Les pluies saisonnières qui s’abattent chaque année sur la wilaya de Tamanrasset ont causé, cette fois-ci, des dégâts considérables et fait de nombreuses victimes. La Protection civile en a déjà enregistré quatre. El Watan Week-end s’est déplacé sur les lieux pour s’enquérir de la situation.
«27 personnes ont été prises en otages par oued Tamanrasset lors de son dernier débordement, le 10 août. Elles se sont retrouvées subitement cernées par les eaux, mais nos services de la Protection civile, qui sont intervenus à temps, ont fini heureusement par les sauver.»
Le lieutenant Ahmed Ben Anesbaghor, chargé de la communication de la direction de la Protection civile de la wilaya de Tamanrasset, rencontré dans son bureau, affirme qu’«il n’y a rien d’inhabituel dans ce qui s’est passé».
«Cet oued emporte des vies chaque année. Le lendemain de cet incident, nos services ont repêché les corps de deux personnes noyées dans ses bassins d’eau. Mais la saison ne fait que commencer. Le bilan peut s’alourdir dans les jours à venir», s’inquiète le lieutenant dans un entretien accordé à El Watan Week-end.
Le problème est que, géographiquement parlant, l’oued Tamanrasset, d’une largeur de plus de 50 m, traverse le centre-ville de la wilaya. Les habitants rencontrés ici racontent que ces eaux sont saisonnières.
«Entre juin et août, elles reviennent chaque année pour rafraîchir nos terres arides durant le reste de l’année», expliquent-ils.
Afin d’épargner la population des inondations qu’il cause souvent, les autorités locales ont fini par construire un mur de protection tout le long de l’oued. Mais devant la force de ce dernier, en ce mois d’août torride, une partie de la muraille n’a pu tenir et s’est effondrée, laissant ainsi les eaux envahir les deux bords, emportant tout sur leur chemin.
Marchands
Au marché Safsaf du centre-ville, adossé à ce mur de protection, plusieurs marchands se comptent parmi les sinistrés. Ici, dans cette partie de la ville appelée Gataâ El Oued, une grande superficie du souk est exploitée par les migrants nigériens. Ces derniers proposent différents services, dont la restauration, la vente de vêtements issus de la fripe, la coiffure, etc. De l’autre côté, on y trouve des marchands de légumes et des artisans dont la plupart sont des Touareg. Ces derniers fabriquent surtout des produits traditionnels de la région, comme les épées et les couteaux. Abdellah Alamine, 50 ans, père de 7 enfants, est l’un de ces artisans sinistrés.
Forgeron de métier, une profession qu’il décrit avec passion, il avoue être encore terrifié: «Nous ne l’avons même pas vu venir. Nous avons été surpris par ces eaux en furie et beaucoup d’entre nous n’avaient même pas le temps de fuir. Moi, j’ai tout de suite mis mes outils de travail à l’intérieur du magasin d’un ami. Heureusement que je l’ai fait, car l’oued a même emporté nos enclumes qui pèsent environ 50 kg chacune.»
Son ami, vendeur de charbon et de bois, Omar Ouled Mini, père de 5 enfants, raconte aussi cet épisode avec beaucoup d’amertume. Ne connaissant pas son son âge, qu’il situe entre 60 ans et 65 ans, ce Targui a perdu toute sa marchandise ce jour-là.
«Je travaille dans ce marché depuis plus de dix ans et je n’ai jamais vu cet oued couler avec autant de force, témoigne-t-il. Il a déjà débordé en juillet dernier, mais il n’était pas aussi fort.»
Inondations
Dans cette région du Sud, où la principale activité reste le commerce transfrontalier et le tourisme, le travail se fait de plus en plus rare, après la dégradation de la situation sécuritaire aux frontières et la fermeture de ces dernières par l’armée algérienne. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Omar se retrouve obligé de revendre, à 2.000 DA, des sacs de charbon de 50 kg qu’il achète à 1.800 DA, et du bois à 450 DA, acheté aux bédouins de la région à 250 DA. Mais depuis les dernières inondations, Omar a tout perdu.
«Il m’a emporté au moins 50 sacs de charbon et tout le bois que j’avais. Je n’ai rien pu faire à part sauver ma peau. Cela me fait mal d’avoir perdu toute ma marchandise. J’ai été obligé de tout recommencer à zéro», fulmine-t-il.
Mais si l’oued est désavantageux pour beaucoup, ce n’est certainement pas le cas pour les enfants de la région pour qui chaque débordement des eaux est un événement. Devant l’absence de structures adéquates, comme les piscines communales, un projet qui tarde d’ailleurs à décoller, selon les témoignages recueillis sur place, les enfants de Tamanrasset ne trouvent que les eaux bloquées pour se rafraîchir durant l’été qui s’annonce chaud. Les routes qui relient les deux bouts de la ville à travers oued Tamanrasset ont été détériorées par ce dernier. Mohamed Ben Dehane, la quarantaine, activant dans une association locale, explique que les chauffeurs des véhicules et des camions «ne prêtent même pas attention à l’état des routes» car, selon lui, «ces derniers ont pris l’habitude de prendre des chemins impraticables et difficiles d’accès pour se déplacer à l’intérieur de cette plus grande wilaya algérienne du Sud».
