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Histoire Médiévale de Collo



Histoire Médiévale de Collo
Une chronique catalane explique les causes qui, vers l'an 1282 de notre ère, amenèrent le roi Pierre III d'Aragon, à diriger en personne, une expédition sur le port de Collo avec la perspective de faire ensuite la conquête de la province de Constantine elle-même.

Voici comment M. Pérand, dans son histoire des villes du Constantinois, raconte cet épisode de l'histoire locale :
" Abou Baker, surnommé Ibn wazir, gouvernait Constantine vers l'an 1280 de notre ère, au nom du sultan Hafside de Tunis, Abou Ishac. Avide de grandeurs, ce fonctionnaire se laissa emporter par l'ambition, et sachant que Constantine était la place la plus forte de la province, il conçut le projet de s'y maintenir comme chef indépendant."

" Ibn wazir croyant avoir trouvé le moment opportun pour usurper le pouvoir, demanda par écrit au roi d'Aragon l'envoi d'un corps de troupes chrétiennes qui s'établirait à Collo et ferait des incursions sur le territoire du sultan de Tunis. Le monarque chrétien accueillit favorablement cette proposition et annonça au gouverneur de Constantine, l'envoi d'une flotte."

Telle est sommairement la version d'Ibn Khaldoun que je vais compléter à l'aide de celle beaucoup plus développée du chroniqueur castillan.

" Le Sarrazin, gouverneur de Constantine, lequel portait le nom de Bolboquer ( Abou Baker ) avait dans son armée de nombreux soldats chrétiens."

Pour expliquer cette particularité nous devons rappeler ici que jusqu'au XIII° siècle, des chrétiens servirent en effet les princes arabes, comme le faisait en France, les Suisses et les Allemands. Des facilités leur étaient données pour la libre pratique de leur culte au milieu des troupes musulmanes, alors plus tolérantes et moins fanatiques qu'elles ne le sont devenues depuis. L'église et les gouvernements chrétiens en permettaient le recrutement en Europe.
Du reste, plusieurs évêchés, entre autres ceux de Carthage et d'Hippone, subsistaient encore; le christianisme n'était pas éteint dans plusieurs villes et parmi les tribus Berbères du nord de l'Afrique, chez lesquelles les commerçants de Provence, de Venise et de toutes les républiques italiennes entretenaient de grandes relations commerciales.

" Après avoir assemblé son conseil et voyant qu'il ne pourrait pas résister à son souverain, Abou Baker, poussé à cette détermination par les chrétiens qu'il avait à son service, envoya des émissaires en Europe afin d'implorer le secours du roi Pierre d'Aragon."

" S'il passait à Collo," lui disait-il dans la missive, " avec huit cents cavaliers et deux mille hommes d'infanterie, il lui livrerait Constantine, qui est non loin de Collo et de la mer de Stora."

" Maître de Constantine, et avec l'aide qu'il lui prêterait, il pourrait conquérir l'Afrique entière. Tous les chrétiens habitant l'Algérie, Tunis et toutes les terres barbaresques, au nombre d'au moins cent mille hommes, viendraient à lui. Mais qu'il fallait tenir cette affaire secrète, car tout serait perdu si elle était découverte."

" Quand le noble roi d'Aragon eut reçu les missives que lui adressait Abou Baker et le capitaine des soldats chrétiens au service de ce Sarrazin, il répondit aux émissaires qu'il mettrait à la voile le deuxième dimanche après Pâques pour aller se joindre à eux."

" Le roi Pierre, ayant donc résolu de se rendre à Constantine fit recruter tous ceux qui voulaient le suivre. Il envoya des agents dans toute la Catalogne et l'Aragon, auprès des chevaliers, les invitant à l'accompagner là où il voulait aller. Ces chevaliers étaient au nombre de huit cents. Il fit en même temps de grands préparatifs et ordonna de construire des bâtiments de transport et des galères. Le tout se réunit au port de Tortose, où se dirigea le contingent de fantassins de Valence, de Murcié et autres lieux. Le roi Pierre prit à son service quinze mille de ces fantassins et donna congé aux autres".

" Dès que le roi fut monté sur sa galère, la flotte partit de Tortose. Son amiral Ramon Marquez avait ordre de faire voile vers l'île Mahon, point de ralliement de tous les bâtiments. Mais la nuit suivante, un vent contraire s'éleva, le temps devint mauvais, une grande partie des navires arriva néanmoins à Ibiza, on finit par se concentrer à Mahon. Les îles Baléares étaient à cette époque occupées par des sarrasins reconnaissant la suzeraineté du roi d'Aragon".

