C'est fait. Le mardi 19 novembre, les Etats-Unis ont fait tirer leurs missiles de longue portée ATACMS, par les Ukrainiens, sur le territoire russe lui-même. Ils les ont eux-mêmes dirigés, guidés vers leurs cibles. Jamais le monde n'a été aussi près du désastre.
Et pourtant, malgré les risques incroyables qu'ils ont pris, les Américains et leurs alliés occidentaux continuent de minimiser l'existence de ces risques, voire à les nier, auprès de leur opinion publique. Une question s'impose alors : pourquoi le font-ils ?
Leurs arguments sont connus, répétés à satiété, depuis le début de la guerre en Ukraine :
«Toutes les mises en garde de la Russie ne sont que du «bluff». «Preuve en est, toutes les lignes rouges fixées par la Russie, concernant l'intervention occidentale en Ukraine, ont été franchies, l'une après l'autre, sans encombre par les Etats-Unis et ses alliés occidentaux et sans la réaction promise par la Russie» Le maître mot de cette argumentation est «le chantage» qu'exercerait la Russie pour empêcher l'aide occidentale au gouvernement ukrainien. La démonstration sous-jacente est «qu'il ne peut y avoir de guerre nucléaire entre puissances nucléaires en vertu de la règle de la dissuasion nucléaire».
Le déni
Pourquoi ce déni alors que les risques sont évidents. Même à l'époque, en 1960, de l'épisode des missiles soviétiques installés sur le sol cubain, ils n'ont pas été aussi grands. Il s'agit ici, d'une situation, par bien des côtés plus tendue : l'encerclement de la Russie par l'OTAN, l'utilisation directe des énormes moyens militaires ainsi que des immenses ressources financières des Etats-Unis et de l'Union européenne contre la Russie, une confrontation qui devient de plus en plus directe entre puissances nucléaires, par Ukraine interposée. Les Etats-Unis et les puissances nucléaires occidentales ont même fait savoir, à de nombreuses reprises, qu'elles étaient prêtes à faire tirer leurs missiles de longue portée sur le territoire russe, en profondeur. Y a-t-il eu un tel précédent ?
Le monde entier est conscient des risques d'une déflagration nucléaire, sauf l'Occident.
Comment expliquer ce déni ? On peut proposer deux explications.
La première est que la direction actuelle du monde occidental ne veut pas alerter l'opinion publique, ce qu'elle sait très bien faire lorsque c'est nécessaire. Ils ont donc peur de leurs peuples, et notamment des forces de paix en son sein. Celles-ci ne se sont pas encore vraiment exprimées, mais restent potentiellement puissantes.
En mille jours de conflit en Ukraine, on n'a pas assisté une fois, une seule, à une déclaration des principaux dirigeants occidentaux, ou à une analyse de leurs grands moyens médiatiques, reconnaissant la gravité de ce risque de guerre nucléaire. C'est dire le contrôle total exercé sur l'information à ce sujet, ce qui indique qu'il a une importance cruciale. L'enjeu est certainement d'empêcher que l'opinion occidentale puisse en prendre conscience et donc s'en émouvoir.
Il faut en effet savoir que le contrôle de l'opinion par les dirigeants de l'Occident est très fragile. Il s'exerce notamment à travers le système médiatique. Il est vertical : au sommet une oligarchie extrêmement concentrée et qui diffuse son influence à travers le système médiatico-politique qu'elle entretient. L'organisation du contrôle de l'opinion est simple et nul besoin de théories complotistes pour le comprendre. Quelques milliardaires possèdent les médias aussi bien aux Etats-Unis que dans les pays occidentaux. Il suffit qu'ils soient en relation permanente, ce qui se fait quasi naturellement puisque le milieu oligarchique est par définition très restreint. C'est cette concentration extrême du pouvoir dans le monde occidental qui explique son caractère monolithique derrière la maison mère américaine, mais qui fait aussi son extrême fragilité.
La dissuasion nucléaire et ses limites
La deuxième explication, plus fondamentale, est que ce déni est sincère, c'est-à-dire que la direction politique, militaire, financière, économique de l'Occident croit réellement à la dissuasion nucléaire, et à ses vertus, c'est-à-dire qu'elle est persuadée que la guerre entre puissances nucléaires est impossible puisqu'elle signifierait l'anéantissement réciproque.
Mais voilà, un tel raisonnement a ses limites et aboutit à une absurdité logique. En effet, aux attaques de missiles de longue portée occidentaux conventionnels contre le territoire russe, la Russie pourrait répondre à des attaques de même type sur le territoire des pays occidentaux autorisant ces attaques. Les choses seraient donc inversées et ce serait, alors, les Etats-Unis, qui menaceraient d'une riposte. La menace serait-elle du bluff ? Les Etats-Unis et leurs alliés reculeront-ils pour ne pas être comptables, devant l'humanité et l'éternité, d'avoir pris l'initiative d'une guerre nucléaire ? Ce serait alors eux qui seraient dans la position actuelle de la Russie que l'Occident met dans le dilemme, soit de subir les tirs de ses missiles, soit de risquer une escalade mortelle pour le monde par sa riposte.
