Oran - 07- Occupation Française



En 1841, alors que la guerre en Afrique n'était pas encore achevée, Bugeaud avait dit: «La conquête serait stérile sans la colonisation»., Lamoricière, commandant la division d'Oran, va donner l'essor à la colonisation dans celle d'Oran. A Paris, la Révolution éclatait. Révolution politique du 24 février 1848 qui allait mettre fin au règne de Louis-Philippe et amener l'établissement de la 2ème République; l'Assemblée, devant le coût des ateliers nationaux les fer- mera. Alors, les ouvriers, laissés brusquement sans ressources, se révoltèrent. Ce furent les terribles journées de juin 1848. Le combat dura 4 jours dans les rues de Paris. 12.000 ouvriers furent tués dans la bataille ou fusillés. D'autres furent déportés en Guyane ou à Lambèse, en Algérie, dont ils remplirent les bagnes. Les autres, qui n'avaient subi aucune sanction, allaient être alléchés par une réclame tapageuse faite en faveur de la colonisation algérienne.

Colonisation algérienne

En l848, le gouvernement, embarrassé des ouvriers de Paris, qui se trouvaient sans travail, projeta d'en établir 12.000 en septembre en Algérie et 1.500 en novembre. C'est alors que l'Assemblée vota un crédit de 50 millions sur les exercices 1848, 1849, 1850, 1851 et suivants, pour être appliqué à l'établissement des colonies agricoles en Algérie. Sur les 42 colonies à créer, il y en aura 21 dans la province d'Oran. Ces colonies devaient être installées dans un grand triangle ayant sa base le long du rivage entre Oran et Mostaganem et son sommet à Mascara. Les demandes de concession affluèrent en masse, chaque colon devant recevoir de l'Etat, à titre gratuit, une étendue de 2 à 10 hectares selon le nombre des membres de sa famille, sa profession et la qualité de la terre, concession qui devait être mise en rapport dans un délai de 3 ans sous peine de déchéance.
Il recevait des subventions nécessaires à son établissement pendant ces trois ans, les semences, les instruments de culture, cheptel en bestiaux et rations de vivres déterminées par le gouvernement général. L'Etat reçut plus de 100.000 demandes. Sur les 10.500 Parisiens qui passèrent la mer, 823 furent désignés par la commission des colonies pour la colonie de Saint-Leu.
Installés sur de grands chalands de 30 m. de longueur sur 6 m. de large traînés par des chevaux de halage, les colons avaient quitté Paris en convois, au milieu de la foule, reçu la bénédiction des prêtres et après les discours officiels et la remise des drapeaux de chaque colonie, ils étaient partis en chantant la Marseillaise et le Chant du Départ des colons. ..
Les émigrants se dirigeaient alors vers Marseille en suivant la Seine, le canal de Bourgogne et le Rhône et atteignaient enfin le grand port d'où les navires de l'Etat les transportaient en Algérie à titre d'indigents. Les Parisiens, chargés de créer Saint-Leu, partis de Paris le 15 octobre, et de Marseille par le deuxième convoi, le 29 octobre 1848, débarquèrent à Arzew le 2 novembre au matin au nombre de 823. Immédiatement répartis par le tirage au sort dès le 4 novembre (ils étaient pendant ce temps en subsistance à Arzew), les premiers, au nombre de 303, se dirigèrent vers Négrier qui deviendra Kléber par la suite; 203 sur le Vieil Arzew et le Ravin vert qui deviendront Saint-Leu et Damesne; 317 formeront la population agricole d'Arzew-Ie-Port et de MoulayMaghoun. Ces 823 émigrants formeront alors la colonie de Saint- Leu, comptant 171 chefs de famille et 73 célibataires, en tout 244 colons dont 23 seulement étaient de vérita- bles cultivateurs. Les colons étaient, pour la plupart, des ouvriers d'art, de petits bourgeois idéalistes, impropres à la vie des champs, recrutés en grande partie dans les rangs de ce qu'on appelle aujourd'hui en France des socialistes et des communistes.
C'étaient, nous dit le lieutenant Robert d'Eshougues, premier sous- directeur militaire de la colonie de Saint-Leu dans l'un de ses rapports, des clubistes enragés, faciles à irriter, toujours occupés de politique et dont l'esprit était constamment tourné vers les événements de la métropole.
Faciles à irriter... On le serait à moins. Nos colons arrivaient avant que les maisons ne fussent achevées: ils logèrent alors sous la tente ou dans de grandes baraques en bois, construites par le Génie et dont le directeur militaire eut à surveiller la tenue. A Saint- Leu, les citernes romaines du plateau de Béthioua fournirent des abris pro- visoires. Dans l'une d'elle fut même installée la première chapelle, dont la croix, taillée dans une pierre romaine, est précieusement conservée dans le musée de 1' école. Au 31 mai de cette année, il n'y aura plus ni baraques, ni tentes, tout le monde sera logé dans les maisons. Etaient-ils de purs Parisiens tous ces gens que l'Assemblée Nationale envoyait pour coloniser cette vieille terre d'Afrique qui avait connu 18 siècles plus tôt les bienfaits de la civilisation romaine? Après un stage plus ou moins long dans la capitale, pôle d'attraction de la France, dont les usines et les manufac- tures créées depuis le début du siècle, avaient concentré l'industrie aux dépens des campagnes, c'est de toutes les provinces qu'ils apportaient avec la gaieté, les talents, l'industrie des vrais Parisiens de Paris, les accents de tous les terroirs, les airs de toutes les provinces, les coutumes, les traditions de toute la France; Parisiens, Normands, Alsaciens, Bretons, Bourguignons, Flamands, Gascons, Auvergnats, Provençaux, ils n'étaient plus désignés ici que sous ce seul vocable: «Les Parisiens de la colonie de Saint-Leu».