" Après que le roi, les chevaliers et l'armée se furent suffisamment reposés et rafraîchis, et le temps étant redevenu favorable, on remit à la voile dans la direction de Collo. Dès que le seigneur Sarrazin des îles eut constaté que la flotte prenait la route des côtes de Barbarie, il fit, cette nuit là même, armer et partir un bâtiment léger et un marchand avec mission d'aller prévenir les gens de Bougie et de Collo de s'enfuir, parce que le roi d'Aragon marchait contre eux avec une flotte considérable."
" Le bâtiment léger accomplit la traversée en un jour et une nuit seulement, arriva par conséquent à Collo avant la flotte du roi chrétien, et les habitants de cette ville prévenus, eurent le temps de s'enfuir, en emportant avec eux tout ce qu'ils possédaient."

" A son arrivée, le 28 juin 1282, la flotte trouva Collo abandonnée, les habitants s'étant retirés dans les montagnes voisines. Des marchands Pisans qui avaient leurs marchandises à Collo, interrogés par le roi sur le pays et sur ce qu'y se passe, lui répondirent qu'une barque légère de Majorque l'ayant devancé d'un jour, annonçant que la flotte d'Aragon arrivait en Barbarie, et qu'aussitôt cet avis, toute la population de Collo avait fui vers les montagnes."

" Ne savez vous pas autre chose?" Demanda le roi. " Certes," répondirent les marchands pisans, " nous savons que le seigneur qui tenait Constantine sous sa dépendance a été pris et a eu la tête tranchée; tous ses partisans ont eu le même sort."

" Dites-moi," ajouta le roi, " de quelle manière la ville de Constantine a été prise?"

" Il y a peu de temps, le fils de l'émir de Tunis est allé assiéger Constantine avec une nombreuse armée. Les habitants de cette ville lui ont ouvert leurs portes; toute l'armée est entrée et le seigneur rebelle Abou Baker ainsi que ses partisans ont été pris et décapités".

" En effet vers le mois d'avril 1282 Abou Baker comptant sur l'arrivée prochaine de la flotte chrétienne, avait levé trop brusquement le masque, et s'était fait proclamer souverain de Constantine. Attaqué aussitôt par des forces supérieures, il fût pris et perdit la vie comme nous venons de le raconter."

" Quand le Roi d'Aragon eut appris par les marchands Pisans, ce qui s'était passé à Constantine, il vit bien que le but de l'expédition était manqué. Il en fût dépité et en colère. Néanmoins, il ordonna de débarquer les approvisionnements et il pris possession de la ville de Collo et des points fortifiés de l'intérieur. Ceux de son armée qui ne restèrent pas dans la ville, allèrent camper en avant dans le pays, malgré la multitude de Sarrasins qu'il y avait en présence, couvrant la plaine et la montagne".

" Le Roi les fit prévenir d'avoir à se préparer à combattre, mais les Sarrasins, voyant comme l'armée chrétienne était nombreuse et puissante, firent répondre au Roi qu'ils allaient délibérer en conseil. Par l'intermédiaire d'un marchand pisan qui se trouvait parmi eux, ils envoyèrent proposer au Roi de faire la paix à laquelle ils étaient volontiers disposés ; qu'ils traiteraient avec lui, à la condition qu'il évacue la ville de Collo. Les Sarrasins ajoutaient qu'ils lui donneraient autant d'argent qu'il en demanderait et que déjà ils avaient envoyé à Tunis, à ce sujet, et qu'ils attendaient la réponse de leur Sultan".

" Le Roi Pierre III et son armée, étant donc à Collo, se logèrent dans les environs de la ville ou sous les tentes dressées à l'extérieur. Ils avaient fait des murs et des retranchements du côté par lequel les Sarrasins auraient pu les attaquer."

" Le Comte de Pallours s'était établi hors de la ville auprès d'un puits nommé Picca boralla qui se trouve à proximité. Il était campé avec les marins de l'armée. Les corps de fantassins vinrent auprès du Roi et lui dirent : Seigneur, puisque nous sommes venus ici, voulez-vous que nous allions voir dans l'intérieur des terres afin de nous y procurer des ravitaillements."

