Tamanrasset - La Ziara de Tazrouk

Tamanrasset: Pélerinage deTazrouk, Un voyage pour une ziara



Tamanrasset: Pélerinage deTazrouk, Un voyage pour une ziara
Un rendez-vous incontournable ! Comme chaque premier jeudi du mois d’août a lieu la ziara de Tazrouk. Une destination de pélèrinage pour se recueillir sur le mausolée du sage Moulay Abdallah, un descendant de Réggani, dont la ziara est consacrée chaque 1er mai à Aoulef, dans le Tidikelt. Tazrouk !

C ’est dans ce haut-lieu de cohabitations, depuis des lustres, entre les tribus Kel Ghéla, celles-ci possédant le commandement du Tobol, et celles des Issaqamaren, des Taytoq, des Adjuh-n-téhlé et autres Kel-djanet, que Moulay Abdallah avait choisi de vivre et commercer jusqu’au Soudan, comme le faisaient les habitants du nord-est du Hoggar. S’il avait quitté son Tidikelt pour s’établir parmi ces populations, c’est que Moulay les savait pleins de sagesse et de convivialité : des vertus que lui-même portait et qu’il a partagés avec eux jusqu’à sa mort en 1982. Et c’est depuis qu’il n’est plus de ce monde, qu’une ziara est naturellement et régulièrement tenue pour se rappeler des bons faits et gestes du sage. A cette grande fête, car la ziara est aussi une fête, les gens affluent de partout : de tous les coins du Hoggar, du Niger, du Mali, de Lybie et du nord d’Algérie. Même les touristes occidentaux y ont pris goût et ne manquent guère ce rendez-vous, alliant ainsi les plaisirs de promeneurs sous ces fraîches latitudes du haut Hoggar, à ceux de cette rencontre aux différentes facettes religieuses, sociales et culturelles. Quant à nous, et comme chaque année, nous sommes, nous aussi, prêts avec notre méharée à rallier Tazrouk , doucement, mais sûrement, au rythme de nos vaisseaux du désert qui nous portent nonchalamment dans les entrailles de la chaîne de l’Ataror, en arpentant les montagnes, en traversant les cols et en longeant les oueds. Une longue traversée qui nous fait naviguer sur le cap nord, nord-est, là où l’événement de l’été nous attend. Une traversée, aussi, ponctuée de gaietés lorsqu’aux multiples paysages de notre voyage, se greffent les joyeuses plaisanteries de mes compagnons perchés sur leur chameau, ou encore des soudaines complaintes fusant de la voix aiguë et langoureuse à la fois, de Bokha, le partenaire toujours discret de la caravane. Cette année, Moussa Agbargali, notre chef habituel, nous a fait faux bond. A 85 ans, il se dit déjà vieux et plus capable de nous accompagner. Ce qui suscite de tendres plaisanteries de la part de Mohammed Rouani, organisateur de la méharée, qui voue, depuis l’enfance, un respect grand comme le Hoggar à cet homme pas si vieux qu’il ne le pense. C’est Belkèche, un Adjuh-n-Téhlé comme Moussa Ag Bargali, qui sera, alors, avec Mohammed, un noble kél-Ghéla, notre chef de caravane animée cette année par deux minuscules créatures : le tout petit Moussa, 6 ans, que Hamidène, le père, voulait initier à l’assikel, le voyage caravanier, ainsi que Brahim 9 ans. Le petit Moussa, qui use très vite de ses talents de petit nomade, n’aura de cesse, le long du voyage, de nous épater par ses comportements de véritable caravanier. Petite chose juchée sur son méhari en évolution, conscient de nous charmer, tout emmitouflé dans son taguelmoust (chèche) où on ne voit que les yeux. Nous voilà faisant halte qu’il a déjà, dessellé et entravé son chameau, avant d’aller chercher du bois sec pour notre feu de camp : un véritable petit nomade qui aime à prendre, parfois, la tête de la caravane comme pour nous dire « je suis un grand garçon moi ! ». Et alors, c’est vraiment le petit Moussa qui remplace le grand Moussa, absent de cette caravane. Cela me fait penser à cette tradition tenace chez les Touareg, qui tiennent à enseigner, également, à leurs enfants la pratique de la caravane, afin que cette culture millénaire demeure vivante et bien ancrée dans la mémoire collective. C’est pourquoi Mohammed Rouani, grand éleveur de chamelles, tient à cette méharée qu’il organise régulièrement depuis presque trente années, pour ne point couper le cordon ombilical avec la culture targuie notamment, celle des caravanes du sel et commerciales