Le pays

Sur quelles terres s'installaient-ils? Par ordonnances royales des 5 juin et 1er septembre 1847, le service des Domaines avait remis au maréchal de camp Cavaignac, commandant par intérim la province d'Oran, les terrains domaniaux situés dans le village de Béthioua et ayant appartenu antérieurement à des propriétaires morts sans héritiers ou émigrés au Maroc au cours de la conquête et dont les biens avaient été séquestrés. Le général Cavaignac en avait pris possession le 14 février 1848, sous la réserve que les baux en cours seraient maintenus jusqu'à leur expiration.

C'est donc sur des terrains libres que s'installaient ces colons libres sur un territoire agricole de 351 hectares

à proximité de la tribu berbère des Béthioua, originaire du Rif, dont les membres obtiendront eux-mêmes, dans les années proches qui vont suivre, c'est-à-dire à partir de 1853, des concessions de 2 à 10 ha aux mêmes conditions que les Européens.
Avant l'arrivée des Parisiens de 48, deux tribus se partageaient le territoire de la commune de Saint-Leu.
Les Hamyans, tribu de 1.320 individus, occupaient 12.116 has dont 1.950 seulement étaient en culture. Les Béthioua, avec 473 habitants, occupaient 3.709 ha dont ils n'en cultivaient que 600.
Sur près de 16.000 has occupés par les indigènes, 2.500 seulement étaient cultivés, moins de 1/6 de l'étendue totale, donc le reste était terrain de parcours pour les troupeaux. En 1848, 351 ha vont être distraits de cette éten- due pour les nouveaux colons. Trois ans plus tard, en 1851, les 5 centres de la colonie de Saint-Leu en occuperont 546.

Les débuts


Les premières années furent désastreuses, quoique Saint-Leu soit, selon un rapport du capitaine Yerlès, directeur de la colonie de 1848 à 1850, le centre le plus favorisé sous le rapport du voisinage de la mer et de la nature du sol, riche en terre végétale (forte à Damesme, légère à Saint-Leu) en eau et en ruines romaines, qui offraient, au grand regret des archéologues actuels, des ressources en matériaux pour les constructions. Logés dans des maisons uniformes de 1 à 2 pièces du type dit «de colonie» au sol de terre battue produisant constamment de la poussière ou de la boue; rongés par les insectes, qu'aucun soin de propreté n'arrivait à retirer de l'aire des maisons, vêtus d'effets militaires réformés,
quand ceux apportés de Paris n'en pouvaient plus, redoutant les fauves, les hyènes surtout, qui hantaient les villages dès la tombée de la nuit et s'attaquaient aux bestiaux (dans la nuit du 24au 25 mai 1849, une lionne de 2m60 avait été abattue à Saint-Cloud par Bartholo Navarro, dans le parc à moutons du colon Campillo. au moment où elle emportait une brebis), éprouvés par la sécheresse qui avait grillé les récoltes des deux premières années, décimés par les fièvres et le choléra, déçus, irrités, découragés par leurs misères, beaucoup ne purent résister et dès la première année, les renonciations, les départs commencèrent.
Au recensement du 31 mars 1849, Saint-Leu, à lui seul, comptait 52 familles pour 140 habitants. Six mois plus tard, 12 chefs de famille sont morts du choléra, d'autres s'en vont, ou vont s'en retourner dans la métropole; le chiffre de la population varie constamment, et d'un jour à l'autre. Des familles entières s'éteignent au cours des trois premières années, telle cette famille Litaize, formée du père, de la mère et de 3 enfants, qui va disparaître en entier en l'espace de 50 jours. Et cecas n'est pas unique. Nous pourrions en citer beaucoup, mais nous le trouvons suffisant pour donner une idée des misères des premiers Français qui vinrent coloniser l'Algérie. En 1851, l'insatiable choléra va encore diminuer le nombre des premiers pionniers. Le Dr Dispos a déjà succombé à la tâche. L'épidémie, en faisant de nouvelles victimes parmi les chefs, va entraîner de nouvelles renonciations chez les veuves chargées d'enfants, qui, pour cette raison, ne trouveront pas à se remarier, et les orphelins que l'on enverra à l'hospice ou dans leurs familles de la métropole, car le directeur ne sait qu'en faire et ne peut les laisser à la charge des autres colons.
Plein d'espoir en l'avenir, un rapporteur de la commission des colonies avait dit en 1848:

