Sidi-Belabbès - Sidi Lahcene

Détrie, un village de chez nous



Détrie, un village de chez nous

A six kilomètres au sud-ouest de Sidi-Bel-Abbes, à 500 m d'altitude sur la rive de l'oued Mekerra était un territoire nommé Sidi-Lahssen. La température moyenne oscille entre 25 et 450 mais en hiver la neige couvre le Djebel Tessala qui se trouve au nord et on enregistre des minima de moins 7°. La végétation originelle est constituée de jujubiers sauvages, palmiers nains, genets épineux et asphodèles. La vallée est jalonnée de lauriers roses et de trembles. Ce territoire est peuplé en 1839 par la tribu des Ouled Evohim qui vivaient en nomades, élevant des moutons, des chèvres, des mulets, chevaux, chameaux. Ils cultivaient quelques champs de blé dur et d'orge. Les propriétés privées étaient dans l'indivision et appartenaient à 300 ou 400 personnes, ce qui gênait les transactions. D'autres terres étaient collectives.

La création de huit villages

En novembre 1848 l'administration française envisage d'organiser huit villages agricoles recevant chacun 100 familles européennes. Le 18 juin 1851, Mme Anne Ripard, épouse de M. de Courtie reçoit une concession de 265 ha et demi à Sidi Lahssen moyennant le paiement à l'État d'une rente annuelle et perpétuelle d'un franc -or par hectare et l'établissement sur les terres concédées à titre de fermiers métayers, colons partiaires ou ouvriers salariés, soit huit familles européennes, à pourvoir d'habitations solides et salubres, de matériel d'exploitation et de semences. En 1852, les premiers immigrants arrivent à Sidi Lahssen, ils reçoivent 200 francs -or de subvention et une avance remboursable en grain. Venue d'Allemagne, la famille Hoffseide, mari, femme et deux enfants, originaire de Bade s'installe au village. Ils s'uniront ultérieurement avec les colons Péries. Le défrichement permet le commerce de l'écorce à tan, du bois, du charbon de bois. L'eau de la Mekerra est souvent trouble, un puits a été creusé, et un nouveau canal arrose les jardins en ceinture et donne une chute de 7 mètres qui sera utilisée pour l'établissement d'un moulin. Le village est relié par de bons sentiers aux villages voisins Ouled Sidi Brahim (Prudon) et Sidi-Khaled (Palissy) et se trouve sur la route de Sidi-Bel-Abbès à Tlemcen, les grains et les bestiaux circulent donc sans encombre. A l'entour sont de bonnes prairies et des terres fertiles pour les céréales. De belles carrières de pierres de taille sont à proximité et les travaux de voirie sont facilités par la présence de moellons à bâtir et de pierres à chaux. Sidi-Lahssen se présente comme un quadrilatère de 300 m de long sur 260 de large avec 5 rues orientées nord-sud coupées à angle droit par la route de Sidi-Bel-Abbès. Au centre la place, avec l'Église, la Mairie et l'école. Quelques mois après la délibération du 13 août 1853 de la Commission des Centres de Population, 60 familles originaires du Grand Duché de Bade et de la Bavière Rhénane arrivent le 10 mars 1854 à Sidi-Lahssen après un voyage épouvantable.

Ces familles reçoivent des lots de culture, des jardins arrosables et des lots à bâtir. Installées provisoirement sous une soixantaine de " tentes à 16 hommes ", elles sont dans le plus complet dénuement. L'armée leur fournit des grandes et petites couvertures qui les protègent un peu du froid des nuits de mars, des semences et des plants de pommes de terre et 80 pioches et houes ainsi que cinq paires de bœufs et cinq voitures pour défricher, dérocher et arracher les lentisques, les jujubiers et les palmiers nains. L'exiguïté des lots de culture dans une région où la pluviométrie n'excède pas 400 mm par an sera à l'origine de nombreux échecs et d'une recherche incessante de nouvelles terres à cultiver. Les concessions ne sont pas gratuites et à défaut de paiement la déchéance sera prononcée par l'Administration!

