À Messerghin, commune située à 14 km d’Oran, la nostalgie est bien là, presque autant enracinée que les vieux vergers de clémentiniers centenaires, indissociables de l’histoire de ces lieux.
De part et d’autre de la petite route menant à la Vierge, un peu au-dessus de Messerghin, les alignements des arbres deviennent plus clairsemés, et avec un peu d’imagination, on pourrait presque retrouver ce parfum si particulier et si précieux des fleurs de clémentiniers embaumant toute la région. Mais aujourd’hui, les vergers ont presque disparu, certains abandonnés, parfois arrachés, alors que les derniers anciens maîtres greffeurs voient leur savoir-faire s’étioler faute de relève.
Car la clémentine se meurt en son berceau au point où ce fruit succulent a failli rejoindre les livres d’histoire renforcer les colonnes d’espèces végétales disparues, et cela n’aurait pris que quelques lignes, comme pour évoquer celui qui la fit naître: le père Clément. Ce religieux, directeur de culture de l'orphelinat des Pères-Blancs, au début du XXe siècle à Messerghin, de nos jours centre de formation professionnelle d’agriculture (CFPA), réussira après de longs essais et travaux à créer cette nouvelle variété d’agrume qui porte encore son nom. Historiquement, c’est vers 1902 que le père Clément obtient “la clémentine” en procédant à la fécondation des fleurs de mandarine avec du pollen de bigaradier. Malheureusement, au fil des années et de l’évolution de l’agriculture dans la région, ce patrimoine n’occupe guère plus que quelques hectares. D’ailleurs, la direction des services agricoles de la wilaya d’Oran (DSA) ne dénombre plus que 92 ha de “clémentine d’origine de la région” sur un total de 237,08 ha consacrés aux agrumes en général. En 1999, il y avait encore 250,23 ha de clémentine pour 521 ha d’agrumes, une lente et presque irrémédiable disparition au profit d’autres cultures et variétés. Mais pas seulement…
Facteurs climatiques et désintéressement
Le désintérêt pour le clémentinier originel s’est accentué au fil des années, remplacé par d’autres variétés, des plants venus d’Espagne, du Maroc ou parfois même de Blida et de Boufarik, au rendement plus rapide et demandant moins d’efforts. Un ingénieur agronome de la DSA a résumé la situation par “le service rapide”. Car la culture des agrumes, de la clémentine plus particulièrement, n’est pas aisée et demande en effet beaucoup d’efforts et un savoir-faire avéré pour des récoltes pas avant trois voire quatre ans.
“La presque disparition de la variété de la clémentine locale est la cause de plusieurs facteurs. Il y a d’abord un sérieux problème de relève, les anciens qui connaissaient bien le travail ne sont plus là et il n’y a pas eu de transmission de savoir-faire pour la plantation, la greffe et la taille. L’arbre demande un calendrier de travail, il faut aussi connaître la nature des sols, les maladies qui déciment le clémentinier, savoir à quel moment le traiter et comment”, explique notre interlocuteur.
À ce propos, il faut évoquer l’utilisation abusive et intempestive des produits phytosanitaires. À la DAS, c’est une chose qu’on déplore, expliquant que les agriculteurs ne prennent pas le soin de contacter les spécialistes et autres structures adéquates pour s’informer de l’utilisation des pesticides. Leur vente est libre et donc leur maniement se fait sans contrôle, loin des techniques d’utilisation. Car selon la maladie, il faut pouvoir utiliser le bon produit, en quelle quantité et à quelle fréquence? Les conséquences et les dégâts peuvent être terribles pour l’agriculture, les arbres, les nappes phréatiques et surtout la santé des consommateurs. Et des vergers sont morts à cause de cela. D’ailleurs, la station régionale de préservation des végétaux de Messerghin est là pour accompagner les agriculteurs. Mais c’est une démarche que ces derniers n’ont majoritairement pas suivie. Si la situation de l’agrumiculture et de la clémentine est aussi liée au réchauffement climatique, une pluviométrie de plus en plus faible et une salinité de l’eau plus importante avec la présence de la sebkha, d’autres causes semblent avoir été déterminantes. Et c’est un agriculteur, Khaled, qui a investi de son temps pour reprendre et perpétuer les vergers de son père, qui l’explique en quelques mots: “Vous savez, le clémentinier est un arbre qui ne va produire qu’au bout de quatre ans, alors que beaucoup d’agriculteurs ne veulent pas attendre, ils sont pressés et s’orientent vers des variétés d’agrumes plus précoces, et donc rentables plus rapidement.” Le plein rendement du clémentinier local est atteint, nous dit-on, après 10 ans. Au fur et à mesure de nos rencontres et de nos interrogations sur les raisons qui font que le clémentinier local a été