Voilà l'engrenage. Voilà un scenario probable. Voilà comment on entre dans une guerre nucléaire, y compris sans la souhaiter.
Les peuples occidentaux devraient être stupéfaits de voir le niveau réel de la réflexion et de culture où se situent des dirigeants occidentaux actuels.
Disons les choses différemment : comme je le signalais dans un article précédent (1), «il y a dans certains milieux dirigeants (occidentaux), une idée, une vision qui ne repose sur aucun fondement objectif, sur aucune certitude empirique, une idée en fait arbitraire, celle que la dissuasion nucléaire impose la guerre conventionnelle puisqu'elle empêche tout recours à l'arme nucléaire, car ce recours signifierait l'anéantissement réciproque.
Ainsi donc, si on suit un tel raisonnement, les armes nucléaires ne peuvent être utilisées. Or, c'est exactement l'inverse : c'est dans la mesure où les armes nucléaires peuvent être utilisées qu'elles sont dissuasives. On imagine la gravité du contresens.
L'autre argument, celui des «lignes rouges» qui auraient été sans cesse franchies sans problème, relève de la même indigence intellectuelle de beaucoup de ceux qui ont le sort du monde entre leurs mains. En effet, comment savoir qu'une ligne vraiment rouge a été franchie, si ce n'est une fois qu'elle s'est avérée être le Rubicon, et qu'il est alors désormais trop tard.
La démence
Sur les chaînes mainstream on exulte à la nouvelle que les Etats-Unis permettent à l'Ukraine d'utiliser ses missiles à longue portée pour frapper le territoire russe.
Sur la chaîne LCI par exemple, le l8 novembre, avant même les frappes du lendemain sur le territoire russe, la préposée à l'information annonce, souriante, sur la carte de la Russie, les «235 cibles» militaires et autres désormais à portée de main des tirs ukraino-américains. Le plateau, applaudit, quasiment. Hallucinant.
Il faut ajouter, à cette démence, l'orgie de sang à laquelle se livre les forces occidentales en Palestine, à travers les représentants, cette fois-ci encore, de l'Occident, les Etats-Unis et Israël pour comprendre à quel point l'atmosphère sur la planète est désenchantée et même pesante, morbide. Un jeune militaire américain, Aaron, s'était immolé par le feu, il n'y a pas si longtemps, pour secouer la conscience américaine, mais rien n'y a fait. Israël continue de penser qu'elle est le peuple élu et que Netanyahu est le Messie. Et Joe Biden décide de faire tirer ses missiles sur le territoire russe. Quelle fin de parcours pour lui, aussi bien politique que personnelle !
Ils l'ont fait !
Ils l'ont fait ! Le mardi 19 novembre, on apprend que les Etats-Unis ont permis, pour la première fois à l'armée ukrainienne de faire usage de leurs missiles de longue portée ATACMS sur le territoire russe. Les Etats-Unis ont donc décidé de jouer au poker le sort de l'Humanité.
Pour justifier cette aventure, ils évoquent, sans grande conviction d'ailleurs, la présence de troupes coréennes du nord sur le sol russe. En dehors du fait que la Russie est libre d'accueillir sur son territoire des forces de pays amis, comme le font d'ailleurs la plupart des pays occidentaux sur leur sol, il n'y a aucun document, aucune preuve concrète de présence militaire nord-coréenne. Il ne s'est agi que d'affirmations des dirigeants ukrainiens et sud-coréens, à l'allégeance évidente, et d'une ou deux vidéos sans localisation, vagues et bizarres qu'ils ont passées en boucle sur tout le système de propagande occidental. Il s'agissait d'évidence de trouver un prétexte à une nouvelle escalade, comme les Etats-Unis ont accoutumé le monde à le faire dans toutes leurs guerres.
Cette nouvelle escalade, chacun le sent, est un tournant dans la gravité du conflit entre grandes puissances. Une décision aussi grave que celle prise par les Etats-Unis, a été prise par un vieillard dont on est pratiquement sûr qu'il n'a pas toute sa lucidité, et qui, de surcroît, n'a plus aucune légitimité démocratique puisqu'il a été désavoué massivement par le peuple américain à l'élection présidentielle. Cela jette une lumière crue sur les forces qui Å“uvrent de façon opaque, à l'ombre des instruments du pouvoir, aux Etats-Unis et en Occident, à la poursuite des guerres. Le monde n'a jamais été autant en danger. Jamais le risque d'une conflagration mondiale n'a été aussi grand. Que faire ?
1- https://www.lequotidien-oran.com/?archive_date=2023-01-15&news=5318078
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Posté Le : 21/11/2024
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Djamel Labidi
Source : www.lequotidien-oran.com