«Les éclopés resteront en chemin; les plus forts, les plus vaillants se maintiendront en ligne. Puis les années et l'ex- périence achèveront ce que la trempe du caractère aura commencé et l'Algérie y gagnera une élite de colons experts, acclimatés, aguerris». Notre rapporteur avait compté sans la mort. Elle en fit tomber beaucoup parmi les meilleurs et les plus vaillants, et faucha dans les rangs qu'elle avait épargnés en 1849. Colons, médecins, officiers, soldats, elle n'épargne per- sonne et les travaux de la colonie vont subir un moment d'arrêt. En 1852, les anciens militaires, soldats libérés du 1er Etranger, du 12ème léger, du 64ème de ligne, du génie, du 5ème cuirassiers et du 2ème chasseurs vont obtenir des concessions et des lots rendus vacants par la disparition de leurs premiers occupants, et viendront combler les vides.

En 1853, de nouvelles familles de cultivateurs métropolitains obtiendront elles aussi de nouvelles concessions, si bien qu'après cinq ans d'efforts, de défrichements, de travail, de souffrances, Saint-Leu aura le droit de compter 45 courageux concession- naires définitifs.
Elle en fit tomber beaucoup parmi les meilleurs et les plus vaillants, et faucha dans les rangs qu'elle avait épargnés en 1849.

Colons, médecins, officiers, soldats, elle n'épargne personne et les travaux de la colonie vont subir un moment d'arrêt. En 1852, les anciens militaires, soldats libérés du 1er Etranger, du 12ème léger, du 64ème de ligne, du génie, du 5ème cuirassiers et du 2ème chasseurs vont obtenir des concessions et des lots rendus vacants par la disparition de leurs premiers occupants, et viendront combler les vides.
En 1853, de nouvelles familles de cultivateurs métropolitains obtiendront elles aussi de nouvelles concessions, si bien qu'après cinq ans d'efforts, de défrichements, de travail, de souffrances, Saint-Leu aura le droit de compter 45 courageux concession- naires définitifs.

La vie dans la colonie

Quelle était leur vie en arrivant dans la colonie? Colons subventionnés, les lois des 19 et 27 septembre 1848 leur avaient promis, en plus de la maison construite aux frais de l'Etat, un lot de culture de 2 à 10 ha, les semences, instruments de culture et le cheptel indispensable à la mise en valeur des terres, enfin, des rations de vivres déterminées par le Gouvernement général. En réalité, plusieurs mois ont passé avant que les promesses faites ne fussent réalisées.
Une pétition adressée par les colons de Saint-Leu et Damesme au citoyen général Charon, Gouverneur général de l'Algérie le 22 janvier 1849, nous apprend qu'après deux mois de présence en Afrique, l'article du décret accordant des prestations en nature n'a pas encore été exécuté, que les colons manquent des choses les plus nécessaires, que ni les instruments de culture, ni les bestiaux ne sont encore donnés, que la majorité des concessionnaires n'a pas d'outils propres à la culture ni au défrichement, que les vivres sont insuffisants et qu'avec ce régime, les colons, loin de trouver en Algérie un adoucissement à leurs misères et un avenir meilleur, ne pourront y trouver que leurs tombeaux.