Les colons construisent des gourbis en attendant de pouvoir bâtir leur maison en dur, les murs ne peuvent être plus éloignés que de 4 m à 4,50 m et la couverture se compose de branchages qui seront plus tard remplacés par des tuiles. Longtemps les gourbis subsisteront et seront utilisés pour entreposer du matériel ou loger des volailles. Les concessionnaires doivent entretenir les canaux d'irrigation, nettoyer les cours d'eaux non navigables et y planter des arbres qui fixent les berges et protègent des crues dévastatrices. Deux moulins seront construits le moulin Avrial et le moulin Selliere du nom de leurs propriétaires le second sera racheté par M. Estève. Tous deux fonctionnent à l'aide d'une grande roue à aube et reçoivent l'eau de l'oued Mekerra. Le moulin Avrial, construit en plein centre est alimenté par un canal cimenté sur lequel ont été placées des petites vannes, branchées sur de petits canaux destinés à l'irrigation des jardins potagers : le moulin Sellière reçoit l'eau par un canal latéral, à même le sol, en amont à quelques centaines de mètres. A l'origine, le canal du moulin Avrial est surveillé par l'armée car l'eau est une source de conflits. Puis l'administration nomme un caïd qui sous son burnous rouge à la charge de ramener le calme au sein des autochtones, le premier fut un retraité militaire, le second s'appelait Ziane.

Un pont a été construit sur l'oued Mekerra : il est en pierre de taille avec ses deux piles, sa voûte, son parapet et ses deux rembardes métalliques, ouvragées tout le long, sur une cinquantaine de mètres. Une véritable oeuvre d'art pour l'époque il supporte l'axe routier dit "route d'Oran " et permet le libre accès des habitants du village et des colons ayant leurs biens et habitations sur la rive droite : au nord-Ouest, les familles Bury, Thibout, Erades, etc. Au sud-est, les familles, Stuckle, Champio...

Les Espagnols suivent les Allemands

A partir de 1859 arrivent des émigrants espagnols en provenance d'Alicante, Valence et Alméria. Ils s'emploient au début chez les colons français comme défricheurs, certains deviennent ouvriers agricoles ou jardiniers et accèdent à la propriété individuelle par leur travail opiniâtre et leur habitude de la culture par irrigation. De 1858 à1863, la sécurité s'affirme, la mise en valeur progresse malgré les méfaits de l'insurrection de 1861, les sécheresses, surtout celle de 1867-68, les sauterelles, le choléra, et les nombreux décès dus aux conditions de vie précaire, à une alimentation insuffisante et médiocre, et à un travail surhumain. En 1872, arrivent les Alsaciens et les Lorrains dont les provinces sont devenues allemandes. Des fermes étaient construites sur des concessions isolées, Edgar Scotti a relevé les noms suivants : Engle, Migne, Masson, Guis, Domergue, Verdier, Montet, Poussardin, Vtdal-Guenoun, Guenoun Elie, Thibout, Ségura, Chazal François. Nous avons parlé du premier puits creusé au centre du village, sept ans après il était complété par 11 autres puits dont 3 équipés d'une noria, et quelques années plus tard, chaque maison sera pourvue d'un puits. Une pépinière est cultivée par M. Verdier. On note en 1860 une minoterie, une briqueterie, ferronnerie, menuiserie, charronnage, cordeliers de crin végétal et de laine. En 1868 il y a 20 viticulteurs pour 12 hectares de vigne, soit 280 barriques bordelaises vendues au prix de 80 francs la bordelaise pour la consommation locale.

