Oran - Sujets chauds

Oran - Le statut de l’élu local face à l’administration: D’anciens maires d’Oran racontent leurs expériences



Oran - Le statut de l’élu local face à l’administration: D’anciens maires d’Oran racontent leurs expériences


Les témoignages des anciens maires d’Oran à qui l’on a mené la vie dure traduisent bien l’évolution du statut des élus locaux qui ont fini par se soumettre à l’administration et c’est ce qui a peut-être fini par lasser les électeurs. Juste après l’arrêt du processus électoral en 1992, les premières assemblées multipartistes, dirigées en majorité par l’ex-FIS à Oran, n’ont pas dérogé à la règle. Elles ont été dissoutes de fait pour être remplacées par les Délégations exécutives communales (DEC).

C’est dans ce contexte que Henni Merouane, avocat et représentant local de la Ligue algérienne des droits de l’homme (version Miloud Brahimi), avait accepté, suite à une sollicitation en tant que notable de la ville, d’assumer cette responsabilité.

«Dès que j’ai été installé, j’ai fait appel aux représentants des comités de quartiers pensant que les grands enjeux se trouvaient désormais dans les grandes villes et que la société civile avait un rôle important à jouer», se remémore-t-il.

L’expérience est inédite en Algérie et, ajoute-t-il: «Ce qu’on appelle aujourd’hui la démocratie participative, moi, je l’avais appelé la gouvernance citoyenne.»

Après avoir rétabli le fonctionnement normal de cette institution qui a été complètement chamboulée par les élus du parti dissous ayant instauré un climat de peur au sein des employés, il a installé deux commissions autonomes.

Un certain Abdelkader Alloula

La première à caractère culturel et social était dirigée par Abdelkader Alloula, et la seconde, devant s’occuper de l’urbanisme et de l’environnement, a été confiée à Mlle Bekouche, architecte.

«Les deux commissions ont fait un travail remarquable. Les projets qu’on nous confiait étaient suivis, mais il y avait surtout des initiatives car les gens à ce moment-là travaillaient avec conviction et étaient souvent des bénévoles.»

Oran a été choisie pour participer au regroupement «Metropolitan Gouvernance» à Tokyo et a intégré le réseau Medcity.

«J’ai reçu des encouragements de la part du ministre de l’Intérieur de l’époque, Mohamed Hardi, que Dieu ait son âme (il a été assassiné par les terroristes) et pour preuve, il m’a envoyé deux employés de son ministère pour s’imprégner de cette expérience nouvelle dans la gestion.»

Pourtant, les problèmes n’allaient pas tarder à survenir.

«J’étais jaloux de mes prérogatives et le wali de l’époque n’était pas préparé à ce genre de gouvernance, car il n’avait sans doute pas l’expérience des grandes villes», estime Henni Merouane qui ne garde pas de rancune particulière.

«Pour vous donner un exemple, la wilaya a essayé de bloquer des délibérations en ne donnant pas de réponse mais la loi dit que passés 45 jours, le maire peut valider le procès-verbal et c’est ce que j’ai fait et la justice m’a donné raison car il m’a attaqué devant le tribunal administratif.»

A cette époque, la situation financière du pays n’était pas au beau fixe et, face au grand problème de la collecte des ordures, Henni Merouane a décidé, par exemple, de prendre le taureau par les cornes en empruntant de l’argent à la banque (BDL) pour acquérir des camions.

«L’emprunt a été remboursé entièrement et avec le budget de la commune car nous n’avions pas été subventionnés», rappelle-t-il.

Peu à peu, les relations avec le chef de l’exécutif ont continué à se dégrader et le divorce a été inévitable.

«Il fallait que quelqu’un parte et c’est pour cela que j’ai présenté ma démission. Mais dans la forme, c’est le wali qui a émis un arrêté mettant fin à mes fonctions.»

Financièrement parlant, l’ancien DEC d’Oran était aisé et la fonction qu’il occupait ne lui rapportait rien du tout et c’est ce qui lui fait dire qu’«avant c’était l’esprit de sacrifice qui prévalait, alors qu’aujourd’hui c’est plutôt l’intérêt».

Les premières élections multipartites post-arrêt du processus électoral ont été remportées à Oran par le RND, et c’est Tayeb Zitouni, actuel ministre des Moudjahidine, qui a dirigé l’APC durant un mandat complet entre 1997 et 2002. Le problème se posera d’une autre manière pour son successeur, Noureddine Djellouli. Celui-ci était membre du comité central du FLN lorsque Ali Benflis était en même temps secrétaire général du FLN et chef de gouvernement.

FLN divisé

Il a, selon ses dires, décliné la suggestion de son mentor l’invitant à se préparer pour une candidature à l’APN.

«Je ne voulais pas retourner à Alger, mais j’étais par contre curieux d’entamer une expérience à l’échelle locale, et c’est pour cela que j’ai proposé ma candidature laquelle a été acceptée par la direction du parti.»

Elu maire d’Oran après les élections d’octobre 2002, il n’est resté que 15 mois.

Inquiété par la justice dans le cadre de ses fonctions, il a été incarcéré pendant 21 jours avant d’être relaxé puis blanchi suite aux recours introduits auprès de la Cour suprême. Entre-temps, il a été limogé. Même réhabilité juridiquement, il souffre encore d’avoir subi un affront sur le plan politique. A cette époque et contre toute attente, le chef de gouvernement et secrétaire général du FLN se préparait à se présenter contre le chef de l’Etat à la présidentielle de 2004.

Il ne veut pas revenir sur cet épisode mais il estime que c’est une atteinte à la démocratie.

