Certaines subtilités de ce dossier ne peuvent être saisies qu’avec un minimum de connaissance de la structure de l’OS. S’agissant d’une organisation paramilitaire, clandestine, elle était rigoureusement cloisonnée. Elle fonctionnait selon un principe dit : « Pyramidale ». Le chef national, en occurrence Ait Ahmed, ne devait connaître que ses deux lieutenants qui, eux-mêmes, ne devaient pas se connaître. Il en était de même pour les responsables régionaux. Les régions sont autonomes. Les cellules sont composées de trois individus, un groupe de trois cellules. Le tout scrupuleusement cloisonnées.
Dans le cas où le chef ou l’un ou deux membres d’une cellule viendrait à être arrêté, sachant qu’il allait être soumis à la torture, pour ne pas dénoncer son supérieur immédiat, ce dernier était muté vers une autre région où il est inconnu pour y continuer ses activités sous un autre pseudonyme.
Qui a initié et exécuté le hold-up de la poste d’Oran ? A notre humble connaissance et à ce jour, il existe trois versions : l’enquête judiciaire, la version de Ben Bella livrée à Robert merle entre 1962 et 1965 et celle d’Ait Ahmed, largement rapportée par la presse algérienne suite à son retour d’exile 1989.
L’enquête judicaire L’enquête judiciairea retenu :
« Le mardi 5 avril 1949, 7 h 15. Au siège de la brigade mobile de la police judiciaire d’Oran, 13 avenue du Châteauneuf, la sonnerie du téléphone retentit et le planton, après avoir pris le message, nous annonce que la poste centrale d’Oran vient d’être attaquée.
Nous sommes là six : le commissaire principale Guyard, l’inspecteur principal Hernandez Antoine, l’inspecteur Mohamed Oueld el Hadj, Reboisson, l’agent Daumas et moi-même ( Guyard).
Nous nous rendons aussi tôt à la poste… Nous marchons sur un véritable tapis de longs billets de 5000 francs de l’époque. Quelques instant après, arrive Monsieur Tain, juge d’instruction accompagné de son greffier et les auditions d’investigations commencent. Pour ma part j’avise, en pénétrant par une petite porte derrière un comptoir grillagé, un chargeur de mitraillette vraisemblablement de STEN.
Vers 6 h 45 ce matin, trois hommes armés se sont présentés à nous, l’un était armé d’une mitraillette, les deux autres de pistolets, ils étaient vêtus à l’européenne, et portaient des chapeaux mous… Ils ont demandé où se trouvait le coffre, l’argent. Mon collègue a voulu opposer une résistance. Il a été asséné (sic) de coups de crosse de mitraillette alors qu’il tentait d’actionner la sonnette d’alarme qui relie la poste au commissariat. Signal qui ne fonctionnera qu’après le départ des voleurs. Tandis que j’étais tenu en respect par l’un des agresseurs et les deux autres vidaient les coffres que je (directeur) leur avais ouverts sous la contrainte, emplissaient leurs sacs de billets de banque. Le blessé avait été conduit au centre hospitalier d’Oran par l’ambulance municipale d’Oran. Ce n’est que l’après midi que je pouvais procéder à son audition.
Le directeur des PTT ayant fait un rapide inventaire des coffres, devait estimer à 3 millions de francs environs le butin importé par les malfaiteurs. Il restait dans le coffre ouvert et sur le plancher la somme de 33 millions … »
Les renseignements donnés par les deux préposés faisaient ressortir qu’il s’agissait d’européens de « peau blanche », grand, ayant un accent étranger… Quelques jours auparavant, un chauffeur de taxi a été retrouvé ligoté près du stade Allenda, au quartier d’Eckmühl, sa voiture abandonné en ville. Le signalement donné de ses agresseurs correspond en tous points à celui donné par les deux fonctionnaires des PTT.
Un témoin a vu des voleur fuyant et regagnant leur voiture dans laquelle était installé un complice au volant. Le véhicule stationné, moteur en marche, dans la rue Pierre-Picard, rue qui longe la poste, côté gauche par rapport à l’entrée principale, place de la Bastille ».
Aux cris poussés par les victimes après le méfait accompli, M. Michel Saragoza, propriétaire du café-bar « L’Aiglon », situé face à la poste, angle rue d’Alsace-Lorraine et place de la Bastille, qui installe ses chaises à la terrasse de son établissement, aperçoit trois hommes chargés de sacs et armés…. De cela il donne un signalement vague et imprécis.
