Stora, village balnéaire de Skikda : la mer ne cache plus la misère © D. R. Une ville qui croule sous le poids des ans. L’été, on ne peut pas le passer à Skikda sans s’offrir une virée à Stora, à moins de 5 km seulement à l’ouest de la ville. Perché depuis des lustres sur sa falaise, le village a survécu aux Phéniciens, aux Romains, aux Vandales et aux Français, mais il peine, aujourd’hui, à résister au temps, à l’oubli et au mépris des hommes. Vu de loin, Stora reste l’incontournable carte postale que Skikda vante et vend à profusion. Pourtant, il suffit juste de s’engouffrer dans les ruelles et les bâtisses vieillottes du village pour que tout le charme s’estompe et que tout s’écroule. Ici, la grande majorité des 6000 habitants vit exclusivement de la mer. A Stora, on est marin de père en fils. «Les responsables ? Oui, ils viennent quotidiennement se balader au port comme de simples touristes. Ils n’osent pas monter voir la dure réalité de Stora comme s’ils avaient peur de humer la misère dans laquelle nous vivons», lance Ali. La vingtaine à peine, le teint bronzé par la force d’une proximité perpétuelle avec la mer et le regard presque menaçant, Ali vide un sac trop plein : «Il n’y a rien ici… on survit par la grâce de la mer en attendant que nos maisons nous tombent dessus. Venez, venez voir Stora, la vraie !» Et Stora, «la vraie», comme le dit Ali, n’est pas belle à voir. La razzia du FLN Laissant le port derrière nous, on parcourt la route en pente qui mène au village sans se douter qu’on allait faire un authentique voyage dans le temps. Plus de 90% des immeubles de Stora ont été érigés entre 1860 et 1890 sur d’anciennes ruines romaines, et continuent à ce jour d’abriter des centaines de familles dans des conditions lamentables. «En cinquante années d’indépendance, on n’a construit que 40 logements où s’entasse aujourd’hui près de la moitié des habitants de Stora», témoigne Ali. D’autres habitants, plus vieux, se mettent de la partie et racontent : «En 1985, Stora avait bénéficié d’un programme de 200 logements sociaux, mais l’assiette qui devait les accueillir a finalement été détournée par l’ancien parti unique au profit de quelques personnes qui ont bâti des villas en rasant en toute impunité d’anciens vestiges romains d’une valeur inestimable», raconte un vieux pêcheur de Stora. Les exemples de gâchis se multiplient et chacun y va de sa petite anecdote. Chacun voudrait aussi, et avec insistance, nous guider vers sa demeure pour mieux comprendre sa rancœur. A l’entrée du village, le ton est vite donné. A droite, le portail, en décrépitude d’une ancienne école communale ouvre le bal de l’ineptie. Sur le fronton, l’année 1870, date de la construction de l’école est encore visible. Tenace ! Plus d’un siècle après, l’établissement a été reconverti en habitat de fortune par dix familles qui se partagent, depuis 1962, la décrépitude, un robinet et… les sanitaires. Le moindre espace est rentabilisé pour construire une nouvelle baraque en usant de prouesses et d’imagination. La vieille Reguia y a élevé ses 4 enfants. L’un d’eux, marin-pêcheur, père de cinq enfants, vit encore avec elle. «Quand je l’ai marié, on a été obligés de séparer la pièce qui fait office de logement en deux parties. J’ai perdu de l’espace, mais je n’avais pas le choix», raconte-t-elle. Khedidja, une autre vieille Storasienne, pure souche, vit presque la même situation, et Hocine, un pêcheur, père de six enfants, reste le plus innovateur de tous.Il vit dans un espace de moins de 10 m2. Ne pouvant diviser sa minuscule pièce, il a fini par aménager un semblant de grenier où dorment ses enfants. «Je leur ai confectionné un escalier… c’est leur chambre à coucher en quelque sorte», ironise-t-il. Un village fantôme ! «Vous n’avez encore rien vu», assure un jeune. On poursuit le périple pour visiter le vieux Stora. Ici, les gens désignent encore les vieux immeubles par leur ancienne dénomination. L’immeuble Sterno, Négrier, Romain, immeuble Furiana, maison Baldino… Dans la pratique, ces habitations en ruine continuent d’abriter des dizaines de familles. En théorie et administrativement parlant, ces bâtisses n’existent plus. «On ne paye ni loyer ni électricité… pour la simple raison que nos logements ne sont plus portés sur le listing administratif», explique un vieux Storasien. En effet, la quasi majorité de ces immeubles a fait l’objet d’une réforme pure et simple en 1975, et aux yeux de l’administration, ils n’existent plus. Le compte-rendu du CTC de l’époque évoquait déjà : «Le risque d’effondrement est imminent en cas de glissement de terrain ou de séisme même de faible intensité», et recommandait l’évacuation urgente des occupants. L’administration s’est ensuite contentée de proclamer la réforme des lieux sans se soucier du devenir de ceux qui y habitaient. Cette politique de l’autruche perdure encore à ce jour. D’immeuble en immeuble, le constat trop effrayant reste indescriptible. Les gens s’empressent de nous montrer leur «logement», de raconter