Relizane

Une vie en quête de vérité



C'était à l'époque, un homme avoisinant les 80 ans, que j'ai eu l'honneur d'approcher et de côtoyer, à plusieurs reprises entre 1995 et 1997. Me Ali Yahia Abdennour effectuait des déplacements récurrents dans la wilaya d'Oran et celle de Relizane. L'occasion de ses visites tournaient autour des événements qu'avaient connus la wilaya de Relizane et d'autres encore avoisinantes, dans le cadre de la lutte antiterroriste. À chaque visite, c'était le branle-bas de combat à Oran, chez les services de sécurité. Pour nous autres journalistes, c'était un stress indescriptible et une rage sans commune mesure. À notre grand étonnement, Me Abdennour apparaissait imperturbable et stoïque. En tout cas, l'habitude de pareilles situations s'était tellement installée durablement dans son quotidien, qu'il avait fini par s'en accommoder. Nous embarquions à bord de véhicules appartenant à des amis et des collègues, pour rejoindre Relizane. Une destination choyée par les médias et les défenseurs des droits de l'homme, à l'époque, suite aux graves révélations de l'affaire dite Hadj Fergane. Un dossier qui avait fait sensation et, fait également le bonheur des chancelleries étrangères et autres opposants de pacotille. Le repère était le domicile de Hadj Smaïn, le président du comité local des disparus, à Relizane. Ces visites constituaient, en fait, l'occasion pour ce militant chevronné de s'enquérir de visu de la situation des droits de l'homme sur le terrain. Il n'étaient pas de ceux qui colportaient de fausses informations ou se contentaient de relayer des parties quelconques. Ses enquêtes, ses concertations et ses entretiens avec les familles des disparus de certaines wilayas de la région Ouest, y compris Oran et Relizane, lui avaient permis de prendre la température au sujet des accusations d'exactions. Pour feu Abdennour, ses déplacements sur le terrain étaient très importants et précieux, histoire de se faire une idée de la situation globale et d'être aux prises avec le réel. C'était, avant tout, un homme de terrain et de conviction. Infatigable et scrupuleux, il veillait à prendre tout son temps durant ses concertations avec les sujets et les familles, qu'il tenait à auditionner personnellement. Pour Abdennour, le travail doit être rigoureux et minutieux pour pouvoir aboutir à une finalité sans failles. «Rien n'interdira l'apparition de la vérité», disait-il. Nous assistions à des préliminaires, pour ensuite libérer les lieux, afin de permettre les auditions des familles des disparus ou victimes d'exactions. Des auditions placées sous le sceau du secret. C'était en 1996 et 1997. Nous étions jeunes et motivés, mais pas autant que ce vieil homme qui nous épatait, de plus en plus par cette sorte de sagesse et de maîtrise de son sujet. C'était un Algérien comme nous, mais d'une autre culture et d'une autre ère. Un militant hors-pair, avec des idées différentes et nouvelles, qui n'avait pas peur de crier sur les toits et ouvertement ses idées. Ce qui nous donnait, nous aussi, la force de continuer. C'était comme s'il nous alimentait par son énergie et sa force. Il avait soif de contact, de débat et de dialogue avec ses semblables. Malgré son âge, il pouvait se laisser aller dans des débats et des discussions très animées, à des heures tardives de la nuit. C'était une véritable encyclopédie de connaissances, mais aussi de témoignages vivants sur les clivages de la Révolution nationale. Il avait sa propre vision de la crise politique algérienne à l'époque. Me Ali Yahia Abdennour renvoyait dos à dos et sans état d'âme le pouvoir, la classe politique et la presse nationale, quant aux manquements constatés dans la gestion des droits de l'homme en Algérie, à cette époque. Il rétorquait avec philosophie à ses détracteurs qui l'accusaient de défendre l'ex-FIS, ceux-là mêmes qui sont revenus aujourd'hui à des sentiments meilleurs, la conjoncture et les intérêts ayant changé. Il disait en substance: «Je ne défends pas le projet politique ou idéologique, je défends juste l'homme.» Au début des années 2000, suite à la décision de l'ex-président Bouteflika de permettre aux ONG d'enquêter au sujet des droits de l'homme en Algérie, Amnesty International avait séjourné dans plusieurs régions du pays, dont la wilaya de Relizane. Des procès ont également suivi ces démarches, ce qui a permis à l'Algérie de passer à une nouvelle étape de son histoire.


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