Le ministère de la Culture algérien a brillé par son absence cette année, lors des dernières JCC (23-31 octobre) contrairement à 2008. L’Algérie, récompensée par deux fois, n’a pas fêté comme il se doit cette distinction à l’instar des autres pays frères. Le producteur de Voyage à Alger, Bachir Derraïs, s’interroge sur le pourquoi de cette absence.
Abdelkrim Bahloul est un réalisateur, scénariste et acteur français et algérien né en 1950 à Rebahia, près de Saïda, en Algérie. Là où a été tourné le Voyage à Alger. Forcément puisque cela raconte sa vie et celle de sa mère qui n’a pas hésité une seconde à défendre bec et ongles son dû afin de récupérer son toit, après l’Indépendance. Ayant quitté l’Algérie en 1971, Abdelkrim Bahloul s’est installé en France où il s’est marié. Il suit des études au Conservatoire national d’art dramatique d’Alger (1968-1971), puis ensuite au Conservatoire national d’art dramatique de Paris. En 1973, il obtient une maîtrise en lettres modernes à l’université de Paris III. Il suit des études de cinéma à l’Idhec (1972-1975). Il est opérateur de prises de vues à Antenne 2 et à TF1, de 1976 à 1980, puis assistant-réalisateur à TF1 de 1980 à 1983.
Il a à son actif deux courts métrages, à savoir La Cellule (1975) et La Cible (1978) et plusieurs longs métrages, notamment Le Thé à la menthe (1984), Un Vampire au paradis (1991) primé au Festival du film d’humour de Chamrousse et au Festival international pour l’enfance et la jeunesse de Paris (Fifej), Les Soeurs Hamlet scénario (1998), Grand Prix de la Mostra de Valence du cinéma méditerranéen, et Grand Prix du Festival «Vues d’Afrique» à Montréal, La Nuit du destin (1999), Prix du meilleur réalisateur et du meilleur film au «All Africa Films Awards» de Johannesburg, Le Soleil assassiné (2004), Golden Zénith 2003 au Festival du film de Montréal, Prix du meilleur réalisateur 2003 au Festival international du Film de San Sebastian et enfin Le Voyage à Alger (2008), Bayard d’Or, meilleur scénario 2009 au Festival du cinéma de Namur, Prix d’interprétation féminine au Festival francophone d’Angoulême pour la comédienne principale Samia Meziane et enfin Prix du public et Tanit d’argent aux récentes Journées cinématographiques de Carthage. Il nous parle ici de ce film ainsi que de ses projets tout en brossant un triste tableau de la situation du cinéma en Algérie.
L’Expression: Comment vous est venue l’idée de réaliser un film autobiographique?
Abdelkrim Bahloul: C’est un hasard, il y avait une opportunité de faire un film en Algérie. Mon producteur, Bachir Derraïs, m’a dit qu’on pouvait avoir un peu d’argent pour faire un film en Algérie, et m’a demandé si j’avais un sujet tout prêt. Il m’a rappelé cette histoire d’une maman qui va avec son fils à Alger juste après l’Indépendance. J’ai donc écrit le scénario très rapidement. C’est comme ça que c’est devenu un film car les idées de film on en a des dizaines et des dizaines.
C’est tout de même une histoire autobiographique.
Ça mettait en scène Houari Boumediene. Et Bachir m’a dit qu’on a de l’argent pour parler des gens qui ont contribué à la naissance de l’Algérie, des hommes politiques, des militaires et des héros. Moi, j’avais cette histoire qui concernait un peu Houari Boumediene.
C’est comme cela que le film est devenu une réalité.
L’histoire semble être très importante dans votre cinématographie, le combat des idées aussi. Après Jean Sénac, figure emblématique dans la littérature, voilà que vous vous intéressez aux rapports entre l’Algérie et la France à travers l’histoire touchante de cette mère courage, la vôtre en l’occurrence. Qu’est-ce qui vous a motivé pour faire ce genre de sujet?
