Sétif - Azouz Begag

Azouz Begag. De romancier à ministre : « La question de l’exil me hante »



Ecrivain, socioéconomiste, homme de cinéma, ministre, Azouz Begag cumule plusieurs fonctions sans les confondre mais en connaissant parfaitement leur portée. Avec un accent bien de chez nous qu’il pratique avec attachement et humour, il nous parle de ses nombreuses casquettes.


C’est Un Train pour chez moi qui vous amène chez vous. Quel est le message que vous voulez transmettre aux jeunes ?
Quand on lit un ouvrage littéraire, cela a une double portée, littéraire et poétique, mais aussi, sociologique. Les enfants qui lisent, ce n’est pas que pour le plaisir, c’est aussi pour la formation intellectuelle et psychologique. Ce livre, c’est ma manière de poser pour les jeunes la question de l’exil des racines, de la terre natale, donner un sens à l’enfance, à « mon pays »… Tout cela est un travail que je fais avec grand plaisir, devant les lycéens de Blida qui me posent des questions sur les mouhadjirine (les exilés), les enfants anglais et les Allemands qui sont aussi intéressés par la question de l’exil, de l’identité, des racines… Dans mon travail, littéraire autant que politique, le mot racine est très important. Ma venue, ce n’est pas seulement pour le livre littéraire, c’est aussi un ministre qui vient dire que la promotion de l’égalité, la promotion sociale, passent beaucoup par la promotion de la lecture, en particulier chez les familles pauvres. Il faut faire comprendre aux parents que la lecture pour les enfants, c’est très important. Les enfants qui ne lisent pas ont peu de chance de pouvoir suivre de longues études et de s’enrichir. A la différence, ceux qui grandissent dans des foyers où le livre est familier et qui ont un rapport naturel au livre, ont plus de chance de réussir leur vie.
Dans vos œuvres, vous évoquez beaucoup l’exil…
La question de l’exil me hante. Ce n’est pas rien de vivre dans une famille partie de son village, de chez elle, depuis longtemps et qui me fait naître dans un autre pays. C’est un peu comme pour les enfants nés sous X qui ne connaîtront jamais d’où ils viennent. Toute leur vie, ils vont être obsédés par l’identité de leurs parents. Le sang qui coule dans leurs veines va toujours frapper à la porte du cœur, les gènes qui demandent l’adresse. Quand mon père est mort il y a quatre ans, j’ai ressenti une violence et une douleur insoutenables. J’avais l’impression que mes gènes sentaient que ceux qui leur avaient donné naissance étaient morts. Les gènes ont une mémoire, ils sentent lorsque leur géniteur perd la vie. Je dis souvent aux enfants que la vie est bizarre : quand on sort du ventre de sa mère, le premier jour est un jour de plus et, en même temps, un jour de moins. C’est comme le gruyère (prononcé avec l’accent !), plus il y a de trous et moins il y a de gruyère ! C’est le paradoxe de la vie : accepter de vivre tout en allant vers un cimetière.
Connaissez-vous la littérature algérienne ? Quels sont les auteurs que vous avez lus ?
Un de mes premiers livres a été Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun. Je connais bien la littérature contemporaine algérienne. J’ai eu beaucoup de difficulté à faire connaissance avec l’œuvre de Kateb Yacine, parce qu’elle est très complexe. Mais je connais bien Mimouni, Boudjedra, Assia Djebar, Malika Mokaddem… Yasmina Khadra aussi que je trouve absolument incroyable, je viens justement de lire L’Attentat que j’ai beaucoup aimé. C’est une littérature foisonnante, vivante et qui démontre à quel point cette identité maghrébine et même méditerranéenne est très nourrissante pour la poésie, les rêves, l’humour. Je suis aussi très intéressé par la littérature marocaine. D’ailleurs, on devrait parler de littérature maghrébine, sans spécifier, comme c’est le cas aux Etats-Unis où on étudie nos œuvres en les classant dans la littérature maghrébine.
Que pensez-vous du film Indigènes de Rachid Bouchareb ?