Les travaux

Les colons n'avaient, pour la plupart, aucune notion d'agriculture, M. Repos est désigné pour leur enseigner les premiers éléments. C'est un bon professeur, un praticien distingué (c'est le directeur qui parle dans un de ses rapports), il fait des cours fréquents et applique en pratique ce qu'il enseigne en théorie. Ses con- seils, ses exemples, sont suivis et recherchés par les colons. Il tient aussi la pharmacie de la maison de secours, en sa qualité de pharmacien.
Malheureusement, ce premier professeur au nom prédestiné (il s'appelait Agricol: Agricol Victor Repos) mourra du choléra le 27 octobre 1849 et ne sera pas remplacé. Des moniteurs-laboureurs militaires, formant la garnison de Saint-Leu et Damesme, vont aider nos colons aux travaux de défrichement et de culture à raison d'un soldat par famille, déblayer les bassins et l'aqueduc romain afin d'y trouver la source, creuser les puits, car les colons n'ont pas d'outils. Ecoutez ce que dit le capitaine Yerlès le 29 décembre 1849 : «Nos colons sont trop maladroits pour se passer de l'ar mée. On ne peut manquer de perdre des boeufs et un matériel coûteux en le leur confiant exclusivement».
Or ce matériel coûteux ne comprenait encore au 1 er octobre, à titre individuel, un an après la création de la colonie qu'une bêche, une pioche de défricheur, une pelle, une binette, une fourche en fer et une hachette, et, à titre commun, 36 charrues pour les 5 villages et 6 voitures bouvières. Le cheptel comprenait 7 attelages de 4 boeufs pour toute la colonie. Chaque famille avait reçu une truie. Tous les animaux étaient gardés dans le parc commun à toute la colonie. Avec le matériel restreint dont disposaient les colons, 52 lots de jardins seront défrichés dès la première année à Saint-Leu. Sur les 351 ha d'étendue de son territoire, que chaque colon défrichait par parcelle de 2 hectares, à laquelle on ajoutait 2 autres hectares sur sa demande, Saint-Leu aura ensemenée en juin 1850: 30 has de blé 65 has d'orge 10 ha de pommes de terre 1 ha 25 de maïs 2 ha de seigle et plan- té 600 arbres, soit 108 ha 25. De plus, 5.000 pieds de vigne vont être répartis dans les deux centres. On va tenter la culture du coton qui devra être aban- donnée, celle de la garance, qu'il faudra également délaisser.
Nos colons ne manquent pas de courage mais ils sont mal équipés, mal vêtus, mal logés, mal nourris et le soleil implaca- ble multiplie les années de sécheresse et de disette. Les chiffres sont éloquents, permettez-moi de vous en citer quelques-uns: La récolte de 1850 fournit à Saint-Leu: 42 qx de froment pour 30 ha ensemencés, 78 qx d'orge pour 65 ha, 1 qx de seigle pour 2 ha, 44 qx de pommes de terre pour 10 ha. En plus du travail des champs auquel ils s'habituent peu à peu, grâce aux moniteurs militaires dont la suppression sera prononcée à dater du 1 er janvier 1852, nos colons sont assujettis à la corvée hebdomadaire; ils empierrent les rues, ils creusent des puits, des caves souterraines.
Le premier puits construit au moyen de la main-d'oeuvre gratuite des colons et des militaires sur la place du village, donne 1 m.50 d'eau à 16m.50 de profondeur en 1851. En attendant, on utilise les sources des collines de Portus Magnus qui ont un débit de 21,80 1 par seconde. Et puis, le matériel commence à arriver au dépôt d'outils de la colonie. Les directeurs sont autorisés à en céder aux colons à charge de remboursement immédiat. Chaque concessionnaire recevra un boeuf ou l'achètera pour le prix de 25 fr. En 1851, il y aura pour tout le village, qui ne compte plus que 37 familles, 37 boeufs, autant de charrues, de faux, timons, de jougs, faux montées, fourches en bois, fourches en fer, pioches, pelles, faucilles, râteaux binettes et hachettes; 20 voitures dont 4 particulières et 16 pour 32 colons; 19 herses à raison d'une pour deux colons. Ces nouvelles améliorations dans la situation des colons vont leur permettre de travailler plus activement. Avec cela, on comble les vides de sa bourse en faisant du bois ou du charbon, certains colons vont transporter du sel de la saline au port à raison de 7 francs la tonne. Les plus actifs obtiendront la faveur de travailler pour le Génie. Cette rétribution permettra d'acquitter le redû des avances faites par l'Etat mais cette faveur ne sera accordée qu'à ceux qui donnent 5 jours sur 6 au travail de la terre, aux côtés de leurs moniteurs. On obtient aussi, grâce à la libéralité de l'Administration, une indemnité de 10 centimes par jour et par personne pour achat des objets autres que ceux fournis par les magasins de l'Etat; mais cette indemnité sera le plus souvent inscrite au carnet de concessionnaire pour amortir sa dette. Cette dette, voici ce qu'elle peut être pour une famille de 8 personnes dont le père est mort du choléra et qui n'a pas encore acquitté ses avances: 1 boeuf. 25 francs, 1, 50 q d'orge et 50 kg. de blé pour 31 francs. En tout. 56 fr qu'il faudra du temps pour payer, étant donné les difficultés de l'existence.

