Tamanrasset - ENVIRONNEMENT

Transfert d'eau In Salah-Tamanrasset: Une «eau salée» pour une population qui a soif



Transfert d'eau In Salah-Tamanrasset: Une «eau salée» pour une population qui a soif




Trois milliards de dollars. C'est le coût global du projet de transfert d'eau d'In Salah à Tamanrasset sur une distance de 750 km. Qualifié par les observateurs de «projet du siècle», pour son caractère stratégique, le projet a été réceptionné en 2011 par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, à travers une cérémonie très médiatisée. Qui ne se souvient pas de la scène montrant le chef de l'Etat remplir un verre d'une fontaine construite pour la circonstance à Tamanrasset et boire devant les caméras de la télévision d'une eau censée venir d'In Salah? Le «mégaprojet» a réellement nécessité des efforts titanesques à cause de la configuration compliquée de la région désertique où devait passer la double canalisation entre In Salah et Tamanrasset. Officiellement, le «projet du siècle», comme aiment à le répéter inlassablement les responsables en charge du secteur, comprend dans son ensemble 48 forages, deux conduites parallèles de 750 km chacune, six stations de pompage, deux grands réservoirs de 50.000 m³ chacun et une station de déminéralisation d'une capacité de 100.000 m³.

Cependant, plus de deux années après la finalisation et l'entrée en service du projet qui devait initialement mettre définitivement un terme à la soif des habitants de Tamanrasset et développer durablement l'agriculture, l'eau acheminée reste «inconsommable».

Le liquide précieux est imbuvable car contenant, selon des témoignages des habitants de cette région, du sel et un arrière-goût qui vous donne la nausée.

«Il est impossible de laver de la vaisselle avec cette eau», témoigne un notable de la région, rencontré à Alger, qui ajoute que l'eau est tellement salée que même les stations de lavage de la région ne l'utilisent pas de peur d'user la tôle des véhicules.

Les habitants de Tamanrasset continuent, comme par le passé, à s'approvisionner au niveau de l'Oued Azerzi où 5 puits sont forés depuis la nuit des temps, apprend-on de sources locales.

«Il faut débourser 1.200 DA pour chaque citerne de 3.000 litres d'eau», nous confie un citoyen de la région qui souligne que chaque habitant est obligé d'acheter une citerne tous les trois jours pour les besoins de sa consommation et de son hygiène. «La scène montrant le président de la République boire de l'eau lors de l'inauguration du projet est devenue une raillerie au niveau de Tamanrasset», ajoute notre interlocuteur qui assure, par ailleurs, qu'au niveau de la région, tout le monde sait que le verre bu par le chef de l'Etat contenait de l'eau minérale. Les habitants de Tamanrasset, selon toujours le témoignage de cet homme, s'interrogent également sur les raisons qui ont poussé les autorités à engager des travaux pour renouveler les canalisations de l'AEP (alimentation en eau potable) deux années après l'inauguration du projet de transfert d'eau depuis In Salah, par la société chinoise CPECC.

Des responsables locaux au niveau de Tamanrasset, qui ont voulu rester dans l'anonymat, et que nous avons pu joindre, confortent le témoignage de notre source pour qui, cependant, la réalisation du mégaprojet resterait un exploit si l'objectif de ramener une eau potable dans la région était réellement atteint.

L'Algérienne des eaux (ADE) ne l'entend pourtant pas de cette oreille. Contactés, les services de communication du ministère des Ressources en eau nous ont orientés vers M. Attoui M'barek, directeur de zone de l'ADE au niveau de Tamanrasset.

Le directeur est catégorique. «L'eau acheminée à Tamanrasset est potable», nous a-t-il affirmé, en ajoutant que c'est juste une histoire d'habitude.

Selon lui, les habitants sont habitués à une eau différente et c'est pour cela peut-être que certains rechignent, alors que, dit-il, «le liquide répond à toutes les normes de potabilité».

«Chaque eau a ses propres caractéristiques physicochimiques», nous dira M. Attoui M'barek. Ce dernier, contrairement aux témoignages que nous avons recueillis, soutient que l'eau qui provient d'In Salah est consommée normalement.

Entre 20.000 et 22.000 m³/jour seraient consommés l'année dernière, lors de la saison estivale, par la population de Tamanrasset, affirme M. Attoui.

Pourtant, lors de notre discussion, le responsable de l'ADE nous donne, sans le savoir peut-être, une information qui renseigne clairement que l'eau acheminée à Tamanrasset est réellement salée.

En effet, contrairement aux affirmations des responsables du secteur, il n'existe pas encore de station de déminéralisation au niveau du champ de captage d'In Salah pour purifier l'eau envoyée vers Tamanrasset.

«L'avis d'appel d'offres pour la construction d'une station de déminéralisation à 70 km au nord d'In Salah sera lancé prochainement», nous confie le responsable de l'ADE qui souligne que pour l'heure, seule une petite station appartenant à un privé traite l'eau consommée par les habitants d'In Salah.

Les 200.000 habitants de la capitale de l'Hoggar attendront encore de voir couler une «eau ordinaire» dans leurs robinets en dépit d'un investissement de 3 milliards de dollars engagés par l'Etat pour concrétiser «le projet du siècle» qui continuera, selon toute vraisemblance, à faire couler de l'encre en attendant de faire couler une eau claire.





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