"Barons", dit le Roi, "c'est un bon plan qui vient d'être proposé; des cavalcades de deux cents cavaliers et de quatre milles fantassins iront successivement faire des reconnaissances".

" Dès que le Roi eut parlé, on organisa les départs, selon la volonté du Roi. Il était défendu de passer au-delà de la vallée, ni pour combattre les Sarrasins ni sous aucun prétexte. Celui d'entre eux qui franchirait la rivière ( sans doute l'Oued Guebli ) serait si sévèrement puni pour sa désobéissance, que jamais plus il ne recommencerait."

Il prenait aussi ses précautions pour qu'il n'arriva de mal à personne.

" Or, il advint un jour que des cavaliers allant faire leur reconnaissance habituelle avec les gens de pied, le roi leur dit : Barons, vous pousserez demain dans l'intérieur des terres et vous examinerez si l'armée des sarrasins se trouve bien loin d'ici, et s'il y a une plaine de l'autre côté de la montagne. Si les Sarrasins sont nombreux, vous vous retirerez vers la montagne et au signal que vous nous ferez nous irons vous soutenir."

" La reconnaissance, obéissant à cet ordre, pénétra sur les terres des Sarrasins et trouva ceux-ci rassemblés dans une vallée, au nombre de deux mille cavaliers. Les Sarrasins apercevant la troupe des chrétiens, s'avancèrent à sa rencontre, ce que voyant ceux-ci se préparèrent à combattre malgré le nombre d'ennemis qu'ils avaient devant eux et montant ensuite sur la hauteur, ils firent à la garde, placée sur la montagne qui est au-dessus de Collo, le signal convenu et la garde répéta ce signal au resta de l'armée."

" Aussitôt le roi fit prendre les armes à tous les cavaliers et fantassins, et les dirigea vers la montagne où se trouvaient les hommes envoyés le matin en reconnaissance. Les Sarrasins ne virent rien de ce mouvement jusqu'au moment ou toute la troupe tomba sur eux ; peu d'entre eux échappèrent au massacre."

" Le roi marcha en avant pendant 3 heures encore et trouva une belle ville abandonnée, avec de beaux châteaux, de nombreux greniers de froment et de lin. On incendia le tout à l'exception des vêtements de soie; Ils en prirent tant qu'ils purent en emporter."

" Après avoir mis le feu à tout ce qu'ils trouvèrent, la moitié de la journée s'étant déjà écoulée; toutes les forces des Sarrasins couvrirent les montagnes, mais sans oser descendre. Le roi fit alors rétrograder ses troupes ramenant deux mille bœufs et vingt mille moutons et chèvres ainsi que beaucoup de prisonniers, des effets en quantité et des armes, car on avait trouvé cette ville sans défense."

" Rentrée à Collo, toute l'armée était fort satisfaite de son expédition; on songea à tuer bœufs et moutons et à les mettre dans les marmites et chaudrons, cette nuit se passa joyeusement, et dans la plus complète abondance de pain, de vin et de tout ce dont on avait besoin. Le roi ayant fait faire des distributions de vivres; en outre les troupes trouvaient facilement à en acheter sur un grand marché, car plus de soixante bateaux venus de Majorque, de Barcelone, de Valence et autres lieux, avaient apporté du pain, du vin et des viandes."

" Chaque jour, les barons suivis de gens de pied faisaient de nouvelles courses dans l'intérieur des terres, à trois ou quatre lieues de distance. Ils prirent encore aux Sarrasins des bestiaux et beaucoup de beaux effets, qu'ils trouvaient dans les maisons et dans la montagne."

" Or, il advint un jour que les Sarrasins s'avancèrent devant Collo, en nombre tellement considérable, que les plaines et les montagnes en étaient totalement couvertes. Ils faisaient de grandes épéronnades, mais quand ils eurent éprouvé la charge de la cavalerie chrétienne, ils ne tentèrent pas de combattre davantage et on les voyait fuir au-delà de la vallée et s'en aller au loin."

" Cependant le roi Pierre, voyant son projet de conquête manqué, rassembla ses barons en conseil : Si ce que j'espérais réaliser, leur disait-il, n'avait pas avorté, je me serais emparé de Constantine; Si je m'en empare avec les forces que j'ai sous la main en ce moment, et les renforts que j'attends encore des mes états, je ferai ensuite, avec l'aide de dieu la conquête de toute l'Afrique, malgré le grand nombre de Sarrasins qui peuplent les montagnes."