leur misère, leur histoire. Tout un défouloir. A travers des ruelles sinueuses où coulent des eaux usées, les immeubles en ruine se suivent et se ressemblent. Près de la mosquée, une ancienne épicerie sert désormais de demeure pour la vieille Souames qui y habite avec 11 membres de sa famille. «Quatre de mes enfants et leurs gosses habitent avec moi…On n’a pas le choix», témoigne-t-elle. Plus loin, un garage sans aération sert de dortoir à six membres de la famille Koalal, et non loin, la maison Baldino, construite en 1883 et où cohabitent 12 familles, s’écroule à vue d’œil. Plus haut encore, l’immeuble Furiana avec pas moins 18 familles a déjà perdu ses balcons. Le chaos est généralisé, mais que faire ? Si les vieux donnent une impression de défaitisme, les jeunes, eux, ne mâchent pas leurs mots. «Les responsables, pour nous discréditer, disent que les Storasiens refusent d’habiter en-dehors de leur village. C’est faux… qu’ils nous donnent un logement maintenant et je quitterai ces lieux sur-le-champ», reprend Ali. D’autres jeunes qui l’accompagnent tiennent un autre discours : «Ici, tous les habitants vivent de la mer. On ne veut pas vivre un déracinement. On dit que Stora ne dispose pas d’assiette foncière pour bâtir alors que des terrains sont légués à des particuliers. Rien qu’à Oued Chadi, sur les hauteurs, nous savons qu’il y a 5 ha prêts à accueillir des programmes de logements. On semble vouloir les cacher pour en faire un autre usage et pour arranger un petit cercle d’influents de Skikda et d’ailleurs», soutiennent-ils. Les jeunes ressortent également ce fameux projet initié en 1996 pour la construction de 46 logements sociaux au profit des habitants de Stora. «Deux élus avaient tout fait pour accaparer l’assiette, et depuis on attend», racontent-ils. On entame la descente en direction du port, de son brouhaha, des restaurants, des cortèges de véhicules et des façades fraîchement repeintes à l’occasion de la saison estivale. Mais cela ne cachera plus l’autre image de Stora, la vraie, car si d’aventure vos pas vous guident au cœur du village, vous ne la regarderez jamais comme avant. Plus jamais ! Une famille dort à la belle étoile depuis 4 ans ! On l’appellera Samia, juste pour respecter sa volonté de ne pas donner sa véritable identité. Elle a 30 ans et deux enfants. Elle vit, en compagnie de son frère, à l’air libre depuis quatre ans déjà. Victimes de péripéties familiales et suite à un malheureux divorce, elle se retrouve à la rue. Que faire ? «J’ai cherché un coin pour élever mes enfants, et comme je n’arrivais pas à trouver, j’ai opté pour cet abri, car je suis une Storasienne et je me sens plus en sécurité ici», raconte Samia. L’abri n’est en réalité qu’un espace vide situé entre le mur d’une école et celui d’un transformateur électrique. Sans toit et à la merci des vents, les lieux n’offrent aucun confort. «Je travaille à l’école dans le cadre du filet social. Je touche 3000 DA. Mon frère ne travaille pas», continue la SDF. Comment vit-elle ? Par la charité, tout simplement. «Ici à Stora, les gens me connaissent. Ils nous apportent à manger et des fois ils apportent des vêtements», poursuit-elle. Sa «demeure» qu’elle astique comme toute bonne ménagère vient juste de se doter d’un semblant de toit. Samia a en effet eu l’idée d’utiliser les panneaux d’affichage des dernières élections législatives pour renforcer son abri de fortune. Tant mieux, ces élections auront servi au moins à ça, car pour le reste… Souames Nabil . président de l’association de Stora : «La solution ? Réhabiliter la commune de Stora» Souames Nabil, président de l’Association de Stora et fervent défenseur de la mémoire collective du village, refuse toute polémique et annonce au départ la couleur. «Les gens ont souvent tendance à oublier que Stora a bénéficié d’un statut de commune à part entière de 1870 à 1985. Ce n’est qu’après son rattachement à l’APC de Skikda que les choses ont commencé à changer pour le village et ses habitants. Nous estimons que compte tenu des problèmes immenses que nous vivons, il devient nécessaire de réhabiliter Stora dans sa vocation et de lui accorder le statut de commune pour permettre un meilleur essor», déclare M. Souames. En plus des problèmes du vieux bâti, il insistera également pour exprimer son «désappointement» au sujet de la nouvelle marina née de l’extension du port de pêche de Stora. «Ce port a de tout temps fait partie intégrante du village, nous refusons que ce lieu soit clôturé et fermé. Ce serait là une volonté de couper les Storasiens de leur raison d’être. En plus, cette clôture risque de drainer un trafic intense vers la placette du village. On relève que beaucoup de décisions sont apportées sans même nous consulter. A titre d’exemple, les gestionnaires de la marina ont décidé de leur propre chef de démolir les anciens escaliers du port, qui sont, à nos yeux, un véritable patrimoine, sans nous en avertir.» EL WATAN Khider Ouahab le 07.08.12
Posté Le : 07/11/2014
Posté par : pharesdalgerie