«Quand j’étais passé à Khalifa TV, j’ai dit au journaliste qui m’avait interrogé que, en ma qualité de membre du comité central du FLN et compte tenu que Ali Benflis était à la tête du parti, je n’avais d’autre choix que de soutenir mon secrétaire général en tant que candidat, sinon il aurait fallu que je quitte le FLN.»

A son époque, le FLN était divisé entre les partisans de Bouteflika et les fidèles de Benflis et, si le concerné ne veut pas le dire ouvertement, on estime qu’il représente le dommage collatéral de la fracture de l’ex-parti unique.

A sa sortie de prison, il s’est impliqué dans la campagne de son candidat et, bien plus tard, il a contribué à la création du parti des Avant-gardes des libertés, dont il est aujourd’hui membre du comité central et contrôleur général. L’expérience de voir ce qu’est une collectivité locale étant faite, il pense aujourd’hui que le maire n’a aucun pouvoir par rapport à ceux des années 1970 où «le président de l’APC était réellement maître de son exécutif, de son programme et de son budget».

Noureddine Djellouli garde cependant une image positive de ses rapports avec les représentants locaux de l’autorité administrative, à leur tête le wali de l’époque, Mustapha Kouadri. Il y a comme une incohérence entre le niveau central et local, et c’est ce que va constater à ses dépens Sadek Benkada.

Celui-ci est universitaire historien et peut être considéré lui aussi comme un des notables de la ville. Il a accepté en 2007 de figurer, dans un premier temps, sur la liste électorale du FLN mais pour l’APW, pensant qu’il y a toujours des choses à apporter pour la ville même si cette institution n’a aucun pouvoir de décision.

«Lorsque la liste était montée au ministère de l’Intérieur, Zerhouni qui était ministre de l’Intérieur a vu mon nom et il a appelé le wali d’Oran, M. Sekrane, pour lui suggérer de me réserver pour l’APC», confie-t-il en précisant que cette option ne l’avait pas emballé au départ.

«De passage à Oran, M. Zerhouni m’a même appelé et je me rappelle lui avoir fait part de mon hésitation en lui disant: ‘‘Je suis oranais, je connais les Oranais, leur caractère, leurs qualités et leurs défauts et c’est un peu lourd pour moi.’’ Mais il m’a convaincu et j’ai accepté.»

Sans être encarté, Sadek Benkada soutient qu’il est FLN de cœur, mais le problème, c’est qu’il n’a pas été mis en tête de liste (elle était menée par Noureddine Boukhatem) et que, avec lui, quatre autres personnalités non encartées au FLN ont été introduites, ce qui faisait déjà jaser plus d’un. En effet, contre toute attente, aux élections internes du FLN (qui a obtenu la majorité des sièges) pour désigner le maire, c’est lui qui est sorti vainqueur.

Content de pouvoir se rendre utile, fort d’un soutien à un plus haut niveau de l’Etat, Sadek Benkada a vite déchanté car, selon lui, les élus sont très mal vus.

«Il y a un conflit de prérogatives et si par malheur le maire a un certain niveau universitaire, il faudra qu’il s’attende à recevoir des foudres.»

Son expérience reste amère du début jusqu’à la fin.

«J’avais des problèmes subjectifs et objectifs mais surmontables avec le wali, qui était en fonction à mon arrivée, c’est-à-dire M. Sekrane, mais là où j’ai refusé de céder sur mes prérogatives de maire, c’était avec son successeur Abdelmalek Boudiaf.»

Ce dernier est connu pour vouloir à tout prix décider de tout et le conflit était inévitable.

«Il y a eu une véritable cabale montée contre moi afin de m’écarter de l’APC, car avec lui j’ai enlevé les gants en me disant: ‘‘Soit je suis maire, soit je ne suis rien du tout.’’»

En effet, après deux tentatives de retrait de confiance, Sadek Benkada a fini par être limogé, mais il estime que «le wali a trouvé le champ libre, profitant du fait que M. Zerhouni n’était plus ministre de l’Intérieur».

Eus manipulés

Son expérience lui a fait prendre conscience que «l’administration pouvait manipuler les élus pour écarter un président d’APC, y compris ceux qui sont du même parti que lui, et que désormais un wali n’acceptera jamais qu’un maire lui fasse de l’ombre». Son amertume est d’autant plus grande que même les élus de la société civile embarqués dans cette aventure au même titre que lui ne l’avaient pas soutenu, excepté un seul.

Selon lui, après l’indépendance et jusqu’à la fin des années 1970, les maires avaient de la personnalité et se faisaient respecter. Il cite comme exemple Seghir Benali, Boudraa, qui était chirurgien, ou encore Abdessamet Benabdellah, qui était un avocat, ami de Vergès.

«La dégringolade a commencé, tranche-t-il, sous le règne de Chadli Bendjedid et quand moi je suis arrivé en tant qu’universitaire, les gens étaient carrément étonnés !»

En dehors des conflits, parfois purement subjectifs, les problèmes de gestion proprement dits se posent toujours, mais parfois des conjonctures favorables surviennent pour sauver les meubles.

Eux-mêmes le disent car, par exemple pour Noureddine Djellouli, la fameuse visite de Jacques Chirac, président français à l’époque, a été une véritable bouffée d’oxygène, l’Etat ayant injecté beaucoup d’argent pour embellir la ville. Même cas et sans doute nettement mieux pour Sadek Benkada avec l’organisation du GNL 16 en 2010, lorsque même Sonatrach a été mise à contribution pour financer directement des travaux d’aménagement.



Photo: Siège de l’ APC d’Oran

Djamel Benachour


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