abandonné, l’explication la plus partagée est celle du profit immédiat. “Les AEC et EAI préfèrent les céréales parce que c’est plus facile et cela rapporte plus. Même le maraîchage les attire plus que le clémentinier”, explique Youcef de la DAS. Même son de cloche chez Bachir, un enseignant du CFPA de Messerghin, qui, après plus de 20 ans d’expérience, a vu arriver, ces dernières années, “la mentalité” des nouveaux agriculteurs. “Au centre, on fait de la formation pour les jeunes, avec une partie importante de pratique, mais pas seulement. Nous proposons des formations accélérées dans plusieurs domaines, mais aujourd’hui les gens ne s’intéressent plus. Dans le même temps, on voit arriver au centre des personnes qui n’ont rien à voir avec l’agriculture et sont demandeurs de formations spécifiques accélérées. Il y a cette mentalité du commerce, on achète, on vend”, déplore notre amoureux de la clémentine et de la terre. Tout autour des anciens bâtiments de l’orphelinat des Pères-Blancs, le CFPA dispose de plusieurs hectares, et par le passé les vergers produisaient plus de 100 t annuellement dont une partie même était commercialisée à Messerghin. En 30 ans, les changements de statuts et de la vocation du centre ont eu leur impact. Un clémentinier de plus de cent ans subsiste presque comme une relique, rappelant l’ancien temps. Une image au goût amer, contrairement à son fruit. Mais depuis deux ans, un renouveau semble s’amorcer, fragile mais bien réel. Ce renouveau est venu de la rencontre avec d’autres amoureux, d’autres passionnés comme Bachir, jaloux de ce patrimoine qu’est la clémentine. Ce sont des bénévoles de l’association locale de l’office du tourisme, où les femmes sont majoritaires, et ce n’est pas peu de le dire. Grâce à une convention signée avec le CFPA, un projet a été mis en place pour faire renaître la clémentine dans son berceau, la vraie clémentine, celle du porte-greffe du “bigaradier indigène”.
Les bénévoles, de la pépinière au label
Pour ce faire, ce n’est ni plus ni moins qu’une pépinière de clémentine qui a vu le jour au sein du CFPA, une sorte d’élevage de plants, choyés, presque chouchoutés par les mains des bénévoles comme Hadja, Ghania, avec toujours Bachir qui a été l’un des formateurs dans ce projet. Il nous faudra quelques minutes pour mettre à l’aise Hadja, que nous avons surprise en compagnie de Ghania s’afférant dans la pépinière. Pour elles, il est inconcevable de ne pas réagir alors que la clémentine risque de disparaître au profit d’autres agrumes.
“Il y avait de plus en plus d’arrachage. Les oliviers remplaçaient la clémentine, qui a souffert aussi avec la tristeza, une maladie virale qui vous décime l’arbre en quelques jours. Beaucoup ont abandonné à cause de cela aussi”, nous racontent les deux femmes.
Ghania vient de loin, de Zahana, une commune à la lisière de la wilaya de Mascara, plusieurs fois par semaine, laissant ses instruments de dentiste pour s’occuper de la pépinière et des plants. “Travailler ici est un privilège, c’est magnifique, et nous avons le sentiment d’être utiles, faire renaître la clémentine et c’est toute la région qui peut en profiter”, explique-t-elle. Et comme premier résultat concret, 160 clémentiniers ont été plantés dans le centre, un petit début, précisent nos interlocuteurs. Quant à la pépinière, qui a deux ans d’existence, cela a nécessité beaucoup de travail, beaucoup d’abnégation. L’appui du CFPA a été bien utile, d’autant que nos bénévoles se sont lancé le défi dans le même temps de créer un label “Clémentine de Messerghin”. Selon Hadja, “il a fallu trois sortes de porte-greffes dans la pépinière pour avoir un taux de réussite, mais celui qui est le meilleur, le plus résistant aux conditions de la région, c’est le bigaradier indigène”. Pour le label, c’est une autre exigence, car pour réhabiliter la clémentine, il fallait que ce soit celle du berceau local et pas une autre variété importée.
Et à nos bénévoles, devenues presque des spécialistes, de s’expliquer: “Nous avons contacté l’institut technique des arbres fruitiers (ITAF) d’Alger. Nous avons sélectionné des greffons que nous avons ramené de la Vierge, là où subsistent les derniers vergers de clémentiniers qui ont 140 ans d’âge. L’ITAF a supervisé la sélection des arbres selon des caractéristiques précises.” Le chemin pour arriver au label est encore loin, mais Hadja et Ghania y croient. “On se bat pour ça, on y croit. Nous espérons des appuis dans ce sens”, lâchent-elles, le sourire barrant leur visage.
Photo: La culture de la clémentine demande beaucoup d’efforts. © Liberté
D. Loukil
Posté Le : 13/03/2016
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: © Liberté ; texte: Loukil D.
Source : algerie.com du samedi 12 mars 2016