Les vivres

Les magasins de l'Etat fournissaient les vivres: des soumissionnaires livraient la viande et le pain dont la qualité était surveillée par le directeur. Ces vivres étaient fournis par l'Administration sous forme de rations entières pour les personnes au dessus de 10 ans d'abord, puis de 7 ans, et de demi-rations pour les enfants de 2 à 7 ans.Chaque rationnaire avait droit à: 250 g. de viande tous les jours avec un quart de litre de vin ou 12 g de sucre et 12 g de café. 125 g de pain de soupe et 750 g de pain de munition tous les deux jours. 1/60 de kilo de sel, soit 16 g. et 60 g. de riz tous les quatre jours. Les demi-rationnaires de 2 à 7 ans n'ont droit qu'à la moitié de toutes ces choses ce qui donne lieu à de nom- breuses réclamations. Les bébés de moins de 2 ans reçoivent journellement 0,5 litre de lait et 40 à 60 g. de semoule. Comme matériel de cuisine, chaque famille a reçu, en 1851, pour la préparation des aliments: 1 marmite, 1 bidon, 1 gamelle.



Le village

Au nombre des maisons construites par le Génie de 1848 à 1850 avec l'aide gratuite des colons, 8 à Saint- Leu seront affectées aux édifices publics, celle de Damesme abritera le magasin de l'Administration. Celles de Saint-Leu seront affectées: l'une à la sous-direction et à la salle d'asile, une au presbytère où sera installée l'école. Une pour la maison de secours qui contiendra la pharmacie et l'habi- tation de l'agent de culture. Enfin, une autre pour l'église. L'officier directeur cumule les fonctions de juge de paix, maire, notaire, sous-intendant,constructeur, comptable des subsistances, inspecteur des habitations. Il siège à Arzew et a sous ses ordres, dans chaque centre, un sous-directeur qui lui rend compte journellement des moindres événements comme des faits les plus importants. Le sous- directeur est une sorte d'adjoint au maire. Chef des milices locales qui assurent, avec les petites garnisons (25 à 60 hommes dans les centres de la colonie) la sécurité du pays, il sanctionne en maître, propose pour l'éviction ou pour la récompense. Il traite militairement ses administrés. Et ces gens avaient combattu pour la liberté! le directeur est l'intermédiaire entre la colonie agricole qu'il administre et le général commandant la division. A partir de 1851, il est assisté d'une commission consultative dont les pre- miers membres à Saint-leu sont élus par leurs camarades. Cette commission jouait à peu près le rôle de nos conseils municipaux actuels.

L'école

L'école, avons-nous dit, était installée dans la maison du presbytère. Elle yrestera jusqu'en 1860. Elle avait été ouverte en 1849 pour permettre aux enfants de recevoir l'instruction aux heures où les travaux de la terre ou la garde des troupeaux ne les retenaient pas aux champs. Des cours du soir y étaient suivis par la généralité des colons, les enfants qui en avaient les moyens payaient leurs études 3 à 5 francs par mois. les autres, c'est-à-dire la presque totalité, admis comme indigents, ne payaient rien. la direction de la première école fut confiée au colon Tabourey Nicolas, marié et père de famille, muni d'un brevet d'instruction primaire et sachant «plus qu'il n'en fallait pour occuper la position qui lui était faite». En 1849-50, une institutrice qui a déjà exercé en France, Mme Repos, veuve de l'agent de culture, est adjointe au père Tabourey pour s'occuper des jeunes filles. Elle tient aussi la pharmacie de la maison de secours..

Les postes

II est un employé que je ne voudrais pas oublier dans cette revue des servi- teurs de la colonie. C'est le préposé au service de la poste. De 1848 au mois d'août 1851, un vaguemestre ou piéton à 144 francs par an (12 francs par mois) desservait Saint-leu et Damesme en allant à pied chercher le courrier à Arzew. A partir de 1851 et jusqu'en novembre 1853, la correspondance ne se fit plus que par les gardes- champêtres, l'état des finances devant obliger à des économies, puis on reviendra au service des piétons.

L'église

L'église, dont le curé Barou fat le premier desservant à Saint-leu était, elle aussi, installée dans une maison de colonie, les anciens d'entre nous n'ont pas oublié la touchante petite chapelle dont la cloche au son grêle avait été obtenue par le moyen d'une subvention de 200 francs et d'une quête générale faite par le curé Barou parmi les populations de Saint-leu. Cette église sera remplacée en 1921 grâce à la générosité d'un colon de la commune.

