à faire venir et à aligner les soldats ennemis devant s ses compagnons armés de fusils de chasse chargés de chevrotines, à la tombée de la nuit. Pour se faire, au milieu de l’après du jour J., il désigne deux de ses compagnons, il les bandes comme s’ils avaient, l’un la jambe et l’autre le bras fracturés. S’appuyant sur le fusil de chasse déglingué, les deux estropiés se dirigent vers la maison de l’auxiliaire de l’administration coloniale pour exiger de lui une à manger et des soins pour soulager leurs souffrances. Les indigènes n’ont jamais de réserve de soins à demeure. Leur hôte leur sert une collation et leur demande l’autorisation de se rendre à Gouraya pour quérir des soins. Celui qui semblait être le chef rebelle l’autorise à se rendre à Gouraya tout en l’avertissant, par un geste peu amical mais sans ambiguïté : « Si tu nous joues un sale tour, ta famille paiera à ta place », lui dit-il, en passant son index tendu de la main droite sur sa gorge.
Le supplétif de l’administration coloniale harnache son cheval, l’enfourche et fonce à toute vitesse vers Gouraya. Cependant, au lieu de se diriger vers le pharmacien, il était allé informer la gendarmerie nationale de la présence sous son toit de deux indésirables estropiés, qui menaçaient de massacrer sa famille. Les gendarmes transmettent l’information au 22ème RI basé au Bois Sacré. Que faire ? Rester les bras croisés, s’abstenir de voler au secours de la famille d’un supplétif n’aurait-il pas par ruiné, politiquement, le crédit de la France vis avis de ses alliés indigènes ?
L’état major du 22ème RI rassemble une section de jeunes soldats inexpérimentés, les transporte à bord de deux GMC escortés par un half-track et une Jeep PC. Arrivé aux gorges d’Izerouan, les soldats devaient crapahuter le versant Est de la Vallée Kellal, soit environ un kilomètre de pente raide. Arrivés essoufflés au plateau de Saadouna, ils sont accueillis par un feu nourri de fusils de chasse chargés de chevrotines. La section est rapidement anéantie. Ses armes et ses paquetages sont récupérés par Si Abdelhaq et ses compagnons.
Le même état major fait appel à des renforts de tirailleurs sénégalais qui arrivent à bord de GMC, qui suivent le même itinéraire carrossable et pédestres. Arrivés à leur tour au plateau de Saadouna, les tirailleurs africains se trouvent face à des nationalistes algériens, qui avaient la maîtrise du terrain et armés non plus de fusils de chasse mais d’armes de guerre automatiques et semi-automatiques. Il s’agit d’armes récupérées sur les jeunes soldats de la première section anéantie.
L’accrochage de Saadouna avait fait au mois 60 victimes dans les rangs des forces coloniales. Le lendemain matin, dès le levé du jour, le ciel de Saadouna vira deux avions de l’armée coloniale mitrailler et incendier au napalm les maquis alentours. Prochainement nous retrouveront, dans un autre face-à-face, Si Abdelhaq et ses compagnons et l’armée coloniale à Bouyemen (Dupleix).
J’ai lu et relu, fouiller et farfouille… plusieurs centaines de livres consacrés aux « Evènements d’Algérie » estampillés historiques, je n’y ai rencontré nulle part el nom de Hanoufi Mohamed ni de Si Abdelahaq. L’Algérie indépendante n’aurait-elle pas effacé de sa mémoire ses vrais héros pour les remplacer et par des imposteurs ?
Posté Le : 29/11/2012
Posté par : Aissahakim
Ecrit par : Aissahakim
Source : témoignage direct