C’est un film historique qui arrive très bien dans cette histoire de France qui est en train de promouvoir sa diversité et restaurer la participation des tirailleurs algériens, marocains, tunisiens, sénégalais et malgaches. Cela contribue à ressouder les mémoires autour de la participation de tous les francophones à la guerre de libération française. En plus, il a eu un impact politique très important, puisqu’il y a encore 80 000 soldats vivants (algériens, marocains…) qui ont vu leur solde tripler ou quadrupler grâce à ce film. Cela montre à quel point le cinéma a un impact politique sur une société, peut-être plus important que le ministre. Le réalisateur peut faire avancer l’histoire beaucoup plus vite. Dans une société, l’histoire de deux années que peut passer un ministre à son poste est moins importante qu’un film comme Indigènes qui restera durant des générations dans la mémoire collective. Je suis d’ailleurs fier d’être à la fois un homme de cinéma et un homme politique, je peux agir sur les deux leviers pour essayer de transformer la société et la faire avancer dans le bon chemin.
Comment arrivez-vous à concilier vos deux fonctions ?
Pour moi, l’écriture est vitale, c’est la vie, c’est la survie… Si je n’écris pas, je meurs. Pour moi, l’un des moyens pour ne pas avancer trop vite vers la mort, c’est d’écrire.
A la veille d’un grand rendez-vous électoral français, comment envisagez-vous la suite de votre carrière politique ?
Ma difficulté aujourd’hui est de ne pas être membre d’un appareil politique. Cependant, je suis un écrivain, un ministre de la société civile et un homme libre. Si je ne trouve pas un espace politique dans lequel je pourrais utiliser cette liberté d’expression, je continuerai, je ferai de la politique avec le cinéma, la littérature. Et mon action sera tout aussi importante.
Diversité, intégration, égalité des chances, ce sont des concepts que vous défendez au quotidien. Quel en est l’impact au quotidien ?
Cela avance de manière très importante ; il suffit de voir la télévision française d’aujourd’hui pour se rendre compte que, depuis deux ans, des « gueules » nouvelles, des couleurs y sont arrivées. Les journalistes de couleur sont tellement compétents et professionnels qu’on n’y fait plus attention. Cela n’existait pas avant, c’est la preuve que cette société avance très vite depuis deux ans.
Pensez-vous qu’il reste encore des chances pour que le traité d’amitié qui devait être signé entre l’Algérie et la France le soit dans un avenir proche ?
L’article 5 du 23 février 2005 n’a pas beaucoup aidé à une meilleure compréhension. Il y a des milliers de personnes en France, qui ont une mémoire algérienne en commun et qui attendent désespérément que ce traité d’amitié et d’exception puisse enfin voir le jour. Quels que soient les hommes politiques et les présidents de la France des prochaines années, on ne pourra pas ranger dans les archives ce traité que l’histoire attend. Nous sommes condamnés par le passé entre les deux pays et condamnés, pour l’avenir, à forger une mémoire en commun. Ce traité sera l’un des instruments de cette réconciliation, de cette reconsolidation de mémoire.Trois à quatre millions de personnes en France ont une mémoire algérienne en commun, sans compter tous ces soldats français qui ont la soixantaine aujourd’hui, qui ont combattu l’Algérie et attendent que quelque chose se produise. Je crois que cela va être difficile avant la prochaine élection présidentielle d’aboutir à ce traité d’amitié, mais nous allons nous atteler à le mettre en marche de manière irréversible dans les mois à venir.
Peut-on s’attendre bientôt à un livre sur votre expérience ministérielle ?
Oui, tout à fait. C’est un récit qui est fini et qui sortira prochainement. C’est tout ce que je peux dire. Mais, en parallèle, j’ai deux autres livres de littérature jeunesse qui sortiront en décembre et beaucoup de projets dans le cinéma.

Bio-express :

Azouz Begag est né à Villeurbanne (France) en 1957 de parents immigrés algériens originaires de la région de Sétif. Il a passé son enfance dans un bidonville, puis dans une cité populaire de Lyon. Son parcours l’a conduit de l’électricité à l’économie, en passant par un diplôme de technico-commercial. Chercheur au CNRS, il a travaillé à la Maison des sciences sociales et humaines de Lyon comme spécialiste en socioéconomie urbaine. Il s’est fait connaître en tant qu’écrivain en 1986 avec la publication du « Gone de Chaaba ». Depuis, il a publié une vingtaine de romans dont plusieurs livres pour les jeunes et et les enfants. Azouz Begag est, depuis deux ans, ministre français délégué à la Promotion de l’égalité des chances.


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