L'administration

En 1853, la colonie de Saint.Leu quittant la tutelle militaire va passer dans l'Administration civile, sous la dépen- dance d'Arzew, le 1er janvier de la ladite année. Les soldats moniteurs ayant été supprimés depuis le 1 er janvier 1852, la colonie ne va plus compter que sur ses colons. Les officiers directeurs vont bientôt rejoindre leurs corps, les hommes de troupe, leurs régiments; Saint-Leu est sorti de l'enfance. On leur a enseigné les premiers pas. Les concessionnaires sont devenus «Messieurs les Propriétaires», car ils ont rempli leurs engagements envers l'Administration et acquitté le droit de 10 francs qu' exige le titre définitif. Des primes de 5,8 et 11 francs leur ont été distribuées pour les surfaces défrichées de 1 à 4 hectares.
De nouveaux venus, cultivateurs en France, vont profiter de l'expérience et des enseignements de leurs prédécesseurs. Le pays est assaini, la sécurité établie, 1' effervescence calmée. Tout ce qui était découragé est parti. On regrette un peu moins la France. Les éléments nouveaux, formés de cultivateurs-nés, apportent en Algérie toutes les qualités du paysan français et contribueront, pour la plus grande part, à faire de chaque colonie un riche morceau de notre seconde patrie.
Nous nous devons de rendre hommage à l'aide précieuse que nous ont apportée dès lors nos voisins les Béthioua et les Hamyans, venus se mettre au service des Français, ainsi qu'aux compagnies de travailleurs espagnols, défricheurs, moissonneurs, planteurs, vendangeurs, tailleurs, greffeurs, que chaque saison ramenait au moment des grands travaux, et dont beaucoup feront souche aux côtés des Français, mêleront leur sang à celui des familles françaises, compteront parmi les pionniers de la colonisation et formeront un peuple nouveau, le peuple algérien. Nous sommes en 1859. Dix ans ont passé. Le territoire de la commune s'étend sur 730 hectares dont 691 sont concédés et 375 mis en rapport. L'entente la plus parfaite et le meilleur esprit de concorde régnent entre les habitants de Saint-Leu dont le nombre est de 185. La population laborieuse jouit d'un bien-être généralement satisfaisant; il y a peu de riches, mais beaucoup de colons dans l'aisance. L'état sanitaire est parfait. La principale culture con- siste en céréales, mais la vigne gagne du terrain et vient parfaitement:
28.000 plants avaient été répartis entre les 5 villages. En 1860, Saint.Leu s'enorgueillit d'un vignoble de 10,61 ha qui, aux vendanges de 1859, avait produit 11 hl de vin. N'en sourions pas, il faut un commencement à tout; mais je dois ajouter que 8 vignes seulement avaient atteint l'âge de rapporter, et leur surface totale était de 4,80 ha. Quinze puits privés et 2 publics ont été creusés; les chemins vicinaux sont entretenus à l'aide des prestations communales. Le village demande des agrandissements et des chemins d'exploitation, preuve que la colonisation a été mise en de bonnes mains.
En 1854, Saint-Leu est placé sous la direction d'un commissaire civil installé à Arzew. Il est administré par un adjoint, Bourely François, ancien sous-officier du Génie, colon de 1852, En 1856, le commissariat civil étant supprimé, le Centre d'Arzew, dont dépendent les anciennes colonies agricoles de Saint.Leu et Damesme, est érigé en commune de plein exercice, dont les deux villages deviennent les annexes, avec Bourely François et Rothan Jean-Jacques pour les représenter au sein du conseil municipal siégeant à Arzew. Enfin, le 5 avril 1879, après bien des démarches, suppliques, pétitions, les sections de Saint-Leu et Damesme sont distraites d'Arzew et érigées en commune de plein exercice dont le chef-lieu est fixé à Saint-Leu.