Piscine
«Hormis les routes qui relient les grandes circonscriptions, comme In Guezzam, aucune autre n’est goudronnée en dehors du centre-ville. Ici, les routes sont quasiment inexistantes, ce qui rend difficile voire impossible les déplacements entre les villages, confie Mohamed. Dans certaines régions, les habitants se trouvent obligés d’emprunter des chemins tracés par eux-mêmes. Ce sont des routes impraticables traversées par des oued secondaires, comme celui du Hoggar. Pendant cette période, les villageois se trouvent bloqués pendant plusieurs jours. Les autorités tardent à prendre sérieusement ce problème en charge malgré les réclamations des habitants des villages, dont celui de Azarnane, à 30 km au nord-est de Tamanrasset.»
A Tamanrasset, la chaleur devient insupportable, particulièrement dans l’après-midi. Les traces des dégâts causés par les dernières inondations laissent indésirable toute circulation sur l’oued Tamanrasset, pourtant convoité par les habitants. Un château d’eau nouvellement rénové a été carrément déplacé par les eaux qui ont même emporté des plaques métalliques impossibles à faire bouger.
Il n’y a que Lahcen et une dizaine de ses amis qui y prennent du plaisir en s’offrant une baignade dans ces eaux bloquées de l’oued. Ici, l’eau est sale à cause de la boue. Interrogé sur les risques que lui et ses amis encourent, Lahcen se défend à la place de ses amis et se justifie: «Où voulez-vous qu’on aille? Il n’y a que les gens qui possèdent des véhicules qui peuvent pique-niquer ailleurs ou se baigner dans des oueds où l’eau est plus claire. Nous n’avons pas le choix. C’est ça notre piscine.»
Pourtant, six jours auparavant, deux personnes ont trouvé la mort noyées dans ces mêmes eaux. Ici, personne ne se soucie de la sécurité de ces enfants. Lors de notre rencontre avec le lieutenant Ahmed Ben Anesbaghor, ce dernier nous a livré plus de détails sur les deux personnes qui ont été retrouvées noyées dans les eaux de l’oued Tamanrasset au lendemain des inondations.
«La première personne, âgée de 30 ans, est de sexe masculin. Elle a été repêchée d’un bassin d’eau à Gataâ El Oued. L’autre, 16 ans, de sexe masculin également, a été, quant à elle, repêchée vers Haï Ankouf, pas loin du centre-ville», explique-t-il.
Ces personnes ne sont pas les seules à s’être noyées apparemment, car un autre jeune, âgé de 16 ans, a été lui aussi repêché le 16 août, vers midi, à Tizalayin, à 7 km au nord de la ville.
Cette année, Oued Tamanrasset a débordé à deux reprises.
«La première fois, c’était à la mi-juillet. Un jeune a été retrouvé noyé», ajoute le lieutenant qui affirme que son identité n’a pu être identifiée par les autorités compétentes.
«En 2015, nos services avaient enregistré la mort de 20 personnes. Nous ignorons toujours l’identité de 15 d’entre elles qui ont été emportées par les eaux de l’oued Amsel. Leurs corps ont été retrouvés à 35 km au sud de Tamanrasset. Deux autres ont été emportées par l’oued Imessouneg à In Amguel. Tandis que les trois dernières, elles sont mortes noyées à Tawendert, dans la région de Tinzaouten et à Haï Taheggart dans la ville de Tamanrasset», regrette-t-il.
Les différents oueds de notre région continuent à faire des victimes à Tamanrasset, In Guezzam, Tinzaouten, etc. Ici, pendant que certains déplorent l’état des murs de protection en exigeant des autorités de régler ce problème, d’autres s’interrogent sur l’inexistence de barrages qui permettraient, certainement, aux agriculteurs de tirer bénéfice de cette richesse naturelle.
A Tamanrasset, la plupart cultivent leurs champs au bord des rivières ou carrément sur l’oued où se trouvent des terres plus fertiles. L’un de ces fellahs que nous avons rencontré évoque justement le problème des barrages d’eau: «Nous n’avons qu’un seul barrage, celui d’Amsel, à 30 km au nord-ouest de Tamanrasset. Il y aussi celui laissé par la France coloniale sur la route qui mène vers l’Assekrem, à 17 km au nord du chef-lieu de la wilaya, mais il est carrément abandonné. Je me demande à quoi servent toutes ces eaux si on n’en titre pas profit?» s’interroge-t-il.
Contactés pour répondre aux interrogations des habitants, aucun responsable de la wilaya et de la commune de Tamanrasset n’a accepté de nous recevoir pour répondre à nos questions.
Meziane Abane
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Posté Le : 26/08/2016
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: El Watan ; texte: Meziane Abane
Source : elwatan.com du vendredi 26 août 2016