En fin de matinée, Madame Moutier téléphone à nos services. Elle demeure 44, rue d’Alsace-Lorraine à Oran… Elle est inquiète… Un inconnu, en formant le 212-18, son numéro de téléphone, a réveillé son mari (docteur) vers 5 h 45. L’homme lui a demandé de venir au chevet de son enfant malade, il ne veut pas donner son adresse, car dit-il, le chemin est difficile à trouver, il se propose de le rejoindre et pourra ainsi lui montrer la route. Deux hommes se sont donc présentés au domicile du docteur faignant l’affolement. Tout trois sont partis. Le docteur Moutier, au début de l’après midi n’était pas encore de retour. Le signalement de visiteurs donné par Madame Moutier : deux hommes de type nordique, l’un blond l’autre roux, vêtus de complet gris et marron, coiffés de chapeaux mous ».
« Puis, à la tombée de la nuit, le docteur revient chez lui et conte son aventure ; ses client l’ont amené sous la menace de leurs armes à l’ouest de la ville, Bâillonné, ligoté, dans une grotte, sous la garde d’homme de type nord-africain… »
« Comment fut préparée, organisée et perpétrée l’attaque de la poste. « Ce fut Khider, député du MTLD qui eu l’idée d’organiser cette attaque. Khider veut se procurer des fonds pour l’organisation. Il constitue une bande armée qui comprendra : Ben Bella, Hadj Ben 3alla, Mohamed Benzerga, Gueddifi ben Ali et lui-même. Le 5 avril 1949, le commando passe à l’action…. Une réunion eu lieu dans une petite chambre sans air ni lumière située à Gambetta supérieur, dans une vieille maison, Guediffi Ali a loué ce local vide (il habitait Oran). On distribue les rôles : Khider, Ben Bella, Ben 3alla el Hadj et Gueddif Ben Ali feront partie de l’expédition, Benzerga restera à Gambetta-Falaise. Dans un premier temps Khider et Ben Bella se rendent chez le docteur Moutier et le ramène à Gambetta-Falaise où, ligoté, il restera le prisonnier de Benzerga… » Fin du résumé de l’enquête.
Une reconstitution de l’enlèvement du docteur moutier a été effectuée. La position et les dimensions de la Grotte de Gambetta-Falaise sont précisées de manière exhaustive. Sans intérêt.
Commentaire de l’enquête judiciaire. Il s’agit d’une enquête réductrice, truffée de contradictions, manifestement bancale. Les noms d’Ait Ahmed, de Souidani, de Boutlelis et Bekhti Nemmiche, le préposé au PTT, par exemple, n’y figurent nulle part. En revanche, celui de Mohamed Khider, du député du MTLD, s’y trouve surexposé. Sans doute que Ahmed Ben Bella, le seul qui pouvait les connaître, suite à son arrestation et à son interrogation peut-être a-t-il chargé Mohamed Khider, qui était couvert par son immunité parlementaire et qui avait déjà quitté l’Algérie. Mohamed Khider était militant et élu du PPA/MTLD et non pas un militant de l’OS. Dans l’affaire du hold-up à main armée de la poste d’Oran, le rôle de Mohamed Khider s’était limité à transporter les fonds à borde de sa voiture ornée du macaron de député, sans plus.
Version de Ben Bella. Le premier Président algérien a livrée sa version des faits, entre 1962 et 1965, sans doute, qu’acteurs et témoins de cette affaire étaient encore vivants, à Robert Merle qui a écrit et publié, en septembre 1965, un livre qui lui est consacré. Selon Ben Bella, la création de l’OS., (organisation paramilitaire clandestine), n’avait pas été dotée d’un budget de fonctionnement indispensable à sa survie. En tant responsable région de l’Oranie, pour se procurer des fonds, Ben Bella, propose, en comité restreint, à ses collègues, d’aller chercher l’argent là où il se trouve, en d’autres termes, à organiser un hold-up. Certains de ses compagnons s’y sont opposés au motif qu’il ne fallait pas confondre activités politiques avec une entreprise criminelle. Ben Bella propose d’imiter les méthodes de Pierrot le Fou qui sévissait à la même époque en France, de sorte que le hold-up qu’il propose soit attribué à cette bande. Faute d’une solution de substitution et à son abnégation, ils ont fini par se rallier à sa proposition.
Donc une fois l’accord de ses compagnons acquis, le responsable régional d’Oran, par l’intermédiaire d’un préposé au PTT, Bekhti Nemmiche, se procure le plan de la poste : salle des coffres, horaires d’ouverture, recrute les éléments qui devaient participer à l’attaque, loue un appartement de repli, repère une grotte où le propriétaire de la voiture à détourner doit être gardé en otage jusqu’à la fin de l’opération, etc.