qui s’étendait de Tombouctou au Sud, jusqu’aux ports méditerranéens au Nord, comme celui de Honaïne, près de Tlemcen. Le targui n’existe pas sans son chameau et lui voue un respect absolu, après la femme. Cela expliquera le traitement particulier réservé à nos montures et à nos chameaux portant nos effets de voyage. Ces derniers qui comportent en très grande partie, l’orge, qui les nourrira lors de nos haltes du soir. Le pâturage est très maigre cette année, et avant tout, il faut que nos chameaux ne doivent pâtir d’aucun malaise. « Qui veut voyager loin, ménage sa monture » dit l’adage saharien, cher au touareg. A bout d’une semaine d’« assikel » (voyage en tamahek, langue des touareg), voici « taharine » (les figuiers), lieu où survivent d’impressionnants figuiers plantés dans les années1940 par une famille « Issaqana » tribu dominante du Tazrouk. Ici, est dressé, par la famille Rouani, le premier campement de la fête de Tazrouk. Couscous et taguella (mets targui), assortis de thé pour une foule de personnes venues de partout, et qui élit, ici, sa première halte de la fête de Tazrouk. Arrivée dans l’après-midi de notre méharée, sous un air de l’incontournable tindi (percussion de mortier sur lequel est tendue une peau de chèvre) que battent les femmes de leurs mains gracieuses, et qu’elles accompagnent de chants rythmés par l’instrument et par des youyous incessants ; ilouguène pour la cérémonie : danse des chameaux autour des femmes menée par mes compagnons chiquement habillés. La fête continue jusqu’au soir ponctuée de « Tazengharen », chants et danses en ligne menés par les Harratines, agriculteurs du Hoggar qui exécutent là, l’expression très ancienne du travail de la terre, dont le centre de vie que constitue Tazrouk en est l’une des plus belles expressions agraires dans ce Hoggar, où l’agriculture était pratiquée déjà, depuis des millénaires, dans l’ancien Tit, village à quelques kilomètres au nord de Tamanrasset. Le long de son oued, sur ses rives droite et gauche, Tazrouk étale de somptueux jardins, protégés par d’élégants peupliers . De véritables édens où le fameux raisin sans pépins, petit et couleur d’or « se déguste comme un bonbon », s’étonne Sabine une touriste française ; il côtoie une multitude de fruits (poire, pêche, pomme, grenade..) qui font le régal des visiteurs en cette saison de providences. Et de providences, il en pleut en cette nuit du 1er août, prélude au jour « J » de la ziara qui aura lieu le lendemain, sous le ciel abondamment étoilé, ici à Taharine. L’oued Tazrouk étale son lit pour des femmes étendues comme seuls savent le faire les touareg, dans leur décontractions. Noyées dans la nuit, les voix apaisantes de Lifa et de lalla (une targuie venue de Ménéka, au nord-ouest du Mali) racontent les hauts faits des grands hommes touareg, l’importance de ces traditions séculaires, dont elles craignent la disparition, et affirment leur volonté de tout faire, pour que la jeune génération préserve ces traditions. La tête reposée sur le genou de sa tante Lifa, Taqia, une jeune targuie de 20 ans est toute ouie sur ies histoires du passé. Elle qui demeure très attachée aux coutumes de sa société. N’était-elle pas, d’ailleurs, éloquente en exécutant, cet après-midi, le tindi ? Ses traits bien marqués, sa coiffure toute en fines tresses et l’indigo de son « éléchave » (voile brillant, très violacé) qui déteint sur la peau de son visage et la colore superbement, ne sont-ils pas le gage indélébile d’une fière appartenance aux siens ? Là-bas, sur l’autre flanc de l’oued, les hommes palabrent de leur côté sous les vieux figuiers, tandis que le jeudi de la ziara s’annonce lentement. Levée de camps pour tout le monde, les « 4X4 » s’ébranlent sur l’oued Tazrouk pour que tous s’installent, en ce jour tant attendu, au deuxième camp dressé la veille, tout près du village de Tazrouk et aussi pour tout-venant qui y trouvera gîte et repas de fête, en plus des joies du tindi et de l’ilouguène. Quant à nous, notre méharée nous y mène à la cadence du temps et en appréciant plein la vue. Course de chameaux : Nous sommes les premiers Un vrai chassé-croisé de mouvements le long de l’oued