Sétif - AGRICULTURE

Le testament de Dda Ali



– Ali Umouche, c’était un joyeux compère, et un bon vivant, notre gai luron du village, Dda Ali aimait s’amuser et les rigolades à la bonne franquette l’enchantaient. Chauffeur de taxi jusqu’à sa mort, il fut même chauffeur d’ambulance en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale.

On lui reconnaît deux passions la musique ; et la passion de manger, car, jouer des mâchoires, et mettre plein la panse, vider une bouteille de soda d’un trait, c’est faire honneur à un repas disait-il. Il était un mangeur invétéré et un boulimique sans égal, on racontait qu’un enfant s’est pris de vertiges et d’évanouissement, juste en le regardant engloutir avec voracité, et vider des deux mains une corbeille pleine de figues.

C’était aussi, un mordu de la musique, il appréciait spécialement, les instruments à vent, il ne ratait presque jamais une fête, un mariage, un baptême, pour étaler toute sa classe et se donner à cœur joie, avec son instrument préféré la cornemuse, qu’il chérissait comme un être humain.

Il arrivait que les gens du village créent spontanément un événement juste pour le voir jouer, et c’est tout le village qui est en fête, petits et grands, se rassemblaient dans une ambiance conviviale et qui se terminait tard dans la nuit.

Dda Ali avait hérité d’une parcelle de terre au lieu dit l’ghar ughilas (la tanière du tigre), il continua sur le même chemin de son père à l’entretenir avec amour.

C’était un pot de terre à mi-chemin entre Guenzet et Aourir, parsemé de figuiers et d’oliviers, est considéré comme le plus productif de toute la région.

Dda Ali, se sentait profondément attaché à sa terre, que sa famille travaillait depuis des générations, il prodiguait des soins particuliers à ces arbres, car dit-il, prenons le figuier par exemple, un arbre majestueux, un monument végétal, à lui seul, il est une véritable biocénose, qu’on appelle l’écosystème de la caprification du ficus, des procédures majestueusement réglementées par des normes naturelles. Celui qui tire ses origines de son ancêtre sauvage le caprifiguier (dukkar), tout comme l’olivier qui descend de l’oléastre (azedoudj), on lui connaît deux variétés, les pouponnières (caprificus) et les pépinières, ceux qui ont un rôle de fécondation et ceux qui produisent des fruits comestibles. Autrement dit, les premiers assurent la fonction mâle, alors que les seconds la fonction femelle.

Ce mode de fécondation suscite de l’admiration, voire de la dévolution, jugez-en : pour polliniser la figue, la caprification se fait à la faveur d’un insecte qui ouvre un trou au bas de la figue, et en absence de ce dernier, les cultivateurs suspendent sur les branches du figuier, des figues sauvages pour que le blastophage assure la fécondation du fruit. Mais dans les régions montagneuses, aux terrains maigres, poussiéreux et exposés à l’aquilon, la figue n’a pas besoin de caprification, car grâce à l’humidité qui dessèchent le fruit et favorisent la maturation et la chaleur qui fait perdre au fruit son suc laiteux et rendant son pédoncule cassant.

Dda Ali ajoute, le figuier est tellement enraciné dans le quotidien des paysans, qu’on le retrouve même dans le vocabulaire des montagnards, empruntés à un ensemble d’expressions qui résument la vie courante des villageois : – être généreux comme un figuier – fragile comme un figuier, en rapport à la fragilité de ses branches et sa générosité en fruits. La figue symbolise aussi la bienveillance et la fertilité en raison du grand nombre de ses grains par l’expression : être juteuse comme une figue,

Le figuier, est pareil au montagnard kabyle, sec et noueux, il se plait, autant sur les terrains arides et secs que sur des sols argileux.il peut atteindre entre 4 et 10 mètres de hauteur, et donne ses premiers fruits au bout de 4 ans, continue à produire jusqu’à 50 ans voire plus, avec un rendement de 30 à 80 kilogrammes de fruits.

Et à Dda Ali d’ajouter, dites-moi, y’a-t-il un arbre aussi tenace et prodigue que l’olivier ? L’arbre de la patience par excellence ; ne dit-on pas, le grand-père plante, le père taille et c’est le fils qui récolte les fruits.il est presque éternel, traverse les siècles par sa longévité, il est majestueux par sa taille.

Cet arbre est étroitement lié à la vie rurale des paysans, quel est ce kabyle, fier et orgueilleux de sa montagne, qui ne voudrait pas être enterré sous un olivier ? Il constitue la première espèce d’arbre fruitier planté principalement dans les collines et montagnes de Kabylie.il est aussi vénéré, respecté, l’arbre légendaire et mythique, car son fruit, l’olive, est source de nombreuses vertus.il est noueux et rugueux, mais c’est un arbre rassembleur, et qui réanime le réflexe de solidarité, à la cueillette des olives, et contre toute logique c’est en hivers qu’il porte ses fruits quand la froidure condamne à mort tous les autres arbres disait Mouloud Mammeri.

L’olivier et le figuier sont spécifiquement et typiquement kabyles, ils constituent la trilogie de l’arboriculture méditerranéenne au côté de la vigne. Ces deux arbres revêtent un caractère sacré pour des raisons multiples, nutritives et divines.

Dda Ali, sentant sa mort proche, exhorta ses enfants un jour de l’emmener à son champ, il se rendit, tantôt au pied d’un figuier, tantôt au pied d’un olivier, en les enlaçant, et en les embrassant, les larmes aux yeux, pour un dernier adieu.

Il disait à ses enfants : « À ma mort, ne venez pas vous recueillir sur ma tombe, allez plutôt aux champs et prenez soin des arbres ».

Il nous a quittés en laissant derrière lui des souvenirs que l’on se remémore le temps d’un soupir.

Dda Ali était l’époux de Zahra Laribi, la sœur de Taklit H’MIDA (1922-2008).



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