Je vous le dit franchement dans Le Voyage d’Alger il fallait parler d’un homme politique pour faire un film et comme, enfant j’avais rencontré Houari Boumediene et que c’était l’occasion d’évoquer cet homme, ce premier président de la République algérienne à travers un film, j’ai donc raconté l’histoire de ma mère, en passant par cet hommage ou cette évocation de Houari Boumediene. Sinon, les sujets que j’ai envie de faire en tant que cinéaste, il y en a plein.
Quels sont donc vos projets?
Un film sur Frantz Fanon. Cela fait bien huit ans que je travaille à essayer de faire un film sur Frantz Fanon, à trouver les moyens de financer un film dans ce sens. C’est donc ce genre de film que j’ai envie de faire.
Qu’est-ce qui cloche?
Je vais le faire. Ce qui empêche en général un réalisateur de faire un film c’est l’argent. Les réalisateurs doivent vivre pour écrire. Même si on est rapide, cela prend six mois. Et le temps de monter un scénario d’un film cela prend un an et demi au minimum, et pendant ce temps-là, il faut le vivre. Dans les grands pays où le cinéma est présent, cette phase de développement du scénario et du développement du projet est payée par le producteur ou par des aides de l’Etat. Cette aide pour faire un film, par exemple sur Frantz Fanon qui est un héros algérien, si je ne l’obtiens pas du gouvernement algérien, ce sera assez difficile de l’obtenir ailleurs. Là, j’ai obtenu depuis trois mois l’aide au développement du Centre national du cinéma français (CNC) pour faire le film sur Frantz Fanon. C’est un film que je ferai incha’Allah dans 2 ou 3 ans.
En attendant, je crois savoir que vous êtes sur un gros chantier ou projet cinématographique autour de l’adaptation de l’oeuvre de Mohamed Dib en prévision de l’événement «Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011»?
J’ai écrit un scénario sur la trilogie de Mohamed Dib et sur l’auteur lui-même. Je raconterai comment a été cet écrivain visionnaire qui a prévu l’explosion de 1945 et du 1er Novembre 1954 qui devaient conduire l’Algérie à l’indépendance. J’ai soumis ce projet qui a été accepté. Son titre provisoire est Dib. Il raconte en même temps la vie d’un auteur et la vie de son héros principal Omar. J’explique comment Mohamed Dib a eu affaire au vrai Omar qu’il a revu, de nombreuses fois en 4 ou 5 ans et qu’il l’a pris comme personnage principal en écrivant ses romans 4 ou 5 ans plus tard après la Guerre mondiale de 1945. Et d’avoir raconté la vie de Omar, ça lui vaudra l’exil hors de son propre pays en 1959. Incha’Allah, on commencera à tourner vers le 15 janvier au plus tard, à Tlemcen.
Qui va interpréter le rôle de Omar?
Cela va certainement être un acteur qui s’appelle Mehdi Dehbi, qui tenait le rôle principal dans Le Soleil assassiné et qui est un Belge d’origine tunisienne.
Il a été au Conservatoire royal de Bruxelles, au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris et a fait aussi le Conservatoire à Londres. Un immense comédien, qui est en train de monter très fort, une future vedette.
Et pour Frantz Fanon?
Je n’ai pas d’acteur car je suis encore en train décrire le scénario.
Je voulais faire une espèce de biographie et maintenant je raconte autre chose. Je raconte la relation entre un Algérien malade et Frantz Fanon qui essaie de le guérir. Cela se passera en Tunisie. Et cela s’intitulera «Frère Fanon» car pendant la Guerre d’Algérie, on s’appelait tous comme ça: «Frère». Comme tout le monde le sait, Fanon est d’origine antillaise, c’était un Noir, il était catholique, francophone mais c’était un Algérien parmi nous. D’ailleurs, il a été enterré en Algérie avant même l’Indépendance, en pleine guerre. L’ALN a rapatrié sa dépouille en Algérie pour l’enterrer en territoire algérien.
Dans votre film Le Voyage à Alger, vous évoquez le pardon envers ceux qui ont fait du mal...
C’est une histoire qui se passe entre 1962 et 1963, donc je ne parle pas forcément de ce qui s’est passé entre 1990 et 2000. Il y a crime et crime. A chacun de voir. Mais à un moment donné, de toute façon, il ne faut pas faire payer aux générations futures le prix de la guerre entre les générations actuelles. C’est cela que raconte le film. Cela ne veut pas dire qu’il faut pardonner aux assassins. Mais en tout cas, il faut que cela passe par la justice. Il ne peut pas y avoir une justice expéditive.