Tazrouk. L’air est bon et une foule de gens s’y achemine à pied, à bord de véhicules ou à dos de chameaux, comme nous. Il y a comme de la joie dans l’air, motivé par l’événement habituel et très attendu de la ziara : c’est la course de chameaux, pour laquelle notre méharée s’est, comme chaque année, très sérieusement préparée. « awragh » et « Améli » sont nos chameaux de course sur lesquels tous nos espoirs sont fondés pour qu’ils arrivent premiers. Montés par mes compagnons Khayya et Douddou, ils sont une valeur sûre, même si nos cavaliers sont un peu stressés. Au bout d’un moment, notre méharée se sépare afin que nos chameaux aillent se placer sur la ligne de départ, attenante à la muraille de pierres, en amont de l’oued Tazrouk. Des prières récitées dans mon cœur pour notre victoire, puis un « Allez, bonne chance Khayya et Douddou ! » Il est 17h, l’heure exacte de la course. Une foule nombreuse, en tenues traditionnelles, scrute de part et d’autre de l’oued, les élans des concurrents : une vingtaine de chameaux devant parcourir une distance de trois km. Armés de leurs caméras ou de leurs appareils photo, les touristes étrangers sont eux aussi excités par ces images d’un exotisme qu’ils sont venus chercher. Agglutinés sur la ligne d’arrivée, mes compagnons de méharée et moi n’e croyons pas nos yeux ! « Voilà Khayya ! Voilà Doudou !. » Superbe ! Aweagh et Améli, arrivent les premiers, laissant loin derrière eux les autres chameaux ! Et c’es la victoire ! Awragh est premier et Améli deuxième ! Quelle performance ! La chance était avec nous, mais il fallait compter avec le sérieux du dressage de nos chameaux, accompli tout le long de l’année. Des heureux et des déçus, mais surtout des félicitations présentées immédiatement à Mohamed Rouani, propriétaire de nos champions. Elles iront aussi à Khayya et Douddou qui effectueront en l’honneur de la victoire de jolis « ilouguène » (danse des chameaux) autour d’un tindi joué, dans le camp, par des femmes plus prolifiques que jamais en chants sur la grandeur de l’« ammis » (le chameau). Le meilleur trophée pour la victoire d’Awragh est que la nouvelle se répande, comme une traînée de poudre, jusqu’au Soudan, en passant par le Niger et le Mali ! Tazrouk est en liesse en ce jeudi 9 août. Partout, des spectacles traditionnels animent un village habituellement très paisible. Un charivari de joies ravit les belles demoiselles targuies parées de leurs plus beaux atours, elles vont et viennent pour ne rien manquer des animations. Même l’association locale de Tazrouk « Amhiou » (rencontre, en Tamahaq) n’a pas manqué sa Semaine culturelle sur les arts traditionnels et offre tout un programme culturel. Un mausolée tout blanc pour un homme tout saint Jeudi s’en va sur l’air du temps, arrive le vendredi matin pour aller se recueillir sur le tombeau de Moulay Abdallah. Au cimetière de Tazrouk, le mausolée érigé en son honneur, est d’une blancheur éclatante, dans ce paysage couleur ocre. Un parterre d’hommes élégamment habillés et tous emmitoufflés dans leurs chèches ou leurs taguelmoust (chêche en indigo) entonnent, d’une voix très basses, des incantations sur Dieu et son Prophète (QSSSL). L’atmosphère est d’une concentration à intimider les touristes curieux, avides d’images à immortaliser sur leurs appareils. Puis, vient la « Fatiha », alors tout le monde saisit l’occasion pour implorer Dieu et faire des prières pour la santé, le bonheur, l’entraide et l’amour entre les hommes . Il est 9h du matin, les vœux exprimés, tout le monde se congratule. « L’aâgouba l’guabel ! » (à l’année prochaine !), c’est ainsi que tout le monde se quitte sur le lieu de la ziara. La fête continue à Tazrouk jusqu’au soir ; retour, samedi matin de notre méharée sur Tamanrasset. Les moussons de l’été apportent beaucoup de nuages, puis des pluies qui ne cesseront de tomber le long de notre voyage. « âla barakat ellah ! », C’est sur ce ton « par la grâce de Dieu » que Mohammed, notre chef de caravane dirige celle-ci sur le cap sud, sud-ouest cette fois, pour retrouver une semaine plus tard, Tamanrasset, la métropole grande ouverte sur l’Afrique.


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