Oran - Costumes traditionnels


Robes oranaise citadines.
Le costume d’Oran

À quelque distance de Carthagène, ville édifiée sur le littoral ibérique au IIIe siècle avant J.-C., Oran se dresse elle aussi sur l’emplacement probable d’un comptoir phénicien ou carthaginois. Toutefois, il ne semble pas qu’elle ait joué un rôle notable dans l’histoire pré-romaine de l’Algérie occidentale, pas plus d’ailleurs que pendant l’époque romaine, vandale ou rostémide. Privé d’un passé antique consistant, l’itinéraire du costume oranais débute vers le Xe siècle, après que des marins andalous aient choisi d’y installer une escale afin d étendre le réseau de leurs activités commerciales. Aussitôt créée, Wahran est convoitée par les dynasties musulmanes qui dominent l’Afrique du Nord et l’Andalousie. Elle est d’abord incluse au domaine des Fatimides de Kairouan, puis, environ un siècle plus tard, à celui des Omeyades de Cordoue, avant de passer sous tutelle almoravide vers la fin du XIe siècle. Autant dire que la petite cité côtière, continuellement déstabilisée, se pourvoie difficilement d’une véritable élite citadine, capable de faire sien le style vestimentaire des capitales maghrébines et andalouses.
L’histoire du costume de Wahran commence réellement sous le règne des Almohades. Favorable à la croissance des villes portuaires grâce à l’essor rapide du commerce maritime, cette période assiste à l’irruption des étoffes soyeuses et des fins lainages produits par les manufactures des royaumes musulmans d’Andalousie sur les marchés de la ville. Ainsi, dès le XIIe siècle, la proximité d’Alméria, le premier centre textile de Méditerranée occidentale, conduit les femmes appartenant aux familles qui gèrent l’économie locale à afficher des vêtements coupés dans des tissus luxueux. Elles superposent des chemises à manches évasées et des tuniques en soie analogues à celles des citadines andalouses. Le costume oranais médiéval s’apparente ainsi à celui des centres urbains espagnols les plus proches, bien que l’appartenance à une même entité politique et économique ne signifie pas l’uniformisation du paysage vestimentaire des provinces occidentales du royaume almohade. Les coiffes brodées, les foulards soyeux, les voilettes transparentes, les couronnes ajourées, les bijoux filigranés et émaillés de la noble andalouse ne figurent pas encore dans la garde-robe oranaise. Pourtant, vers le XIIIe siècle, Wahran devient le port principal du royaume de Tlemcen. Elle s’impose dans la vie commerciale du bassin occidental de la Méditerranée et signe des traités commerciaux avec Venise et Gênes. Après le démantèlement de l’Empire almohade, malgré la pression exercée par les Hafsides de Tunis et surtout par les Mérinides de Fès qui parviennent à plusieurs reprises à assiéger et à conquérir ce port désormais stratégique, le style de vie de l’élite, comme son costume, poursuit sa lente ascension vers les modèles tlemcénien et andalou.
Bien que gouvernée par les rois zianides, Wahran se développe, mais elle ne devient pas, à l’instar de Nédroma, la rivale de Tlemcen sur le plan culturel. Sa bourgeoisie porte des costumes sobres qui s’alignent sur ceux de la cour zianide, sans chercher à en surpasser le faste. C’est entre le XIVe et le XVe siècle qu’une véritable « culture du costume » finit par s’enraciner dans la ville. L’épanouissement de l‘artisanat de luxe local, après l’arrivée de nombreuses familles juives majorquines, encourage le renouveau des modes vestimentaires. Malheureusement, cette lancée s’interrompt brusquement lorsque les troupes espagnoles s’emparent de Wahran en 1509. Vidée de son élite et arrachée au royaume de Tlemcen, elle se mue en forteresse militaire. Une situation nouvelle qui bouleverse l’histoire du costume oranais puisqu’elle dure deux siècles. Le costume féminin s’appauvrit et se fige dans le temps. La Reconquista dévie inexorablement sa destinée. À l inverse des siècles précédents, la proximité des côtes ibériques s’avère, pour la première fois, défavorable à l’évolution des modes locales. Ces dernières semblent imperméables à l’influence du costume, sans doute trop austère, des Espagnoles catholiques qui s’installent à Oran : les corsages étriqués qui écrasent la poitrine et les jupes coniques soutenues par des cerceaux rigides sont ignorés tant par les Musulmanes que par les Juives.
Au XVIIe siècle, le costume d’Oran semble marginal par rapport à ceux des autres métropoles d’Algérie, au moment où les emprunts aux costumes morisques et levantins stimulent la renaissance du patrimoine vestimentaire citadin. Les Espagnols sont contraints à quitter la ville au début du siècle suivant, mais les années qui s’écoulent avant leur retour en 1732 ne suffisent pas à instaurer des liens durables entre le costume des Oranaises et celui des Tlemcéniennes ou des Algéroises. Le rattachement de la ville portuaire au Beylik de l’Ouest et à la Régence d’Alger a finalement lieu, après plus d’un demi-siècle, lorsque le siège du Bey Mohamed El Kebir provoque le départ définitif de la flotte espagnole en 1792. Les quatre décennies qui séparent cette date historique de la capitulation du dernier Bey d’Oran devant les soldats français en janvier 1831 seront déterminantes dans l’histoire du costume local. Aussi bien le tremblement de terre dévastateur de 1790 que, quatre ans plus tard, l’épidémie de peste laissent derrière eux une population démunie. Pourtant, grâce à sa position privilégiée, la ville libérée s’octroie un rôle économique et politique de premier ordre. Elle instaure rapidement des relations rapprochées avec la capitale de la Régence. Le transfert de familles notables, originaires aussi bien de Tlemcen et d’Alger que de villes secondaires comme Mascara et Mostaganem, véhicule des habitudes vestimentaires encore méconnues à Oran.