Que pensez-vous des accords de coproduction entre l’Algérie et la France? Votre film Le Voyage d’Alger en a-t-il bénéficié et comptez-vous en bénéficier dans le cadre de vos futurs projets?
Il faut que cela devienne affectif et efficient. Il faut qu’il y ait des coproductions avec la France ou d’autres pays comme le Maroc, le Mali, la Tunisie ou les USA. Les accords de coproduction, il faut les faire avec tous les pays du monde. Au Québec où il y a des dizaines de milliers d’Algériens qui vivent là-bas, si on a envie de tourner au Canada, il peut y avoir un cinéaste inspiré qui va écrire un scénario sur un Algérien qui va au Québec. Il faut que les accords de coproduction soient signés un peu partout. En tout cas, par rapport à la France qui est notre principal partenaire, il y a quand même six millions d’Algériens vivant en France avec ou sans la nationalité française, nous sommes un des plus grands pays francophones après la France, c’est heureux que ces accords de coproduction soient signés. On va essayer d’en profiter au maximum pour que les films tournés en Algérie puissent bénéficier de la distribution en France et que des films français puissent être tournés en Algérie et pas au Maroc ou en Tunisie. Pour mon film Le Soleil assassiné, avec ma production française, ont a été quasiment obligés de tourner en Tunisie alors qu’on aurait très bien pu le faire en Algérie si les accords avaient déjà été signés.
Que pensez-vous aussi de cet article de loi stipulant que l’aide est accordée à un cinéaste qui aborde l’histoire de son pays ou un héros national dans un film?
Je n’ai pas lu les textes, j’en ai vaguement entendu parler. De toute façon, le cinéma ne peut être décrété de façon gouvernementale. On ne peut pas dire: «Tiens, faites ce genre de film!», mais c’est une bonne chose qu’il y ait de l’argent pour les cinéastes algériens et pour le cinéma algérien en général parce que nous sommes dans une situation, excusez-moi le terme, bâtarde. Notre cinéma n’est ni national ni privé. Si c’est un producteur privé il n’y a pas de salles, le film ne peut pas être rentabilisé. Pour les coproductions, même s’il y a des accords qui commencent à être signés, ça reste encore compliqué. Il y a des lois entre les pays, le problème de frontières, de douanes, etc. Tout ça n’est pas simple. Et si c’est étatique, un producteur ne peut pas gérer seul un budget de film ou alors il fera un petit film qui n’aura aucune carrière internationale et comme en Algérie il n y a pas de salles, il aura juste perdu son argent. Du coup, on est dans le désert cinématographique. Il faut que l’Etat donne une somme assez conséquente. Pour Le Soleil assassiné, malgré tout le talent de Bachir qui a essayé de nous aider, on avait eu quelque chose comme 50.000 euros. Je veux dire que c’est une misère par rapport au budget total. Sur Le Voyage à Alger, on a eu 200.000 euros et avec une somme pareille, on ne peut pas faire un film. Effectivement, le film se retrouve avec des dettes où, moi, en tant que réalisateur, je suis obligé de comprimer des scènes. Si l’Etat veut qu’il y ait un cinéma algérien fort, il faut qu’il multiplie par dix les subventions qu’il donne à chaque film algérien qui a été crédité par le Fdatic, ou par une commission quelconque parce que les sommes qui sont données maintenant sont ridicules. Il faut le dire, la télé aussi doit donner plus d’argent et surtout elle doit programmer nos films et les acheter au producteur et les passer à une heure de bonne écoute et payer le producteur pour que ce dernier puisse réinvestir cet argent dans d’autres films. Il faut une espèce de dynamique et cette dynamique doit être politique à la base. Parce qu’économiquement, faire des films en Algérie ce n’est viable pour personne. Il faut des producteurs et des réalisateurs héros pour faire du cinéma.
Posté Le : 08/11/2010
Posté par : frankfurter
Ecrit par : O. HIND
Source : www.liberte-algerie.com