PHOTO © Lazhar Mansouri
Lazhar Mansouri est né au début des années trente à Ain Beïda, dans les Aurès. Petit garçon, il accompagnait sa grand-mère au marché où il découvrit un jour une visionneuse stéréoscopique, dont un conteur commentait les images colorées des Mille et une nuits. Fasciné, il ne se lassait pas de contempler le spectacle, semaine après semaine. Il y eut ensuite la première séance de cinéma. Puis, un jour, la rencontre avec Si Madjid, photographe forain venu à Constantine et opérant en plein air, qui finit toutefois par ouvrir un studio dans l’arrière-boutique du salon de coiffure. Madjid engagea l’adolescent Lazhar Mansouri et lui apprit les rudiments jusqu’à ce qu’une dispute les sépare. L’épicier finit par concéder à Lazhar un espace où il installa son propre studio et commença ses prises de vue : des portraits évidemment. Avant sa mort accidentelle, Lazhar Mansouri a beaucoup parlé au photographe kabyle Mohand Abouda qui a transcrit ses récits qu’il faut lire :
“ les femmes sont souvent accompagnées par un parent, un ami, un père ou un frère, qui marche devant elles selon la coutume. Elles suivent ce parent, voilées, pour ne pas être reconnues dans la rue. Quand elles arrivent au studio, elles se soumettent aux usages que j’ai instaurés ; n’entre dans la pièce de prise de vue que la personne à photographier. D’abord parce que, chez moi, c’est petit, mais aussi parce que la présence d’autrui déconcentre le sujet et fait perdre du temps inutilement. La personne à photographier dispose d’un endroit pour s’arranger toute seule, un petit miroir à main en plus de celui qui est fixé au mur, des brosses à cheveux, des peignes. En général, les femmes viennent déjà maquillées, bien vêtues et avec leurs bijoux. La prise de vue impose quelque distance, une distance protocolaire obligée qui est chez nous une marque de respect envers la femme.
Et puis les clientes sont très différentes. Alors, au premier abord, impossible de distinguer celles qui sont déjà entrées dans un studio et connaissent la procédure, de celles qui n’ont jamais encore vu un appareil et ont besoin de conseils. L’approche est assez délicate pour éviter la gêne, surtout que, pour certaines, c’est la première fois qu’elles apparaissent non voilées devant un homme étranger à leur famille. Quelquefois je suis obligé d’intervenir si des cheveux tombent sur les yeux ou si un bijou n’est pas en place. Alors, j’essaye de modifier, d’arranger, avec toutes les précautions de langage et de discrétion. Le problème des lèvres est particulier en studio, les jeunes femmes se maquillent avec un rouge qui souvent se craquèle et devient sec rapidement. Alors, je leur dis, sans équivoque, de mouiller leurs lèvres avec la langue pour leur donner un beau brillant. Quelquefois, certaines viennent avec leur fiancé, leur promis, pour qu’une photographie puisse témoigner quand s’annonce un exil ou l’absence du service militaire. ”
Lazhar Mansouri
Mohand Abouda a découvert l’oeuvre de Lazhar Mansouri au moment où son fils avait mis en vrac les négatifs dans un sac et se préparait à les brûler. Sans son intervention, tout serait perdu comme il arrive le plus souvent à ces archives campagnardes, de même que la description du studio. "Pour le séparer de l’épicerie, nous avons utilisé les sacs de sel, des sacs pesant chacun un bon quintal. Un mur de sel pour établir une intimité. Les premiers éclairages étaient des lampes ordinaires de 500 watts fixées à l’intérieur de boîtes de lait Guigoz en aluminium suspendues aux chevrons. Le fond, une toile. Après quelques essais avec du noir et du gris, ajouts de bouquets de fleurs artificielles, d’accessoires. Pour les photographies d’identité, rien d’autre que le mur brut."
Posté Le : 23/02/2015
Posté par : dzphoto
Ecrit par : Charles-Henri Favrod, historien de la photographie.