À l’aube du XIXe siècle, le caftan de velours brodé au fil d’or figure dans le costume de fête oranais, en particulier dans la tenue nuptiale. Les autres vêtements ouverts qui couvrent la chemise et la robe-tunique portées au quotidien s’alignent sur leurs voisins de Tlemcen, eux-mêmes imprégnés de l’influence des modèles d’Alger. Ainsi, le boléro fermé entre les deux seins, appelé fermla, possède toutes les caractéristiques de son homonyme tlemcénien : décolleté profond de type levantin, agrémenté de boutons de passementerie piriformes, longueur supérieure à celle de la frimla algéroise et surtout rinceaux brodés sur le dos et triangles rigides, brodés également au fil d’or, identiques par leur forme et par leur position à ceux qui paraissent sur la devanture du caftan. La fermla s‘endosse par-dessus la chemise ou la robe sans manche qui rappelle la ‘abaya de Tlemcen. Taillée dans une soierie brochée ou damassée pour les femmes les plus riches et dans une toile rayée ou unie pour les plus modestes, cette robe recouvre le corps de la chemise blanche. Enfin, les accessoires en velours, babouches et coiffes coniques ornées de volutes brodées au fil d’or, proviennent le plus souvent des ateliers artisanaux tlemcéniens.
Les principales composantes du costume des Oranaises les plus aisées présentent des corrélations évidentes avec les pièces spécifiques au costume de Tlemcen, pourtant le XIXe siècle n’assiste pas au jumelage des traditions vestimentaires des deux métropoles. Comparé à celui des Tlemcéniennes, l’engouement des habitantes de la ville portuaire pour les accumulations de joyaux semble plutôt modéré. Bien que dotée de diadèmes, de rangs de perles baroques et de tous les types de bijoux en or, incrustés de pierreries colorées ou d’éclats de diamants, qui appartiennent au répertoire citadin algérien, leur parure demeure un peu moins opulente que celle des aristocrates de l’ancienne capitale zianide. Dès 1831, la mise des Oranaises est condamnée à s’éloigner davantage du luxe tlemcénien car, au lendemain de la pénétration des troupes françaises, le départ du Bey et de l’élite réduit la population musulmane à quelques dizaines de familles. Onze fois plus nombreuses que leurs concitoyennes musulmanes restées sur place, les Juives oranaises deviennent les garantes d’un artisanat et d’un patrimoine vestimentaire menacés de disparition.
Plus que toutes les autres villes de l’Algérie coloniale, Oran se peuple rapidement de familles européennes, en majorité espagnoles, puis de familles d’origine rurale chassées de leurs terres et contraintes à l’exode. Cette nouvelle conformation de la société oranaise n’est guère propice à la permanence d’un riche costume traditionnel, mais elle encourage une pénétration plus marquée des modes algéroises. Néanmoins, à la fin du XIXe siècle, les mariées musulmanes qui peuvent se l’offrir exhibent un caftan de velours et une somptueuse robe de soie mêlée de fils d’or. La coupe cintrée du caftan et les broderies figurant des oiseaux et des tiges feuillues parmi des motifs végétaux stylisés, plus anciens, témoignent sans doute de l’influence de la mode européenne. Un caftan original qui résiste seulement l’espace de quelques décennies, mais qui symbolise la volonté de préserver une culture vestimentaire autochtone. Cependant, avant le milieu du XXe siècle, cette tradition finit elle aussi par s’effacer. Oran est la seule ville qui compte une communauté d’origine européenne supérieure à la population algérienne musulmane; elle devient sans doute trop cosmopolite pour permettre l’émergence d’un dérivé moderne du caftan.
L’alternative choisie par les Oranaises est celle de la blouza. D’ailleurs, l’origine française du nom de cette robe hybride et des manches ballon qui la rendent tellement caractéristique pourrait laisser penser quelle a d’abord vu le jour à Oran, plutôt que dans une cité aussi conservatrice que Tlemcen. Il est difficile de vérifier cette hypothèse car, après l’indépendance de l’Algérie, les contacts entre la ville portuaire, qui demeure la seconde métropole du pays, et les villes de l’intérieur redeviennent intenses. Comme à la fin du XVIIIe siècle, lors du départ des Espagnols, des familles tlemcéniennes s’installent à Oran, attirées par les opportunités professionnelles offertes par la ville maritime. Ce rapprochement conduit les blouzat des deux villes à évoluer simultanément. Aujourd’hui, les brodeuses oranaises s’ingénient à réinventer des motifs de broderies et des assemblages de perles de passementerie pour façonner des plastrons qui s’accordent harmonieusement aux dentelles ou aux soieries polychromes de la blouza. Les plastrons ainsi décorés confèrent un aspect imposant à la poitrine et nécessitent l’emploi d’épaulettes cachées pour mieux soutenir le poids du vêtement. Des pièces rigides rehaussées de broderies qui reproduisent, en plus petit, le motif décoratif principal du plastron sont fixées sur la partie externe de chaque manche. Le volume, toujours redondant, des manches dépend désormais de la grandeur de cet ornement supplémentaire. Une nouveauté qui illustre le goût retrouvé des Oranaises pour les costumes de fête éblouissants.



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