Détrie devient commune

Par décret du 25 mars 1874 le village est érigé en commune de plein exercice. Des accords permettent de racheter aux indigènes des terres de pacage qui seront mises en valeur par les colons trop à l'étroit dans leurs minuscules concessions étant donné les faibles rendements dus aux sols peu épais.
En 1877, le chemin de fer arrive à Sidi-Bel-Abbès et à la gare de Sidi-Lahssen prolonge une voie ferrée d'intérêt local reliant Sainte-Barbe du Tlélat à Sidi-Bel-Abbès, longue de 52 km et dont la concession est accordée à MM. Seignette et Harding. Cette ligne est ensuite rachetée par le réseau ouest Algérien qui l'exploite en régie jusqu'au 30 juin 1929 date à laquelle sa gestion est confiée à la Compagnie P.L.M., dont le réseau est repris à l'amiable par la C.E.A.E.
L'église de Sidi-Lahssen a été construite entre les années 1860 et 1865 c'est une cure confiée à un Aumônier militaire puis au Chanoine Schuller, puis par intérim, le Chanoine Julia de SidiBel-Abbès, puis les Abbés Bue, Fourcade, Hondet, Briand,Tendron et le dernier Déal. Depuis l'indépendance l'église a été transformée en mosquée. Par un décret du 17 mai 1906, Sidi Lahssen prend le nom de Détrie en hommage au Général Paul, Alexandre Déifie né le 16 août 1828 à Faverney (Haute-Saône) qui, après s'être illustré par sa conduite héroïque au Mexique, au Cerro Borrego, prend en 1869 le commandement du 2e régiment de zouaves à Oran. il s'illustre lors de la campagne contre Bon Amama et aura une attitude héroïque en 1870 dans la campagne de Froeschwiller où il est blessé. En 1884, il prend le commandement de la Province d'Oran où il conduit avec tact des opérations qui amènent la pacification du Sud Oranais. il meurt le 5 septembre 1899. De nombreuses rues porteront son nom, et à Paris dans le XXè arrondissement, la rue du Borrego rappelle le fait d'armes qui sauva le corps français au Mexique.
A Sidi-Lahssen devenu Détrie, les maires qui se sont succédés ont oeuvré pour le bien-être de la population: Denis Masson, on lui doit la mise en place de la nouvelle commune et son agrandissement ;Achille Avrial, parent du propriétaire et lbndateur du moulin ; Pierre Counillon : on lui doit l'agrandissement du centre de l'adduction des eaux ; M. Paul, administrateur-adjoint de la commune mixte de la Mekerra et M. Mauduech, 1er adjoint lui rendirent un vibrant hommage lors de ses obsèques mais font allusion à des haines jalouses dont il fut victime durant les quatre dernières années de sa vie pourtant toute consacrée au bien de ses concitoyens, la politique de clocher était dure à cette époque ! Après lui, M. Carnifie Maudrech a oeuvré dans le même sens et commencé la pose de réverbères pour l'éclairage du village. Augustin Aubert a reconstruit la nouvelle mairie au lieux et place de l'ancienne, a terminé la pose des réverbères ; Louis Luydlin a construit la Salle des Fêtes et carrelé la place de l'Église ;Auguste Bury avait de grands projets malheureusement contrecarrés par la guerre 39-45 ;Yvon Fine a présidé une délégation spéciale; Pascale Malet, le dernier Maire de 1947 à 1962. On lui doit la construction d'une école-annexe de filles.
Les Gardes des Eaux : M.Antoine Edric, pendant 1/4 de siècle ; M. Victor Convert, chargé de la propreté du Centre, lampiste des réverbères jusqu'en 1922-23, époque où le centre a été électrifié, entretien et marche de l'horloge de l'église jusqu'à son décès; M. François Martinez avec les mêmes charges.
Les gardes-champêtres ruraux : Nedjadi Djillali, jusqu'à sa retraite, Ahmed Bedjahed jusqu'en 1962. Municipaux: Knaff, Krumnacker, Henault, Bibia, Meyer, Garcia et le dernier, Martinez.

La famille Revol

Un document de 1935 nous donne l'histoire d'une famille, celle de la propriété Revol sise à Taffaman ; créé en 1878 par M. Jean-Matie Félix Revol né en 1832 à Buellas (Bourg-en-Bresse). venu en Algérie avec sa femme née Antoinette Cochard avec laquelle il s'était marié à Lyon en 1865. En 1866. ils s'installent à Sidi-Bel-Abbès où lui, horloger-bijoutier de son état, ouvre un magasin rue Catinat. La propriété est constituée avec des terres en friche dont il se rend acquéreur de 1878 à 1883. Ces terres ne seront mises en valeur que petit à petit : arrachage des palmiers nains et jujubiers qui la recouvrent en majeure partie. Cette ferme ne sera rationnellement exploitée qu'à partir de 1900. Il n'existait aucun bâtiment et l'approvisionnement en eau s'effectuait à l'Aïn-Tassa. Jean-Marit FéIix Revol est mort à Sidi-Bel-Abbès en 1916. Le fils de Jean-Marie Félix Revol, Antoine, né à Lyon en 1866 améliore les cultures et construit une ferme avec hangars, écuries, magasins cave, logement de commis et de maître. Il fait forer deux puits permettant l'irrigation de plus de cent hectares et installe par dénivellation une conduite d'eau alimentant toute la ferme. Il plante plus de 140 hectares de vigne, il meurt en 1946 à Sidi-bel-abbès. La troisième génération est représenté par ses filles : Mme Adolphe Desgarnier et Mme Lucien Roess. Toutes deux continuent les améliorations et la modernisation du matériel agricole. Elles procèdent au forage de plusieurs puits qui permettront l'irrigation de 40 hectares supplémentaires. Leurs fils, MM Germain Desgarnier et Michel Roess continuent l'œuvre des grands-parents.. - Là s'arrête notre document. M. Edmond Chebille nous a envoyé le bilan des réalisations de 1947 à 1962 faites dans la commune par la municipalité Pascal Mallet, Maire et son conseil . Hygiène: construction d'un tout-à-l'égout pour ruissellement des eaux usées, Service de nettoiement et ramassage d'ordures ménagères. Travaux de voirie : réfection des rues du village, empierrement et goudronnage, ainsi que les allées du cimetière. Construction de trottoirs avec bordures, plantation d'arbres. Écoles : construction d'une cinquième classe à l'école des garçons, rénovation de l'école maternelle, renouvellement du mobilier scolaire de six classes, construction d'une école en préfabriqué au douar de Tirénat avec mobilier, achat d'un terrain pour la construction d'une école de filles, construction d'une cantine scolaire avec mobilier et matériel. Culte : édification d'une salle de réunion au presbytère, construction d'une mosquée, remplacement de la vieille horloge. Santé : achat d'un immeuble pour le dispensaire et la salle de consultation avec logements. Eau : réfection totale de la conduite d'eau de Chanzy à Détrie et de la canalisation d'eau dans le village avec prolongement. Mekerra : redressement d'une partie de l'oued Mekerra pour éviter les crues et élargissement du pont. Construction du village (plan de Constantine) : Échange de terrain avec M. Sellière et la commune, construction de 200 logements, construction d'une ferme expérimentale agricole. Achats : des biens concédés aux écoles et au clergé. Loisirs : réalisation d'un stade scolaire, de jeux divers et salle de cinéma, d'un boulodrome et d'un stade de football par un échange de terrains entre M. Antoine Masson et la commune.
Edgar Scotti conclut son article par ces mots émouvants : " Pour beaucoup de ces hommes et de ces femmes, venus de très loin, l'Algérie et Sidi-LahssenDétrie c'était du travail, une maison et la volonté d'une vie bien remplie. Ils ont, après un très long chemin, apporté leur ardeur au travail, construit leur maison, planté des arbres, des vignobles et bien rempli une vie toute simple.
Cet article tente de faire revivre par la mémoire quelques-uns des obscurs artisans, autochtones, français, espagnols ou bavarois de la construction de ce paisible village dont les contemporains de la fin du XXè siècle, descendants ou non de ces pionniers, ne peuvent être que reconnaissants et solidaires".
Ce sera aussi notre conclusion en souhaitant que les anciens d'autres villages nous adressent eux aussi leurs souvenirs afin que nous puissions faire revivre pour le plaisir de tous leur coin natal.