Les agrandissements

Au cours de ces 30 premières années, la commune a obtenu des agrandisse- ments successifs. Le village s'est étendu aux dépens des boulevards et a construit des habitations nouvelles.
En 1879, au moment de son érection en commune, Saint-Leu occupe un territoire de 10.000 ha pour une popu- lation de 2.851 habitants.
Le nombre des Européens est passé de 203 en 1848 à 480; celui des indigènes, de 1.793 à 2.371. Un autre village, Port-aux-Poules, est venu se construire sur le territoire de la com- mune de Saint-Leu à 9 km autour d'une chapelle construite par un Espagnol sur le bord de la route à la suite d'un voeu. La découverte et l'ex- ploration des eaux sulfureuses y amè- nent la création d'une station estivale aujourd'hui très appréciée. Un centre industriel appelé à devenir important s'était installé en 1852 sur le lac des Salines dont le sel était exploité dans l'Antiquité. Déjà les Romains avaient utilisé la Saline d'Arzew pour le salage des peaux et la conservation des poissons. En juillet 1852, M. Blondeau du Combas obtenait le droit d'exploiter la saline pour une durée de trente ans, portée à 70 avec la construc- tion du chemin de fer des Salines à Arzew-le-port. Pour construire et exploiter ce chemin de fer, une société va se former afin de trouver les capitaux nécessaires: d'abord société des Salines, elle deviendra en 1898,la société Malétra, qui ajoutera l'ex- ploitation du lac à celle du chemin de fer. L'importante croissance de cette exploitation a créé au bord du lac une agglomération ouvrière dont le sort aujourd'hui et bien loin d'être à plain- dre. La qualité du sel, l'intelligence des exploitants, la valeur des dirigeants, on fait de la Saline, une colonie ouvrière très prospère.

Commune de pleine exercice

De 1879 à 1884, la commune va con- naître 4 maires successifs: Roubineau Bertrand, Marchai Emile, Voile Victor et Billard Jacques. L'aspect du village n'a pas encore varié. L'école est toujours dans sa maison de colonie; la poste, dont un facteur boîtier assure le service, n'est pas mieux installée. La mairie n'a pas lieu de les rendre jalouses, car son architecture reproduit à peu près les deux premiers édifices, deux puits couverts ornent le village ainsi qu'un abreuvoir public. Le moment est venu où le village va commencer à prendre une physionomie nouvelle. Les élections du 18 mai 1884, vont confier la mairie au Dr Duzan, arrivé depuis peu comme médecin de colonisation. Saint-Leu va connaître alors une vie nouvelle. Depuis sa première élection jusqu'à sa mort, survenue le 14 avril 1916, le Dr Duzan va consacrer sa vie à la commune en tant que maire et que médecin. Pendant les 32 ans que va durer son mandat, les 32 dernières années de sa vie, M. Duzan va parcourir les routes de sa commune au trot de son cabriolet, visitant ses malades, se rendant compte par lui- même de tous les besoins de ses administrés. Recherches d'eau et constructions de canalisations vont se multiplier.
En 1892, la source des Hamyans apportera un complément à la source de Bénarès, utilisée depuis 1881, et alimentera Saint-Leu, Damesme et Béthioua, après 8 années de recherches, démarches, délibérations et travaux incessants pour obtenir cette concession. En 1899, les deux premières sources étant devenues insuffisantes, la conduite de Mazagran va enfin apporter l'eau douce tant désirée et cet événement sera marqué d'une pierre blanche dans les annales de la commune. La pierre blanche, en l'occurence, est la fontaine de la place de l'école, dont l'inauguration en 1904 donnera lieu à des manifestations et réjouissances. Mais le Dr Duzan ne borne pas là son ambition.