" Nous gardons Collo, qui sera notre point de départ, d'ici à Constantine il n'y a pas plus de douze lieues de distance, et malgré les Sarrasins, nous emporterons des vivres et tout ce qui nous est nécessaire pour cette compagne. Nous nous emparerons du pays sans éprouver de pertes, nous serons à Constantine maîtres d'une bonne et forte position, et les Sarrasins ne pourront rien contre nous. Nous aurons acquis un grand honneur pour nous et pour la gloire de la chrétienté."

" Voilà quelle est la pensée de mon cœur; je voudrais qu'à votre tour vous m'éclairiez de vos conseils. Nous enverrons des messages à Rome, auprès du pape, afin qu'il nous expédie des renforts. S'il nous accorde ce que nous lui demandons, nous nous mettrons en marche pour faire avec l'aide de dieu, la conquête de toute cette terre d'Afrique, pour les chrétiens, afin que dieu soit loué et honoré."

" Les barons répondirent : Nous approuvons ce que vous avez dit et plaise à dieu que ce que votre cœur désire s'accomplisse; Nous ne séparerons pas, nous ferons venir nos femmes et nos enfants, nous voulons servir Dieu, tant que nous serons vivants!"

" Après le conseil, le roi fit préparer douze galères qui devaient porter les ambassadeurs à Rome. Guillain de Couet, chevalier d'Aragon, et des barons nobles et honorés se mirent en route et arrivèrent à la cour de Rome. Le lendemain de leur arrivée, les ambassadeurs se présentèrent au pape, s'agenouillèrent devant sa sainteté et la saluèrent avec grand respect."

" Père saint de toute la chrétienté, le noble roi Pierre d'Aragon vous adresse beaucoup de salutations et vous envoie ces lettres.
Le pape reçut les lettres et en prit sur-le-champ connaissance."

" A vous saint père de toute la chrétienté, de la part de Pierre d'Aragon, par la grâce de Dieu, que le salut le plus humble soit sur vous, tel qu'un fils l'adresse à son père, et tel qu'on l'adresse au vicaire de dieu.
Sachez, ôh Saint Père que nous sommes en terre de Barbarie, et nous avons fait tout ce que nous étions capables de faire pour conserver ce que nous avons pris, lieu beau et fort qui la ville de Collo."

" Nous vous prions de nous envoyer votre secours en cavaliers et hommes de pied, et que vous accordiez votre pardon aux gens pour qu'ils viennent à nous. Quant à nous seigneur, nous resterons si longtemps ici que nous ferons la conquête de cette terre afin que Dieu y soit béni et servi, et que son nom sacré y soit exalté!"

" Quand le pape eut lu la missive et entendu les paroles que les ambassadeurs étaient chargés de lui dire de la part du roi d'Aragon, il répondit :
Nous ne croyions pas qu'un si petit roi fut parti en Barbarie, ni que des gens y aient conquis quelque chose. Le roi d'Angleterre, celui d'Allemagne, le roi Charles et beaucoup d'autres, s'ils y étaient allés n'auraient fait."

" En résumé, le pape refusa de favoriser l'entreprise et les députés revinrent à Collo. Sur ces entre faits, des messagers, envoyés de Sicile arrivèrent un jour à Collo, auprès du roi d'Aragon et vinrent lui offrir le royaume de Sicile, avec promesse de lui donner or et argent en abondance."

" Le roi Pierre d'Aragon, séduit par cette proposition et voyant que les Sarrasins continuaient à lui être hostiles, employa trois jours à faire les préparatifs nécessaires pour le ré embarquement et le départ de son armée.
Le troisième jour, à la nuit, les cavaliers qui étaient de garde aux avant-postes dans la vallée, se replièrent et se rembarquèrent les derniers. Après qu'on se fut assuré que personne n'avait été oublié à terre, bien portant ou malade les marins allèrent incendier Collo sur cent endroits à la fois."

" A la lueur de l'incendie, les Sarrasins reconnurent que la flotte chrétienne s'éloignait. Ils virent sur-le-champ au bord de la mer, mais ils n'y trouvèrent plus rien, tout ayant été recueilli sur les vaisseaux."

Un siècle plus tard, environ après l'incendie de Collo, par Pierre d'Aragon; les Pisans visitaient encore les marchés de cette ville. Les archives des missions conservent encore le texte d'un contrat pour un voyage à faire en 1326 à Jijel, Bougie et Collo.


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