Sidi-Lhassen- Detrie en 1900
Département d'Oran

Commune de plein exercice. Chef-lieu de la commune de ce nom. Dépend de la Justice de paix de Sidi-Bel-Abbes qui est à 6 km..
2 706 habitants dont 1 272 Européens et 1 434 Indigènes. Superficie : 9 985 ha en plaine
Bureau de poste et téléphone.
Gare de l'Ouest-Algérien, station de la ligne du Tlélat, Sidi- Bel-Abbes, Ras-et-Ma, diligence de Bel-Abbes allant à Tlemcen et Aïn-Témouchent et vice-versa.
Cours d'eau : La Mékerra
Céréales, vins, fruits estimés. Les vignes de Sidi-Lhassen produisent 8 000 hectolitres de vin rouge.
Ecole de garçons, de filles et maternelle
Le douar de Tirénat dépend de la commune sur le territoire duquel existent de nombreuses fermes appartenant à des agriculteurs de Sidi-Bel-Abbes.

MAIRE : COUNILLON Pierre-Michel
Adjoint : CHAPUIS Auguste
Secrétaire : MERLET Edouard

Interprète : BOUCHEBI Mohamed
Garde-Champêtre : CHEBILLE Jules
Receveur rés. A Sidi-Bel-Abbes : AUDUBERT
Médecin communal : Dr FABRIES
Curé : BUC Antonin
Instituteurs: HOULES, SALES
Institutrice : mlle LAMPRE
Postes, facteur receveur : MARIANI
Télégraphe gérante : mme MARIANI

PROFESSIONS

Boulangers : BONIFACE , THEROND Paul
Briqueteries-Tuileries : LEONIS Epifanio, LEONIS François, RODRIGUEZ José
Cafés : BONIFACE , BOUILLE Henri , ESTEVE Antoine
Charrons : BLOCHET , HEILER , HERLAN Pierre
Epiciers : BONIFACE Philippe, ESTEVE Antoine, LASRY,
SAYAG-KOUYA
Forgerons : BLOCHET, BOUILLE, HERLAN
Minotiers : AVRIAL Achille, ESTEVE François
Sacs : AVRIAL Achille, DAILLE , LANGENDORF



Vins en gros : COUNILLON Pierre
Agriculteurs Viticulteurs : BATTY Gustave
BENAOUDA
BONIFACE Philippe
BURY Jean
BURY Simon
CHAPUIS A.
COUNILLON Pierre
FERKA
FOREMBACHER Charles
MASSON Claude
MASSON Nicolas
MAUDUECH J.B.
NERON Louis
PIROT Jean
Vve REY P.
THIBOUT Joseph
Vve TERRIER Antoine
ZAZOU

Josette SCOTTI





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