Pour que le hold-up soit attribuer à des étrangers, Ben Bella, l’initiateur du hold-up, avait recruté, du mois ceux qui devaient être vus entendus, des éléments à la peau blanche, qui parlent correctement le Français avec un accent pointu. Etant brun, avec un accent qui roule comme des galets charriés par un oued en furie, Ben Bella se trouvait exclu du groupe. Par ailleurs, à notre connaissance, il n’a jamais dit qu’il a physiquement participé à ce hold-up. Il revendique le rôle de cerveau.
Version Ait Ahmed. Ait Ahmed a d’abord évoqué le hold-up de la poste d’Oran dans son livre : « Mémoire d’un combattant ». Suite à son retour d’exil en décembre 1989, il s’était déplacé à Oran, visité la poste, pris de photos, écrit un article sur l’affaire, notamment sur sa participation physique à l’attaque, qui a été largement diffusé par la presse algérienne.
Vue la structure de l’OS, de son strict cloisonnement, Ait Ahmed, en tant responsable national, ne devait connaître, tout au plus, les responsables régionaux mais aucun militant d’aucune cellule. Il s’agit là de consignes strictes. Dans l’Oranie, il ne devait connaître que Ben Bella.
Il va sans dire, qu’avant de passer à l’action, le chef national de l’O.S a dû rencontrer l’équipe régionale d’Oran, qui sans doute, lui a été présentée par Ben Bella. Ait Ahmed a dû faire des repérages, rencontré ses futurs équipiers, distribué les rôles… avant de passer aux choses sérieuses.
Selon Ait Ahmed, le jour J. pour se procurer une voiture, à l’aide du téléphone, il appelle le docteur Moutier pour venir assister une femme en couche compliquée. Le docteur sera conduit à Gambetta-Falaise où il sera gardé en otage jusqu’au soir. C’est la voiture de ce généreux médecin, qui s’était levé à 6 heures du matin pour voler au secours d’une femme indigène présumée en danger de mort, qui servira au casse historique de la poste d’Oran.
Conformément aux prévisions de Ben Bella, ce hold-up sera d’abord attribué à des étrangers. L’O.S ne sera impliqué qu’en mars 1949, suite à l’affaire Khiari qui est à l’origine du démantèlement de l’OS.
Il ressort de cette enquête que ceux qui ont accusé ben Bella de se mettre à table facilement, de demander : « Du papier pour ajouter des détails… », sur le hold-up de la grande poste d’Oran et sur l’organisation de l’OS… comme étant de vulgaires ignorants et/ou des calomniateurs stipendiés.
A ce stade, la version donnée par Ben Bella entre 1962 et 1965 à Robert Merle ne saurait être sérieusement contredite.
Celle d’Ait Ahmed ne peut être raisonnablement contestée. C’est bien lui, avec un groupe de militants appartenant en majorité à la région d’Oran, qui ont mouillé leur chemise, aliéné leur liberté, risqué leur vie.
Conclusion, quand Bella dit : le hold-up : « C’est moi », c’est à la fois vrai et faux. C’est vrai parce que le casse a eu lieu à Oran, dans sa région autonome, nul autre que lui ne pouvait l’initier à sa place. C’est faux parce que sans Aït Ahmed Ahmed et le groupe de militants oranais, sans doute recruté par Ben Bella, le hold-up n’aurait pas pu avoir lieu. Donc, il s’agit d’un hold-up initié par Ben Bella mais opéré par un groupe dirigé par Ait Ahmed. Il s’agit d’un travail collectif.
Moralité, il fut un temps où des algériens aliénaient leur liberté et risquaient leur vie pour se doter de moyens en vue de libérer leur peuple d’une étreinte coloniale séculaire. A présent, les pouvoirs (pluriel volontaire), de ce même pays et ses harkis : ruinent le pays et le peuple à a fins strictement égoïstes.
Les versions de Ben Bella et Ait Ahmed ont été succinctement et, les plus fidèlement possible, rappelées de mémoire. Le rapport de l’enquête judiciaire, qui est très long, a été résumé avec une rigoureuse neutralité. Ceux qui viendraient, légitimement, à douter de cette neutralité, ils peuvent la consulter, dans son intégralité : Claude Paillat, La Liquidation, Tome 2, Fayard, Ed. 1ér trim. 1972. P.16, 17, 18, 19.
Quant à la cause du démantèlement de l’O.S, plus précisément de l’affaire Khiari, nous conseillons vivement : Mohamed Harbi, le FLN Mirage et Réalité, Ed. Jeune Afrique, 2ème trim.1980 P. 76, 77.
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Posté Le : 05/12/2012
Posté par : Aissahakim
Ecrit par : Aissahakim
Source : diverses