Urbanisme

II veut embellir le village et rendre agréable la vie de ses habitants. La série des travaux d'urbanisme com- mence par la construction de l'école de garçons qui, transportée en 1860, dans l'ancienne maison de secours après avoir quitté le presbytère, abandonne généreusement son local à l'école des filles pour se loger dans le nouveau palais qui vient de lui être élevé sur la place en 1885.
En 1894, l'école des filles vient lui faire pendant, repassant à son tour son anci- enne maison à l'école d'indigènes, nouvellement créée. A partir de cette date, les écoles vont se multiplier dans la commune. La même année, la nouvelle mairie et ses annexes pour la poste et le logement du secrétaire, viennent se construire en face des bâtiments scolaires que le pavillon central viendra compléter en 1911.
La société de musique «La Joyeuse de Saint-Leu», dont une grande partie des hommes et jeunes gens du village deviendront membres exécutants, obtiendra pour ses concerts et pour ses bals en plein air le kiosque qui ome la place et le carrelage, si sympathique aux danseurs.
En 1905, les palmiers de la place viennent remplacer lesvieux mûriers. Jusqu'en 1912, les places s'entourent de grilles, le jardin public se crée. Les écoles d'indigènes se construisent. Le village, peu à peu, prend une physionomie nouvelle. Suivant l'exemple des édifices publics, les maisons des colons perdent leur caractère primitif. Les murs s'exhaussent, les corbeaux des toitures disparaissent, les fenêtres et les portes s'élargissent, le carrelage en ciment remplace les grossiers carreaux de briques; l'eau arrive aux cuisines, les rues du village, éclairées à l'acétylène, s'ornent de superbes candélabres dont quelques survivants dressent encore leurs colonnes sur la place. Des vieilles maisons, témoin de notre passé, il n'en reste plus qu'une aujourd'hui. Elle mérite tout notre respect. Dans le même temps, des améliorations se produisent dans le service des communications: Création en 1888 d'un courrier en voiture allant 2 fois par jour à Arzew chercher et déposer les lettres.
Transformation, la même année, du poste de facteur- boîtier en bureau de facteur-receveur avec bureau télégraphique, puis en recette simple mixte en 1894. En 1890, le conseil municipal, comme suite à la demande d'installation d'un bureau téléphonique, formulée par M. Soudrille, propriétaire, à la direction des P.T.T., vote un crédit de 850 francs à cet effet, mais le téléphone ne sera accordé et installé qu'en décembre 1907.
En 1898 la Commune prend part aux dépenses pour l'installation du chemin de fer d'Oran à Arzew et demande une station à St Leu sur la ligne Oran-Saïda, ce qu'elle n'obtien- dra également qu'en 1907. Quand la guerre de 1914 éclatera, la colonie de 48 ne se reconnaîtra plus dans le jolie et si riant village que nous devons à l'inlassable et insatiable M. Duzan et à ses fidèles conseillers.
La première guerre mondiale va malheureusement arrêter cette ascension et quand notre regretté maire, M. Duzan, va nous quitter pour la tombe en 1916, nom- breux seront ses jeunes administrés qui, depuis deux ans; sur tous les fronts, auront déjà versé leur sang pour la patrie. Ils avaient accompli la promesse faite à la France par les colons de 48 dans le dernier couplet de leur chant:
«Si quelque pouvoir despotique voulait s'emparer de tes lois, A ton cri, chère République Nous reviendrons mourir pour toi».
34 ans ont passé depuis. Deux guerres ont bouleversé le monde. Le village n'a pu retrouver encore sa gaieté d'autrefois, mais il a su garder sa coquetterie et s'embellir de maisons nouvelles. C'est notre façon d'hono- rer ceux qui nous ont fait naître sur cette rive de la Méditerranée. Leur commune s'est enrichie.
Elle atteignait, au recensement de 1939, une population de 1.104 européens et4.841 indigènes. Son étendue actuelle est de 18.298 ha Les cultures s'étendent sur 7.313 ha et ses récoltes ont fourni en 1947,50.752 hl pour ses vignes et 2.294 qx pour ses céréales.
Avouez que nous sommes loin de 165 quintaux sur 107 has et des 11 hl. pour 10,61 ha, récolte de 1859. Les colons de 48 auraient le droit de vous dire: «Mes enfants, vous avez bien travaillé»
Société coopérative vinicole Vers la fin de l'année 1929, un groupe de viticulteurs de Saint-Leu se réunissait à la Mairie et fondait une Société ayant pour objet la création d'une cave coopérative à Saint- Leu. Placée sous l'égide de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d'0ran,la première pierre sera posée le 21 janvier 1930 grâce à l'impul- sion de MM. Destremx, Fromental et Pastor, avec l'appui de M. Emile Borderes, Président des délégations financières. M. Octave Lallemand est le premier président du conseil d'ad- ministration. Les coopérateurs étaient sept à l'origine, on en compta rapidement soixante-sept !
Prévue pour recevoir 15.000 hectolitres la Cave devra être agrandie et en recevra 60.000 Parmi les meilleurs d'Oranie, les vins font en moyenne 12°5; ils obtinrent une Médaille d'Or à l'Exposition Coloniale Internationale de 1931. La Société a installé aux abords immédiats de la Cave une distillerie moderne permettant de traiter les vins et les marcs. Le Conseil d'Administration présidé par M. Charles Sa a pour devise: «Toujours mieux faire».
En 1955, Saint-Leu est une commune de 6.900 habitants. A l'est du Centre une petite agglomération musulmane recouvre les ruines de Portus Magnus d'où proviennent de belles mosaïques installées au musée d'Oran. Des fouilles faites par Mme Maurice Vincent ont exhumé des nécropoles païennes avec un mobilier de céramiques d'origine diverses: Gaule, Italie, Espagne. Des maisons et des thermes ont été mis au jour sur une terrasse d'où l'on a une belle vue sur la baie d'Arzew.
Il faut remercier Mme Gazeilles et
Mr Isidore Vacher pour ces souvenirs parus dans l'Echo de l'Oranie

Crédit: PNHA de septembre 2005




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